Notes
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[1]
Ordonnance du 21 avril 2006.
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[2]
On remarque que l’article L 1311-2 CGCT mentionne l’« affectation » d’un édifice du culte à une association cultuelle. Bien entendu le mot doit être entendu ici au sens générique de mise à disposition, ou de location de longue durée d’un terrain ou éventuellement d’un local appartenant au domaine privé communal. Elle n’a pas le sens juridique, auquel on s’attache dans le présent article, d’affectation domaniale au sens de la loi de 1905, laquelle concerne des lieux de culte appartenant au domaine public de leur propriétaire.
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[3]
Voir :
- TA Lille, 9 janvier 2007, Mme Stéphanie R., n° 0401078.
- TA Marseille, 17 avril 2007, 3 jugements : M.Hubert S. et M.Bruno M. c/ Ville de Marseille, n° 0605998 ; M. François B., Mme Nicole C. et Ass. Mouvement pour la France, n° 0606190 ; M. Jackie B. et M. Bruno G., n° 0608297.
- TA Cergy-Pontoise, n° 0306171, 12 juin 2007, Mme Patricia V., M. Bégault, n° 0306171. Jugement annulé par CAA Versailles, 3 juill. 2008, Cne de Montreuil-sous-Bois Pour la Cour de Versailles, le coût de la construction, aux frais exclusifs du locataire, d’un édifice que le bailleur pourra acquérir à sa valeur vénale au terme de la location, peut justifier un loyer annuel symbolique sans porter aucunement atteinte à l’équilibre des prestations.
- TA Marseille 21 décembre 2007, M. Bruno M. et M. Hubert S., n° 0705562.
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[4]
Il s’agit pour l’essentiel d’églises, mais aussi d’un certain nombre de temples ou de synagogues qui ont été construits au cours du xixe siècle sur un terrain municipal, ou installés dans un bâtiment public, parfois (c’est le cas de certains temples) dans une ancienne église désaffectée. Il suffit de se renseigner, dans les villes ou les villages de France que l’on visite, sur l’histoire des édifices cultuels depuis la Révolution pour voir combien il existe de situations particulières originales.
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[5]
On doit souligner ici qu’il y a un contraste manifeste entre les deux situations qui précèdent, à savoir que d’un côté les églises communales sont de moins en moins fréquentées, faute de fidèles et faute de desservants, et que de l’autre côté il manque de mosquées pour la prière du vendredi. Cela étant la désertion des églises n’est pas la solution au problème des mosquées. Outre des raisons symboliques évidentes, l’article 13 de la loi de 1905 qui autorise le « transfert de jouissance », par décret, d’un édifice légalement affecté à un culte, autorise en réalité ce transfert au profit d’une association représentative du même culte, et non au profit d’un autre culte. Dans le même sens, la loi de 1905 n’envisage l’affectation qu’au profit d’un seul culte, elle n’autorise pas la pluri-affectation cultuelle, que ce soit sous la forme d’une mise à disposition ponctuelle d’un édifice au profit d’un autre culte, ou sous une forme plus organisée, par exemple le simultaneum d’Alsace-Moselle.
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[6]
La loi du 13 décembre 1908 autorise l’État, les départements et les communes à « engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte » dont ils ont la propriété. Il n’existe aucune obligation, mais simplement une faculté de prise en charge, mais en pratique ce sont les collectivités qui financent, en tant que propriétaires, les travaux d’entretien et de conservation. Au reste la jurisprudence administrative met à la charge du propriétaire les préjudices résultant d’un défaut d’entretien normal de l’édifice.
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[7]
On renverra ici à la thèse de Jean-Pierre Vuillemin, Le recours au canon 517§2 en France. Analyse du droit particulier diocésain, Université Paris Sud, faculté Jean Monnet, 422p.
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[8]
Ibid., p.156.
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[9]
Code de droit canonique, canons 515 à 517.
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[10]
Les exceptions à l’exclusivité de l’usage cultuel sont énoncées strictement par la loi de 1905. Il s’agit pour l’essentiel du droit de visite prévu à l’article 17 : « La visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés sont publiques ; elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance… ». L’article 27 évoque quant à lui les sonneries de cloches à usage civil, mais outre qu’elles sont aujourd’hui remplacées par les sirènes les sonneries de cloches civiles ne portent pas atteinte à l’usage religieux de l’édifice.
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[11]
Voir l’exemple de l’église Saint-Eloi de Bordeaux évoqué plus loin.
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[12]
En tant qu’elles touchent aux règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
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[13]
CAA Bordeaux 27 avril 2004, Association Église Saint Eloi, n° 03BX0037. Voir également TA Bordeaux 10 déc. 2002, Savary, Mgr Ricard, n° 2700-2734-2844. Le Conseil d’État n’a pas admis le pourvoi contre l’arrêt en l’absence de moyen sérieux, ce qui signifie implicitement qu’il a validé la solution dégagée par les juges du fond (CE 2 mars 2005).
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[14]
CE 30 déc. 2002, Commune de Pont-Audemer.
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[15]
Trib. Civ. Bourges, 16 juin 1909 : D.1910, II, 25.
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[16]
CE 1er mars 1912, S.1913, III, p.18. On reprend la référence de Pierre Subra De Bieusses dans son commentaire sous l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État Commune de Massat. Voir CE 25 août 2005 Commune de Massat : AJDA 16 janvier 2006, pp.91-98.
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[17]
Sur ces questions on consultera avec intérêt la thèse d’Anne Fornerod, Affectation cultuelle et affectation culturelle. Étude sur l’usage culturel des édifices religieux affectés au culte. Thèse de droit 2006, Faculté Jean Monnet, Sceaux.
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[18]
Selon la formule de Gabriel Le Bras, dans « Le Conseil d’État, régulateur de la vie paroissiale », EDCE 1950, p.63. L’article 19 de la loi de 1905 donne un fondement légal aux quêtes, indiquant que « les associations pourront recevoir… le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices… ».
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[19]
Sur la question des concerts voir le mémoire de DEA d’Elise Untermaier, Culte, culture et domanialité publique, l’organisation de concerts dans les églises, Publications de l’Université de Lyon III, 2005.
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[20]
CE 4 nov. 1994, Abbé Chalumey : Rec. CE, p.491 ; AJDA 1995, p.252.
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[21]
Mais pas l’État pour ses cathédrales.
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[22]
L’idée d’une double affectation cultuelle et culturelle des édifices a été suggérée au départ par Jean Kerleveo dans sa thèse remontant aux années 1950, L’Église catholique en régime de séparation : 1) L’occupation de l’église par le desservant et les fidèles, 1951 ; 2) Les prérogatives du curé dans son église ; 3) Le prêtre catholique en droit français, 1962. Elle a été défendue plus récemment par Anne Fornerod dans sa propre thèse de 2006 (voir supra). L’idée de double affectation s’attache à rendre compte d’une idée juste, à savoir que l’usage profane (notamment dans une finalité patrimoniale) des édifices cultuels correspond à une réalité qui prend elle aussi ses fondements dans la loi de 1905, laquelle consacre notamment un droit de visite des parties classées de l’édifice. À l’heure où l’intérêt des français pour les monuments du passé se confirme de jour en jour, et que parallèlement la pratique religieuse est en baisse, la valorisation patrimoniale des édifices cultuels tend à devenir une préoccupation publique au moins aussi importante que celle de leur affectation au culte.
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[23]
La ville comptait 17000 habitants au début du xixe siècle, et près de 10 fois moins aujourd’hui.
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[24]
Et dont il faut dire qu’elle a donné des résultats satisfaisants pour tout le monde dans l’immense majorité des cas.
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[25]
Ce qui était encore le cas dans l’affaire Abbé Chalumey, puisque la compétence du maire résultait de l’article 17 de la loi. C’est ce qui fait à notre sens que la portée de l’ordonnance Commune de Massat est sans commune mesure avec celle-limitée à la question de la visite des trésors mobiliers-de l’arrêt Abbé Chalumey.
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[26]
Voir sur cette question l’analyse de Pierre Subra De Bieusses dans sa note sous l’affaire de l’église de Massat (CE 25 août 2005 Commune de Massat : AJDA 16 janvier 2006, pp.91-98). À notre sens l’ordonnance Commune de Massat ne remet pas en cause les prérogatives du propriétaire, mais au contraire elle les reconnaît implicitement, et en ce sens elle s’inscrit en rupture profonde avec la jurisprudence ancienne. Autrement dit c’est moins dans une analyse littérale de la loi de 1905, pas totalement convaincante (notamment s’agissant de l’article 26) que dans les présupposés de l’ordonnance Commune de Massat autorisant l’usage profane de l’édifice avec l’accord du desservant qu’il faut voir la consécration (implicite) du droit d’usage du propriétaire.
1La question de la construction de nouveaux lieux de culte, et notamment des mosquées, a été une des préoccupations centrales de la commission Machelon de 2006. Dès l’origine, la lettre de mission du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy à Jean Pierre Machelon, en date du 20 octobre 2005, comprenait la mention suivante : « Je m’interroge, tout particulièrement, sur les modalités de relations entre les communes et les cultes, en ce qui concerne, d’une part, le régime de la construction et de l’aménagement des lieux de cultes et, d’autre part, la police spéciale des cimetières... ». Au nombre des « modalités de relations entre les communes et les cultes » concernant particulièrement « le régime de la construction » des lieux de culte figurait bien entendu la question centrale de l’aide financière à la construction de mosquées, afin de permettre une pratique religieuse digne pour les musulmans, qui pour la plupart sont issus de l’immigration.
2Beaucoup de Français semble-t-il pensent que l’intégration des musulmans en France passe par un abandon définitif de l’islam pour se fondre dans une identité républicaine et laïque – entendue ici au sens de non religieuse – commune. Nous étions nombreux dans la commission à penser au contraire que le déni de l’identité religieuse, même pour ceux qui sont éloignés de toute pratique effective, est un obstacle à l’intégration sociale, tout simplement parce qu’un tel déni est vécu comme une forme supplémentaire de discrimination et de rejet. Il n’y a rien de plus efficace pour ramener les gens vers leur religion que de leur donner le sentiment qu’on la persécute, c’est déjà ce que disait Benjamin Constant il y a deux siècles.
3La commission a été aidée dans son travail de proposition par l’adoption concomitante [1] du nouvel article L 1311-2 CGCT autorisant les collectivités territoriales à conclure des baux emphytéotiques administratifs « en vue de l’affectation [2] à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public ». Autrement dit, la vieille pratique des « chantiers du cardinal » peut désormais être appliquée à la construction de mosquées sur des terrains municipaux. Il reste au Conseil d’État à se prononcer sur la cohérence de cette disposition avec l’article 2 de la loi de 1905. Les tribunaux administratifs ont déjà commencé à le faire, en considérant que le nouvel article L 1311-2 CGCT doit être combiné avec l’article 2 de la loi de 1905, avec comme conséquence principale que les BEA ne doivent pas être déséquilibrés financièrement [3].
4Mais si la commission Machelon s’est souciée des « églises » et surtout des « mosquées du futur », elle ne s’est pas occupée en revanche des édifices cultuels existants [4], et qui restent affectés au culte à titre exclusif en application de la loi de 1905. Il en existerait environ 38 000 aujourd’hui encore, soit à peu près un par commune. La situation de ces édifices cultuels apparaît de surcroît remarquablement stable depuis un siècle, les désaffectations étant assez peu nombreuses, en tout cas sans commune mesure avec la baisse corrélative des pratiques religieuses [5]. Or c’est précisément l’évolution des pratiques religieuses qui nous fait aujourd’hui obligation de réfléchir de manière approfondie au devenir de toutes ces églises affectées au culte à titre exclusif depuis toujours, mais dans lesquelles on ne pratique plus, ou alors très occasionnellement. Comme on le sait, la charge de l’entretien lourd des édifices incombe aux communes [6], et cette charge pèse souvent fortement sur les budgets municipaux. On ajoutera que les maires ont la plupart du temps cessé d’être anticléricaux à la mode d’autrefois, et que la plupart sont au contraire extrêmement soucieux de la conservation des édifices religieux communaux qui forment une composante essentielle du patrimoine historique qu’ils ont à gérer.
5Le recul de la pratique religieuse régulière, ainsi que la diminution du nombre de prêtres, ont conduit l’Église catholique à repenser quant à elle son organisation paroissiale. Les communautés de fidèles se sont réorganisées [7] au fil du temps, le « remodelage » [8] de la plupart des paroisses a été opéré entre 1980 et 2000. Les prêtres sont souvent regroupés, en vue d’assurer ensemble la charge pastorale d’un diocèse ou d’un secteur de diocèse. Ils habitent de moins en moins dans les presbytères des villages. En l’absence de prêtre, la charge d’une paroisse est parfois confiée à un diacre ou à une communauté de personnes sous l’autorité d’un prêtre modérateur [9]. Cet important mouvement de réorganisation a bien entendu des conséquences importantes pour la vie des communautés paroissiales. Mais la situation juridique des églises est restée quant à elle inchangée depuis les lois de 1905-1907, elles sont toujours affectées au culte à titre exclusif, et mises « à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion », même quand le culte n’y est plus célébré que par intermittence.
6On le comprend, une des caractéristiques de cette situation est que chaque commune est propriétaire de son ou de ses lieux de culte, et que l’évêque n’a pas en face de lui un interlocuteur unique avec lequel il puisse traiter de cette question dans son ensemble. Chaque maire est attaché, en règle générale, au maintien de la vie spirituelle dans les édifices religieux de sa commune, parce qu’une telle vie spirituelle signifie aussi une surveillance, une aération, un chauffage, un nettoyage, une ouverture régulière au public, un embellissement (décorations, fleurissement…), autant de petites attentions qui assurent l’entretien du monument et l’empêchent de se dégrader de manière accélérée. Et puis il sait que l’église, le temple ou la synagogue, c’est une partie importante de l’histoire et de la vie des communautés c’est-à-dire des familles et des individus, le lieu des baptêmes, des communions, des mariages, des cérémonies funéraires. Les gens ont cessé d’y aller chaque semaine, mais pas question pour autant d’en faire demain une salle des fêtes, un restaurant ou une bibliothèque. Bref, on sait déjà quand on est maire ce que c’est que de subir une réorganisation de la carte judiciaire, de voir fermer des hôpitaux et des maternités, ou encore des casernes, ce serait à certains égards encore plus difficile de fermer des églises mêmes désertées, parce que là c’est au maire de décider et c’est lui le responsable. Et au fond c’est une situation assez confortable pour tout le monde que d’en rester au statu quo résultant de la loi de Séparation.
7L’hypothèse que l’on voudrait défendre ici est que précisément ce statu quo, qui maintient à l’affectation cultuelle son caractère exclusif [10], est en train d’évoluer insensiblement vers une formule plus souple d’usage partagé des édifices cultuels, qui pourrait bien à l’avenir devenir la règle. Même si l’on peut considérer ces pratiques comme relativement marginales, il est de moins en moins rare en effet qu’au bénéfice des bonnes relations qu’elles entretiennent avec les municipalités, les autorités religieuses autorisent ces dernières à organiser des manifestations à caractère profane (expositions et concerts notamment) dans les édifices cultuels, allant même parfois jusqu’à leur remettre l’usage intégral de tel ou tel édifice qu’elles ont délaissé [11], mais qui n’en reste pas moins affecté juridiquement au culte. Cette pratique, qui reste subordonnée bien entendu au bon vouloir des autorités religieuses, nous paraît en effet de nature à générer un authentique droit d’usage au bénéfice du propriétaire, mettant en quelque sorte le droit en accord avec l’évolution des pratiques. On se propose de l’expliquer à travers l’analyse du régime juridique de la désaffectation, et celle de la jurisprudence du Conseil d’État dans deux affaires jugées en 1994 et 2005, où était en cause un usage non religieux d’édifices légalement affectés.
La désaffectation des lieux de culte
8L’article 13 de la loi de 1905 énumère les cas où un édifice cultuel peut faire l’objet d’une décision de désaffectation, savoir :
- si l’association bénéficiaire est dissoute ;
- si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d’être célébré pendant plus de six mois consécutifs ;
- si la conservation de l’édifice ou du mobilier classé qu’il contient est compromise par insuffisance d’entretien ;
- si l’association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur destination ;
- si l’association cultuelle ne satisfait pas aux obligations qui lui sont imposées par l’article 13, ou aux prescriptions relatives aux monuments historiques.
9En pratique les seuls cas de désaffectation prononcés correspondent à la seconde hypothèse, c’est-à-dire du fait de la cessation de la pratique religieuse. De surcroît, il n’existe pas à notre connaissance de cas, dans les dernières décennies, où une désaffectation aurait été décidée contre la volonté des autorités religieuses, c’est-à-dire sur le fondement d’un constat unilatéral de carence dûment établi par le propriétaire désireux de retrouver l’usage de son bien. L’explication est simple, il est très facile pour les autorités religieuses de faire échec à une désaffectation envisagée par le propriétaire en faisant célébrer un office deux fois l’an. Et de fait lorsque désaffectation il y a elle intervient toujours après que les représentants du culte affectataire, ayant renoncé à utiliser un édifice, ont eux-mêmes donné leur accord pour sa désaffectation définitive. Afin de simplifier la procédure en pareille hypothèse, le fameux décret du 17 mars 1970 organise d’ailleurs une désaffectation simplifiée par arrêté préfectoral « à la demande du conseil municipal, lorsque la personne physique ou morale ayant qualité pour représenter le culte affectataire aura donné par écrit son consentement à la désaffectation ». La commission Machelon s’est interrogée à juste titre sur la régularité d’un tel décret, considérant que les dispositions de l’article 13 de la loi de 1905 pourraient bien être de nature législative au regard de l’article 34 de la Constitution [12]. Si l’on raisonne en bon sens pratique, il faut reconnaître qu’il n’est sans doute pas utile de faire intervenir Matignon et le Conseil d’État à chaque fois que tout le monde est d’accord pour désaffecter une vieille chapelle. Mais on peut parfaitement concevoir qu’un jour des paroissiens attachés à leur église de quartier s’opposent à sa désaffectation, et remettent en cause par voie d’exception la légalité du décret de 1970. Ceux qui ont juridiquement qualité pour représenter le culte affectataire n’expriment pas forcément le point de vue de la totalité des fidèles.
10La jurisprudence administrative a par ailleurs confirmé ces dernières années une solution d’évidence, à savoir qu’une désaffectation « ne saurait résulter d’une situation de fait [13] ». Il s’agissait en l’occurrence d’une ancienne église de Bordeaux, l’église Saint-Eloi, qui servait depuis une dizaine d’années (1993) d’entrepôt pour des archives municipales avec la bénédiction de l’archevêque, et que le nouveau maire Alain Juppé avait décidé de mettre à disposition de l’association traditionaliste Saint Pie X pour lui permettre de disposer d’un lieu de culte. Une telle solution se justifie du point de vue de la protection de la liberté de religion, même si en espèce elle n’était pas en cause, mais aussi du point de vue de la domanialité publique, à savoir qu’un acte juridique est nécessaire pour déclasser un bien et lui faire quitter le domaine public. Ainsi qu’a pu le souligner par ailleurs le Conseil d’État, « l’appartenance au domaine public d’un édifice cultuel ne cesse que par une décision expresse de déclassement intervenue dans les conditions prévues par l’article 13 de la loi du 9 décembre 1905 complété par le décret du 17 mars 1970 [14] ».
11De ce qui vient d’être dit, on conclut qu’aujourd’hui la désaffectation conventionnelle, juridiquement formalisée par un arrêté du préfet, est devenue en réalité le mode unique de désaffectation des édifices cultuels. Autrement dit, à une procédure légale de désaffectation, pour des motifs d’ordre public strictement énoncés par la loi et présentant la plupart du temps le caractère d’une sanction, s’est substituée aujourd’hui une désaffectation des édifices cultuels par consentement mutuel de la collectivité propriétaire et du clergé affectataire. Un tel exemple permet de mesurer à quel point l’impossibilité – le refus – dogmatique de faire évoluer par voie de modification la loi de 1905 conduit de plus en plus à aménager des évolutions sur un mode négocié, conventionnel, où chacune des parties, dans le souci de son intérêt propre, trouve son avantage.
12Comme on va le voir maintenant, c’est une évolution de même nature qui est en train de se manifester en ce qui concerne l’usage non religieux des édifices cultuels par la collectivité propriétaire. C’est-à-dire que si l’on célèbre de moins en moins le culte dans les vieilles églises, on pourrait très bien y organiser, pour autant que le clergé y consente, d’autres activités, notamment des activités artistiques ou culturelles, qui maintiennent la vie dans le bâtiment et font rentrer un peu d’argent pour son entretien. La loi de 1905 ne l’avait pas prévu, mais si propriétaire et affectataire se mettent d’accord…
Le caractère exclusif de l’affectation cultuelle
13Ainsi que le souligne la loi de 1905 « les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer […] ». Les associations en question, indique l’article 4 de la loi, doivent avoir pour objet exclusif « l’exercice du culte ». L’article 5 de la loi du 2 janvier 1907 ajoute quant à lui qu’« à défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte […] continueront […] à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion » (souligné par nous). Ces dispositions signifient concrètement :
- que l’affectation a pour finalité l’exercice du culte
- que cette affectation cultuelle est exclusive de toute autre utilisation
- que le propriétaire n’a aucun droit propre pour utiliser l’édifice en dehors des hypothèses prévues par la loi.
14L’affectation au culte s’impose également comme on l’a dit au bénéficiaire de l’affectation. Le fait de détourner un édifice cultuel de sa destination religieuse est un motif de désaffectation. Comme on l’a dit l’article 13 de la loi de 1905 énumère parmi les cas de désaffectation par décret l’hypothèse où « l’association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur affectation ».
15Les textes ont pu toutefois être appliqués – fort heureusement – avec une certaine souplesse, au bénéfice notamment d’une interprétation extensive de la notion de culte [17]. Certaines activités qui ne présentent pas de caractère cultuel à proprement parler, mais qui constituent en quelque sorte le prolongement d’activités cultuelles, restent néanmoins autorisées ou tolérées selon les cas. C’est le cas des quêtes organisées à l’intérieur des lieux de culte, dont le Conseil d’État a admis la légalité « en termes larges » [18], et qui sont au reste autorisées par l’article 19 de la loi de 1905. Sont également admises manifestement en vertu de la théorie de l’accessoire les activités de vente de livres, revues et objets à caractère religieux, organisées à l’entrée des édifices ou ponctuellement à l’issue des cérémonies, sachant que l’on ne trouve pas dans la loi de fondement exprès à ces pratiques. Cette théorie de l’accessoire a également pu être invoquée pour justifier l’organisation par les autorités religieuses de concerts [19], ou encore celle de conférences, d’exposition ou de spectacles à l’intérieur des lieux de culte. C’est ainsi la dimension religieuse ou spirituelle de la manifestation – par exemple un concert de musique sacrée – qui justifie qu’elle puisse se dérouler dans un lieu consacré au culte, et participer du culte entendu au sens large. Mais bien entendu une théorie de l’accessoire n’a de sens qu’autant que l’accessoire reste accessoire, et ne prend pas le pas sur le principal.
16C’est cette lecture traditionnelle de la loi de 1905, énonçant un principe d’indisponibilité des édifices dans un but de protection de la liberté de religion, qui est en voie d’être remise en cause au profit d’une autre interprétation, plus subjective, qui subsume la garantie de la liberté de religion sous l’accord donné par l’affectataire. Une interprétation qui tend à considérer désormais que dans la mesure où l’objet de la loi de 1905 consiste à aménager une liberté publique fondamentale, l’usage d’un lieu de culte ou de certaines parties de celui-ci par le propriétaire est parfaitement régulier dès lors que ceux au profit de qui cette liberté fondamentale est établie ne trouvent rien à y redire. L’accord express donné par l’affectataire est là pour attester de l’absence d’entrave à l’exercice des pratiques religieuses.
L’arrêt abbé Chalumey et la question du droit de visite [20]
17Comme on l’a dit la visite des édifices classés est en principe gratuite, l’article 17 de la loi de 1905 ayant pris soin de préciser qu’elle ne pourra donner lieu à aucune taxe ni redevance : « la visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques ; elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ». La seule exception à la gratuité des visites prévue par la loi de 1905 concerne les « objets mobiliers classés » pour lesquels les départements et les communes [21] sont en droit de percevoir, « en raison des charges par eux supportées pour l’exécution » des mesures de garde et de conservation de ces objets, un droit de visite, en application de l’article 25 de la loi du 31 décembre 1913. La visite d’une relique, ou encore d’un trésor dans une église municipale, pourra donc faire l’objet d’un droit au profit du propriétaire.
18Dans l’affaire Abbé Chalumey, qui concernait la visite de la vieille église abbatiale de Baume les Messieurs, dans le Jura, le curé s’était opposé aux nouvelles conditions dans lesquelles la mairie avait organisé la visite des objets mobiliers, et notamment du splendide retable anversois du xvie siècle qui s’y trouve, au motif qu’elles portaient atteinte au libre exercice du culte. L’abbé Chalumey soutenait qu’étant chargé, en application de la loi du 2 janvier 1907, de régler l’usage de l’édifice de manière à assurer aux fidèles la pratique de leur religion, aucune décision concernant l’organisation des visites ne pouvait être prise sans son accord préalable. Les juges avaient clairement deux possibilités. La première consistait à apprécier objectivement, compte tenu des conditions dans lesquelles était organisée la visite, s’il y avait ou non atteinte à la liberté de culte, toute la difficulté étant de mettre en cohérence deux prérogatives légitimes (l’affectation cultuelle exclusive, le droit de visite) fondées l’une et l’autre sur les lois de 1905-1913. Le principal inconvénient d’une telle solution était qu’il aurait conduit le juge à apprécier les conditions de la pratique religieuse, ce qui dans la tradition laïque française apparaît, non sans raison, comme contradictoire avec le principe même de l’autonomie de la sphère religieuse, et donc avec la laïcité.
19La seconde solution consistait plus simplement, dans des litiges de cette nature, à s’en remettre à l’appréciation du desservant quant au point de savoir si l’exercice du culte est ou non remis en cause par les dispositions nouvelles relatives au droit de visite, considérant que c’est à lui que revient légalement le soin de régler l’usage de l’édifice. C’est à cette seconde solution que s’est rallié en toute logique le juge administratif : « Considérant qu’en vertu des dispositions combinées des lois susvisées du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907, en l’absence d’associations cultuelles et d’actes administratifs attribuant la jouissance des églises et des meubles les garnissant, ces biens sont laissés à la disposition des fidèles et des desservants ; que leur occupation doit avoir lieu conformément aux règles d’organisation générale du culte et que les ministres du culte occupant les édifices sont chargés d’en régler l’usage de manière à assurer aux fidèles la pratique de leur religion ; qu’il suit de là qu’en décidant d’instituer, en application des dispositions de l’article 25 de la loi susvisée du 31 décembre 1913, un droit de visite des objets mobiliers classés exposés dans l’église Saint-Pierre de Baume-les-Messieurs sans avoir recueilli l’accord du desservant, le conseil municipal de ladite commune a porté atteinte aux droits qui sont reconnus à ce dernier pour réglementer l’usage des biens laissés à la disposition des fidèles par les lois susvisées des 9 décembre 1905 et 2 janvier 1907 […] ».
20La solution dégagée par l’arrêt présente au moins deux avantages. D’une part, à rebours de la vision surannée des conflits religieux opposant le maire au curé, dont l’affaire en cause témoignait pourtant qu’il en existe toujours, elle est une invitation faite aux autorités publiques et religieuses à s’entendre en vue de parvenir à des solutions concertées garantissant tout à la fois l’usage religieux des édifices et leur ouverture aux visites. En ce sens, elle s’inscrit dans la logique de confiance qui s’est établie, la plupart du temps, entre les autorités publiques et les cultes, le juge n’ayant à intervenir qu’en cas d’échec du dialogue. D’autre part, elle réaffirme en même temps le caractère prééminent de l’affectation cultuelle sur le droit de visite de l’édifice consacré lui aussi par la loi. C’est en ce sens que l’idée de double affectation, à la fois cultuelle et culturelle, des édifices cultuels [22], ne correspond pas exactement à la réalité que décrit le droit. Plutôt qu’une double affectation, la loi de 1905 consacre en réalité un droit de visite des édifices cultuels et des objets mobiliers classés qu’ils contiennent, et ce droit doit s’exercer dans le respect des pratiques religieuses auxquelles est dévolu l’édifice.
21On peut noter ici, à titre de transition, que la logique de conciliation à l’œuvre dans la jurisprudence Abbé Chalumey est déjà présente dans la loi de séparation. En effet, l’article 27 de la loi prescrit que « les sonneries de cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l’association cultuelle, par arrêté préfectoral ». Ces dispositions ont été précisées par l’important règlement d’administration publique en date du 16 mars 1906. L’arrêté du maire doit ainsi recevoir l’accord préalable du desservant. Mais la loi prévoit également, et comment aurait-on pu ne pas l’envisager à l’époque, qu’un tel accord soit impossible à réaliser. En cette hypothèse, le pouvoir de décision revient alors au préfet. En exigeant l’accord du desservant pour l’organisation du droit de visite, l’arrêt abbé Chalumey laisse quant à lui le dernier mot au curé.
L’ordonnance de référé du Conseil d’État du 25 août 2005
22L’ordonnance de référé Commune de Massat du 25 août 2005 s’inscrit dans la continuité directe de la jurisprudence abbé Chalumey, ce qui n’a guère été souligné dans le commentaire qu’en a fait Pierre Subra de Bieusses à l’AJDA. L’affaire se déroule dans un bourg de l’Ariège comprenant trois édifices religieux, dont deux ont pratiquement cessé d’être utilisés pour le culte [23]. Il semble que l’usage avait été contracté, avec l’autorisation de l’ancien curé parti en 2004, d’utiliser l’une des deux chapelles inoccupées pour y organiser des représentations théâtrales, des concerts ou encore des expositions. En 2005, le nouveau curé en charge de la paroisse a voulu revenir sur cette pratique. Il a alors écrit au maire pour lui dire son opposition aux manifestations prévues pour le mois d’août (représentation théâtrale et exposition sur le 60e anniversaire de la libération des camps de la mort). Le maire ayant maintenu les manifestations le curé a alors introduit une requête en référé liberté devant le tribunal administratif en application de la loi du 30 juin 2000.
23Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse lui a donné raison, et la décision a été confirmée en appel par le juge des référés du Conseil d’État. La motivation est tout à fait intéressante, à savoir qu’elle reprend en tout point les termes de l’arrêt Abbé Chalumey : « Considérant que la liberté de culte a le caractère d’une liberté fondamentale ; que, telle qu’elle est régie par la loi, cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l’ordre public ; qu’elle a également pour composante la libre disposition des biens nécessaires à l’exercice d’un culte ; qu’à cet effet, en vertu des dispositions combinées de la loi de 1905 et de l’article 5 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes, en l’absence d’associations cultuelles et d’actes administratifs attribuant la jouissance des églises et des meubles les garnissant, ces biens sont laissés à la disposition des fidèles et des desservants ; que leur occupation doit avoir lieu conformément aux règles générales d’organisation du culte ; que les ministres du culte sont chargés d’en régler l’usage ;
24« Considérant qu’il suit de là que l’autorité publique commet une illégalité manifeste en autorisant une manifestation dans un édifice affecté à l’exercice d’un culte sans l’accord du ministre chargé d’en régler l’usage… »
25« Sans l’accord du ministre chargé d’en régler l’usage… ». À l’évidence l’ordonnance semble vouloir systématiser désormais, en l’étendant à l’ensemble des usages profanes d’un lieu de culte par le propriétaire, y compris ceux que n’envisage pas la loi de 1905, l’exigence de l’accord préalable de l’affectataire. Cette solution pragmatique [24], si elle devait être érigée en règle de principe, emporte à notre sens une conséquence majeure, et qui ne paraît pas avoir été mesurée dans toutes ses conséquences, à savoir qu’elle vient valider dans son principe le droit pour le propriétaire de faire lui aussi usage de l’édifice cultuel, y compris lorsqu’un tel usage n’est pas autorisé formellement par la loi de 1905 [25]. Ceci, à la simple condition que l’affectataire y consente.
26Il faut s’interroger sur les fondements de cette solution. Dans la mesure où l’utilisation de l’édifice par la commune, quelles que puissent en être les formes (concerts, expositions profanes, dépôt d’objets…) ne prend pas son fondement légal dans la loi de 1905, c’est donc qu’elle prend sa source ailleurs, c’est-à-dire soit dans l’autorisation donnée par l’affectataire lui-même, soit in fine dans ses droits réels de propriétaire. L’affectataire ne pouvant transférer au propriétaire des droits qu’il ne détient pas lui-même, puisque sa compétence est exclusivement religieuse, il en résulte que la jurisprudence du Conseil d’État admettant l’usage – conditionné – des lieux de culte par le propriétaire porte implicitement, mais nécessairement reconnaissance des droits propres de ce dernier sur l’édifice, et ce parallèllement à l’affectation cultuelle principale [26].
27Si l’on accepte l’analyse qui vient d’être proposée, alors il reste à s’interroger sur la signification, en droit, de l’autorisation préalable obligatoire du desservant. La réponse apparaît a priori assez simple, à savoir qu’elle vise à protéger la liberté fondamentale d’exercice du culte, et c’est le desservant qui est compétent pour apprécier s’il y a ou non atteinte au culte selon la logique induite par la séparation et le régime de laïcité.
28Mais à lire les considérants de l’ordonnance on peut légitimement s’interroger : « Considérant que le maire de la commune de Massat s’est non seulement dispensé d’obtenir l’accord du ministre du culte en charge de la garde et de la police de la chapelle de l’Aisle avant d’ordonner diverses manifestations publiques à l’intérieur de cet édifice cultuel, mais a passé outre à l’opposition motivée exprimée par ce dernier le 22 juillet 2005 ; qu’en agissant de la sorte il a, contrairement à ce que soutient la commune, porté une atteinte grave à l’une des composantes de la liberté du culte, laquelle comme il a été dit, constitue une liberté fondamentale ; qu’il en va ainsi alors même qu’aucune célébration d’un office religieux n’était prévue aux dates fixées pour les manifestations autorisées. » C’est ici que l’on est mal à l’aise avec la solution de l’arrêt, et c’est d’ailleurs sur ce point qu’a porté la critique de Pierre Subra de Bieusse. En effet, une fois consacré, même implicitement, le droit du propriétaire à un usage profane de l’édifice sous réserve de l’autorisation de l’affectataire, il n’est plus possible ensuite de se satisfaire d’un pouvoir totalement discrétionnaire de l’affectataire pour autoriser ou refuser l’usage profane du lieu de culte. On l’a dit ce pouvoir d’autorisation ne peut en effet avoir qu’une signification, à savoir la protection de l’usage religieux. Or il saute aux yeux dans l’affaire Commune de Massat que le juge se refuse catégoriquement à envisager le moindre contrôle du refus de l’affectataire, puisque la solution doit s’imposer « alors même qu’aucune célébration d’un office religieux n’était fixée aux dates prévues pour les manifestations autorisées ».
29À l’évidence une solution aussi peu équilibrée n’est pas tenable, et il est vraisemblable qu’un jour ou l’autre le juge sera conduit à s’interroger sur la réalité de l’atteinte à la liberté de culte à la base du refus du desservant. On ne peut imaginer que ce même juge administratif qui vient de passer plusieurs décennies à résorber le pouvoir discrétionnaire de l’administration dans ses manifestations les plus variées puisse se résoudre à faire émerger aujourd’hui de toutes pièces ce personnage nouveau du curé souverain, décidant librement du droit qu’ont les communes de faire un usage artistique ou culturel de vieilles églises qui ne sont plus utilisées, et qu’elles continuent d’entretenir au quotidien. Il faut avoir à l’esprit que le juge administratif a une expérience très ancienne en matière de protection de la liberté de religion, et qu’il lui serait assez facile de se prononcer sur les litiges relatifs à l’usage profane des lieux de culte. Une autre solution possible est que le juge revienne à l’avenir sur la motivation de l’ordonnance Commune de Massat, pour considérer que la loi de 1905 exclut, hormis les cas qu’elle prévoit expressément, et quelle que soit la volonté des parties, tout usage profane des édifices cultuels. Mais ce serait remettre en cause bien des compromis trouvés, et qui perdurent à la satisfaction de tous.
Le nouvel article L. 2124-31 CGCT
30On soulignera ici pour conclure que les orientations jurisprudentielles de 1994 et 2005 ont été confirmées, à propos du droit de visite des édifices, mais également d’une manière plus générale à propos de toute utilisation de l’édifice « pour des activités compatibles avec l’affectation cultuelle », par les dispositions nouvelles de l’article L. 2124-31 du Code général de la propriété des personnes publiques, adopté en 2006 : « Lorsque la visite de parties d’édifices affectés au culte, notamment de celles où sont exposés des objets mobiliers classés ou inscrits, justifie des modalités particulières d’organisation, leur accès est subordonné à l’accord de l’affectataire. Il en va de même en cas d’utilisation de ces édifices pour des activités compatibles avec l’affectation cultuelle. L’accord précise les conditions et les modalités de cet accès ou de cette utilisation. Cet accès ou cette utilisation donne lieu, le cas échéant, au versement d’une redevance domaniale dont le produit peut être partagé entre la collectivité propriétaire et l’affectataire ».
31Il y a dans cet article trois dispositions importantes :
- la première tient dans la mention des « activités compatibles avec l’affectation cultuelle ». On l’a dit, la loi de 1905 ne prévoyait, en marge de l’affectation, que le droit de visite des édifices et de leur mobilier classé. Désormais toutes les activités « compatibles avec l’affectation cultuelle » sont légales, et ce qu’elles soient mises en œuvre par le propriétaire ou par l’affectataire. La notion de compatibilité est une notion assez vague, qui peut facilement être entendue de manière extensive.
- La seconde disposition fondamentale concerne l’exigence systématique de l’accord de l’affectataire. Accord pour la visite de l’édifice, accord pour l’utilisation en vue d’activités « compatibles » avec l’affectation cultuelle, accord entre propriétaire et affectataire quant au partage éventuel de la redevance domaniale.
- Enfin la troisième disposition importante concerne précisément cette redevance domaniale, qui permet à la collectivité propriétaire de faire payer des droits d’accès ou de visite des édifices classés. Bien entendu le partage de la redevance est de nature à faciliter l’accord entre le propriétaire et le desservant.
Notes
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[1]
Ordonnance du 21 avril 2006.
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[2]
On remarque que l’article L 1311-2 CGCT mentionne l’« affectation » d’un édifice du culte à une association cultuelle. Bien entendu le mot doit être entendu ici au sens générique de mise à disposition, ou de location de longue durée d’un terrain ou éventuellement d’un local appartenant au domaine privé communal. Elle n’a pas le sens juridique, auquel on s’attache dans le présent article, d’affectation domaniale au sens de la loi de 1905, laquelle concerne des lieux de culte appartenant au domaine public de leur propriétaire.
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[3]
Voir :
- TA Lille, 9 janvier 2007, Mme Stéphanie R., n° 0401078.
- TA Marseille, 17 avril 2007, 3 jugements : M.Hubert S. et M.Bruno M. c/ Ville de Marseille, n° 0605998 ; M. François B., Mme Nicole C. et Ass. Mouvement pour la France, n° 0606190 ; M. Jackie B. et M. Bruno G., n° 0608297.
- TA Cergy-Pontoise, n° 0306171, 12 juin 2007, Mme Patricia V., M. Bégault, n° 0306171. Jugement annulé par CAA Versailles, 3 juill. 2008, Cne de Montreuil-sous-Bois Pour la Cour de Versailles, le coût de la construction, aux frais exclusifs du locataire, d’un édifice que le bailleur pourra acquérir à sa valeur vénale au terme de la location, peut justifier un loyer annuel symbolique sans porter aucunement atteinte à l’équilibre des prestations.
- TA Marseille 21 décembre 2007, M. Bruno M. et M. Hubert S., n° 0705562.
-
[4]
Il s’agit pour l’essentiel d’églises, mais aussi d’un certain nombre de temples ou de synagogues qui ont été construits au cours du xixe siècle sur un terrain municipal, ou installés dans un bâtiment public, parfois (c’est le cas de certains temples) dans une ancienne église désaffectée. Il suffit de se renseigner, dans les villes ou les villages de France que l’on visite, sur l’histoire des édifices cultuels depuis la Révolution pour voir combien il existe de situations particulières originales.
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[5]
On doit souligner ici qu’il y a un contraste manifeste entre les deux situations qui précèdent, à savoir que d’un côté les églises communales sont de moins en moins fréquentées, faute de fidèles et faute de desservants, et que de l’autre côté il manque de mosquées pour la prière du vendredi. Cela étant la désertion des églises n’est pas la solution au problème des mosquées. Outre des raisons symboliques évidentes, l’article 13 de la loi de 1905 qui autorise le « transfert de jouissance », par décret, d’un édifice légalement affecté à un culte, autorise en réalité ce transfert au profit d’une association représentative du même culte, et non au profit d’un autre culte. Dans le même sens, la loi de 1905 n’envisage l’affectation qu’au profit d’un seul culte, elle n’autorise pas la pluri-affectation cultuelle, que ce soit sous la forme d’une mise à disposition ponctuelle d’un édifice au profit d’un autre culte, ou sous une forme plus organisée, par exemple le simultaneum d’Alsace-Moselle.
-
[6]
La loi du 13 décembre 1908 autorise l’État, les départements et les communes à « engager les dépenses nécessaires pour l’entretien et la conservation des édifices du culte » dont ils ont la propriété. Il n’existe aucune obligation, mais simplement une faculté de prise en charge, mais en pratique ce sont les collectivités qui financent, en tant que propriétaires, les travaux d’entretien et de conservation. Au reste la jurisprudence administrative met à la charge du propriétaire les préjudices résultant d’un défaut d’entretien normal de l’édifice.
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[7]
On renverra ici à la thèse de Jean-Pierre Vuillemin, Le recours au canon 517§2 en France. Analyse du droit particulier diocésain, Université Paris Sud, faculté Jean Monnet, 422p.
-
[8]
Ibid., p.156.
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[9]
Code de droit canonique, canons 515 à 517.
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[10]
Les exceptions à l’exclusivité de l’usage cultuel sont énoncées strictement par la loi de 1905. Il s’agit pour l’essentiel du droit de visite prévu à l’article 17 : « La visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés sont publiques ; elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance… ». L’article 27 évoque quant à lui les sonneries de cloches à usage civil, mais outre qu’elles sont aujourd’hui remplacées par les sirènes les sonneries de cloches civiles ne portent pas atteinte à l’usage religieux de l’édifice.
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[11]
Voir l’exemple de l’église Saint-Eloi de Bordeaux évoqué plus loin.
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[12]
En tant qu’elles touchent aux règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
-
[13]
CAA Bordeaux 27 avril 2004, Association Église Saint Eloi, n° 03BX0037. Voir également TA Bordeaux 10 déc. 2002, Savary, Mgr Ricard, n° 2700-2734-2844. Le Conseil d’État n’a pas admis le pourvoi contre l’arrêt en l’absence de moyen sérieux, ce qui signifie implicitement qu’il a validé la solution dégagée par les juges du fond (CE 2 mars 2005).
-
[14]
CE 30 déc. 2002, Commune de Pont-Audemer.
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[15]
Trib. Civ. Bourges, 16 juin 1909 : D.1910, II, 25.
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[16]
CE 1er mars 1912, S.1913, III, p.18. On reprend la référence de Pierre Subra De Bieusses dans son commentaire sous l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État Commune de Massat. Voir CE 25 août 2005 Commune de Massat : AJDA 16 janvier 2006, pp.91-98.
-
[17]
Sur ces questions on consultera avec intérêt la thèse d’Anne Fornerod, Affectation cultuelle et affectation culturelle. Étude sur l’usage culturel des édifices religieux affectés au culte. Thèse de droit 2006, Faculté Jean Monnet, Sceaux.
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[18]
Selon la formule de Gabriel Le Bras, dans « Le Conseil d’État, régulateur de la vie paroissiale », EDCE 1950, p.63. L’article 19 de la loi de 1905 donne un fondement légal aux quêtes, indiquant que « les associations pourront recevoir… le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices… ».
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[19]
Sur la question des concerts voir le mémoire de DEA d’Elise Untermaier, Culte, culture et domanialité publique, l’organisation de concerts dans les églises, Publications de l’Université de Lyon III, 2005.
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[20]
CE 4 nov. 1994, Abbé Chalumey : Rec. CE, p.491 ; AJDA 1995, p.252.
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[21]
Mais pas l’État pour ses cathédrales.
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[22]
L’idée d’une double affectation cultuelle et culturelle des édifices a été suggérée au départ par Jean Kerleveo dans sa thèse remontant aux années 1950, L’Église catholique en régime de séparation : 1) L’occupation de l’église par le desservant et les fidèles, 1951 ; 2) Les prérogatives du curé dans son église ; 3) Le prêtre catholique en droit français, 1962. Elle a été défendue plus récemment par Anne Fornerod dans sa propre thèse de 2006 (voir supra). L’idée de double affectation s’attache à rendre compte d’une idée juste, à savoir que l’usage profane (notamment dans une finalité patrimoniale) des édifices cultuels correspond à une réalité qui prend elle aussi ses fondements dans la loi de 1905, laquelle consacre notamment un droit de visite des parties classées de l’édifice. À l’heure où l’intérêt des français pour les monuments du passé se confirme de jour en jour, et que parallèlement la pratique religieuse est en baisse, la valorisation patrimoniale des édifices cultuels tend à devenir une préoccupation publique au moins aussi importante que celle de leur affectation au culte.
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[23]
La ville comptait 17000 habitants au début du xixe siècle, et près de 10 fois moins aujourd’hui.
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[24]
Et dont il faut dire qu’elle a donné des résultats satisfaisants pour tout le monde dans l’immense majorité des cas.
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[25]
Ce qui était encore le cas dans l’affaire Abbé Chalumey, puisque la compétence du maire résultait de l’article 17 de la loi. C’est ce qui fait à notre sens que la portée de l’ordonnance Commune de Massat est sans commune mesure avec celle-limitée à la question de la visite des trésors mobiliers-de l’arrêt Abbé Chalumey.
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[26]
Voir sur cette question l’analyse de Pierre Subra De Bieusses dans sa note sous l’affaire de l’église de Massat (CE 25 août 2005 Commune de Massat : AJDA 16 janvier 2006, pp.91-98). À notre sens l’ordonnance Commune de Massat ne remet pas en cause les prérogatives du propriétaire, mais au contraire elle les reconnaît implicitement, et en ce sens elle s’inscrit en rupture profonde avec la jurisprudence ancienne. Autrement dit c’est moins dans une analyse littérale de la loi de 1905, pas totalement convaincante (notamment s’agissant de l’article 26) que dans les présupposés de l’ordonnance Commune de Massat autorisant l’usage profane de l’édifice avec l’accord du desservant qu’il faut voir la consécration (implicite) du droit d’usage du propriétaire.