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Article de revue

Les acteurs de la loi du 5 juillet 2011 : de l'impérieuse nécessité de placer le malade au centre de nos préoccupations

Pages 99 à 104

1La loi du 5 juillet 2011 établit le cadre des rapports entre le malade, ses proches et ceux qui ont une mission dans sa prise en charge, le juge des libertés et de la détention (JLD), l'avocat comme l'équipe de soins (2, 3). La personne malade est au centre du dispositif prévu par la loi du 5 juillet 2001.

1. Au centre des préoccupations des professionnels : la personne malade qui se trouve dans un moment critique de sa maladie

2La personne malade doit être au centre des préoccupations de tous ceux qui sont impliqués dans l'application de la loi. Au moment où est envisagée une hospitalisation l'utilisation sans consentement, le malade est dans un moment de crise dans l'évolution de sa maladie. Son entourage et sa famille ne peuvent plus être contenants ; on peut considérer que c'est, en psychiatrie, une urgence comme peut l'être la réanimation en médecine. Un enjeu vital est souvent présent, que ce soit dans un moment de crise suicidaire ou dans une décompensation psychotique. Le malade est cliniquement dans l'impossibilité de consentir quand il présente par exemple une conviction délirante, ou des idées de suicide actives.

3 Les pathologies justifiant les hopitalisations sans consentement sont rapportées dans l'étude d'impact présentée par le ministère de la Santé au Parlement (4) :

  • - les psychoses décompensées représentent en 2008 la plus grande part des malades : 17 389 personnes malades présentant des troubles délirants persistants, 2 997 des troubles psychotiques aigus et transitoires, 2 378 des troubles schizo-affectifs et 1 288 des psychoses non organiques ;
  • - les troubles de l'humeur (dépression ou manie) sont représentés par 12 043 personnes malades présentant un épisode dépressif, maniaque ou mixte ;
  • - les troubles de la personnalité occupent le troisième rang avec 8 675 personnes présentant des troubles spécifique de la personnalité ;
  • - en dernière position, sont notés les troubles mentaux et les troubles du comportement liés à l'utilisation des substances psycho-actives, alcool ou drogues.

4Dans la plupart des départements, les troubles de l'humeur représentent une part importante des hospitalisations sur demande d'un tiers (HDT), alors que les décompensations psychotiques sont prépondérantes dans les hospitalisation d'office (HO).

5Au moment où la personne malade est reçue par le juge des libertés et de la détention, il est important de rappeler que le malade n'est pas un justiciable comme les autres. Le malade n'est pas un auteur d'infraction ou de crime comme au pénal : il n'est coupable que dans son délire, délire d'autoaccusation dans la mélancolie ou délire de persécution dans les psychoses délirantes. Les soins sans consentement n'ont rien à voir avec l'injonction de sois du suivi socio-judiciaire de la loi du 17 juin 1998, destinée initialement aux auteurs de violences sexuelles. On ne saurait donc confondre soins sans consentement d'une loi sanitaire, et injonction ou obligation de soins de la loi pénale. Dans ce même sens, la comparaison avec les autres pays européens qui parlent « d'internement » n'est pas valide, la plupart des pays sont dotés d'un système de défense sociale qui confond, dans « l'internement », malades mentaux et auteurs de délits ou de crimes (1).

6La détermination du temps de l'audience a été particulièrement délicate et reste discutée : à J 15, la personne malade est dans une période intermédiaire entre la période critique initiale et le début de la stabilisation. Le certificat de l'avis conjoint réalisé entre le 5e et le 8e jour peut ne plus être d'actualité, l'état clinique du patient ayant pu évoluer. Avant l'audience, le psychiatre traitant a tout intérêt à réévaluer son patient, quitte à lever la mesure de soins sans consentement, si l'état clinique du patient s'est amélioré et si celui-ci commence à consentir.

7D'autres alternatives avaient été envisagées par le législateur, comme l'audience à la 48e ou à la 72e heure, mais l'organisation de l'intervention précoce du juge avait été considérée comme peu réalisable en tenant compte des difficultés rencontrées dans d'autres pays comme au Québec. De la même façon, le législateur n'a pas fait le choix de légiférer sur l'autorisation d'administrer un traitement sous contrainte.

8Le problème de l'information de la personne malade prévue par la loi est aussi à discuter : que peut entendre le malade à la 72e heure ? Quelle information peut être donnée, à quel moment faut-il la reprendre avant l'audience, qui peut amener le patient à découvrir le contenu des certificats prévus par la loi et dont le JLD est destinataire ? Ceci pose le problème de la rédaction des certificats : le contenu des certificats doit pouvoir être entendu par le malade ; il ne s'agit pas de donner le diagnostic mais de décrire l'état de souffrance clinique de la personne, de faire état de la sévérité de la pathologie ainsi que de l'impossibilité de consentir et de la nécessité de soins sous surveillance constante. Les certificats doivent être rédigés pour être entendus par le malade mais sans priver le JLD d'éléments sur la sévérité des troubles justifiant une incapacité de consentir et le besoin d'une surveillance constante qui justifie l'hospitalisation sous contrainte plutôt que les soins ambulatoires contraints avec programme de soins.

9Ces éléments imposent une préparation attentive du patient à l'audience, et souvent une reprise avant l'audience. La loi ne fait que développer ce qu'avait institué la loi Kouchner du 4 mars 2002.

2. Le tiers et la famille

10Sur certaines juridictions, le tiers et la famille sont systématiquement convoqués. Cette situation peut être très délicate si la personne malade développe un ressentiment vis-à-vis du tiers, vécu comme celui qui impose l'hospitalisation. Ce sont là des situations que les services de psychiatrie connaissent bien et jusqu'ici tout avait été fait pour protéger le tiers de rétorsions du patient.

11L'audience avec la présence de la famille peut aussi être délicate, si la présence de celle-ci est vécue comme une enquête visant à légitimer les soins sans consentement. Des drames familiaux peuvent être dévoilés avec une grande difficulté pour reprendre et apaiser.

12 Le problème de la publicité de l'audience est souvent avancé de façon critique par les soignants. Cette garantie de transparence du jugement peut néanmoins être évitée par une audience en chambre du conseil quand il existe une possible atteinte à l'intimité, ce que les JLD entendent sans difficulté quand le médecin traitant le signale.

3. Le juge des libertés et de la détention (JLD)

13Le JLD est le nouvel acteur de la loi du 5 juillet 2011. Son intervention était très attendue par les professionnels. Si la relation aux malades mentaux était acquise pour les magistrats ayant exercé comme juge des tutelles, pour nombre d'entre eux la clinique psychiatrique est une découverte. C'est un nouveau registre pour le JLD qui passe du pénal, où le coupable doit être puni et où l'obligation de soins est une mesure de sûreté, à la loi sanitaire, où le malade doit être protégé de lui-même par des soins contraints et alors même qu'il n'est coupable que dans sa maladie. Une grande diversité est constatée dans la pratique des JLD au niveau national : positionnement formel sur le respect de la loi ? Questionnement sur le diagnostic ? Ou encore enquête, à l'audience auprès de la famille. ? La dispersion des pratiques était grande, initialement avant de se recentrer avec l'expérience acquise sur deux champs :

  • - le contrôle de la régularité de la procédure : délai de saisine, conditions d'admission (tiers et péril imminent notamment), décision du directeur, information du patient, recueil de l'avis du patient, information sur les voies de recours...
  • - l'importance du contrôle de fond est soulignée par I. Rome et ses indications sont de grande importance pour les psychiatres certificateurs : l'atteinte à la liberté individuelle que constitue le soin psychiatrique sans consentement en hospitalisation doit être adaptée, nécessaire et proportionnée aux objectifs poursuivis. Quand il s'agit d'une hospitalisation en application de l'article L. 3212-1, l'impossibilité de consentir aux soins en raison du trouble mental doit être démontrée, de même qu'un état mental imposant des soins assortis d'une surveillance constante justifiant l'hospitalisation complète. Quand il s'agit de l'application de l'article L. 3213-1, les certificats doivent démontrer l'existence de troubles mentaux, la nécessité des soins et le fait que les troubles sont de nature à compromettre la sûreté des personnes ou à porter atteinte de façon grave à l'ordre public.

14Les lieux de l'audience font toujours débat. Dans un bilan non publié, réalisé par les directeurs d'hôpitaux à la fin de l'année 2011, 73 % des audiences se tenaient au tribunal, 8% en visio-conférence et 27 % dans une salle d'audience aménagée à l'hôpital. L'ensemble des professionnels de santé présente une demande afin que l'audience se tienne à l'hôpital dans une salle aménagée ou à défaut en visio-conférence. Les arguments avancés tiennent essentiellement au respect de la dignité du malade et à la continuité des soins.

4. L'avocat : un nouveau professionnel auprès de la personne malade

15La loi a introduit un nouvel acteur auprès de la personne malade. Pour ce professionnel, son rôle nouveau n'est pas dans le sillage de celui qu'il assure au pénale. Il ne s'agit pas de redonner la liberté à son client sans prendre en compte le fait que la personne malade a perdu sa liberté d'être du fait de sa maladie et que sa liberté ne peut être restaurée que par des soins.

5. Psychiatre et équipe soignante : une nécessaire adaptation

16Les services hospitaliers de psychiatrie ont dû se mobiliser pendant la période de congés pour faire face aux lourdes obligations imposées par la loi. Les bureaux des entrées des hôpitaux, en lien avec les directeurs d'établissements, ont dû mettre en place un dispositif nouveau et rigoureux de gestion des dossiers administratifs des patients avant l'audience du 15e jour : vérification des certificats légaux, saisine du JLD avec l'avis conjoint, planification des audiences et mise en place des personnels assurant l'accompagnement. Les permissions de sortie de week-end indispensables au maintien des liens familiaux et à l'insertion de malades sont devenues de véritables casse-têtes.

17Le surcharge de certifications imposée par la loi met en difficulté le établissements de petite taille et les professionnels mesurent la défiance de législateur à l'égard du psychiatre quand il faut jusqu'à sept certificats pour une hospitalisation sur décision du directeur. L'avis conjoint est mal compris par les professionnels surtout quand il est entrevu par la justice comme base d'un débat contradictoire qui semble bien à distance de la souffrance clinique du patient. Le déplacement des malades au tribunal de grande instance (TGI) est un problème que connaissent la plupart des hôpitaux.

18La loi du 5 juillet 2011 impose surtout une modification des pratiques avec l'obligation de préparer la personne malade à l'audience du JLD par une information accessible et adaptée qui permette au malade d'entendre le contenu des certificats transmis au JLD. Il est aussi indispensable que l'audience et son déroulement soient repris après la rencontre avec le JLD par l'équipe de soins. Cette obligation d'information précoce du malade, tout à fait dans l'esprit de la loi Kouchner du 4 mars 2002, devrait permettre d'établir de nouveaux rapports entre soignants et soignés, même dans les périodes critiques qui sont l'objet du contrôle du JLD.

19Votée par le Parlement dans l'urgence, la loi du 5 juillet 2011 a connu une application difficile en pleine période estivale, imposant un travail de proximité entre les tribunaux de grande instance, leur JLD, les directeurs des hôpitaux, les préfets et les agences régionales de santé (ARS). La nouvelle loi induit surtout de nouveaux rapports entre soignants et soignés avec l'obligation d'une information précoce avant même le contrôle réalisé par le JLD, contrôle souhaité de longue date par les professionnels de la psychiatrie. Cette loi, dont l'imperfection était d'emblée soulignée par le législateur, ne pourra être qu'évolutive par les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui ne vont pas manquer de se développer, mais aussi par la jurisprudence, sans parler de la refonte du collège imposée par le Conseil constitutionnel avant la date butoir du 1eroctobre 2013. Loi de transition ou loi en devenir, elle ne pourra pas se distancier de la jurisprudence européenne, véritable moteur dans l'évolution des rapports entre soignants et soignés.

  • 1. Salize Hans Joachim, Dreßing Harald, Peitz Monika, « Compilsory admission and involuntary treatment of mental ill patients - Legislation and Practice in EU-Member States, Central Institute of Mental Health, European Commission, 2002 », European Commission Health and Consumer Protection Directorate General, May 2002.
  • 2. Senon J. L., Jonas C, Voyer M., Les soins sous contrainte des malades mentaux depuis la loi du 5 juillet 2011 « relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ». Ann. Médico-Psychol. 170, 2012, 211-21.
  • 3. Senon J. L., Leturmy L., Voyer M., Les soins sous contrainte des malades mentaux, in Senon J. L., Lopez G., Cario R., Psychocriminologie, Dunod Éd., 2012, 295-308.
  • 4. Étude d'impact, ministère de la Santé, projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, janvier 2011.
  • 5. Senon J. L., Voyer M., Modalités et impact de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 : de l'impérieuse nécessité de placer le patient au centre de nos préoccupations, Ann. Médico-Psychol., à paraître.

Date de mise en ligne : 01/04/2019

https://doi.org/10.3917/cdlj.1204.0099

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