Couverture de CDLJ_2102

Article de revue

Table ronde avec les avocats de la défense (David Apelbaum Hugo Lévy, Margot Puglièse, Clémence Witt, Camille Tardé)

Pages 237 à 252

1 Les Cahiers de la justice (Les CDLJ) - Comment avez-vous abordé ce dossier ?

2 Hugo Lévy : Je suis rentré dans ce dossier en travaillant au cabinet de Thierry Lévy. Mon client avait désigné celui-ci après un passage à BFM dans lequel il exprimait son regret de ne pas avoir défendu Salah Abdeslam qui visiblement ne voulait pas se défendre. Assez immédiatement, je suis allé voir Willy Prévost en détention et au fil des parloirs la relation de confiance s'est nouée et il a été décidé que j'assure sa défense, avec une motivation très importante.

3 David Apelbaum : En 2015 j'ai été secrétaire de la conférence et on a une priorité sur les commissions d'office en matière de terrorisme. Depuis 2012-2013, l'activité de terrorisme qui était marginale à la conférence est devenue très importante. Entre 2014 et 2016, je pense que ça occupait 40 % de l'activité de la conférence. J'ai eu connaissance de dossiers de terrorisme de cette façon en étant commis d'office dans une vingtaine de dossiers. Pour Charlie, c'est un dossier particulier parce que quand mon client - Abdelaziz Abbad - a eu besoin d'un avocat commis d'office, je n'étais plus secrétaire de la conférence. Il a donc d'abord eu un avocat commis d'office avec qui ça s'est mal passé parce que M. Abbad - et il serait le premier à le reconnaître - a un caractère un peu difficile. Il était particulièrement dur au début de son incarcération. Il vivait sa mise en cause dans ce dossier comme une injustice. Donc j'ai été ensuite commis d'office parce qu'il a demandé un nouvel avocat. Je suis allé le voir en détention, j'ai assisté à un certain nombre d'interrogatoires et j'ai gagné sa confiance peu avant le procès. Ce n'a pas été facile, c'est un processus qui a duré trois ans. Petit à petit, j'ai percé la carapace et c'est comme ça que la confiance s'est faite. En fin d'instruction et peu avant le procès, j'ai demandé à mon associée Margaux Durand-Poincloux de venir m'assister.

4 Margot Pugliese : J'étais secrétaire de la conférence en 2016 et commise d'office pour assister Miguel Martinez lors de son défèrement en avril 2017. Il avait un profil un peu particulier pour une affaire de terrorisme contrairement aux cas rencontrés quand j'étais secrétaire de la conférence. Lors de mes précédentes expériences, les mis en examen ne connaissaient absolument pas d'avocats, ils étaient étrangers au monde judiciaire, ce qui n'est pas le cas de M. Martinez. Il connaissait un certain nombre d'avocats et rapidement s'est posée la question de garder l'avocat commis d'office ou de choisir un autre avocat. J'ai gagné assez rapidement sa confiance pour la perdre pendant l'instruction, puis la regagner et la reperdre. Il s'est rendu compte que je connaissais la matière, qu'il était dans un dossier particulier avec des enjeux particuliers qui dépassaient ce qu'il avait déjà pu rencontrer. Il lui a semblé que j'avais des réflexes pour traiter ce genre de dossiers et c'est pour ça qu'il a choisi de travailler avec moi. Il était exigeant et inquiet, j'allais lui rendre visite une fois par mois. Avant les assises il ne voulait plus se défendre, il ne voulait plus d'avocat, ça a été une confiance durement arrachée.

5 Camille Tardé : Je suis avocate depuis 2018 et je suis collaboratrice de Clémence Witt qui a défendu Christophe Raumel dans ce dossier.

6 Clémence Witt : J'étais secrétaire de la conférence en 2015 et M. Raumel a été l'une des premières personnes déférées, le 20 janvier 2015 à l'issue de sa garde à vue. J'ai été commise d'office pour assurer sa défense quelques jours après les attentats de janvier 2015. C'est mon premier dossier terroriste en défense avec un enjeu important, avec notamment une forte pression médiatique dès les premiers jours de l'enquête. Le jour du défèrement était particulièrement impressionnant, le Palais de justice était encerclé de journalistes, un hélicoptère le survolait, la galerie anti-terroriste était remplie de forces de police cagoulées… Ma crainte initiale était d'être face à un individu en rupture et de ne pas réussir à établir une relation avocat-client parce qu'à ce moment-là, les premiers déférés sont présentés par le Procureur de la République de Paris comme les principaux complices de Coulibaly. Je craignais donc d'être en face d'un individu très radicalisé qui ne voudrait pas être défendu par une femme ou plus globalement qui rejette le processus de défense. Finalement je me retrouve face à un jeune homme de vingt-quatre ans qui ne semble pas radicalisé et n'a absolument pas pris la mesure de l'ampleur de l'affaire. Je constate un important décalage entre Christophe Raumel et la procédure dans laquelle il est impliqué.

7 Les CDLJ - Quelle a été votre stratégie à l'instruction ?

8David Apelbaum : La stratégie à l'instruction était une stratégie de voyou : on ne dit rien de plus que ce qu'il y a dans le dossier, de ce qui a déjà été dit par les autres. J'ai mis beaucoup de temps à ce que mon client me dise ce qui s'était passé et j'ai mis encore plus de temps à le croire. On a reproché à l'audience à M. Abbad d'avoir dit beaucoup de choses différentes. Ce discours évolutif, il l'a eu avec moi aussi. C'est quelque chose de commun en pénal, nos clients testent leur version sur nous. J'ai donc adopté une stratégie assez classique notamment en matière de grand banditisme qui est de se dire que personne ne connaît la vérité, pas même moi l'avocat. Le seul qui la connaît c'est mon client et manifestement il ne me dit pas tout. C'est pourquoi j'ai décidé d'en donner le moins possible, de ne s'avancer que sur l'évidence et de rester sur la défensive. Le second aspect était d'insister sur le fait que M. Abbad n'était pas radicalisé, ni complice de personnes radicalisées, ni même suspect de vouloir s'associer à ce genre de personnes, qui sont loin d'être les meilleures personnes quand on cherche à rester discret dans le cadre de ses activités délictuelles. J'ai joué la discrétion face à un juge d'instruction qui de toute façon instruisait à charge, au moins sur cet aspect-là du dossier.

9 Hugo Lévy : À l'instruction j'arrive à un moment particulier où il est prévu un interrogatoire après une rencontre avec Thierry Levy où Willy Prévost dit qu'il veut faire des déclarations. Il fait des déclarations importantes et qui seront reprises tout au long de l'instruction et pendant les débats : un transport d'armes pendant le mois d'août. Je n'avais pas eu le loisir d'en parler avec lui et d'en évaluer l'opportunité. Il ne m'avait pas dit ce qu'il avait l'intention de dire au juge d'instruction. En définitif ces déclarations se sont inscrites dans un contexte - qui moi me paraissait évident - qui montrait que Willy Prévost était démuni de toute intention à caractère terroriste. C'était un voyou de banlieue mais pas un terroriste conscient. Cette déclaration n'était pas prudente du point de vue des faits - ça lui a été reproché - mais en cohérence du point de vue de sa sincérité et de sa personnalité, ainsi que de tout le cheminement qui a été le sien par la suite. Dans un dossier de terrorisme de cette nature, on s'attend toujours à ce que le ciel vous tombe sur la tête : il y a une telle puissance d'investigation de l'instruction et de l'enquête. On se demandait en permanence ce qui pouvait arriver et qui viendrait contredire la position du client. Néanmoins, la réalité c'est que la position de sincérité de Willy Prévost n'a pas pu être remise en cause jusqu'à la fin.

10 Margot Pugliese : S'agissant de Miguel Martinez, il ne voulait pas reconnaître avoir le moindre lien avec les armes. Il avait parlé d'armes entre les lignes notamment dans sa première déclaration de garde à vue. Ce qu'il disait lui c'est qu'il n'avait aucun lien avec ces armes-là, il parlait de stupéfiants et c'est la position qu'il a maintenue pendant toute l'instruction. Mon travail à moi était compliqué par le positionnement et le regard que l'institution judiciaire portait sur Miguel Martinez. Le travail de défense devait tenir compte de la façon dont les institutions voyaient mon client, parce que dès qu'il disait quelque chose, tout prenait une ampleur particulière compte tenu de son profil, parce qu'il était considéré comme un individu radicalisé. Vu qu'il était considéré par les magistrats comme un individu radicalisé, on a compris rapidement qu'il ne devait pas être plus sincère, parce que si on en arrivait à révéler qu'il avait été en lien avec des armes, son positionnement allait être dénaturé, ça allait prendre une ampleur terrible parce que perçu radicalisé. On a attendu l'audience pour voir comment les choses évoluaient. Il faut se rappeler que quand M. Martinez est arrivé devant la juge, on lui a dit « Ah, je suis contente de vous avoir dans mon dossier parce que je n'avais pas de barbu ». Personnellement je me suis posé des questions pendant l'instruction, mais j'avais l'avantage de connaître tout l'environnement de Miguel Martinez. Les questions que je me posais s'évanouissaient lorsque j'étais en contact avec sa femme ou son frère. Puis à la fin d'un entretien avec lui, je voyais la différence entre un Miguel Martinez et le profil d'autres personnes que l'on peut défendre dans un dossier terroriste.

11 Camille Tardé : Christophe Raumel a été l'une des premières personnes déférées, donc tous les moyens de la justice antiterroriste ont été mobilisés. Il y a eu énormément d'actes diligentés dans les premiers jours de l'enquête. S'agissant de l'instruction, les six premiers mois ont été déterminants. À l'issue du premier interrogatoire au fond, le périmètre très circonscrit de sa participation et donc de sa responsabilité, était établi. La question de la qualification terroriste initialement retenue surgit, car il apparaît que Christophe Raumel, n'est pas radicalisé, ne l'a jamais été et qu'il n'avait pas connaissance du projet terroriste.

12 Clémence Witt : À la suite de cet interrogatoire, je fais ma première demande de remise en liberté, en juillet 2015. La stratégie à ce moment-là est double. D'abord la manifestation de la vérité : au regard du périmètre de sa participation, l'instruction doit conduire à une requalification des faits le concernant, d'une association de malfaiteurs terroriste criminelle (peine encourue 30 ans) à une association de malfaiteurs de droit commun (délit puni de 10 ans). Parallèlement, s'initie un long combat pour sa remise en liberté au regard de son rôle circonscrit et aussi de son état de santé, car un lymphome de Hodgkin est découvert. Sur ce double fondement, je vais me battre pour sa remise en liberté, que j'obtiens au bout de trente-neuf mois et pour cette requalification, qui interviendra au moment de la clôture de l'instruction, soit au bout de quatre ans. C'est le dossier d'instruction que j'ai le plus travaillé de ma vie, rendant visite à Christophe Raumel plus de ving-cinq fois au parloir et effectuant de nombreuses demandes d'actes, d'expertises médicales.

13 Les CDLJ - L'audience « masquée » : est-ce pour vous un problème ?

14 Hugo Lévy : Je n'ai pas de grief particulier contre les masques, à part qu'on ne voit pas les visages et expressions et qu'on perd quelque chose, mais je n'ai pas le sentiment d'avoir été brimé dans l'expression de notre défense.

15 Margot Pugliese : C'était pénible mais il fallait être pragmatique. Je me souviens mettre dit que ça devait être plus pénible pour les parties civiles et les accusés que pour nous. Après avoir entendu les témoignages bouleversants des parties civiles, je me suis dit qu'il était indigne de notre part de continuer à se plaindre de porter un masque. Eux avaient très bien réussi à s'exprimer, ils avaient fait preuve d'empathie et avaient communiqué de l'émotion tout en portant un masque.

16 Les CDLJ - Comprenez-vous que le Président vous autorise avant toute prise de parole à accéder au micro ?

17 Hugo Lévy : C'était plus compliqué pour les parties civiles que pour les avocats de la défense au vu de la disposition de la salle. Pour rebondir sur quelque chose de manière spontanée, on pouvait le faire quand même. Lorsque ce n'était pas spontané, le temps de latence entre le moment où on demande le micro et le temps où on l'obtient n'est pas inutile pour peser la pertinence de l'intervention.

18 Margot Pugliese : C'était désagréable mais ça restait des aspects pratiques. Ce qui m'a beaucoup plus dérangé dans cette audience, c'est la poursuite de conditions de détention extraordinaires et la façon dont les personnes détenues ont été traitées pendant tout le procès. J'ai fait plusieurs rapports d'incidents pour des fouilles indignes et disproportionnées au dépôt. Ça me bouleversait et ça entravait beaucoup plus à mon sens le travail de défense. Miguel Martinez était très tendu de ce fait. Ils avaient des fouilles jusqu'à des palpations très poussées de leurs parties intimes à chaque fois qu'ils entraient et sortaient du box. A chaque fois qu'ils allaient aux toilettes, ils devaient laisser la porte ouverte avec la surveillance d'un policier.

19 Camille Tardé : Pour les micros la difficulté était la rupture de l'égalité des armes avec le parquet qui n'avait pas, lui, besoin de demander l'autorisation au président. D'un point de vue de l'équilibre entre les parties et des droits de la défense, un tel dispositif pose une vraie difficulté : soit le Président doit activer les micros de toutes les parties, soit d'aucune.

20 Les CDLJ - L'enregistrement audiovisuel « pour l'histoire » a-t-il modifié votre comportement ?

21 Hugo Lévy : Pour moi les caméras n'existaient pas. Il y avait assez de monde comme ça pour être impressionné par le dispositif, on ne se posait pas en plus la question de la caméra.

22 David Apelbaum : On savait très bien comment marchait l'enregistrement audiovisuel pour raison historique, les caméras étaient indifférentes. Ce que j'ai trouvé plus compliqué à gérer c'était la lecture simultanée sur twitter de tout ce qui se passait à l'audience. J'allais sur twitter pour mesurer ce qui avait été compris par des personnes qui ne sont pas juristes et ne connaissent pas le dossier. Ça impactait beaucoup plus les débats. Je suis persuadé que les magistrats, avocats et parquetiers, quand ils rentraient le soir, relisaient les débriefs de France Inter, etc. Ça remet en perspective ce qui s'est dit pendant une journée. Ça impactait les débats parce que par exemple vous pouviez lire que tel avocat avait été mis en difficulté sur tel sujet alors que vous l'aviez au contraire trouvé très pertinent. Ça créé un doute. C'est toujours impactant même si on se répète que ce ne sont pas des juristes. Inversement, lorsque vous lisez qu'à tel moment le président a été ridiculisé de telle ou telle manière, vous espérez qu'il ne va pas s'offusquer qu'il ait été dit que pendant l'interrogatoire de votre client, il ait été ridiculisé.

23 Hugo Lévy : On percevait même les moments d'audience où les journalistes étaient partis. Ça changeait l'atmosphère, il n'y avait pas de compte rendu et pourtant c'était intéressant.

24 Margot Pugliese : Personnellement, j'ai été sensible aux comptes rendus d'audience sur France Inter ou sur Charlie Hebdo.fr, je les lisais à mon client. En revanche j'accorde peu d'intérêt à Twitter.

25 Camille Tardé : L'enregistrement pour l'histoire, on y pense le premier jour puis, très vite, on est rattrapé par l'audience et on oublie. En revanche, effectivement la présence de la presse presque en continu dans la salle d'audience et les live tweets ont pu avoir un impact sur les comportements. On avait conscience que chaque intervention serait reprise et on se rend compte parfois à la transcription que ce qu'on a voulu dire n'a pas été compris de la manière dont on l'entendait.

26 Les CDLJ - À l'audience, comment s'est passé votre relation avec les autres avocats, notamment ceux des parties civiles ? Vous vous êtes mis d'accord pour protester contre la visioconférence d'une personne absente.

27 Margot Pugliese : C'était exceptionnel et on a tous intégré qu'on était dans un procès antiterroriste. Comme c'est une juridiction d'exception, on savait tous que le risque était qu'il y ait des dérives et atteintes aux droits fondamentaux. Il était dans notre intérêt à tous que la justice soit bien rendue, sans dérives manifestes. Les parties civiles avaient conscience qu'il fallait que les accusés soient bien jugés.

28 David Apelbaum : Le débat s'est focalisé au début sur quelque chose qui n'était pas au cœur du problème avec la visioconférence. Ça a donné lieu à de grandes proclamations : « on va juger quelqu'un alors qu'il est enfermé dans sa cellule à distance ». On est d'accord que c'est un recul des droits et libertés, mais il y avait des choses pires qui se sont passées pendant les cinq années de l'instruction et dans lesquelles les parties civiles avaient mis la main. C'était un peu facile pour les parties civiles de se laver les mains de tout ça en s'opposant à la visioconférence qui est un cheval de bataille traditionnel du barreau. On avait des avocats de parties civiles qui cherchaient à faire du score et qui n'ont pas récupéré à mes yeux leur dignité en s'opposant à la visioconférence. Je peux comprendre que le parquet essaie d'avoir des peines et des chiffres, mais pourquoi l'avocat des parties civiles ? Il y avait d'ailleurs un décalage entre les parties civiles - très dignes qui cherchaient la justice - et leurs avocats qui voulaient faire du score et enfonçaient les personnes dans le box. Je ne l'ai pas plaidé parce que je me disais que ça ne passerait pas, mais je l'ai dit aux avocats concernés. Je me suis demandé qui mentait ? Qui ne faisait pas son travail ? Est-ce que ce sont les parties civiles qui viennent dire « je suis là pour la justice » mais qui en fait ne veulent qu'écraser les personnes qui sont dans le box parce qu'elles ont la haine et c'est normal ? Où est-ce que ce sont les avocats qui sont sortis du mandat donné par leur client et qui veulent faire du score, se faire Abbad, se faire Martinez et se faire Prévost ? Il y avait énormément de colère en moi sur ce sujet. Ce procès ne s'est pas déroulé dans des conditions dignes, la visioconférence ce n'était que la cerise sur le gâteau. Le vrai problème de l'histoire de la visioconférence - ce n'est pas d'y avoir recours - c'est d'avoir une intervention gouvernementale, de la puissance publique, dans ce procès en particulier. Mon client était favorable à la visioconférence, il voulait que ce procès se termine. Il a finalement accepté qu'on se joigne à la protestation pour dire « on ne veut pas que le gouvernement intervienne ». On peut peut-être rendre grâce à tout le monde - y compris les magistrats - de ne pas avoir voulu rajouter ce surcroît d'indignité.

29 Hugo Lévy : Le président avait demandé dans son ordonnance de désignation d'expert de vérifier la comptabilité avec la visioconférence pour certaines personnes, il savait qu'il y avait quelque chose qui se tramait du côté du gouvernement et il savait qu'il serait susceptible de l'utiliser. C'était ça aussi qui a permis aux avocats de se réunir sur un front commun.

30 Margot Pugliese : On a été face à des parties civiles particulières pendant ce procès. Les victimes chez Charlie Hebdo avaient un statut, un recul et peut-être une intelligence particulière sur la façon d'apprécier et d'aborder un procès. Cette union des parties civiles ne reflète pas la réalité des débats qui a eu lieu entre les avocats des parties civiles. Ils n'étaient pas tous sur la même ligne, j'ai eu vent d'échanges très vifs entre eux.

31 Clémence Witt : Je partage l'opinion de mes confrères sur le fait que parmi les avocats des parties civiles, certains faisaient excellemment bien leur travail mais que malheureusement d'autres n'étaient là que pour les caméras. En revanche, j'ai trouvé fondamental que l'on s'unisse tous contre la possibilité qu'un accusé comparaisse par visioconférence, car tant sur le fond que sur la forme, cette ordonnance nous semblait indigne et illégale.

32 Les CDLJ - Un moment fort selon vous dans ce procès ?

33 Margot Pugliese : Au début de l'audience, tous les journalistes venaient me voir pour me dire qu'ils n'aimeraient pas être à ma place parce que je représentais « le radicalisé » de l'affaire. Tout a basculé après son interrogatoire. La journée de son interrogatoire a été absolument déterminante. Son beau-père Patrick Vianna a été entendu. C'est lui dont le témoignage avait été l'élément à charge le plus important pendant l'instruction. Il était venu dire que Miguel Martinez regardait des vidéos de décapitations. Tout s'est effondré pendant l'audience quand M. Duchemin l'a interrogé. Ce dernier avait fait une lecture attentive du témoignage : son beau-père était manifestement raciste. M. Duchemin avait posé toutes les pierres pour qu'on puisse s'apercevoir que Patrick Vianna était raciste et qu'il racontait n'importe quoi. Donc mon intervention a été facilitée par la manière dont M. Vianna avait été interrogé par M. Duchemin. J'ai pu l'auditionner de manière libre et légère et tout s'est effondré, il a avoué qu'il ne l'avait jamais vu regarder une vidéo de décapitation. Ensuite il y a eu le témoignage de sa femme et de son frère. Tout le monde a pu prendre conscience de l'environnement de Miguel Martinez. Tout a changé ce jour-là.

34 David Apelbaum : Il y a eu plusieurs moments forts. Tout le monde a été marqué par les témoignages des victimes et toujours certaines plus que d'autres. Moi celui qui m'a marqué, c'est le témoignage de Lilian Lepère qui est resté planqué sous l'évier pendant huit heures dans l'imprimerie pendant que son patron parlait aux frères Kouachi. Le moment où il a commencé à raconter tout ce qu'il s'était imaginé faire à ce moment-là s'il survivait à cette journée, c'est encore quelque chose quand j'y pense qui me secoue énormément. En terme d'émotion, il y a eu d'autres moments pendant les interrogatoires des accusés. Les témoignages des proches de Miguel Martinez ont été touchants aussi et d'autant plus que c'était important pour la défense de mon propre client. Enfin, même si ce n'est clairement pas le moment le plus agréable du procès, l'un des moments les plus forts ce fut les réquisitions. Ça a été de la peur et de l'adrénaline, du choc par rapport à la façon dont les réquisitions ont été faites. Ces réquisitions étaient choquantes. Ça a d'ailleurs était un exemple rare en matière de terrorisme où il y a une si grande différence entre peine requise et peine prononcée sans qu'il y ait d'appel ensuite. En matière correctionnel parfois vous avez huit ans requis, vous prenez sept ans et vous avez un appel. Là Miguel Martinez avait quinze ans requis, il prend sept ans et il n'y a pas d'appel. Il faut mesurer ce que c'est.

35 Margot Pugliese : Il y a quelque chose qui me semble toujours très étonnant, c'est la différence entre la façon dont on apprécie les charges et les personnalités, l'instruction et l'audience. Dans ce dossier il y a une différence telle par rapport à la façon dont on a traité Miguel Martinez pendant l'instruction - et notamment pendant les audiences à la chambre de l'instruction où c'était d'une violence inouïe - puis la façon dont il a été considéré à l'audience.

36 David Apelbaum : Il y avait des moments où on avait l'impression que certains points étaient acquis pendant l'instruction et plus à l'audience, comme la radicalisation de Martinez. C'est déroutant, surtout quand on sait qu'on a le même parquet.

37 Hugo Lévy : Je distingue trois moments forts : du point de vue de l'émotion, du point de vue du spectaculaire et du point de vue de ce qu'est la cour d'assises et de ce qu'elle peut être quand elle arrive à atteindre son essence ou sa finalité. Sur l'émotion, évidemment les parties civiles et en particulier la femme d'une victime à l'hyper cacher, heureusement que j'avais mon masque et de la buée sur mes lunettes. Je n'ai pas pu retenir mon émotion quand elle racontait qu'elle avait renvoyé son mari à l'hyper-cacher. Du point de vue spectaculaire : l'audition de Peter Shérif. C'était de la mise en scène, il s'était préparé. C'était la preuve que le réel est toujours plus fort que la fiction. Aucun réalisateur de film ne pourra jamais restituer ce qui s'est passé dans la cour d'assises, quand il a pris la parole et qu'il a glacé tout le monde. Il a permis à tous de se rendre compte du décalage entre les accusés et des personnages tels que lui. L'autre moment fort, j'ai eu le sentiment qu'avec des assises très longues, s'est presque créée une forme d'intelligence collective. On anticipait la façon de poser les questions des uns et des autres. Je parle de l'audition d'un témoin qui n'a pas été poursuivi mais qui aurait pu l'être. Il avait tripatouillé des adresses internet. Il arrive en qualité de témoin. On était face à quelqu'un qui était à la frontière : intelligent mais avec des soucis d'identité. Tout le monde avait compris à ce moment-là qu'on était face à quelqu'un qui était à la marge, qui pouvait passer d'un côté ou de l'autre. À ce moment-là du procès, les questions du président étaient presque teintées de l'idée qu'il ne fallait pas provoquer les parties civiles. Les questions des parties civiles étaient presque teintées de l'idée qu'il ne fallait pas provoquer la défense. Le parquet n'a pas posé beaucoup de questions et tout le monde a voulu dire à ce jeune homme : c'est la dernière fois que vous franchissez les portes d'une cour d'assise spéciale. Je peux me tromper, mais là j'ai eu le sentiment qu'il y avait quelque chose de collectif.

38 Camille Tardé : Deux moments que je retiens et qui m'ont marquée. D'abord les auditions de certaines parties civiles et notamment les témoignages des survivants tant de Charlie Hebdo (comme Sigolène Vinson ou Corinne Rey) que de l'Hyper Cacher. C'est aussi ce qui a le plus bouleversé Christophe Raumel, il était en larmes et leurs mots l'ont beaucoup fait réfléchir. Puis le moment où ont été projetées les caricatures. Il y a eu un moment de réunion entre tout le monde : parties civiles, défense, accusés et victimes. Tout le monde a éclaté de rire en regardant ces caricatures. Au-delà d'un beau moment d'audience, c'était un moment de grande humanité, avec quelques instants de communion qui n'ont été possibles que parce que la plupart des accusés n'étaient pas radicalisés.

39 Les CDLJ - Comment définiriez-vous votre conception de la défense et sa mise en œuvre dans le procès ?

40 David Apelbaum : Il y a un point particulier avec le terrorisme islamiste : il est perçu en France comme une attaque exogène contre la société et ses fondements. Il est donc impossible d'en faire un débat de société où on pourrait dire « leur attitude est excessive mais justifiée » comme ce fut le cas pour le terrorisme de l'extrême gauche et comme ce sera surement le cas avec le terrorisme de l'extrême droite où on entendra - vous verrez - que même s'il ne fallait pas passer à l'acte, on peut comprendre qu'avec tout ce qui se passe, certains veulent prendre les armes. C'est une défense qu'on ne peut pas faire en matière de terrorisme islamiste. On est obligé d'être dans une distanciation totale vis-à-vis de l'idéologie, soit en disant « je n'ai jamais été radicalisé », soit en disant « je ne le suis plus, j'ai compris mon erreur et je regrette profondément ». On est donc majoritairement sur des débats matériels. Les dossiers dans lesquels on a quelqu'un qui a été radicalisé et qui dit « je ne le suis plus », souvent cette défense je la trouve bas de gamme. Ce n'est pas une critique envers l'avocat qui n'a pas le choix, c'est plutôt une critique envers ce qu'attendent les juges. Les juges veulent qu'on leur explique de façon bête « ce que j'ai fait c'est très mal, ce n'est pas bien de couper des têtes » et j'ai déjà vu des hypothèses où l'accusé essayait vraiment de comprendre pourquoi il en était arrivé là et le juge lui répondait en face « Non, mais là monsieur, vous essayez d'intellectualiser ». C'est un petit peu le « Manuel Valls » : expliquer c'est déjà commencer à excuser. Donc il vaut mieux avoir une défense matérielle : expliquer qu'il n'était pas là, que ce n'est pas lui, qu'il n'est pas radicalisé en disant « regardez les preuves matérielles que je vous amène ». Quand on a une défense matérielle, on est dans un débat normal, mais dès qu'on est dans une défense qui tente de justifier, on n'est plus audible. La seule défense valable en matière de terrorisme est forcément classique et matérielle et lorsque vous avez un « vrai » terroriste, il n'y a pas de défense possible.

41 Margot Pugliese : Je distingue la défense à l'instruction et la défense à l'audience. À l'instruction la place du fantasme et la place du caractère terroriste de la procédure étaient trop dangereux pour Miguel Martinez et je ne pouvais pas lui conseiller d'évoquer son implication réelle. S'il avouait certaines choses, il allait être englouti par l'aspect terroriste du dossier et ça allait prendre des proportions énormes. Je ne pouvais pas prendre ce risque-là. On a avancé à vue pendant l'instruction. Cependant lorsqu'on a préparé l'audience, j'ai expliqué à Miguel Martinez - et il a tout de suite compris - qu'il ne pouvait pas ne pas reconnaître son implication au moins pour certaines choses mineures, parce que sinon les magistrats allaient le penser menteur sur tout et développer des fantasmes. Il fallait donc qu'il puisse dire ce qu'il avait fait de manière audible, chronologique et précise. Ce n'est pas facile dans un dossier comme ça pour un accusé d'être transparent sur son implication. J'avais la certitude que s'il restait sur son positionnement de l'instruction ça allait être terrible parce que tout le monde penserait qu'il cachait quelque chose de beaucoup plus gros. Donc la défense de Miguel Martinez elle a été particulière par rapport à d'autres défenses que j'ai pu produire en matière de terrorisme parce que j'avais un client qui n'était pas radicalisé mais qui était susceptible de provoquer des fantasmes chez les magistrats du parquet et de l'instruction. L'avantage qu'on a eu, c'est que les avocats généraux ont écrit leur thèse en indiquant que Miguel Martinez avait été le point d'entrée dans l'association de malfaiteurs des frères Kouachi. Donc ils sont venus le voir parce qu'il était selon eux radicalisé. Tout l'aspect terroriste du volet « Charleville-Mézières » était construit autour de Martinez, donc le fantasme était réel. J'ai pu déconstruire ce fantasme à l'audience parce qu'il était écrit.

42 Hugo Lévy : Willy Prévost a reconnu les éléments matériels dès la garde à vue à un stade où nous n'étions pas. En revanche, il niait l'intentionnalité. Donc c'était une position idéale pour essayer de développer un principe auquel je crois : « nul n'est méchant volontairement ». Ce garçon n'avait aucun élément de son âme qui souhaitait la réalisation d'un tel massacre, donc la stratégie était de tenter de montrer ça. Ce n'est pas vrai dans tous les dossiers. Quand se pose la question de l'idéologie avec quelqu'un qui considère que la sienne est supérieure, c'est compliqué. Ici, la question ne s'est pas posée. Même si je pense qu'en creusant le principe « nul n'est méchant volontairement », on doit pouvoir trouver la réponse dans tous les cas.

43 Camille Tardé : À la différence des autres accusés, Christophe Raumel ne comparaissait pas pour terrorisme mais pour un délit connexe, une association de malfaiteurs de droit commun. Comme pour Willy Prévost, il avait reconnu ce qu'on lui reprochait dès le stade de la garde à vue et l'intention terroriste n'avait pas été retenue à l'issue de l'instruction. Donc l'enjeu pour nous était de conserver cette qualification avec toute la relativité qu'il peut y avoir pendant les assises, surtout quand elles sont aussi longues.

44 Les CDLJ - Avez-vous eu le sentiment d'être à « égalité des armes » avec le parquet ? Avez-vous eu le sentiment qu'il a requis en cohérence avec ses convictions ?

45 Margot Pugliese : J'étais désespérée le jour des réquisitions. Ils étaient tellement certains de leur thèse et n'ont donc pas participé à l'audience. Ça a beaucoup choqué M. Martinez qui ne comprenait pas pourquoi le parquet ne lui avait posé aucune question sur sa radicalisation alors que ça faisait quatre ans qu'on lui reprochait d'être radicalisé. Ils n'ont rien dit même lorsque la thèse de la radicalisation s'est effondrée. Ils sont même allés plus loin que s'attacher à cet aspect parce qu'ils ont développé de nouvelles thèses en soutien de leur thèse générale pour faire tenir leurs réquisitions. Ces nouvelles thèses elles venaient de nulle part, elles n'avaient jamais été évoquées à l'audience. Au moment du réquisitoire, ils ont brodé pour tenir leurs réquisitions quoi qu'il en coûte.

46 David Apelbaum : Je ne suis pas persuadé que le parquet ait requis complètement en fonction de ses convictions. Je pense même que c'est exactement le contraire. Il y a eu une théorie qui a été mise en place à la base et quand le parquet s'est lancé dans l'écriture du réquisitoire, il y a eu une discussion collégiale, puis ils se sont tenus à l'objectif du réquisitoire qui était de faire condamner les personnes retenues en 2018 : c'est devenu théologique. En 2018 j'ai eu l'impression que le parquet a arrêté d'enquêter. Ils se sont dit qu'à défaut de faire condamner les coupables, il fallait faire condamner ceux-là, ceux qu'ils avaient à ce moment-là. C'est le sentiment que j'ai eu. Ils n'ont écouté l'audience que sous un seul angle : « quelle faiblesse pour ma réquisition écrite, comment je vais devoir l'adapter à l'oral ? ». D'où l'invention de nouvelles thèses. Ils ne se sont pas demandé : « qu'est-ce que cette audience révèle du dossier ? ».

47 Margot Pugliese : Là où c'était choquant c'était que toute leur association de malfaiteurs terroriste tenait sur la radicalisation de Miguel Martinez, or cette radicalisation s'était effondrée à l'audience. Ils ne pouvaient pas faire comme si cet élément-là ne s'était pas effondré dans leur réquisition. Je trouve ça désespérant qu'ils aient dit par la suite qu'ils étaient satisfaits du verdict. Parce que je ne comprends pas comment on peut se lever et requérir quinze ans avec deux tiers de sûreté pour la condamnation d'un homme pour association de malfaiteurs terroriste et se dire qu'on est satisfait quand il est condamné à une peine de sept ans pour association de malfaiteurs de droit commun. Comment soutenir dans ce cas des choses pour lesquelles ils n'étaient pas totalement convaincus ?

48 David Apelbaum : C'est grave ce qu'ils font. Cependant je ne jette pas la pierre aux personnes. On ne fait pas le même travail. Ce ne sont pas les mêmes pressions. Nous on a choisi d'être avocat et d'avoir une liberté complète sur les choses auxquelles on croit. Il y a tellement d'intérêts et d'enjeux qui ont dû entrer en considération ici. L'institution est condamnable mais pas forcément les personnes, contrairement aux ressentiments que j'ai pu avoir pour certains avocats des parties civiles.

49 Hugo Lévy : L'égalité des armes impliquerait une unité de lieu du combat. Or ici le lieu du combat n'a pas été le même pour nous et pour le parquet. Nous n'avons pu présenter notre défense qu'au moment de l'audience alors que toute l'influence du parquet a joué en amont, à tel point qu'il n'a pas considéré comme nécessaire d'intervenir pendant l'audience.

50 Les CDLJ - D'une manière générale quelle est votre appréciation sur la cour d'assises sans jury ?

51 Hugo Lévy : Personnellement, j'ai des assises qui arrivent bientôt et je suis bien plus terrorisé par un jury populaire que par un jury professionnel.

52 Margot Pugliese : Moi je n'étais pas rassurée. Je ne pensais pas qu'une cour d'assises spécialement composée pouvait rendre une décision aussi satisfaisante. Je pense que c'est plutôt un alignement des planètes et notamment la place de la presse qui a permis cela. Je sais comment se sont passés d'autres procès avec d'autres assises spécialement composées et je ne peux pas me résoudre à dire que c'est forcément magique.

53 Les CDLJ - Quelle fut la perception par votre client du procès et du verdict de la cour ?

54 Margot Pugliese : Des parties civiles sont venues voir Miguel Martinez spontanément dans le box pour lui dire qu'elles le soutenaient et qu'elles le croyaient. C'était émouvant. Une proche de Charb a même écrit un long texte à Martinez. La veuve de Bernard Maris est venue le voir également et enfin Sigolène Vinson. Martinez a enlevé son masque en lui disant « Je veux que vous me croyiez et que vous voyiez mon visage ». Elle a aussi enlevé son masque, elle l'a regardé dans les yeux et elle voulait aussi qu'il voit son visage. Il faut savoir que les proches des détenus n'avaient pas de place dans la salle. Donc le soutien des parties civiles a été très important. C'était fort pour Miguel Martinez que les parties civiles - alors qu'on lui reprochait d'avoir causé la mort de leurs proches - viennent le voir. Il a su saisir sa journée interrogatoire pour s'exprimer. Il a fait le choix de faire une longue déclaration spontanée, craignant d'être renvoyé un peu à ses auditions en garde à vue et d'être enfermé à ce qu'il avait dit pendant l'instruction. La cour l'a écouté et dans la façon dont a été interrogé Patrick Vianna, il a compris que la cour était sensible et pas uniquement à charge.

55 Les CDLJ - Vous et votre client, avez-vous été satisfaits de cette audience ?

56 Camille Tardé : Pour Christophe Raumel ça a été un immense soulagement : il ne retournait pas en prison et il n'était définitivement pas considéré comme terroriste. C'est une page longue et douloureuse qui s'est achevée avec ce verdict.

57 Margot Pugliese : Immense soulagement pour Miguel Martinez du fait de la requalification. En revanche, la peine il l'estime juste mais lourde. Même s'il a eu très peur de prendre quinze ans de prison. La requalification pour lui c'était lui rendre sa dignité. Il l'a ressenti dans le délibéré et par ce qui s'est passé pendant l'audience. Le qualificatif de « terroriste » avait été particulièrement prégnant pour lui. La presse locale avait été extrêmement virulente à son égard et avait fait s'effondrer sa vie sociale et presque sa vie familiale. Avec cette déqualification, Miguel Martinez a arrêté de survivre et a pu recommencer à vivre.

58 David Apelbaum : Du côté d'Abdelaziz Abbad, il y avait plusieurs choses. La satisfaction vient également de la requalification plus que de la peine. Une peine de dix ans reste lourde pour les faits reprochés. Après, il est dans une situation particulière puisqu'il a déjà une peine définitive de réclusion criminelle de vingt-cinq ans. Les enjeux étaient donc différents que pour les autres accusés parce que le droit français est fait de telle façon qu'il peut obtenir une confusion de peine à hauteur de trente ans, peu importe s'il était condamné à dix-huit ans ici et tant que ce n'est pas de la perpétuité. On va donc présenter une demande prochainement pour qu'il y ait une confusion totale de peine, c'est-à-dire vingt-cinq ans, mais il a déjà automatiquement que trente ans. Donc qu'il prenne dix ans ou dix-huit ans, le peine est la même finalement pour lui. En revanche, il a été soulagé de ne pas être qualifié de « terroriste » parce que sa peine de vingt-cinq ans aurait considérablement été différente, notamment pour ce qui est de l'aménagement de peine. S'il prend dix ans avec qualification terroriste ou s'il prend dix ans sans qualification terroriste, là en revanche ça fait une vraie différence, probablement une question de sept ou huit ans de plus en pratique en prison. C'est quelqu'un d'intelligent qui connaît la justice - comme Miguel Martinez d'ailleurs, ce sont des gens qui se rendent compte quand il y a une injustice - et ici, il a été satisfait à l'issue de l'audience.

59 Hugo Lévy : Globalement un soulagement parce que les réquisitions étaient lourdes. Néanmoins, en ce qui me concerne un regret : parce que je ne suis pas d'accord avec la vision en droit de l'intention de participer à une organisation terroriste. Je comprends qu'avec cette définition la cour ait retenue le critère de proximité. Je regrette de ne pas avoir réussi à démontrer qu'on peut être proche de quelqu'un sans avoir conscience de ce qui est en train de se tramer. Pour terminer, je dirais que pour Willy Prévost, ce procès a été quelque chose de très particulier, comme si c'était la première fois que la puissance publique lui accordait autant d'importance. D'un point de vue pédagogique, de géopolitique, culturellement et historiquement, il a appris des choses. Ça restera, même si c'est tragique de se dire qu'il fallait que ce garçon - qui vient des quartiers les plus défavorisés de l'île de France - se retrouve dans une procédure criminelle pour intéresser quelqu'un et voir autant de gens dire des choses intéressantes sur des sujets aussi variés.


Date de mise en ligne : 22/09/2021

https://doi.org/10.3917/cdlj.2102.0237

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