Notes
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[1]
La Constitution de 1917 a maintenu cette organisation, bien qu’elle ait connu plus de deux cents révisions depuis son entrée en vigueur.
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[2]
Recueil de quatre-vingt-cinq articles rédigés par Alexander Hamilton, John Jay et James Madison, qui parurent en 1787 et 1788 en vue de promouvoir la ratification de la Constitution des États-Unis par les États fédérés.
-
[3]
Le terme de Congrès renverra dans cette étude au Congrès général, qui comprend la Chambre des députés et le Sénat.
-
[4]
Le pri a dominé la vie politique mexicaine pendant soixante-dix ans à partir de 1930.
-
[5]
« C’est la volonté du peuple mexicain d’être constitué en République […] fédérale, composée par des États libres et souverains en ce qui concerne leur régime intérieur, mais unis dans une fédération » (art. 40 C).
-
[6]
L’article 41 de la Constitution affirme que la souveraineté est unique et appartient au peuple, qui l’exerce par l’intermédiaire des pouvoirs de la fédération et des États.
-
[7]
En vertu de l’article 105-I-a de la Constitution, la Cour suprême de justice de la nation est compétente pour juger « les controverses constitutionnelles » entre la Fédération et un État.
-
[8]
Le Sénat est composé de cent vingt-huit sénateurs, dont les trois quarts sont élus au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à raison de trois représentants par État, le quart restant étant élu à la représentation proportionnelle sur des listes nationales au suffrage universel direct.
-
[9]
« Le Congrès est compétent pour […] adopter toutes les lois nécessaires afin de mettre en œuvre les compétences précédemment mentionnées, et toutes les autres conférées par la présente Constitution aux pouvoirs de la Fédération » (art. 73-XXX C).
-
[10]
Si le principe est resté constant, ses modalités ont été celles d’un fédéralisme centralisé et libéral entre 1820 et 1840 (entre 1836 et 1846, un pouvoir illégitime a tenté d’imposer une organisation davantage unitaire, mais le régime n’a pas réussi à se stabiliser) avant d’être davantage axé sur la concertation et la conciliation jusqu’à la fin du xixe siècle.
-
[11]
L’article 73 a été révisé plus de soixante fois depuis 1917.
-
[12]
Il suffit pour s’en convaincre de constater que le terme de décentralisation, largement utilisé dans les textes et la doctrine pour qualifier les transferts de compétences aux gouverneurs, correspond en réalité à ce que nous qualifions de déconcentration. En effet, plus que d’un véritable pouvoir décisionnel, ces derniers bénéficient essentiellement d’une compétence d’exécution.
-
[13]
L’article 135 dispose que les modifications ou amendements doivent être approuvés par une majorité des législatures des États.
-
[14]
Le District fédéral, alors même qu’il représente environ 10 % de la population mexicaine, n’est pas associé au processus de révision constitutionnelle. La justification de cette « omission » s’explique par le fait qu’historiquement (jusqu’en 1993) toutes les questions touchant au District fédéral étaient de la compétence exclusive du Congrès fédéral. Si certaines compétences ont pu être transférées à l’Assemblée législative du District fédéral, le régime constitutionnel de ce dernier est distinct de celui des autres entités infranationales.
-
[15]
La Constitution prévoit une répartition des revenus entre les différents niveaux de gouvernement afin d’assurer leur autonomie (art. 74 et 116).
-
[16]
Jusqu’à une période récente, la décentralisation fiscale au profit des États n’était que d’environ 20 %, les communes ne bénéficiant à leur tour que de 20 % des sommes transférées aux États.
-
[17]
Une procédure de contrôle est prévue par la Constitution (art. 74-IV), mais elle s’appuie sur un organe ad hoc de contrôle des comptes publics, lui-même rattaché à la Chambre des députés.
-
[18]
Le Sénat est compétent, sur proposition du président de la République, en cas « de disparition des pouvoirs constitutionnels d’un État », pour convoquer des élections et nommer un nouveau gouverneur (art. 76-V).
-
[19]
De manière générale, la Cour, sous couvert de « retenue judiciaire » (self-restraint), interprétait de manière restrictive son rôle dans le règlement des conflits entre la Fédération et les États (seulement dix-huit affaires ont été tranchées sur ces questions entre 1936 et 1994). Toutefois, dans sa décision de principe 2/32 de 1932, dans une affaire qui opposait l’État d’Oaxaca à la Fédération, la Cour avait consacré la théorie des pouvoirs implicites au profit de cette dernière, en augmentant de facto sa sphère de compétence.
-
[20]
Un des aspects importants de cette réforme pour l’approfondissement du fédéralisme a été la possibilité offerte aux communes de saisir la Cour suprême en cas de litige avec les autres niveaux du pouvoir.
-
[21]
Jusqu’à cette date, les éventuels conflits de compétences ne bénéficiaient guère de la possibilité de connaître une solution juridictionnelle, ceux-ci étant réglés par le pri.
-
[22]
Après avoir été longtemps membre du pri, il a présidé le Parti de la révolution démocratique avant de fonder, en 2011, l’association civile Mouvement de régénération nationale, qui deviendra un parti politique en 2014.
1Le Mexique est un État fédéral depuis la Constitution de 1824, qui avait affirmé dans son article 4 que « la nation mexicaine adopte pour son gouvernement la forme d’une république représentative populaire fédérale ». Le contexte historique de ce choix d’organisation constitutionnelle s’explique largement par la volonté de conserver l’intégrité territoriale d’un État à une période marquée par les indépendances, les annexions et de fortes revendications autonomistes de la part des provinces. Malgré la persistance d’une opposition entre les libéraux, qui militent pour un approfondissement du fédéralisme, et les conservateurs, qui défendent la centralisation du pouvoir, le fédéralisme s’est maintenu depuis bientôt deux siècles comme une constante fondamentale du constitutionnalisme mexicain [1].
2Ce fédéralisme est marqué par une double culture, celle des États-Unis, telle qu’elle avait pu être décrite dans les Federalist Papers [2], et celle du modèle ibérique, notamment dans sa structure territoriale, ce qui explique que, contrairement au modèle états-unien, le régime mexicain accorde une place importante aux municipalités au sein du texte constitutionnel.
3La Fédération mexicaine est composée de trente-deux entités fédératives qui bénéficient chacune de leur propre Constitution. À l’exception du District fédéral, constitué par l’agglomération de Mexico, toutes les autres entités fédératives ont le statut d’État.
4Le fédéralisme mexicain s’est constitué et s’est développé dans un contexte de tension entre les revendications et les velléités des puissances locales, et la volonté des constituants ainsi que des tenants du pouvoir central de maintenir et de conserver celui-ci, y compris à travers un contrôle renforcé sur les entités infranationales. Le fédéralisme a, ainsi, toujours été perçu comme un moyen d’assurer l’unité de l’État à travers une domination du pouvoir central d’un côté, mais également comme une condition nécessaire à la démocratisation du régime via un rééquilibrage entre le pouvoir central et les pouvoirs périphériques d’un autre côté.
5Ainsi, la République fédérale mexicaine a été marquée à la fois par une répartition des compétences favorable à la Fédération – qui, par l’intermédiaire du Congrès [3], concentre la majorité des pouvoirs – et par une prééminence du pouvoir exécutif fédéral dans un contexte d’hyperprésidentialisme, renforcé pendant des décennies par la domination d’un parti hégémonique, le Parti révolutionnaire institutionnel (pri) [4].
6Le fédéralisme mexicain apparaît comme un fédéralisme d’inspiration classique, même si, dans la pratique, il se révèle être plutôt centralisé et asymétrique. Néanmoins, depuis la fin des années 1980, un processus de revitalisation du fédéralisme semble pouvoir être observé.
Un fédéralisme d’inspiration classique
7Le système constitutionnel mexicain présente toutes les caractéristiques d’un État fédéral [5], dans lequel la Fédération et les États fédérés sont subordonnés à l’ordre constitutionnel [6]. La Constitution fédérale en vigueur, adoptée le 5 février 1917, est rigide et reconnaît le principe d’autonomie aux États, qui participent à sa révision et à celle de leur propre Constitution. Elle assure une distribution des compétences et un mécanisme de compensation financière entre la Fédération et les États sous le contrôle d’un organe juridictionnel chargé de régler les éventuels conflits entre ces organes [7].
8Comme dans la majorité des systèmes fédéraux, le parlement mexicain est organisé de manière bicamérale. En s’inspirant du modèle américain, le choix a été fait d’une chambre, le Sénat, conçue comme le lieu de représentation des territoires, au sein duquel siège un nombre égal de sénateurs par État. Toutefois, depuis une révision constitutionnelle de 1996 dont l’objectif était de renforcer la représentation de l’opposition, une partie des sénateurs est élue à la proportionnelle sur une liste nationale [8].
9La forme fédérale de la République nécessite également que soit précisée la répartition des compétences entre la Fédération et les États, ce qui est fait notamment aux articles 73 et 124 de la Constitution. En effet, ces articles encadrent le périmètre des compétences exclusives de la Fédération et des États, qu’elles soient explicites ou implicites. La répartition des compétences répond à une logique résiduelle pour ces derniers. L’article 124 dispose ainsi que les compétences qui ne sont pas expressément dévolues à la Fédération par la Loi fondamentale doivent être entendues comme étant réservées aux États.
10L’article 73 énumère les domaines dans lesquels le Congrès est compétent pour intervenir. La liste ainsi établie, relativement précise, permet d’éviter, dans un souci de cohérence, l’existence de trop grandes marges d’interprétation au profit des États. Cet objectif peut paraître louable dans la recherche de l’égalité entre les États et la Fédération. Néanmoins, le dernier alinéa de l’article 73, en établissant le principe des compétences implicites [9], offre à la Fédération la possibilité d’accroître, en pratique, son influence. Si, en théorie, cette habilitation doit se limiter à la possibilité d’adopter des textes nécessaires à la mise en œuvre des compétences explicitement énumérées, il apparaît qu’une interprétation souple de cette exigence a été susceptible d’offrir au pouvoir central la possibilité d’intervenir dans un plus grand nombre de domaines – à partir du moment où cela permet de « rendre effectif » un autre pouvoir de la Fédération – en restreignant, de facto, les compétences des États.
11La Constitution pointe également une série de prohibitions absolues et facultatives à l’adresse des États. Ainsi, l’article 117 expose les domaines dans lesquels les États ne peuvent intervenir (signature d’accords internationaux, émission de monnaie, adoption de législations fiscales dans des domaines réservés, limitation de la liberté de circulation des personnes et des biens, etc.), tandis que l’article 118 mentionne les domaines dans lesquels les États ne peuvent intervenir sans le consentement du Congrès (établissement de droits portuaires ou de taxes sur les importations et les exportations, possession de troupes ou de navires de guerre, etc.).
12De manière traditionnelle, en vertu du principe de parallélisme des compétences, un certain nombre de prérogatives sont partagées, comme l’indique le deuxième alinéa de l’article 18, qui dispose que « les gouvernements de la Fédération et des États organisent le système pénal, selon leurs juridictions respectives, sur la base du travail, de la formation professionnelle et de l’éducation comme moyen de réinsertion sociale du délinquant ». Les domaines visés par ces compétences partagées concernent généralement des politiques d’intérêt national qui ne peuvent être mises en œuvre de manière efficace que dans une logique de subsidiarité, comme en matière de protection de la santé, de sécurité publique, d’éducation, de gestion des voies de communication, d’équipements urbains ou de protection de l’environnement (art. 73). Les domaines concernés sont ceux qui s’inscrivent dans la perspective d’un fédéralisme d’exécution, au sein duquel les entités infrafédérales vont être chargées de mettre en œuvre les politiques décidées par le pouvoir central.
13La Constitution ne prévoit pas, en cas de conflits de compétences, de prévalence du droit fédéral sur le droit des États. En effet, l’esprit de la Loi fondamentale, confirmé par la jurisprudence de la Cour suprême de justice de la nation, s’incarne dans l’idée selon laquelle chaque autorité doit agir dans le respect de ses compétences et qu’en cas de doute le conflit sera réglé par la Cour.
14L’autonomie reconnue aux États pour s’organiser librement est consacrée à l’article 116, qui dispose que « les pouvoirs des États sont organisés conformément à la Constitution de chacun d’eux », en précisant immédiatement que lesdits pouvoirs sont soumis au respect d’un certain nombre de règles, énumérées à la suite de cet article dans plus d’une cinquantaine de paragraphes qui concernent le mandat et les modalités d’élection des gouverneurs, le nombre de représentants au sein des chambres, leur modalité d’élection, l’organisation du pouvoir judiciaire, etc. Ces obligations s’inscrivent, a priori, dans une logique de garantie du caractère démocratique des constitutions des États, mais elles peuvent également apparaître comme un moyen pour le pouvoir central de contrôler les États en les privant d’une certaine liberté, notamment dans la détermination des modalités de désignation des représentants des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
15Si le caractère fédéral du régime mexicain n’a guère été remis en cause depuis 1824 [10], force est de constater que les aménagements constitutionnels successifs [11] ont systématiquement promu une organisation très largement centralisée qui s’incarne particulièrement dans la longueur de la liste des pouvoirs étatiques exclusivement fédéraux.
16En outre, le centralisme politique ne peut être effectif et pérenne que s’il est soutenu par un centralisme administratif. Or les articles 90 et 124 de la Constitution de 1917 consacrent de manière explicite le caractère centralisé de l’administration fédérale. D’ailleurs, en matière administrative, comme en matière politique, la compétence des États est résiduelle, les fonctionnaires des États n’étant compétents que dans les domaines qui ne font pas l’objet d’une dévolution expresse aux fonctionnaires fédéraux.
Un fédéralisme centralisé et asymétrique en pratique
17L’organisation territoriale de l’État mexicain est fédérale, mais son système juridique et politique demeure largement centralisé. Malgré les progrès constatés dans la répartition et le partage des pouvoirs, dans le cadre du processus de démocratisation observable à l’échelle de l’Amérique latine – le Mexique ne fait pas exception –, le continent a été dominé par un hyperprésidentialisme centralisateur, y compris dans les États fédéraux. Si le fédéralisme se construit, en principe, sur une projection du pouvoir entre différents centres de décision, ce dernier est très largement concentré entre les mains du chef de l’État [12].
18Ainsi, bien que les États concourent à l’initiative législative et réglementaire (art. 71-III), leur rôle dans le processus de révision de la Constitution est plus limité. Ils n’en ont pas l’initiative et ne sont pas associés aux discussions du projet, leur contribution se limitant à la ratification du projet de réforme constitutionnelle [13], tel qu’il a été élaboré et voté à la majorité des deux tiers du Congrès [14].
19L’un des aspects les plus symptomatiques du caractère particulièrement centralisé de l’organisation constitutionnelle mexicaine réside dans la répartition et l’allocation des ressources financières aux entités infranationales. Ainsi, alors que les États sont, en principe, compétents pour percevoir leurs propres impôts [15], ils demeurent, en pratique, très largement dépendants des transferts fédéraux pour la constitution de leur budget [16] : il n’existe pas de réelle péréquation inconditionnelle des capacités budgétaires au profit des États et des communes. Et ce, d’autant plus que le budget fédéral est voté par la seule Chambre des députés sur proposition du gouvernement [17].
20Sous couvert de compensation d’éventuelles diminutions des revenus autonomes par les États, les dotations de la Fédération, notamment du fait du caractère conditionnel de leur attribution, aboutissent en réalité à un encadrement et à une orientation des politiques appliquées par les États et les communes. Les gouvernements des États sont de ce fait largement dépendants du pouvoir central, y compris dans la mise en œuvre des politiques économiques, sociales et culturelles qui leur sont attribuées par le texte constitutionnel. Le même constat s’impose au niveau des municipalités. Le principe de l’existence de ressources autonomes et le droit au partage des recettes fiscales sont clairement affirmés, même si l’autonomie financière de l’ensemble de ces entités est loin d’être pleinement assurée. Paradoxalement, cette dépendance a permis aux pouvoirs locaux de s’affirmer pendant les périodes durant lesquelles l’État central connaissait des difficultés budgétaires.
21En principe, le concept clef de répartition des compétences au sein d’un régime fédéral est la subsidiarité. Or, au Mexique, la règle est que les États ne sont compétents qu’en l’absence d’attribution expresse aux autorités fédérales (art. 124), ce qui laisse une importante marge de manœuvre au pouvoir central, lequel est susceptible de s’attribuer des compétences qui devraient, dans la logique fédérale, être dévolues aux gouverneurs et aux maires.
22En outre, la possibilité de créer un nouvel État est de la compétence exclusive du Congrès, à partir de tout ou partie d’États existants, sous réserve d’une ratification par la majorité des législatures des États (art. 73). Sachant également que les constitutions politiques de ces États doivent respecter un certain nombre de principes : elles ne peuvent contenir de dispositions qui contreviendraient à la Constitution fédérale et doivent également se doter de régimes républicains, représentatifs et populaires (art. 115).
23En pratique, le Sénat a régulièrement soutenu les initiatives du pouvoir central, parfois au mépris de son rôle de représentant des États, en validant des procédures dont l’objectif était essentiellement politique et partisan. Ce fut notamment le cas entre 1988 et 1994, sous la présidence de Carlos Salinas de Gortari, période durant laquelle le Sénat a permis à l’exécutif de démettre seize gouverneurs élus afin de nommer des candidats proches du pouvoir [18]. Le Sénat n’a jamais été une enceinte de discussion et de promotion du fédéralisme, comme en atteste son absence d’influence sur le budget fédéral.
24Un autre « soutien » institutionnel a permis de dévoyer l’esprit et la lettre du fédéralisme mexicain, celui de la Cour suprême de justice de la nation. En effet, cette dernière, dès les années 1930, a profité de la relative imprécision de certaines dispositions constitutionnelles pour rendre des décisions favorables au pouvoir central, notamment en développant une jurisprudence dite des « prérogatives constitutionnelles implicites » de la Fédération qui tendait à attribuer à celle-ci des compétences qui ne lui étaient pas formellement accordées par le texte constitutionnel [19]. Si la Cour suprême est seule compétente pour juger les « controverses constitutionnelles » entre la Fédération et les États (art. 105-I-a), ce sont les tribunaux fédéraux qui sont compétents pour trancher les différends qui verraient la Fédération porter atteinte à la souveraineté des États (art. 104 C).
La revitalisation du fédéralisme
25Il aura fallu attendre la réforme de 1994 [20] pour que la Cour suprême accroisse son indépendance vis-à-vis de l’exécutif et acquière la capacité effective de trancher les controverses constitutionnelles entre la Fédération et les États [21], même si sa légitimité n’est toujours pas équivalente à celle d’autres juridictions constitutionnelles d’Amérique latine. Cette réforme a toutefois permis aux communes de s’affirmer, avec le soutien de la Cour suprême, comme un niveau de gouvernement autonome.
26Jusqu’à la fin des années 1980, le pouvoir appartenait véritablement aux autorités fédérales, les pouvoirs régionaux et municipaux semblant encore largement placés sous leur tutelle. Nonobstant la domination juridique et politique exercée par le gouvernement central sur les États, les dirigeants de ces entités et des municipalités ont eu une influence croissante dans la vie politique et institutionnelle mexicaine, notamment avec l’apparition d’un véritable pluralisme politique au sein des différents niveaux de gouvernement. À titre d’exemple, Vicente Fox a été élu président de la République en juillet 2000, après avoir été gouverneur de l’État de Guanajuato entre 1995 et 1999. Ainsi, malgré une interprétation politique de la Constitution plutôt favorable au pouvoir central et une dépendance aux transferts fiscaux, les entités infra-étatiques et leurs responsables ont pu profiter du mouvement de transition démocratique pour asseoir leur position.
27Il convient également de préciser que la revitalisation du fédéralisme passa largement, au Mexique, par l’action des municipalités. En effet, au niveau de chaque État avait lieu une reproduction du centralisme fédéral via la concentration des pouvoirs entre les mains des gouverneurs, particulièrement lorsque ceux-ci étaient membres du même parti que le président de la République, comme cela a été longtemps le cas durant la période de domination du pri. Les gouverneurs, qui bénéficiaient du soutien du parti majoritaire, n’hésitaient pas à se servir de leurs prérogatives institutionnelles pour favoriser les candidats de leur parti au niveau local en intervenant dans le processus électoral, voire en obtenant du Congrès la suspension de certains membres du conseil municipal (ayuntamiento) ou la démission de certains maires. La domination d’un parti unique et l’absence de fragmentation de la représentation au niveau des États concourraient au maintien d’un système très centralisé.
28En effet, la centralisation ne peut reposer que sur un appareil bureaucratique particulièrement développé, qui s’avérera nécessairement, à un moment donné, coûteux et largement inefficace. Dans un État fédéral, une décentralisation exclusivement administrative est inefficace et doit s’accompagner d’une véritable décentralisation politique, particulièrement au niveau local. Ce constat a été prégnant au Mexique, où les municipalités sont l’objet d’une reconnaissance constitutionnelle et où le parti majoritaire a été régulièrement remis en cause au niveau local à partir des années 1970. Le pouvoir central a ainsi été contraint de rationaliser son action en s’appuyant sur les autorités locales afin de prendre en compte les différentes revendications sociales exprimées par la société civile.
29C’est donc au niveau des communes que la décentralisation des pouvoirs a pu s’exprimer en vue de favoriser un développement démocratique du fonctionnement institutionnel. Les municipalités bénéficient d’une certaine autonomie et de réelles compétences. La Constitution pose le principe de libre administration des communes et énumère les domaines qui relèvent de leur compétence obligatoire, même si la liste de ces derniers peut être complétée par une loi fédérale (art. 115-III : eau potable, éclairage, propreté et déchets, marchés, cimetières, abattoirs, voirie et jardins, sécurité publique…). Certaines des exigences en matière sociale qui se font jour au sein des États démocratiques dans la période contemporaine, telles que la démocratisation de la participation politique, la lutte contre les discriminations et la reconnaissance de la diversité ou du développement durable, ont pu servir de vecteurs aux revendications visant à renforcer l’autonomie locale et à encourager une meilleure distribution des pouvoirs. Ces exigences liées à la recherche d’une plus grande pluralité ont été soutenues par de bons résultats électoraux pour l’opposition au niveau local. Le développement de la participation sociale à ce niveau a démontré l’utilité de la décentralisation politique et a initié un changement institutionnel permettant l’approfondissement du fédéralisme mexicain et de la démocratisation du pays.
30La voie à suivre, qui a été développée au tournant des années 1990-2000, avait été explicitée par le plan national de développement mis en œuvre par le président Ernesto Zedillo pour la période 1995-2000, qui affirmait que « le nouveau fédéralisme doit naître de la reconnaissance des espaces d’autonomie des communautés politiques et du respect des champs de compétence de chacun des ordres de gouvernement, afin d’articuler, harmonieusement et efficacement, la souveraineté des États et la liberté des municipalités avec les facultés propres du gouvernement fédéral, et de promouvoir la participation sociale ». Ce plan promouvait également la décentralisation des fonctions gouvernementales, des ressources fiscales et des politiques publiques en direction des États et des communes. Celui mis en œuvre par le président Vicente Fox pour la période suivante reposait également sur l’idée d’assurer le développement d’une administration intergouvernementale s’appuyant sur un fédéralisme authentique et le renforcement des gouvernements locaux et de la participation citoyenne.
31Cependant, malgré ces nombreux programmes basés sur des déclarations d’intention prometteuses et les différentes réformes mises en œuvre depuis le début des années 1990, force est de constater que le Mexique n’est toujours pas passé d’un fédéralisme de jure à un fédéralisme de facto.
32L’exigence de participation plus active de la société a bien provoqué l’adoption de réformes visant à promouvoir un changement des relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, mais le pays reste confronté à une crise démocratique et économique profonde. L’élection d’Andrés Manuel López Obrador, ardent défenseur de la démocratie participative, à la présidence de la République fin 2018 s’inscrit dans la continuité de ces revendications. L’avenir nous dira si la régénération initiée par le nouveau président [22] pour lutter contre un fédéralisme largement formel ayant conduit à des dérives clientélistes et à un appauvrissement endémique de la population permettra enfin au régime mexicain d’atteindre sa maturité démocratique.
Bibliographie
- Fernando Renoir Baca Rivera, « El federalismo mexicano al inicio del siglo xxi. Problemas, avances y perspectivas », Provincia, n° 13, 2005, p. 37-68.
- Miguel Carbonell, « El Estado federal en la Constitución mexicana : introducción a su problemática », Boletín mexicano de derecho comparado, n° 91, 1998, p. 81-106.
- Magali Moudoux, « Un système fédéral centralisé », in id., Démocratie et fédéralisme au Mexique (1989-2000), Paris, Karthala, 2006, p. 25-41.
- Victor Manuel Muñoz Patraca, « Federalismo y democracia en México », Revista mexicana de ciencias políticas y sociales, vol. 44, n° 175, 1999, p. 133-147.
- Vicente Ugalde, « La judiciarisation des relations intergouvernementales au Mexique depuis 1994 », Politiques et sociétés, vol. 30, n° 2, 2011, p. 9-41.
Notes
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[1]
La Constitution de 1917 a maintenu cette organisation, bien qu’elle ait connu plus de deux cents révisions depuis son entrée en vigueur.
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[2]
Recueil de quatre-vingt-cinq articles rédigés par Alexander Hamilton, John Jay et James Madison, qui parurent en 1787 et 1788 en vue de promouvoir la ratification de la Constitution des États-Unis par les États fédérés.
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[3]
Le terme de Congrès renverra dans cette étude au Congrès général, qui comprend la Chambre des députés et le Sénat.
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[4]
Le pri a dominé la vie politique mexicaine pendant soixante-dix ans à partir de 1930.
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[5]
« C’est la volonté du peuple mexicain d’être constitué en République […] fédérale, composée par des États libres et souverains en ce qui concerne leur régime intérieur, mais unis dans une fédération » (art. 40 C).
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[6]
L’article 41 de la Constitution affirme que la souveraineté est unique et appartient au peuple, qui l’exerce par l’intermédiaire des pouvoirs de la fédération et des États.
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[7]
En vertu de l’article 105-I-a de la Constitution, la Cour suprême de justice de la nation est compétente pour juger « les controverses constitutionnelles » entre la Fédération et un État.
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[8]
Le Sénat est composé de cent vingt-huit sénateurs, dont les trois quarts sont élus au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à raison de trois représentants par État, le quart restant étant élu à la représentation proportionnelle sur des listes nationales au suffrage universel direct.
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[9]
« Le Congrès est compétent pour […] adopter toutes les lois nécessaires afin de mettre en œuvre les compétences précédemment mentionnées, et toutes les autres conférées par la présente Constitution aux pouvoirs de la Fédération » (art. 73-XXX C).
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[10]
Si le principe est resté constant, ses modalités ont été celles d’un fédéralisme centralisé et libéral entre 1820 et 1840 (entre 1836 et 1846, un pouvoir illégitime a tenté d’imposer une organisation davantage unitaire, mais le régime n’a pas réussi à se stabiliser) avant d’être davantage axé sur la concertation et la conciliation jusqu’à la fin du xixe siècle.
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[11]
L’article 73 a été révisé plus de soixante fois depuis 1917.
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[12]
Il suffit pour s’en convaincre de constater que le terme de décentralisation, largement utilisé dans les textes et la doctrine pour qualifier les transferts de compétences aux gouverneurs, correspond en réalité à ce que nous qualifions de déconcentration. En effet, plus que d’un véritable pouvoir décisionnel, ces derniers bénéficient essentiellement d’une compétence d’exécution.
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[13]
L’article 135 dispose que les modifications ou amendements doivent être approuvés par une majorité des législatures des États.
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[14]
Le District fédéral, alors même qu’il représente environ 10 % de la population mexicaine, n’est pas associé au processus de révision constitutionnelle. La justification de cette « omission » s’explique par le fait qu’historiquement (jusqu’en 1993) toutes les questions touchant au District fédéral étaient de la compétence exclusive du Congrès fédéral. Si certaines compétences ont pu être transférées à l’Assemblée législative du District fédéral, le régime constitutionnel de ce dernier est distinct de celui des autres entités infranationales.
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[15]
La Constitution prévoit une répartition des revenus entre les différents niveaux de gouvernement afin d’assurer leur autonomie (art. 74 et 116).
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[16]
Jusqu’à une période récente, la décentralisation fiscale au profit des États n’était que d’environ 20 %, les communes ne bénéficiant à leur tour que de 20 % des sommes transférées aux États.
-
[17]
Une procédure de contrôle est prévue par la Constitution (art. 74-IV), mais elle s’appuie sur un organe ad hoc de contrôle des comptes publics, lui-même rattaché à la Chambre des députés.
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[18]
Le Sénat est compétent, sur proposition du président de la République, en cas « de disparition des pouvoirs constitutionnels d’un État », pour convoquer des élections et nommer un nouveau gouverneur (art. 76-V).
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[19]
De manière générale, la Cour, sous couvert de « retenue judiciaire » (self-restraint), interprétait de manière restrictive son rôle dans le règlement des conflits entre la Fédération et les États (seulement dix-huit affaires ont été tranchées sur ces questions entre 1936 et 1994). Toutefois, dans sa décision de principe 2/32 de 1932, dans une affaire qui opposait l’État d’Oaxaca à la Fédération, la Cour avait consacré la théorie des pouvoirs implicites au profit de cette dernière, en augmentant de facto sa sphère de compétence.
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[20]
Un des aspects importants de cette réforme pour l’approfondissement du fédéralisme a été la possibilité offerte aux communes de saisir la Cour suprême en cas de litige avec les autres niveaux du pouvoir.
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[21]
Jusqu’à cette date, les éventuels conflits de compétences ne bénéficiaient guère de la possibilité de connaître une solution juridictionnelle, ceux-ci étant réglés par le pri.
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[22]
Après avoir été longtemps membre du pri, il a présidé le Parti de la révolution démocratique avant de fonder, en 2011, l’association civile Mouvement de régénération nationale, qui deviendra un parti politique en 2014.