Notes
-
[1]
C. Guarnieri, P. Pederzoli La magistratura, Bari, Laterza, 2002.
-
[2]
L. Morlino, Democracy between consolidation and crisis, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; A. Bosco, L. Morlino (eds.) Party Change in Southern Europe, London and New York, Routledge, 2007.
-
[3]
Justicia Democratica, Los jueces contra la dictadura. Justicia y politica en el franquismo, Madrid, Tucar, 1978 ; P. Diaz Sanchez (ed.), Los jueces contra el franquismo : Justicia Democratica, Madrid, Maia, 2016.
-
[4]
R. Serra Cristobal, « El derecho de asociacion de los jueces : asociacionismo profesional y asociacion del juez a asociaciones no profesionales », Revista Espanola de Derecho Constitucional, 2008, 83, p. 115-145.
-
[5]
Voir le site internet de l'association JpD (http://www.jueces-democracia.es/asociacion/autobiografia.html.)
-
[6]
Voir le site de l'AFV (http://www.ajfv.es/inicio/quienessomos.html.)
-
[7]
Voir le site de l'APM (http://www.apmnacional.com/2014/03/historia-de-la-apm.html.)
-
[8]
P.-J. Castillo Ortiz, Grupos de interés y Poder Judicial : las asociaciones de jueces, las asociaciones de fiscales y los colegios de abogados en Espana, XI Congreso AECPA, Sevilla, 18-20 sept. 2013.
-
[9]
Les dernières données disponibles. Source : P.-J. Castillo Ortiz, op. cit., 2013.
-
[10]
J. Bell, Judiciaries within Europe : a comparative review, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.
-
[11]
A. Nieto, El malestar de los jueces, Madrid, Trotta, 2010.
-
[12]
Box. 8, Art. 3 des statuts de l'APM : http://www.apmnacional.com/2014/01/estatutos.html
-
[13]
Box. 9 : Art. 2 des statuts de l'AFV ; http://www.ajfv.es/inicio/estatutos.html
-
[14]
Box. 10, Art. 2 des statuts du JpD ; http://www juecesdemocracia.es/asociacion/estatutos/estatutos.htm
-
[15]
De 1994 à 1996, il a occupé simultanément les fonctions de ministre de la Justice et de l'Intérieur, devenant en quelque sorte un « super ministre ».
-
[16]
Q. Tomas-Valiente, P. Pardo, La justicia y sus punetas nueva antologia del disparate judicial, Barcelona, Plaza & Janés editores, 2015.
1En Espagne, le rôle de la magistrature a été l'objet d'études de la part de nombreux politistes et sociologues. Ceux-ci se sont intéressés aux enjeux sous-jacents aux réformes judiciaires et transformations du régime politique, en incluant dans leurs analyses la magistrature ordinaire et la justice constitutionnelle, ces piliers de la démocratie et des systèmes de gouvernance fondés sur la primauté de la règle, par opposition à celle du pouvoir arbitraire. En questionnant la relation entre démocratie et magistrature dans une perspective comparatiste (mais avec l'Europe du Sud pour ancrage), ils ont su mettre en évidence, d'une part, l'importance du lien entre culture judiciaire et structure de gouvernance, d'autre part, l'existence de deux modèles : l'un, latin, fondé sur un organe de gouvernance autonome composé par une majorité de magistrats élus par leurs pairs, l'autre, continental, adossé au ministère de la justice [1].
2L'Espagne relève nettement du premier modèle, et ce pour des raisons historiques évidentes : non seulement les pères de la nouvelle Constitution (1978) ont souhaité soustraire la magistrature aux influences du pouvoir gouvernemental, mais par ailleurs la transition vers la démocratie a été marquée par une très forte continuité des personnels et des politiques publiques [2]. Aussi la magistrature et son syndicalisme ont-ils été traversés, depuis lors, par une triple ambition : reconquérir une identité propre et autonome, se défendre face aux critiques (des citoyens notamment) et préserver le pluralisme idéologique en son sein. En témoigne son implication grandissante dans l'espace public, notamment depuis la loi de 2007, dite de « mémoire historique », tendant à la reconnaissance et à la réhabilitation des victimes de la Guerre civile et de la dictature de Franco. Certes le taux de syndicalisation des magistrats ibériques reste modéré, mais leur visibilité institutionnelle - et même médiatique - n'en est pas moins grandissante.
3En Espagne, les associations judiciaires ont connu des hauts et des bas en raison des transformations du système politique. Dans les années 1970, les premiers groupements de magistrats ont oeuvré dans la clandestinité, avec l'ambition de s'opposer au régime de Franco et de promouvoir une démocratisation des institutions judiciaires (et du pays en général). À cet égard, Justicia Democratica a joué un rôle particulier dans le processus de transition, comptant à elle seule 10 % des membres de la magistrature : juges, procureurs et secrétaires judiciaires de l'époque. Avant de disparaître en 1978 (lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution), elle a ainsi participé à la Coordination Democratica et inspiré autant l'Asociacion Jueces para la Democracia (JPD) que l'Union Progresista de Fiscales (FPU) [3].
Perfecto Andres Ibanez, magistrat au Tribunal Supremo
4Après l'instauration de la démocratie, le statut de la magistrature et du Consejo General del Poder Judicial (CGPJ) a fait l'objet de garanties renforcées et encadrées au niveau constitutionnel. L'article 127 de la Constitution a ainsi interdit aux juges et procureurs d'appartenir aux partis politiques comme aux syndicats, mais il a permis aux associations judiciaires de se former et a reconnu expressément à la loi la tâche de définir un cadre juridique à celles-ci. Cette mesure a fait l'objet d'une discussion approfondie - et animée - dans le cadre d'une « round table » constitutionnelle, mais les experts invités au débat ont considéré que les convergences nécessaires avaient pu être trouvés pour dépasser les réticences initiales et prendre en compte les préoccupations de chacun ; en particulier s'agissant du rôle politique joué par Justicia Democratica au cours de la hase transitionnelle [4].
5Les dispositions constitutionnelles ont été mises en oeuvre par deux textes législatifs : d'abord la loi organique. (Ley Organica) de janvier 1980 relative au CGPJ, d'autre part, la loi organique de juin 1985 relative au pouvoir judiciaire, qui a introduit une série d'exigences concernant la reconnaissance officielle des associations de juges professionnels, magistrats et procureurs. La définition de ce cadre juridique a conduit à la marginalisation des groupes les plus progressistes et à la création de nouvelles formes d'association : dans un premier temps, à partir des courants des organisations existantes (asociaciones de Fiscales essentiellement), puis, en tant que structures indépendantes à la suite du Congrès de 1984.
6Les raisons qui ont conduit à la scission entre associations professionnelles se trouvent exposées sur leurs sites institutionnels respectifs. Ainsi, celui du JpD indique que « Jueces para la Democracia est né d'un courant de l'Asociacion Profesional de la Magistratura (APM), après une gestation longue et laborieuse (...). Entre 1980 et 1983, sa frange progressiste a [de fait] connu une véritable « traversée du désert », car la structure « mère » fonctionnait sur le principe majoritaire et était réfractaire au pluralisme. (...) Nous prêchions dans le vide, nous constituions un mirage » [5]. À en croire le site de l'AFV (Asociacion de Jueces Francisco de Vitoria), « le 10 Janvier 1984, un groupe de juges appartenant à l'APM s'est décidé à former un mouvement interne prenant le nom de Francisco de Vitoria. (...) Cependant, après le quatrième Congrès de l'APM, qui devait interdire le développement de courants, le groupe fut contraint de se dissoudre et d'initier la création d'une nouvelle association » [6]. Enfin, si l'on en juge par le site de l'APM : « Dès ce moment [de divisions], les médias ont commencé à considérer l'associationnisme comme largement conservateur, en dépit du rejet explicite par ses différentes composantes de toute appartenance idéologique et de leurs revendications communes à davantage d'indépendance. [Ainsi,] JpD était un mouvement perçu comme progressiste, mais [on estimait que] certains de ses membres ne poursuiv[ai]ent pas un idéal de neutralité ; bien que dégrossi idéologiquement, le juge y était naturellement de gauche. L'AFV [était pour sa part] difficile à placer [sur l'échiquier idéologique], étant donné ses déclarations confuses. [Son positionnement était certes] centriste, mais il était composé de personnes proches du Parti socialiste » [7].
7À l'heure actuelle, il y a huit associations professionnelles : cinq pour les magistrats du siège et trois pour les magistrats du parquet. Cette division correspond clairement à la séparation rigide des carrières qui caractérise le système judiciaire espagnol ; les tableaux ci-dessous rappellent quels sont les noms, initiales et années de fondation de ces organisations (Tab. 4-5).
Tableau 4. Associations des magistrats du siège
Tableau 4. Associations des magistrats du siège
Tableau 5. Associations des magistrats du parquet
Tableau 5. Associations des magistrats du parquet
8Contrairement à la situation qui prévaut dans certains pays européens, le taux d'association en Espagne est faible (50 % des juges et 34 % des procureurs) [8]. En outre, les associations ont toujours eu un « poids » très différent, à la fois au sein de leurs communautés professionnelles et par rapport à la capacité d'interagir avec les institutions et les forces politiques. Au-delà de la représentativité de chacune (cf. les tableaux 6 et 7 ci-dessous...), un trait frappant est enfin l'équilibre relativement constant qui a su être maintenu au sein du CGPJ sur la période 2005-12 [9] (si l'on excepte le premier semestre 2007, qui enregistre une distorsion entre AFV et JpD).
Tableau 6. Répartition des magistrats du siège
Tableau 6. Répartition des magistrats du siège
Tableau 7. Répartition des magistrats du parquet
Tableau 7. Répartition des magistrats du parquet
9Malgré un taux de syndicalisation faible, ces structures ont eu - et ont encore, bien que d'une manière différente - un rôle fondamental dans les évolutions du système politique espagnol [10]. Jusqu'à une date récente, elles avaient une orientation politique et idéologique claire, épousant, grosso modo, la bipartition PP/PSOE (Parti populaire/Parti socialiste espagnol) [11]. L'existence d'un lien entre les associations et ces partis était évidente, en particulier dans le processus de nomination des juges au sein du CGPJ. Cette situation a toutefois partiellement changé sous l'effet conjugué de la nouvelle donne politique et de l'émergence de nouvelles associations.
10 À cet égard, les statuts des principales associations de magistrats du siège et du parquet sont très éclairantes ; particulier en ce qui concerne leurs conceptions des relations entre la magistrature, la société et les institutions de l'État.
11 L'APM a ainsi pour objectifs de : 1/ défense et promouvoir les principes, les droits et libertés consacrés par la Constitution ; 2/ faire des propositions appropriées pour accroître l'efficacité de l'administration de la justice (...) ; 4/ défendre et protéger les intérêts et les droits professionnels de ses membres, et plus généralement, les membres du pouvoir judiciaire (...) ; 6/ promouvoir les candidats aux nominations des bureaux, conformément aux dispositions de la législation applicable » [12].
12 L'AFV, pour sa part, a pour ambition de : 1/ défendre et promouvoir les valeurs et les principes constitutionnels ; 2/ renforcer la justice afin de servir la communauté ; c) assurer l'indépendance judiciaire ; 3/ renforcer l'inclusion des juges dans la réalité sociale ; 4/ préserver et faire valoir les intérêts professionnels de ses membres » [13].
13 Quant au JpD, ses objectifs sont de : 1/ contribuer de manière décisive à la promotion des conditions de mise en oeuvre effective des valeurs de liberté, justice, égalité et pluralisme politique (...) 5/ promouvoir le contrôle, démocratique du pouvoir judiciaire (opinion publique et organes directeurs de l'appareil judiciaire) et garantir le principe de transparence (...) 6/ préparer des propositions de réforme organique et de procédure, rendre l'administration judiciaire la plus proche des citoyens, plus compréhensible, plus rapide et plus efficace, au moyen d'une participation populaire accrue, moins hiérarchique, plus indépendante, et finalement plus démocratique » [14].
14 D'une manière générale, les associations espagnoles ont toujours été très actives, intervenant régulièrement, tant au niveau local, dans les communautés autonomes, qu'au niveau national, pour réclamer notamment des ressources visant à rendre plus efficace l'exercice de la fonction judiciaire ; jamais elles n'ont d'ailleurs manqué de faire entendre leur voix au cours de la discussion des projets de réforme.
15 Au fil du temps, plusieurs juges impliqués sur la scène publique ont eu un rôle de premier plan, les gratifiant d'une popularité indéniable. Certains d'entre eux sont devenus administrateurs de la CGPJ, juges au Tribunal constitutionnel, ou bien se sont lancés dans une carrière politique (devenant, pour les uns, parlementaires au sein de la Communauté autonome ou de l'Assemblée législative nationale, pour les autres, membres des gouvernements). À cet égard, l'exemple le plus connu est sans conteste celui de Juan Alberto Belloch qui, après avoir été l'un des premiers porte-parole du JpD, a occupé un certain nombre de positions en vue : au sein du CGPJ, puis comme ministre de la Justice, ministre de l'Intérieur [15], sénateur et maire de la ville de Saragosse [16].
16 L'interaction entre associations et Gouvernement a souvent été vivace, notamment à l'occasion des modifications de la loi organique relative au CGPJ, de l'introduction de la nouvelle Ley de civil, de la réorganisation de la Ley pénal et de la Nueva Oficina judicial. Cependant, ces discussions n'ont jamais donné lieu à des conflits ouverts, et pour tout dire, extrêmement virulents entre associations professionnelles.
17 La situation a cependant changé de façon spectaculaire au début de l'année 2009, avec la première grève nationale de la justice, promue par l'AFV et le Foro Judicial Independiente (FJI) afin de protester contre le manque de moyens. Après l'exercice biennal 2012-2014, on a même pu constater une augmentation significative des conflits entre associations et chancellerie (précisément sous le mandat de Gallardon, ministre de la Justice). En opposition aux réformes proposées par le gouvernement Rajoy (notamment en ce qui concerne la nomination des membres du CGPJ, mais aussi le statut professionnel des juges ou les frais de justice) s'est formé un comité à la croisée de diverses associations ; comité qui les a toutes réunies, à l'exception de l'Asociacion National de Jueces (ANJ).
18 Ce comité a élaboré un manifeste de protestation et organisé des rencontres auxquelles ont participé des représentants des secrétaires judiciaires et des avocats. Leurs actions ont abouti à une deuxième grève générale, qui s'est tenue le 20 février 2013 et à laquelle toutes les associations avaient apporté leur soutien (à l'exception de l'APM et de l'Asociacion de Fiscales-AF ; selon les organisateurs, 62 % des juges et des magistrats espagnols avaient signé l'appel).
19 Au-delà des revendications, de leurs motifs et des effets des protestations, cette phase a mis en évidence une transformation notable au sein des associations judiciaires espagnoles, dont seul l'avenir dira si elle est temporaire ou non : au-delà du rapprochement - symbolique s'il en est - entre les différents acronymes de ces associations, les principales d'entre elles (APM, JpD, AFV et IJF) ont en effet mis au point, en décembre 2015, une proposition commune afin d'encourager un « Pacte d'État » ; pacte qui stipule que la justice est une priorité, au même titre que l'éducation et la santé. Ce document, divisé en neuf points, est fondé sur l'idée qu'il est impératif de nouer un dialogue approfondi entre les forces politiques et les praticiens du droit, de développer une réforme globale du système judiciaire espagnol, capable de garantir l'autonomie de la magistrature, et d'assurer un service public de qualité, protecteur des droits des citoyens. L'incertitude des derniers mois a cependant gelé le débat avec le Gouvernement, qui pourtant a la charge de l'organiser formellement...
Notes
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[1]
C. Guarnieri, P. Pederzoli La magistratura, Bari, Laterza, 2002.
-
[2]
L. Morlino, Democracy between consolidation and crisis, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; A. Bosco, L. Morlino (eds.) Party Change in Southern Europe, London and New York, Routledge, 2007.
-
[3]
Justicia Democratica, Los jueces contra la dictadura. Justicia y politica en el franquismo, Madrid, Tucar, 1978 ; P. Diaz Sanchez (ed.), Los jueces contra el franquismo : Justicia Democratica, Madrid, Maia, 2016.
-
[4]
R. Serra Cristobal, « El derecho de asociacion de los jueces : asociacionismo profesional y asociacion del juez a asociaciones no profesionales », Revista Espanola de Derecho Constitucional, 2008, 83, p. 115-145.
-
[5]
Voir le site internet de l'association JpD (http://www.jueces-democracia.es/asociacion/autobiografia.html.)
-
[6]
Voir le site de l'AFV (http://www.ajfv.es/inicio/quienessomos.html.)
-
[7]
Voir le site de l'APM (http://www.apmnacional.com/2014/03/historia-de-la-apm.html.)
-
[8]
P.-J. Castillo Ortiz, Grupos de interés y Poder Judicial : las asociaciones de jueces, las asociaciones de fiscales y los colegios de abogados en Espana, XI Congreso AECPA, Sevilla, 18-20 sept. 2013.
-
[9]
Les dernières données disponibles. Source : P.-J. Castillo Ortiz, op. cit., 2013.
-
[10]
J. Bell, Judiciaries within Europe : a comparative review, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.
-
[11]
A. Nieto, El malestar de los jueces, Madrid, Trotta, 2010.
-
[12]
Box. 8, Art. 3 des statuts de l'APM : http://www.apmnacional.com/2014/01/estatutos.html
-
[13]
Box. 9 : Art. 2 des statuts de l'AFV ; http://www.ajfv.es/inicio/estatutos.html
-
[14]
Box. 10, Art. 2 des statuts du JpD ; http://www juecesdemocracia.es/asociacion/estatutos/estatutos.htm
-
[15]
De 1994 à 1996, il a occupé simultanément les fonctions de ministre de la Justice et de l'Intérieur, devenant en quelque sorte un « super ministre ».
-
[16]
Q. Tomas-Valiente, P. Pardo, La justicia y sus punetas nueva antologia del disparate judicial, Barcelona, Plaza & Janés editores, 2015.