Notes
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[1]
Premier chef de l’État issu de la Région de Sicile.
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[2]
Le père de S. Mattarella a été constituant en 1947 puis l’un des fondateurs de la « baleine blanche », la DC.
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[3]
Le frère de S. Mattarella est assassiné en 1980 alors qu’il occupe la fonction de président de la Région de Sicile.
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I – à propos de l’élection du chef de l’état : Sergio Matterella
1 Sergio Matterella (professeur de droit honoraire, université de Palerme) a été élu chef de l’État samedi 31 janvier 2015 [1]. Il succède à G. Napolinato qui avait annoncé, plusieurs semaines auparavant, qu’il n’entendait pas continuer son second mandat. On se souvient qu’il avait accepté – dérogeant à un usage ne méritant pas la qualité de coutume – d’être réélu en raison de la crise institutionnelle majeure survenant au lendemain des dernières élections législatives : une fragmentation du système partisan/parlementaire générant une paralysie des institutions. Mattarella a été élu au 4e tour de scrutin (voix obtenues : 665, majorité absolue : 505, votants : 995), celui-là même qui nécessite la seule majorité absolue. Pour mémoire, le Président de la République – élu par les deux chambres réunies du Parlement (+ des représentants des Régions) – est désigné au scrutin secret et à la majorité des deux tiers de l’assemblée ; après le troisième tour, la majorité absolue est suffisante. Eu égard aux modalités de ce mode de scrutin et aux inévitables déconvenues passées (cf. R. Prodi adoubé par son parti l’année passée mais n’obtenant pas la majorité qualifiée des deux tiers), M. Renzi a fait montre d’une habileté stratégique assez remarquable. Quelques jours précédant le vote, il annonce soutenir Sergio Mattarella, tout en demandant aux grands électeurs de voter blanc aux trois premiers scrutins. L’objectif était d’éviter une « configuration papale » survenant presque à chaque élection présidentielle : celui qui entre pape au conclave ressort cardinal. Le parcours de S. Mattarella (pilier de l’ex Démocratie chrétienne [2], « quota » Aldo Moro) et son autorité (juge constitutionnel au moment de son élection ; père du « Mattarellum », mode de scrutin mixte adopté en 1993 comportant 75 % de majoritaire) ont grandement contribué à souder le bloc de gauche, et à fragmenter le bloc de droite. A. Alfano, leader du Ncd au pouvoir avec le Pd, a appelé in fine à voter en faveur de Mattarella, ce qui a entraîné plusieurs démissions au sein de sa formation ; S. Berlusconi a appelé à voter blanc mais une quarantaine de grands électeurs de son parti semble avoir soutenu la candidature de S. Mattarella. Ce dernier a prêté serment, jurant « d’être fidèle à la République et d’observer loyalement la Constitution ». Le texte de 1947 demeure un point d’ancrage difficile à comprendre en France, pays n’ayant jamais conféré à sa (ses) constitution(s) une authentique dignité nationale. Si la Constitution de 1947 a parfois été vivement critiquée dans le passé (notamment par le centre droit de S. Berlusconi), elle représente – pour un homme de la génération de S. Mattarella – l’héritage sacralisé de la Résistance antifasciste. Dans son discours d’intronisation (3 février 2015), le chef de l’État a repris la définition habituelle de son magistère : « garant de la Constitution », « arbitre… impartial ». Organe super partes, le président de la République est l’arbitre des litiges inhérents aux rapports de force politique et le protecteur du pacte constitutionnel. Derrière ces formules aussi génériques que classiques, reste à savoir si S. Mattarella fera montre d’un interventionnisme juridico-politique (un droit épuré de toute dimension politique, bref une théorie du droit pur, relève de l’irénisme juridique) équivalent à celui de son prédécesseur. Autres thèmes retenus lors de ce premier discours : l’unité du pays (fracture entre le Nord et le Mezzogiorno), la nécessité de réformes institutionnelles (monocaméralisme, loi électorale), lutte contre la (les) mafia (hommage aux juges assassinés Falcone et Borsellino) [3]. L’élection de 2015 emporte novation : pour la première fois, un juge constitutionnel devient chef de l’État. S. Mattarella était en effet membre de la Cour constitutionnelle depuis octobre 2011, élu par le Parlement en session commune. Son élection au palais de la Consulta (siège de la Cour) était advenue au 4e tour de scrutin, lorsque le quorum est de 3/5e. On ne peut pas ne pas faire de lien entre fonction de juge constitutionnel et fonction de président de la République pour souligner combien la Consulta est un organe de suppléance (S. Mattarella rend un hommage appuyé à la Cour en ouverture de son discours devant le Parlement). Les parlementaires sont allés chercher un membre de l’organe de garantie qu’est la Consulta pour le porter au Quirinale, c’est-à-dire le lieu institutionnel qui incarne (ou prétend incarner) une neutralité institutionnelle supra partes. La Cour constitutionnelle est qualifiée souvent d’organe de garantie des droits tandis que le chef de l’État est regardé comme l’organe de garantie des pouvoirs. L’une protège les droits fondamentaux, l’autre régule le jeu institutionnel partitocratique. L’instabilité politique, la non-bipolarisation achevée du système partisan, les incertitudes liées au sort du bicaméralisme et de la loi électorale, les enjeux économiques… tout contribue à valoriser ces organes de garanties que sont le juge constitutionnel et le chef de l’État. Ce dernier fait office de deus ex machina, ce qui renforce la thèse – ici déjà développée – du semi-présidentialisme. Ce n’est pas tant la légitimité élective du chef de l’État qui importe que sa puissance fonctionnelle régulatrice, son rôle de lord protecteur : il est loisible de soutenir que l’Italie est un régime semi-présidentiel, c’est-à-dire un régime parlementaire immature sous tutelle présidentielle. D’où l’importance si cruciale de l’élection du chef de l’État, contrairement à ce qui advient dans d’autres régimes parlementaires stabilisés (Allemagne pour une élection parlementaire, Autriche pour une élection populaire). Après la démission de S. Mattarella, la Cour constitutionnelle fonctionne – provisoirement ? – avec seulement 13 membres. Outre le poste du nouveau chef de l’État, un second poste n’est pas pourvu ; le Parlement n’a en effet pas réussi depuis cet automne à s’entendre pour désigner une personnalité (sic).
II – à propos de la démocratie parlementaire : doctrine constitutionnelle versus Président du Conseil
2 « J’ai juré sur la Constitution, non sur Rodotà ou Zagrebelsky. » Par ces mots, Matteo Renzi résume le conflit qui l’oppose, en début d’année 2014, à d’éminents membres de la doctrine italienne ; au point que les professeurs concernés sont qualifiés de « professorini », suffixe peu élégant. Selon M. Renzi, il existerait un conservatisme doctrinal centré sur la sacralisation de la Constitution de 1947. Toute réforme substantielle du système politique rencontrerait l’hostilité de la majorité de la doctrine, cette dernière vouant un culte à l’équilibre institutionnel trouvé par les Constituants. En cela, on mesure le rôle joué par les professeurs de droit au sein du système politique italien (S. Rodotà a été candidat à l’élection présidentielle de 2013 ; les noms de G. Zagrebelsky, V. Onida et G. Amato furent évoqués pour succéder à G. Napolitano avant que S. Mattarella ne soit élu).
3 La controverse naît après publication d’un appel le 27 mars 2014 – sur le site de « Libertà e giustizia [4] » – dénonçant « la svolta autoritaria », le tournant autoritaire du Président du Conseil. Le projet de révision constitutionnelle instituerait un « système autoritaire donnant au chef du Gouvernement des pouvoirs personnels ». Il est reproché à M. Renzi de forger une « démocratie plébiscitaire qui n’est pas inscrite dans notre Constitution ». Concrètement, les dispositions qui effraient sont : la procédure de la guillotine sur les projets de loi (permettant au Président du Conseil d’imposer un vote passé un certain délai) et la révocation des ministres (non prévue dans le texte de 1948). Apparaissent ainsi quelques éléments constitutionnels à même de générer ce « premierato forte » (régime primo-ministériel voulu jadis par S. Berlusconi dans la révision constitutionnelle avortée de 2005-2006). Le projet serait d’autant plus inacceptable que l’actuel Parlement serait « explicitement délégitimé par la décision de la Cour constitutionnelle n° 1 de 2014 ». La Cour a en effet censuré la loi électorale n° 270 de 2005, norme applicable lors des dernières élections législatives ; sénateurs et députés exercent ainsi leurs fonctions sur le fondement d’une loi déclarée inconstitutionnelle. Ce Parlement en mal de légitimité devrait se contenter – toujours selon les appelants – d’élaborer une nouvelle loi électorale en suivant au plus près les indications de la Cour ; il ne devrait pas préparer une profonde révision de la norme fondamentale qui modifie la forme de gouvernement (et de l’État). Les innovations envisagées emporteraient dénaturation de l’équilibre institutionnel posé par la Constitution. C’est bien un débat sur la nature même de la démocratie représentative que nous avons présentement : démocratie d’investiture (au profit du chef du gouvernement) versus démocratie parlementaire, césarisme plébiscitaire versus délibération parlementaire, autocratisme exécutif versus collégialité législative… L’opposition manifestée envers le projet renzien exprime assez bien l’habitus constitutionnel italien qui met en exergue une lecture classique du parlementarisme, réticent à la personnalisation du pouvoir exécutif. Le régime représentatif est centré, selon une formule souvent usitée, sur le circuit Partis/Gouvernement/Parlement, autant d’entités collégiales réticentes à l’émergence d’un prime minister imposant ses choix de manière unilatérale. Ce que redoute la doctrine n’est rien d’autre que le phénomène bien connu de présidentialisation du régime parlementaire, avec un Parlement devenu lieu de ratification du programme d’un leader charismatique. Tant l’article 49 C. que l’héritage spirituel de la Démocratie chrétienne jurent avec ce schéma. La Démocratie chrétienne – via un jeu subtil et mortifère de courants internes – faisait émerger des chefs de gouvernement simples primus inter pares. Quant à l’article 49 C. – « Tous les citoyens ont le droit de s’associer librement en partis pour contribuer démocratiquement à la détermination de la politique nationale » – il a toujours fait l’objet d’une surinterprétation parlementarisme. L’Italie ne pourrait être autre chose qu’une démocratie des partis, vecteurs irremplaçables du système représentatif. De cette logique, Lavagna tirait jadis la conclusion – erronée – que la Constitution impose le vote d’une loi électorale proportionnelle (muette est la Constitution). Autant dire que les deux principaux chantiers institutionnels de M. Renzi – adoption d’une nouvelle loi électorale, fin du bicaméralisme paritaire – rencontrent de multiples écueils.
III – À propos d’un ventennio immature : 1994-2014
4 En un siècle passé (1994), Forza Italie de Berlusconi, la Lega et l’extrême droite de Fini accèdent au pouvoir, ouvrant, sur les cendres de la Démocratie chrétienne, l’ère de la Ire République ; quant au Parti communiste, il mute en organisation sociale-démocrate, devenant in fine le PD actuel. Quel bilan ? S’agissant de la forme de gouvernement, l’Italie a connu une instabilité politique importante. Seul Berlusconi réalisa un quinquennat gouvernemental ; mais il s’agit d’un « succès négatif » en raison des lois ad personam adoptées (cf. les vicissitudes judiciaires du président du Conseil) et du chantage territorial permanent de la Lega. Quant à la forme de l’État, la révision constitutionnelle fondatrice de 2001 semble enlisée : l’esprit de clocher frappe les communes, les provinces sont jugées inutiles, les régions sont perçues tel un centralisme local. Ce mal gouvernement national/local a conduit à l’émergence du M5s de Grillo et Casaleggio, populisme éructant postmoderne fondé sur la démocratie du web (sic). Reste qu’il existe un génie constitutionnel italien. Au blocage institutionnel consécutif aux dernières élections législatives, il est répondu par la réélection inédite du G. Napolitano ; l’Italie est bien un régime parlementaire sous tutelle présidentielle, à savoir un régime semi-présidentiel. Il est encore répondu à ce blocage par une coalition impensable mais non impossible entre le Nouveau-centre droit d’Alfano et le centre gauche de Letta puis Renzi. Reste à savoir si l’Italie est capable d’abandonner un statut peu enviable, celui de pays ontologiquement incapable de voter les réformes constitutionnelles discutées au Parlement.
Notes
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[1]
Premier chef de l’État issu de la Région de Sicile.
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[2]
Le père de S. Mattarella a été constituant en 1947 puis l’un des fondateurs de la « baleine blanche », la DC.
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[3]
Le frère de S. Mattarella est assassiné en 1980 alors qu’il occupe la fonction de président de la Région de Sicile.
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[4]
www.libertaegiustizia.it.