Pouvoirs 2016/3 N° 158

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Article de revue

La lutte contre les ressources du terrorisme

Pages 25 à 37

1Quelles que soient leurs origines sociales politiques ou religieuses, les organisations terroristes ont un besoin de moyens financiers qui varie selon qu’elles sont dormantes ou actives, intégrées dans la société ou totalement clandestines, opérationnelles ou en situation d’attente. Comme nous le verrons, les réponses qu’elles trouvent dépendent de leur positionnement idéologique et de leur environnement.

2Dans la lutte contre le terrorisme, de nombreux experts pensent que l’assèchement des moyens financiers contribue à leur disparition. Cette réflexion rejoint la vision stratégique des militaires sur le blocus ou le siège, qui permettent d’amener l’ennemi à reddition en lui coupant l’approvisionnement en vivres ou en armement. Ainsi que nous l’avons vu récemment avec les embargos sur Cuba, l’Irak ou l’Iran, l’histoire montre que c’est très compliqué et moins efficace que l’on imagine, car il est difficile de couper tous les accès. De plus, l’homme possède en lui des réserves insoupçonnées lorsqu’elles s’appuient sur une forte motivation idéologique ou religieuse.

Le besoin de financement

3Dans la vie quotidienne, qu’il soit clandestin ou dans la cité, le terroriste a besoin de se nourrir et de se loger dans l’endroit où il se cache ou à l’extérieur. Il doit se tenir au courant des nouvelles par l’écoute de la télévision ou la lecture des journaux et magazines. Il doit également pouvoir communiquer par téléphone et par moyens informatiques. Chaque opération l’oblige à utiliser des intermédiaires pour ne pas courir de risque inutile. De surcroît, le maintien en état de son réseau l’amène à se déplacer pour contacter, recruter, échanger et donner ou recueillir des instructions. Il lui faut aussi une ou plusieurs identités fictives, ce qui suppose de se procurer d’une façon ou d’une autre passeport et carte d’identité. Cela occasionne un montant de frais mensuels réguliers variable selon le nombre de gens concernés, qu’il faut pouvoir régler en argent liquide pour laisser le moins de traces possible.

4Lorsqu’une action est envisagée, les coûts changent d’échelle car il faut activer des réseaux dormants, former les différents acteurs, faire des déplacements pour reconnaître les objectifs, se procurer des véhicules ou utiliser des avions ou des trains, acheter des armes et autres moyens techniques ou fabriquer des explosifs. Il faut aussi organiser la mise en place des terroristes individuels ou des équipes et leur exfiltration en dehors des actions kamikazes.

5Dans une action totalement clandestine, on ne doit pas utiliser des moyens de paiement classiques, allant de la carte bleue au chèque en passant par les virements bancaires, ou bien il faut les avoir suffisamment démarqués pour que l’on ne puisse pas remonter jusqu’au véritable utilisateur. Le rôle des réseaux qui relaient et approvisionnent pour éviter le contact direct prend ici un rôle essentiel.

6Dans une action menée par des gens intégrés dans la vie quotidienne, si une partie des dépenses peuvent être faites au grand jour, l’autre partie doit être totalement dissimulée pour éviter tout rapprochement préjudiciable au terroriste et à son réseau. Ce qui implique une organisation logistique parallèle ou la capacité de séparer clairement dans la durée les deux activités chez le même individu.

L’évolution des moyens

7Contrairement à ce que beaucoup peuvent croire, l’action terroriste en elle-même n’exige pas un gros investissement puisque, dans la réalisation d’un attentat, le support technique est généralement peu coûteux mais plus ou moins difficile à se procurer. Son montant varie en fonction du nombre de participants, de l’éloignement de la cible et des moyens mis en œuvre. Dans les attentats des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly en janvier 2015, on voit bien que c’est l’armement qui a coûté le plus cher. Selon l’analyse des attaques de Bombay de novembre 2008 réalisées par trois équipes séparées venues d’ailleurs, c’est la reconnaissance et la mise en place des attaquants qui ont demandé le plus gros investissement.

8Les contrôles internationaux devenant de plus en plus rigoureux, il devient très difficile de transporter du matériel ou de l’argent d’un pays vers un autre par des transports en commun, qu’ils soient aériens, routiers ou ferroviaires, ce qui requiert des réseaux logistiques, des systèmes de transfert et des équipes sur place. Ce sont ces dernières qui vont acheter les armes et matériels requis, récupérer les informations nécessaires, fabriquer les explosifs ou les produits utilisés. Par ailleurs, des moyens de communication variés deviennent essentiels car les acteurs des réseaux terroristes modernes sont en liaison permanente à tous les niveaux.

9Dans le terrorisme transnational auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, les ordres viennent d’un pays, la mission se prépare dans un autre et l’action se fait dans un troisième, ce qui exige une capacité de liaison et de réaction rapide bien éloignée des pigeons voyageurs de nos ancêtres. Au-delà du téléphone portable, dont chacun connaît les limites, la circulation de l’information repose essentiellement sur les outils numériques, d’internet aux réseaux sociaux.

Les pratiques traditionnelles

10Il y a un siècle, les anarchistes russes, comme plus tard les agents du Komintern, conspiraient après leur journée de travail et se transformaient en terroristes pour commettre un attentat. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des réseaux de résistance français, qualifiés de terroristes par les Allemands, recevaient des financements extérieurs lors de parachutage d’agents de liaison ou de containers et s’appuyaient sur des réseaux locaux. L’Armée républicaine irlandaise ou l’eta espagnole percevaient un impôt révolutionnaire, ce qui n’empêchait pas cette dernière, tout comme Action directe en France, de réaliser des attaques de banques ou de bureaux de poste. La Fraction armée rouge allemande faisait de même mais recevait également un appui des services de l’Allemagne de l’Est. Tous se faisaient aider par les cercles relationnels proches de leurs idées.

11À l’étude, il apparaît que les moyens de financement utilisés par chacun d’eux étaient très variés et fonction de la situation locale. Plus le groupe était important et clandestin, et plus il était obligé de se procurer par la force, d’une manière ou d’une autre, les moyens de financer sa vie clandestine. Plus son rapport avec la population était positif par suite de son comportement ou des idées qu’il défendait, et plus il bénéficiait d’un soutien actif de celle-ci dans l’hébergement et le ravitaillement de ses équipes.

12Il est également intéressant de constater que, durant la seconde partie du xxe siècle, aucun de ces groupes ne se recommandait d’un État étranger, même si les agents communistes prenaient pour référence la Russie soviétique. Par contre, il existait une réelle collaboration entre les différentes entités terroristes ayant une vision proche sur le plan idéologique. Cette coopération concernait aussi bien le domaine des achats et transferts d’armes que celui, découvert plus tard, d’une véritable sous-traitance, qui amenait un groupe à commettre un attentat pour le compte d’un autre ou à se prêter des opérationnels efficaces.

Les pratiques récentes

13Avec le terrorisme islamique, nous avons basculé du terrorisme idéologique au terrorisme religieux, dont chacun sait qu’il est consubstantiel au fanatisme et obligatoirement transnational. Sa particularité vient de ses oppositions internes, qui s’appuient sur des différences d’interprétation du Coran entre chiites et sunnites, et parmi ces derniers entre la vision traditionnelle et la vision salafiste, qui veut retrouver le temps béni des trois premiers califes ayant succédé au prophète Mahomet. Dans cette dernière, la perception d’Ayman al-Zawahiri, chef d’Al-Qaïda qui refuse de tuer les musulmans, s’oppose à celle des taqfiristes de Daech, pour qui tout ce qui ne pense pas rigoureusement comme eux est un mécréant à détruire, à commencer par les chiites. On peut y ajouter la référence, commune à tous, des Assashins du Vieux de la montagne se faisant tuer pour leur cause au xie siècle ; ce sont eux qui les ont amenés à légitimer puis à pratiquer l’attaque-suicide. Tout cela s’inscrivant dans la volonté salafiste de créer un califat appliquant la charia, on comprend que nous sommes dans un type de terrorisme nouveau.

14Les prosélytes de cette approche bénéficient d’une certaine bienveillance d’une partie de la population musulmane vivant dans des conditions difficiles et d’une partie des intellectuels de notre pays qui dénient la réalité pour éviter la stigmatisation. Pourtant, les choix politiques ayant amené la France à s’opposer à la création de l’État syro-irakien ont provoqué chez les dirigeants de cette entité la volonté d’y répondre en portant la guerre en France à travers des actions terroristes. Nous sommes donc devant un terrorisme dirigé de l’extérieur de l’Europe, réalisé principalement par des acteurs revenus chez eux après avoir fait leurs preuves dans les zones de combat, renforcé par des acteurs locaux ralliés à la cause qui y trouvent une raison d’exister et une forme de rédemption.

15Il ne faut pas pour autant passer sous silence un autre acteur majeur par sa capacité de diriger, orienter ou influencer les terroristes et leurs soutiens. On oublie trop souvent que, à côté des imams marocains prêchant un islam tranquille et des Algériens qui aspirent à diriger l’islam de France, nous avons un nombre croissant d’imams venus d’ailleurs. Généralement financés par des pays du Golfe et de la péninsule arabique, ils ne parlent pas français, font des prêches extrêmement violents s’appuyant sur une connaissance limitée du Coran et sont souvent directement ou indirectement des pourvoyeurs de fonds pour les plus radicaux.

Le financement par Daech

16Du fait de son occupation territoriale, Daech lève l’impôt en surtaxant ceux qui ne sont pas de purs salafistes, ce qui lui permet de se constituer un trésor de guerre et de payer son administration. Le terrorisme faisant partie de sa stratégie, il peut en réorienter une partie vers cette destination.

17Daech bénéficie également de la revente en Turquie et au Kurdistan de pétrole, de coton et d’antiquités qui lui rapportent beaucoup d’argent. Il est clair que la lutte contre cette capacité de financement passe par l’anéantissement des possibilités de contrebande à travers un contrôle étroit des frontières et la pénalisation de ceux qui achètent ces produits pour les revendre de par le monde. La lenteur des Occidentaux à attaquer les camions-citernes et l’absence de volonté de sanctionner les intermédiaires qui se livrent à ce trafic montrent que certains intérêts particuliers freinent cette nécessité. Le fait également que Daech ait pu remplacer mille camions détruits par les frappes aériennes par d’autres, achetés à un constructeur asiatique et transitant par la Turquie, prouve que l’embargo annoncé par les Occidentaux est loin d’être une réalité.

18Si l’on y ajoute l’énorme montant récupéré dans les banques de Mossoul lors de la prise de la ville en 2014, on comprend que Daech dispose de réserves financières importantes qu’il a placées à l’extérieur, dans des banques islamiques, des comptes offshore ou via des prête-noms. Il peut donc assurer sans problème le financement d’opérations extérieures.

19Ajoutons, car c’est loin d’être anecdotique, que dans les organisations terroristes proche-orientales la famille de celui qui s’est fait sauter reçoit une indemnité substantielle de l’organisation, expliquant certaines actions même si cette motivation n’est pas décisive dans le choix du sacrifice.

Le financement par les soutiens des organisations terroristes

20Comme nous l’avons vu dans l’ex-Yougoslavie, en Serbie, certains pays arabes n’hésitent pas à promouvoir leur vision particulière de l’islam en envoyant des imams faire du prosélytisme et en finançant des groupes de combattants très islamisés issus des Frères musulmans, d’Al-Qaïda ou autres groupes salafistes. Ces derniers n’hésitent pas à employer tous les moyens pour faire triompher leur cause et instaurer un État pratiquant un islam rigoureux.

21Dans le cadre de la défense de leurs intérêts gaziers, le Qatar et l’Arabie saoudite ont appuyé fortement les opposants au régime syrien, regroupés principalement au sein du Front al-Nosra puis de Daech. Cet appui officiel a pris fin, au moins pour l’un d’entre eux, quand Abou Bakr al-Baghdadi a été considéré par le roi Salman comme un danger pour le royaume saoudien. Mais on oublie trop souvent qu’au-delà des gouvernements des pays du Golfe et de la péninsule arabique un certain nombre de grandes familles locales considèrent être leur devoir de musulmans de contribuer au financement de moudjahidine combattant pour l’implantation d’un islam sunnite sur des terres étrangères. De même qu’elles ont financé les actions menées en Afghanistan de 1980 à 1990 ou en Yougoslavie de 1992 à 1999, on les trouve derrière un bon nombre d’opérations financières au profit des groupes en Syrie et en Irak, dont la très grande majorité est totalement inféodée aux organisations terroristes.

22Un autre moyen essentiel dans le financement du terrorisme islamiste repose sur l’utilisation de la zakat, ce pilier de l’islam qui oblige chaque croyant à donner selon ses moyens pour aider la communauté, quel que soit le lieu où il se trouve. Mélange des pratiques chrétiennes du denier du culte et de l’aumône, cette obligation religieuse se caractérise par la difficulté d’en identifier le montant et l’utilisation. Cependant, des enquêtes menées au Proche-Orient et dans certains départements français ont montré qu’une partie non négligeable était utilisée pour financer des organisations salafistes ou même des groupes terroristes comme Al-Qaïda.

23Enfin, n’oublions pas le rôle bien identifié de certaines ong qui, sous couvert d’humanitaire, appuient ou sont un faux nez des organisations terroristes, comme nous l’avons vu dans l’ex-Yougoslavie ou plus récemment dans le nord du Mali et certains autres pays de l’Afrique sahélienne.

Le financement par les trafics et la contrebande

24Pour diversifier les moyens de financement présentant un risque réduit, un cinquième de tous les attentats terroristes de ces dernières années en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique et en Asie ont utilisé la contrebande de cigarettes, selon l’étude de Jean-Claude Brisard publiée par le Centre d’analyse du terrorisme en mars 2015. L’importation de contrefaçons chinoises ou de produits venus d’Afrique centrale ou de Djebel Ali à Dubaï, ayant supporté des taxes inférieures de 90 % à celles payées dans les pays européens surtaxés comme la France, permet de dégager des marges considérables. De l’argent liquide est ainsi obtenu en quantité suffisante pour payer les équipements et moyens requis pour mener l’action envisagée.

25L’achat et la revente de drogue, du cannabis à l’héroïne, constituent également une façon d’obtenir suffisamment d’argent liquide pour financer les opérations et accroître l’autonomie financière – plusieurs terroristes impliqués dans les attentats de janvier et de novembre 2015 à Paris y ont eu recours. Le besoin d’utiliser ce type de support de financement explique la recherche et la participation de personnes qui, dans la vie courante, ont un lien avec ces activités. L’aspect délictueux de ce procédé a appris à ces personnes à prendre des risques et leur donne une capacité d’agir, après qu’elles ont été convaincues de contribuer à des actions terroristes pour un motif qui dépasse leur petite délinquance.

26Au niveau international, la même étude de Jean-Claude Brisard a démontré que, depuis 2001, quinze organisations terroristes ont utilisé de manière répétée la contrebande de cigarettes et de drogues pour assurer leur financement : le Mouvement des talibans du Pakistan, le Laskhar-e-Taiba, Al-Qaïda au Maghreb islamique, le Hezbollah, le Hamas, les Forces armées révolutionnaires de Colombie, le Parti des travailleurs du Kurdistan, l’eta et l’Armée républicaine irlandaise. Cela implique des contacts et des échanges avec les contrebandiers, les distributeurs ou les intermédiaires et, parfois, l’appartenance à des réseaux communs.

27Il faut également ajouter le trafic de pétrole et d’essence dont Daech est loin d’être le seul bénéficiaire. Boko Haram, Al-Qaïda au Maghreb islamique et le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) le pratiquent à grande échelle dans un marché de troc où le litre de super vaut une cartouche de cigarettes.

Le financement par les actions violentes

28Dans le passé, les organisations terroristes n’ont pas hésité à utiliser les attaques à main armée ou des prises d’otages pour se procurer de l’argent, des armes ou des explosifs. On se souvient de l’attaque de la poste à Auvers-sur-Oise par Action directe, qui avait besoin de financer sa clandestinité. Dans le même esprit, on ne comptait plus en Europe les attaques de casernes, commissariats ou entrepôts en vue de se procurer des armes et des explosifs. À l’époque, cela se justifiait par la difficulté d’acheter ce type de matériel. Aujourd’hui, le volume important d’armes mises en circulation par les filières criminelles de l’ex-Yougoslavie ou de Libye permet à chacun de trouver facilement, et à un prix acceptable, tous les types d’armes dans la plupart des grandes villes. Encore faut-il avoir l’argent liquide nécessaire pour en acheter sans laisser de trace.

29Quant aux explosifs civils et militaires, si l’accès en est assez bien protégé, ce qui rend leur acquisition coûteuse ou risquée, les terroristes ont appris à en fabriquer à partir de produits vendus dans le commerce. Les choses sont ainsi beaucoup plus simples sous réserve d’avoir dans le groupe, ainsi qu’on l’a vu récemment dans le cas de Molenbeek, un artificier formé à les élaborer à partir des multiples informations et recettes existant sur internet. Il n’empêche que ces explosifs artisanaux se caractérisent par une puissance faible ou une instabilité physique qui peuvent provoquer des accidents ou des échecs.

30On assiste enfin à l’apparition d’une nouvelle filière de financement avec le trafic d’êtres humains. De l’Afrique centrale à la côte libyenne, durant leur parcours à travers le Sahel ou sur place dans les ports d’embarquement vers l’Europe, les migrants sont rançonnés par des organisations terroristes qui leur promettent protection durant le parcours, sécurité sur les lieux d’attente ou délivrance d’une autorisation de quitter le territoire. Compte tenu du nombre de migrants qui empruntent cette filière, les sommes recueillies sont importantes et permettent à certains groupes terroristes de pouvoir répondre à toute opportunité.

31On peut y ajouter le vol de voiture qui est monnaie courante dans les actions terroristes. Certes, on a vu récemment des kamikazes utiliser leurs voitures personnelles ou des voitures louées, ce qui leur permet de passer inaperçus avant l’action, mais, une fois qu’ils sont identifiés, la compréhension du réseau en est facilitée, comme constaté avec les attentats de 2015 en France.

La lutte contre le financement direct ou indirect des groupes terroristes

32Le financement du terrorisme est donc aujourd’hui d’origines très variées. S’il est exact que la surveillance internationale des opérations financières et des paradis fiscaux a rendu difficiles certains mouvements de capitaux et contribue à leur éradication, il n’en est pas moins vrai que d’autres manœuvres se poursuivent sans problème. La lutte internationale contre le blanchiment en est un bon exemple, puisque nous-mêmes et les ong dont c’est la finalité sommes incapables de savoir ce qui se passe dans l’État du Delaware aux États-Unis comme dans la province de Hong Kong en Chine.

33Le contrôle des mouvements financiers ne peut être limité à certains États ou certains circuits. Pour faire face à un terrorisme transnational, il doit être au minimum européen, ce qui implique la création d’organismes de contrôle spécialisés et la mise en place d’une coopération internationale réelle et d’un dispositif de sanctions. Nos amis américains ont raison d’interdire toute entrée sur leur territoire de personnes ayant participé directement ou indirectement au financement d’organisations identifiées comme terroristes et de geler leurs avoirs. La position française qui s’auto-justifie par les courants d’affaires et les contrats potentiels paraît inadaptée devant l’amplification du risque encouru et la motivation de ceux qui y contribuent.

La lutte contre l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux

34Une autre façon de lutter contre les ressources du terrorisme repose sur le contrôle d’internet et la neutralisation des sites djihadistes. Ces derniers constituent des mines d’informations pour les apprentis terroristes, des points de départ en vue de trouver sur le marché les moyens qui leur manquent et des supports de propagande pour faire peur ou convaincre. Les djihadistes maîtrisent de mieux en mieux le web et surtout le « dark web », qui permet de monter des opérations puisque s’y trouvent les éléments utilisables pour une cyberattaque ou les outils nécessaires à une action violente. De surcroît, ils n’hésitent pas à sous-traiter à des équipes criminelles certaines actions qu’ils ne savent pas réaliser seuls, ainsi que ce fut le cas pour la cyberattaque contre tv5 Monde. Enfin, il faut rappeler que les terroristes rendus prudents dans leur utilisation des téléphones portables ont recours à des technologies de liaison par internet très élaborées.

35Dans ce combat très technique, on comprend qu’il faille consacrer tous les moyens nécessaires pour en freiner ou stopper l’utilisation. Mais cela implique une collaboration internationale basée sur des échanges en temps réel entre les services des États concernés pour identifier les sites, les pratiques et les échanges. Il faut aussi créer les conditions d’un partenariat public-privé qui est dans l’intérêt de tous et se doter d’un arsenal juridique permettant de surveiller et d’interdire tout site suspect. Dans le même esprit, il est nécessaire de traquer sur les réseaux sociaux les adresses ip servant de supports à la surveillance du web et aux échanges avec les cibles identifiées.

La lutte contre le financement par la contrebande

36Comme nous l’avons évoqué, la contrebande de cigarettes et la revente de tous les types de drogue sont depuis longtemps un moyen de financement avéré du terrorisme. Mais la prise de conscience de cette réalité est récente car une partie de la population française refusait de croire, pour des raisons idéologiques, aux liens entre le terrorisme et le grand banditisme. Il est temps de regarder la réalité en face et de ne plus voir la vente de cigarettes comme un moyen de remplir les caisses de l’État par une taxation si élevée qu’elle provoque des flux croissants de produits venus d’ailleurs. Il est également temps de ne plus considérer la revente de drogue uniquement comme une composante de l’économie souterraine qui permet de stabiliser certaines banlieues difficiles. Le projet de mise en vente libre du cannabis, s’il est adopté, ne fera que renforcer ce constat et son impact sur le financement des réseaux clandestins.

37Nous devons donc surveiller étroitement les populations se livrant à ces types de trafic et leur possible évolution vers un support ou une participation au terrorisme religieux.

La lutte contre la radicalisation

38Il faut se mobiliser dans la lutte contre la radicalisation qui amène des citoyens à basculer dans le terrorisme à partir d’une interprétation partielle et partiale du Coran. La problématique n’est pas la même si l’on est un jeune des banlieues issu d’un milieu défavorisé et sans espoir d’évolution dans une société dont on se sent rejeté ; si l’on est un délinquant qui se fait convaincre en prison qu’il y a mieux à faire que de rester un petit trafiquant et que l’on doit embrasser une cause qui donne une existence individuelle et transcende votre réalité ; ou encore si l’on est un enfant issu de la classe moyenne qui a envie de se consacrer à une juste cause loin de la matérialité et de l’individualisme égoïste de notre société moderne. Dans tous les cas, la conversion au salafisme, que l’on voit de l’extérieur se concrétiser par un certain nombre de signes de comportement, recrée l’espérance et donne une justification à une existence jusque-là terne et perçue sans avenir. Pour rester dans le concret, il ne faut pas oublier que, selon les estimations données au colloque de Nice sur la radicalisation en 2015, moins d’un dixième des convertis par ces moyens basculent dans l’action directe violente sur les champs de bataille ou dans les réseaux terroristes. Par contre, la majeure partie des convertis restants devient un support logistique et contribue financièrement à aider la partie clandestine du système.

39Lutter contre cette radicalisation, qui se construit chez les étudiants en quelques mois d’échanges sur internet, implique d’en comprendre le processus et de s’y opposer en utilisant les contradictions du discours religieux. Mais cela suppose des imams ou des experts connaissant le Coran et s’appuyant sur les grands penseurs de l’islam pour démonter un argumentaire sectaire et souvent simpliste émis par des imams autoproclamés. La sagesse serait d’exiger de ces derniers qu’ils prêchent en français, fassent la preuve d’une véritable connaissance du Coran et de l’islam, et soient obligés de respecter nos lois et usages.

40Les familles, qui n’ont généralement pas la capacité de s’opposer au processus de radicalisation, et même de le comprendre, doivent être aidées par des associations, les pouvoirs publics et l’éducation nationale. Malheureusement, cette dernière a totalement abdiqué cet aspect de sa responsabilité formatrice pour des raisons idéologiques. Les entreprises doivent être incitées et aidées légalement afin que leurs directions des ressources humaines et leurs responsables de la sécurité puissent agir efficacement et bloquer tout prosélytisme. Dans ce cadre, l’autorisation des pratiques religieuses au sein des entreprises prévue par la loi sur le travail dite loi El Khomri, en cours de discussion en avril 2016, est en contradiction avec l’exigence républicaine de laïcité et ouvre la porte à toutes les dérives.

41*

42Le terrorisme religieux auquel nous sommes confrontés en Europe est dirigé depuis un centre de commandement des opérations extérieures situé en Syrie. Aucune opération ne se fait sans son accord, sachant qu’il les authentifie par un communiqué. Ce n’est pas le cas en Afrique, où les chefs des katibas et autres mouvements terroristes assument directement leurs choix, à l’instar de Mokhtar Belmokhtar pour Al-Mourabitoune ou d’Abubakar Shekau pour Boko Haram. Les équipes opérationnelles sont composées de combattants ayant fait leurs preuves en Syrie, en Afghanistan ou dans les Balkans. Elles sont aussi constituées de locaux comprenant des petits délinquants convaincus durant leur séjour en prison et des convertis au salafisme majoritairement via internet.

43La lutte contre les dérives terroristes auxquelles la France doit faire face passe par une vision réaliste de la situation qui exclut tout laxisme afin de mener le combat dans l’ensemble des domaines que nous avons évoqués. L’éradication du terrorisme est un travail de longue haleine qui réclame des actions de prévention, de répression et de suivi, et de ne pas craindre de désigner l’ennemi sous les masques derrière lesquels il se cache. En contrepoint, il faut fuir les amalgames et lutter contre la tentative visant à opposer les communautés, qui est l’objectif majeur des terroristes. Pour cela, il est nécessaire d’enrayer la dérive française qui nous conduit progressivement d’un processus d’intégration qui caractérisait notre nation à un processus de communautarisation à l’anglaise, auquel nous ne sommes pas culturellement préparés.

44Le combat contre le financement du terrorisme concerne beaucoup de monde au niveau de l’Europe, des États, des administrations, des entreprises et des citoyens. On ne pourra l’emporter que par une coopération internationale au sein de laquelle chacun apporte sa contribution, son expertise et sa motivation. La même situation se retrouve vis-à-vis du contrôle des frontières de l’Europe : tout le monde sait qu’il faut mieux les surveiller mais que, pour ce faire, une cohésion totale et la volonté générale d’y parvenir doivent se faire jour.

45Comme nous l’avons vu, le suivi de la délinquance, le contrôle des commerces illicites et la surveillance du cyberespace permettent de construire des barrières visant à réduire progressivement la capacité financière des réseaux, mais le succès passera par un travail dans la durée exigeant la continuité des politiques entreprises et la volonté dans l’action.


Date de mise en ligne : 16/09/2016

https://doi.org/10.3917/pouv.158.0025

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