LEGICOM 2007/4 N° 40

Couverture de LEGI_040

Article de revue

Intervention de Henri Pigeat

Pages 91 à 92

1 Le thème de notre débat appelle de ma part quatre observations.

2 1. Les droits de l’information et de la communication tels qu’ils apparaissent aujourd’hui en France ne sont plus maîtrisables aujourd’hui par un citoyen normal. Cette proposition n’est pas celle d’un praticien mais d’un usager du droit, en tant que directeur de publication, journaliste, enseignant du journalisme. Loin de toute provocation, j’en suis profondément convaincu. Essayer de définir et pratiquer des programmes de droit de l’information suffisants dans une école de journalisme est pratiquement impossible. Le droit est foisonnant, donc désordonné. Émanant de sources très diverses, il est souvent contradictoire. Enfin, il est toujours en retard par rapport à la réalité technique, ce qui est normal. Il y a obligation de clarifier la situation. Je ne dis pas seulement cela pour le plaisir de la rationalité intellectuelle, ni du point du vue du confort du journaliste. Je le dis du point de vue du citoyen de base, ne serait-ce que pour corriger une profonde inégalité devant le droit de l’information et de la communication. Les citoyens sont en effet placés de manière très inégale pour défendre leurs droits, selon qu’ils sont responsables d’une entreprise de presse juridiquement bien équipée, selon qu’ils sont responsables d’une organisation sociale associative, ou selon qu’ils sont des personnes individuelles.

3 2. Il y a donc urgence à opérer une clarification. Cette remarque conduit en fait à une question. Est-ce qu’une codification est de nature à clarifier les choses et à rendre plus facile et plus juste l’utilisation du droit, ce qui est le premier objectif de la codification. Pour ce qui nous occupe, je n’en suis pas convaincu, car nous sommes parvenus à un système tellement divers, complexe et évolutif, qu’il n’est pas certain qu’une codification n’aboutisse pas à une sorte de cathédrale juridique encore moins compréhensible et moins utilisable. Est-ce qu’il faut ne rien faire ? Un des mérites du groupe de travail a été d’émettre une idée, dont je serai personnellement déçu qu’elle n’ait pas de suite. Il s’agit du portail internet. Nous avons actuellement, par les moyens électroniques disponibles, la capacité de réorienter des usagers du droit vers les textes utiles. Cela ne suffira pas à totalement clarifier les choses mais c’est un élément très important.

4 3. Faut-il aller plus loin ? La première tentation est de distinguer le droit des contenants et celui des contenus. M. Baudis nous a montré que ce n’était pas si simple, car les droits des contenants ont divergé selon les supports, mais comme les modes de diffusion tendent à se rapprocher, les choses se sont compliquées dans la convergence. Je crois néanmoins que cette distinction reste un guide utile. M. Baudis a souligné, et je suis d’accord avec lui, que les interventions nouvelles sur les contenus à partir de supports nouveaux, ont toujours été dans le sens restrictif, donc dans le sens de la limitation de la liberté d’expression. Je ne veux pas contester par là la régulation établie par le CSA, elle répond à des objectifs utiles, mais on a gardé la vieille crainte selon laquelle plus les médias sont puissants, plus ils sont dangereux. Je crois que c’est une erreur profonde. L’idéal serait de distinguer dans le droit de l’audiovisuel celui des contenants qui peut être détaché et l’aligner sur le droit de l’écrit, la démocratie y gagnerait.

5 4. Que faire du droit des contenus ? Le grand problème n’est pas de savoir s’il faut préserver la loi de 1881. Cette loi de 1881 a beaucoup évolué, mais on l’a aussi régulièrement dépassée, parfois contredite, pour construire d’autres droits en dehors de son cadre de garanties habituelles, et en dehors du principe philosophique essentiel qu’elle représente (tout ce qui est autour de la protection de la personne et de l’image en relève). Nous sommes le pays dans lequel on est allé le plus loin en ce domaine. À partir de 1969, avec l’insertion du nouvel article 9 du Code civil, on est passé d’une insuffisance à un excès. Pour l’anecdote, il faut savoir que pour les correspondants de presse étrangère à Paris, la loi de 1881 est surtout une loi d’interdiction, que le législateur leur paraît trop prolifique dans le sens des limitations et trop timide dans celui de la protection des libertés. L’exemple de la protection des sources est significatif. Depuis vingt-cinq ans, le législateur doit régler cette question, mais chacune de ses interventions est partielle et débouche sur de nouveaux contentieux dont les résultats vont dans un sens plus restrictif encore du fait de la lettre des textes. Cette loi de 1881 mérite mieux qu’un pseudo-respect fétichiste. Il faut revenir au principe de fond qui est le principe de liberté.

6 Si on fait une comparaison internationale, on nous dit souvent dans les colloques internationaux : « Vous, Français, vous n’avez pas la liberté naturelle. Vous n’avez jamais imaginé comme les Américains de tout résumer en un article » (« Le Congrès ne fera aucune loi restreignant la liberté de la presse »), ou comme les Britanniques qui n’ont pas de code et laissent les choses se développer en réprimant simplement les abus. Cet argument peut se retourner. Nous sommes tellement attachés à la liberté que nous tenons à la réglementer, à la codifier et à l’organiser. Encore, faut-il remettre dans la loi de 1881 et dans son principe de liberté tout ce qui peut l’être (protection de la vie privée, droit à l’image…). Si l’on est capable de le faire dans le respect de la liberté d’expression et dans le respect du public, un tel travail de clarification sera salutaire.


Date de mise en ligne : 21/03/2014

https://doi.org/10.3917/legi.040.0091

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