LEGICOM 2000/1 N° 21-22

Couverture de LEGI_021

Article de revue

La responsabilité des professionnels de l'internet... une histoire sans fin...

Pages 79 à 91

Notes

  • [1]
    TGI Paris (ord . réf.), 12 juin 1996 - UEJF c/ Cavalcom et autres.
  • [2]
    TGI Paris (ord. réf.), 9 juin 1998 - V. Lacambre c/ E. Lefebure-Hallyday.
  • [3]
    CA Paris, 10 février 1999 – V. Lacambre c/ p. 38 et 160-III, p. 52. E. Lefebure-Hallyday, v. Légipresse n° 160-I,
  • [4]
    TGI (ord. réf.), 22 février 1999 – Société Légipresse n° 164-I, p. 103. Christian Dior c/ Société World Media Live, v.
  • [5]
    TGI Nanterre, 8 décembre 1999 - L. Heine- autres, v. Légipresse n° 169 -I, p. 22 et 169-III, mann ép. Lacoste c/ Société Multimania et p. 40.
  • [6]
    Cour d’appel de Versailles (12e ch.), 8 juin 2000 – Société Multimania production c/ L. Heineman , épouse Lacoste et autres, v. Légipresse n° 174-III, p. 140, note C. Rojinsky.
  • [7]
    TGI Nanterre (ord. réf.), 31 janvier 2000 – 3 Suisses, SNC 3SH, Helline, Redcats, La Redoute, Quelle La Source c/ Axinet Communication et Consorts Guiffault, v. Légipresse n° 172-I, p. 74.
  • [8]
    TGI Paris, 24 mars 2000 – M. Pagotto et autres c/ MM. Gallopin, Lacambre et autre, v. Légipresse n° 172-I, p. 71.
  • [9]
    v. position commune arrêtée par le Conseil de l’Union européenne le 28 février 2000 et la résolution législative du Parlement européen, Légipresse n° 172-IV, p. 51, commentaire L. Bochurberg et directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 (JOCE L. 178 du 17 juillet 2000), v. annexe 3, p. 172.

1 ON POURRAIT se lasser de la question de la responsabilité des professionnels de l’internet si chaque semaine (pour ne pas dire chaque jour) n’apportait son lot de nouveautés et de querelles.

2 En 1995 et 1996, l’internet fait son apparition en France. Apparition somme toute discrète, si ce n’est qu’elle est déjà accompagnée de quelques dérives de type sites web révisionnistes ou pédophiles. Puis ce furent les photographies nues d’Estelle H. et de Lynda L., ou celles des modèles de haute couture de Christian Dior et Jean-Paul Gaultier... et très récemment l’affaire dite “Caliméro c’est trop injuste” qui firent les gros titres des rubriques relatives aux jurisprudences de l’internet.

3 Très vite, la justice a eu à connaître des dérives de l’internet, ou plutôt des internautes, et a tenu à répondre à la délicate question de la responsabilité des professionnels de l’internet.

I – LES PRÉMICES D’UNE RESPONSABILITÉ DES PROFESSIONNELS DE L’INTERNET

1. Des tâtonnements

4 La première décision rendue en France relative à la problématique de la responsabilité des internautes s’était soldée dans l’esprit du public par un échec des partisans de la thèse de la responsabilité des prestataires. L’affaire était bien compliquée et l’ordonnance rendue bien plus intéressante que ce que l’on a bien voulu en retenir. Il s’agissait à l’époque d’une instance introduite en référé par l’Union des étudiants juifs de France contre un ensemble de professionnels de l’internet et, parmi eux, un grand nombre d’hébergeurs. Devant la complexité des débats, le président du tribunal de grande instance de Paris, décidait de proposer une médiation.

5 • En suite de cette médiation, le président devait rendre une décision  [1] que certains ont jugé timide et qui est pourtant la première pierre de l’édifice de la responsabilité des professionnels de l’internet. Le président du tribunal de grande instance  [1] devait effectivement donner acte à l’Union des étudiants juifs de France de ce que : « en considération des actes qui précèdent, décernés aux sociétés l’internet Way, Calvacom, Imaginet, Francenet, Axone, Oléane et GIP Renater, relativement à la régulation des informations et messages disponibles sur leurs propres sites, elle s’estime en l’état et jusqu’à plus ample informé, remplie de ses droits à l’égard de toutes les défenderesses ».

6 Qu’avaient donc affirmé lesdites sociétés pour que l’Union des étudiants juifs de France se considère comme remplie de ses droits à leur égard ?

7 Les sociétés Calvacom, l’internet Way, Imaginet et Francenet avaient indiqué qu’elles considéraient que : « la seule éventuelle responsabilité qui serait susceptible d’être recherchée à leur encontre devrait être limitée aux seules pages web et forums de discussion dont elles sont les concepteurs, les animateurs et/ou qu’elles hébergent volontairement pour les diffuser soit pour leur propre compte, soit pour le compte de tiers, abonnés ou annonceurs, auxquels elles sont contractuellement liées ».

8 Lesdites sociétés ajoutaient : « qu’elles avaient déjà mis en œuvre des moyens d’information et de sensibilisation et que, notamment, elles imposent et imposeront à leurs abonnés et annonceurs, l’obligation formelle de se conformer aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881, à peine de rupture immédiate et à leur seul tort du contrat les liant à elles, sauf à ce qu’il soit remédié immédiatement à toute violation constatée ».

9 La société Axone avait indiqué pour sa part que même si elle n’entendait pas contrôler en totalité les contenus hébergés, « elle estimait néanmoins pouvoir appliquer certaines règles déontologiques, ci-après précisées, sous les réserves expresses de principe suivantes : son action déontologique ne peut s’exercer qu’auprès des personnes avec lesquelles elle est liée contractuellement pour l’hébergement des sites internet et dans la mesure où ces personnes seraient auteurs d’informations tombant sous le coût de la législation française réprimant pénalement des délits commis par voie de communication au public... ». Et la société Oléane devait préciser : « qu’en sa qualité d’hébergeur de pages “WEB”et de “User Group” sa politique est clairement d’éviter que les services hébergés sur ses serveurs et avec lesquels elle a signé un contrat d’hébergement, ne diffusent des informations contraires à la loi [...] ».

10 Enfin, GIP Renater devait indiquer, pour sa part, qu’il avait élaboré et mis en place une charte d’usage et de sécurité destinée à responsabiliser chaque site utilisateur au respect d’un code de bonne conduite applicable à tous les sites utilisateurs : « et, qu’en cas de manquement aux règles d’usage et de sécurité, il peut être amené à suspendre l’accès du site concerné à son réseau ».

11 Dès le 12 juin 1996, date de l’ordonnance de référé, les choses étaient donc quasiment entendues puisque les professionnels de l’internet prestataires d’hébergement eux-mêmes acceptaient le principe d’être responsables des pages hébergées.

12 • 1996 était également une année importante dans la mesure où deux fournisseurs d’accès devaient être mis en examen sur la base de l’article 227-23 du code pénal, pour avoir donné accès à des images représentant des mineurs en situation pornographique. Il était reproché à ces deux sociétés de donner accès à leurs abonnés, à des forums de discussion de nature pédophile.

13 Cette mise en examen a déclenché la première salve de critiques du monde politique à l’égard du monde judiciaire, s’agissant de la responsabilité des professionnels de l’internet.

2. Des résistances

14 En réaction à cette mise en examen, M. François Fillon, alors ministre délégué aux télécommunications devait, à l’occasion de l’adoption de la loi du 26 juillet 1996 relative à la réglementation des télécommunications, présenter un amendement visant à supprimer la responsabilité des professionnels de l’internet. Une partie substantielle de l’amendement fut censurée par le Conseil constitutionnel.

15 De 1996 à 1999, les années se succédèrent sans que les professionnels de l’internet ne furent particulièrement inquiétés par des procédures judiciaires. De nombreux groupes de travail et commissions interministérielles avaient alors été chargés de rédiger ici un code de déontologie des acteurs de l’internet et là d’un cadre juridique de la société de l’information. Malgré les efforts entrepris et le bon vouloir des participants, il était impossible d’obtenir un consensus sur la question de la responsabilité des professionnels de l’internet entre les partisans du “tout responsable” et ceux du “jamais responsable”.

II – UN ÉDIFICE JURISPRUDENTIEL EN CONSTRUCTION

1. Le fournisseur d’hébergement est un acteur économique capable et responsable

16 Il ne fallait donc qu’une étincelle pour remettre le feu aux poudres. Cette étincelle devait prendre les traits d’Estelle H., célèbre mannequin français qui devait constater la diffusion, sur un site internet, de photos prises dans son intimité, la représentant totalement ou partiellement dénudée, dont la publication n’avait pas été autorisée.

17 Faute de pouvoir identifier l’auteur du site en cause, Estelle H. devait assigner le prestataire d’hébergement (altern.org) en la qualité de son représentant M. Valentin Lacambre, demandant à celui-ci d’indiquer quelle était l’identité du site hébergé. Pour toute réponse, le prestataire d’hébergement devait indiquer que la problématique de la responsabilité relevait manifestement d’un débat de fond ; qu’il ne revenait donc pas au juge des référés saisi en la matière de prendre une décision et qu’en tout état de cause, le rôle du fournisseur d’hébergement est limité à offrir gracieusement (en l’espèce) un espace de stockage d’informations et des mécanismes de maintenance, dans le cadre d’un contrat de prêt d’octets au sens de l’article 1875 et suivants du code civil ; enfin, que le propriétaire du site web est seul responsable du contenu de ce site et se doit par conséquent de respecter la législation du pays où il réside.

18 Pour le président du tribunal de grande instance de Paris, saisi en référé  [2] de l’affaire, si les problématiques soulevées doivent incontestablement faire l’objet d’un débat de fond « sur la question de la responsabilité du fournisseur d’hébergement, il apparaît nécessaire de préciser que le fournisseur d’hébergement a l’obligation de veiller à la bonne moralité de ceux qu’il héberge, au respect par ceux-ci des règles déontologiques régissant le web et au respect par eux des lois et des règlements et des droits des tiers ».

19 « S’agissant de l’hébergement d’un service dont l’adresse est publique et qui est donc accessible à tous, le fournisseur d’hébergement a, comme tout utilisateur du réseau, la possibilité d’aller vérifier le contenu du site qu’il héberge et en conséquence de prendre le cas échéant les mesures de nature à faire cesser le trouble qui aurait pu être causé à un tiers ».

20 Le président Gomez devait ajouter que le prestataire d’hébergement bénéficiait de la possibilité de soulever une exonération totale ou partielle de responsabilité, mais encore fallait-il pour lui : « justifier du respect des obligations mises à sa charge, spécialement quant à l’information de l’hébergé sur l’obligation de respecter les droits de la personnalité, les droits des auteurs, des propriétaires de marque, de la réalité des vérifications qu’il aura opérées au besoin par des sondages et des diligences qu’il aura accomplies dès la révélation d’une atteinte aux droits des tiers pour faire cesser cette atteinte ».

21 Le prestataire d’hébergement n’était alors condamné qu’à fermer un site, d’ores et déjà déconnecté du réseau. Malgré cette condamnation “symbolique”, le prestataire d’hébergement releva appel de la décision. C’est donc la cour d’appel de Paris qui a complété et précisé le dispositif applicable dans un arrêt devenu célèbre du 10 février 1999  [3].

22 Pour la cour : « le premier juge a exactement retenu que la responsabilité de l’hébergeur d’accès et de l’hébergeur de site, en tant que tel ne pouvait être reconnu qu’à l’issue d’un débat de fond à raison des causes d’exonération susceptibles d’être invoquées et qu’il n’avait pas pouvoir d’apprécier ».

23 La cour d’appel retient donc comme principe celui de la responsabilité et ne renvoie au débat de fond que les “causes” possibles d’une “exonération”.

24 La cour d’appel indiqua également quel était le rôle, au sens juridique du terme, des prestataires d’hébergement en précisant : « qu’en offrant, comme en l’espèce, d’héberger et en hébergeant de façon anonyme, sur le site altern.org qu’il a créé et qu’il gère, toute personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait la demande aux fins de mise à disposition du public ou de catégories de public, de signes ou de signaux, d’écrits, d’images, de sons et de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère de correspondance privée, Valentin Lacambre excède manifestement le rôle technique d’un simple transmetteur d’informations et doit d’évidence, assumer à l’égard des tiers, aux droits desquels il serait porté atteinte dans de telles circonstances, les conséquences d’une activité qu’il a, de propos délibéré, entrepris d’exercer dans les conditions susvisées et qui, contrairement à ce qu’il prétend est rémunératrice et revêt une ampleur que lui-même revendique ».

25 La cour d’appel devait rappeler, d’une part, que le prestataire d’hébergement participe à l’acte de diffusion des informations sur le web et que, lorsqu’il procède à un hébergement anonyme, il engage sa responsabilité en lieu et place de l’éditeur du site en cause.

26 On retiendra également de cette décision l’ampleur de la condamnation, puisque le prestataire d’hébergement fut condamné à payer à titre de provision sur dommages et intérêts la somme de 300 000 francs à Mme Estelle H. Cette somme prend en considération d’une part la notoriété de la victime, la profession qu’elle exerce et surtout ce qui est important, la diffusion démultipliée résultant des possibilités techniques offertes par l’internet.

27 Cet arrêt d’appel devait déclencher le courroux de l’ensemble de la profession ainsi que celui de nombreux hommes politiques et ministres. Plusieurs projets de loi et d’amendement sont ainsi nés spontanément en réaction à cette décision. Il en fut ainsi du projet de loi Madelin, mais également et surtout du projet d’amendement Bloche destiné à être introduit au cours des débats sur l’adoption de la nouvelle loi relative à la communication audiovisuelle modifiant la loi du 30 septembre 1986.

28 L’amendement Bloche, dans le droit fil de l’amendement Fillon susvisé, visait à insérer de nouveaux alinéas à l’article 43 de la loi du 30 septembre 1986 en précisant :

29

  • Article 43-1 – les personnes physiques ou morales dont l’activité est d’offrir un accès à des services en ligne autres que des correspondances privées sont tenues de proposer un moyen technique permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner.
  • Article 43-2 – les personnes physiques ou morales qui assurent directement ou indirectement, à titre gratuit ou onéreux l’accès à des services en ligne autres que des correspondances privées ou le stockage pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons, ou de messages de toute nature accessibles par ses services, ne sont responsables des atteintes aux droits des tiers résultant du contenu de ses services que :
    • si elles ont elles-mêmes contribué à la création ou à la production de ce contenu ;
    • ou si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu, sous réserve qu’elles en assurent directement le stockage.
  • Article 43-3 - les personnes mentionnées à l’article 43-2 sont tenues, sous réserve qu’elles en assurent directement le stockage et lorsqu’elles sont saisies par une autorité judiciaire, de lui transmettre les éléments d’identification fournis par la personne ayant procédé à la création ou la production du message ainsi que les éléments techniques en leur possession de nature à permettre de localiser leur émission.

30 Cet amendement a soulevé la désapprobation d’une majorité de la doctrine dans la mesure où il limitait considérablement l’étendue de la responsabilité des professionnels de l’internet mais surtout en ce qu’il suspendait toute responsabilité à une procédure effectivement engagée devant les tribunaux. On imagine bien la force d’inertie d’une telle solution et le prévisible encombrement des tribunaux.

2. Le droit commun de la responsabilité s’applique aux prestataires de l’internet

31 Depuis la présentation de l’amendement Bloche au mois de mai 1999, les événements semblent s’être accélérés.

32

  • Dans une affaire qui opposait les sociétés Christian Dior et Jean-Paul Gaultier à des prestataires d’hébergement disposant d’une galerie marchande virtuelle et à des éditeurs de sites web qui diffusaient au sein de ces sites les modèles des deux maisons de couture susvisées sans autorisation, le tribunal  [4] devait une fois encore retenir la responsabilité des professionnels de l’internet. Cette fois-ci, la responsabilité portait non pas sur un hébergement au sens strict du terme dans la mesure où le prestataire offrait une prestation globale de services au sein d’une galerie marchande virtuelle.

33 Le juge devait considérer, connaissant l’identité du site responsable de la contrefaçon, que le prestataire n’était condamné à fermer le site “qu’en tant que de besoin”, c’est-à-dire à titre supplétif.

34

  • La problématique a pris une nouvelle tournure le 8 décembre 1999 avec le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre  [5] qui opposait Mlle Lynda L. à un certain nombre de prestataires d’hébergement qui, à l’instar de l’affaire Estelle H., avaient diffusé sans autorisation des photographies la représentant nue.

35 Le tribunal de grande instance de Nanterre considéra que les prestataires d’hébergement étaient, suivant les cas, responsables au titre des articles 1382 et 1383 du code civil. Ainsi :

36

  • Étaient responsables au titre de l’article 1382, les prestataires qui avaient également été à l’initiative de la création des sites internet en cause.
  • Étaient responsables au titre de l’article 1383 du code civil, les défendeurs qui, n’ayant pas participé à la création des sites litigieux, les hébergeaient et avaient en cela manqué à leur obligation “de prudence et diligence”.

37 Le tribunal devait indiquer que par sa nature, comme par les conditions dans lesquelles elles s’accomplissent, les activités de créateur de site et de prestataire d’hébergement sont génératrices de responsabilité :

38 « En l’état actuel des choses, caractérisé par une absence de régulation étatique et par une autorisation balbutiante, le régime de cette responsabilité doit être recherché par référence au droit commun défini par l’article 1383 du code civil.

39 Le fournisseur d’hébergement est tenu d’une obligation générale de prudence et de diligence.

40 Il lui appartient de prendre les précautions nécessaires pour éviter de léser les droits des tiers et il doit mettre en œuvre à cette fin des moyens raisonnables d’information, de vigilance et d’action ».

41 Le tribunal de grande instance de Nanterre a donc précisé, ce que n’avait pas fait la cour d’appel de Paris, les obligations pratiques qui incombaient aux professionnels.

42 L’obligation de prudence et de diligence implique donc la mise en œuvre de :

43

  • Une obligation d’information des personnes hébergées par le prestataire. Il revient donc à ce dernier, soit dans le cadre des contrats, soit dans le cadre de lettres périodiques d’information de rappeler aux personnes qu’il héberge, qu’elles sont tenues de respecter les droits des tiers.
  • Une obligation de vigilance, au titre de laquelle il est imposé aux prestataires d’hébergement, de surveiller ou de contrôler les sites qu’il héberge. Là encore il n’est pas question, contrairement aux plaintes exprimées par les professionnels, de leur imposer le contrôle total des sites hébergés et des milliers, voire des millions de pages stockées, mais simplement de procéder, par divers moyens (sondages, recherches par mots-clefs...) à des contrôles sur les sites hébergés afin de pouvoir justifier d’un minimum d’actions.

44 Le tribunal précise d’ailleurs : « il n’appartient pas au fournisseur d’hébergement d’exercer une surveillance minutieuse et approfondie du contenu des sites qu’il abrite. Cependant, il doit prendre les mesures raisonnables qu’un professionnel avisé mettrait en œuvre pour évincer de son serveur les sites dont le caractère illicite est apparent, cette apparence devant s’apprécier au regard des compétences propres du fournisseur d’hébergement ».

45

  • Enfin, il incombe au professionnel une obligation d’actions : une fois un site litigieux identifié, le fournisseur d’hébergement devra prendre les mesures nécessaires pour le désactiver du réseau.

46 Dans cette affaire, le tribunal de grande instance de Nanterre considéra que chacune des sociétés avait manqué d’une manière plus ou moins flagrante à l’une au moins de ces trois obligations : chacune fut donc condamnée à des dommages et intérêts différents.

47 Le 8 juin 2000, la cour d’appel de Versailles devait cependant infirmer le jugement  [6].

48 On notera que cette infirmation est affaire d’espèce, mais qu’elle n’affecte pas les fondements et analyses des premiers juges. En effet, si la cour d’appel infirme le jugement au motif que la demanderesse n’était pas en mesure d’apporter la preuve d’une négligence ou d’une imprudence de la part de Multimania, elle confirme que l’article 1383 du code civil peut valablement servir de fondement à la responsabilité d’un prestataire d’hébergement ; que la diffusion des photographies litigieuses caractérise bien une violation des droits de la demanderesse et que l’identification de l’éditeur du contenu n’est pas une cause d’exonération de responsabilité.

3. Des comportements fautifs caractérisés

49 • Le 31 janvier 2000, le même tribunal de grande instance de Nanterre  [7], dans une affaire qui opposait la société 3 Suisses à la société Axinet et autres concernant l’enregistrement et l’utilisation de noms de domaine en fraude aux droits des marques des 3 Suisses, devait rappeler là encore la responsabilité du professionnel. Dans cette affaire, le tribunal rappelle que le prestataire d’hébergement est tenu, de par son activité, à une obligation de prudence et de diligence au sens de l’article 1383 du code civil.

50 En l’espèce, la société Axinet prétend que la taille réduite de son équipe et le volume de son activité ne lui permettent pas de contrôler tous les sites. « Elle admet toutefois, d’une part, participer aux formalités d’enregistrement des noms de domaine où son gérant, M. B., apparaît comme contact administratif et, d’autre part, ne procéder à aucune vérification sur l’étendue réelle des droits des éditeurs de sites, notamment sur la propriété des marques lorsque l’enregistrement a lieu à l’étranger, en particulier aux États-Unis ou en Allemagne. Elle démontre ainsi son imprudence et sa négligence d’autant plus fautive que, s’agissant en l’occurrence de dénominations notoires telles que La Redoute, 3 Suisses, Quelle, elle se devait d’être spécialement vigilante. La société Axinet convient également ne pas informer les créateurs de sites, lors d’ouverture de compte en ligne, du nécessaire respect des droits de propriété intellectuelle. Elle a ainsi manqué à l’obligation qui lui incombe, en ne créant pas sur son site un message signalant aux éditeurs que la liberté d’expression sur l’internet a pour limite l’obligation de respecter des droits des tiers. Cette abstention est blâmable ».

51 En conséquence, le tribunal de grande instance, dans le droit fil de la décision Lynda L., condamna in solidum le prestataire d’hébergement ainsi que l’éditeur du site en cause.

52 • Encore plus récemment c’est Valentin Lacambre, alias altern.org, qui devait à nouveau faire l’objet d’une décision de justice. Par décision du 24 mars 2000  [8], le tribunal de grande instance de Paris le condamna de nouveau, dans le cadre de l’hébergement d’un site web sadomasochiste à l’adresse “calimero.org” pour contrefaçon de droit d’auteur et contrefaçon de marque. Mais la question fondamentale, là encore, portait sur la responsabilité de Valentin Lacambre.

53 Le tribunal devait décider :

54 « M. Lacambre fut donc le fournisseur d’hébergement du site litigieux avant qu’il ne décide de ne plus héberger le site dont le contenu serait interdit aux mineurs et demande à M.G. de changer de centre serveur. M. Lacambre fait état du nombre des sites hébergés (plus de 47 000) pour justifier du caractère technique de sa prestation, exclusive de toute possibilité de contrôle du contenu des sites hébergés. Cependant, cette présentation ne peut résister à l’examen précis des faits de l’espèce : en effet aux dires non contestés du demandeur celui-ci a pris préalablement contact avec M. Lacambre et la société Altern B afin de solliciter un hébergement en prenant pour adresse calimero.org contenant donc la reproduction d’une marque renommée.

55 Le nom de domaine enregistré fut alors “calimero.org”. S’il ne peut peser sur M. Lacambre une présomption de connaissance du contenu des sites qu’il héberge, il demeure qu’il ne pouvait pas ignorer le nom de domaine et l’adresse du site de M. G. et donc que ce nom avait été exclusivement constitué de la reproduction servile d’une marque renommée.

56 Il lui appartenait alors de refuser d’héberger ce site sous ce nom et cette adresse.

57 M. Lacambre ne prétend pas avoir ignoré le contenu du site puisqu’il décida de ne plus l’héberger à compter du 31 octobre 1998. Il suit que M. Lacambre qui a accepté d’héberger un site sous un nom de domaine contrefaisant et qui a toléré l’existence de ce service alors qu’il n’ignorait pas les atteintes aux droits d’auteurs et aux droits de marques qu’il contenait, a engagé sa responsabilité dans les termes de l’article 1382 du code civil ; au surplus, il a toléré pendant plusieurs mois le maintien d’un lien hypertexte entre l’ancienne adresse contrefaisante et la nouvelle adresse [...]

58 En l’absence de toute clause contractuelle, M. Lacambre, qui a engagé sa responsabilité personnelle, n’est pas fondé à solliciter la garantie de M.G. ».

59 En conséquence de ce qui précède le tribunal devait condamner M. Valentin Lacambre in solidum avec M. G. à concurrence de 60 000 francs, d’une publication judiciaire et d’un article 700.

III – LES TRAVAUX DU LÉGISLATEUR

1. Au plan national

60 Les débats auront été passionnés entre députés et sénateurs et ont abouti le 27 juin 2000 à l’adoption de la loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication audiovisuelle qui aborde dans son article 43 la délicate question de la responsabilité des prestataires d’hébergement.

61 Plusieurs navettes auront été nécessaires pour tenter un rapprochement (espérons-le, définitif) entre les thèses contraires du député Patrick Bloche et du sénateur Hugot.

62 Le projet Bloche avait pour ambition de limiter les cas de responsabilité des prestataires d’hébergement en prévoyant notamment qu’ils n’auraient pu voir leur responsabilité engagée sans qu’ils ne soient directement à l’origine de la diffusion du contenu répréhensible ; soit qu’après une décision de justice ils n’aient pas réagi promptement.

63 De son côté le rapporteur Hugot plaidait pour une responsabilité pleine et entière des prestataires basée notamment sur l’application des articles 1382 et 1383 du code civil. Il manifestait une volonté ferme de lutter contre l’anonymat, allant jusqu’à prévoir une peine de prison et une amende d’un montant de 50 000 francs pour tout prestataire qui ne se plierait pas à ces obligations.

64 C’est finalement un compromis fortement teinté, sinon de principes généraux de responsabilité, d’une volonté de mise en place d’un cadre permettant l’établissement par le juge des responsabilités de chaque espèce, qui a été adopté par l’Assemblée nationale.

65 Le texte adopté le 27 juin dernier prévoit :

66 « — Article 43-7- Les personnes physiques ou morales dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication en ligne autres que de correspondance privée sont tenues, d’une part, d’informer leurs abonnés de l’existence de moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner, d’autre part, de leur proposer au moins un de ces moyens.

67 — Article 43-8- Les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services ne sont pénalement ou civilement responsables du contenu de ces services que :

68

  • si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu,
  • ou si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudicie, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées.

69 — Article 43-9- Les prestataires mentionnés aux articles 43-7 et 43-8 sont tenus de détenir et de conserver les données de nature à permettre l’identification de toute personne ayant contribué à la création d’un contenu des services dont elles sont prestataires. Ils sont également tenus de fournir aux personnes qui éditent un service de communication en ligne autre que de correspondance privée des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d’identification prévues à l’article 43-10. Les autorités judiciaires peuvent requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux articles 43-7 et 43-8 des données mentionnées au premier alinéa. Les dispositions des articles 226-17, 226-21 et 226-22 du code pénal sont applicables au traitement de ces données.

70 Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les données mentionnées au premier alinéa et détermine la durée et les modalités de leur conservation.

71 Article 43-10-I- Les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication en ligne autre que de correspondance privée tiennent à la disposition du public :

72

  • s’il s’agit de personnes physiques, leurs nom, prénom et domicile ;
  • s’il s’agit de personnes morales, leur dénomination ou leur raison sociale et leur siège social ;
  • le nom du directeur ou du codirecteur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction au sens de l’article 93-2 de la loi n° 82 652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ;
  • le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse du prestataire mentionné à l’article 43-8.

73 II- Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication en ligne autre que de correspondance privée peuvent ne tenir à disposition du public, pour préserver leur anonymat que le nom, la dénominiation ou la raison sociale et l’adresse du prestataire mentionné à l’article 43-8, sous réserve de lui avoir communiqué les éléments d’identificaétion personnels prévus au I.

2. Au plan européen

74 Le législateur européen a quant à lui étudié pendant de longs mois la question de la responsabilité “des prestataires intermédiaires” dans le cadre de la directive relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique dans le marché intérieur, dite “directive sur le commerce électronique”, qui vient d’être adoptée le 4 mai dernier  [9]. Il s’est, un temps, inscrit dans une logique différente de celle du législateur français, lorsqu’au cours du débat parlementaire, celui-ci a, comme la jurisprudence, tenté de caractériser les obligations et les comportements fautifs découlant du non-respect des obligations qui pèsent sur les prestataires d’accès à des services de communication en ligne.

75 Mais depuis, le texte français adopté répond, mais de manière très incomplète, à la directive européenne qui s’attache, dans sa section 4, à caractériser les conditions dans lesquelles les états devront veiller à caractériser la non-responsabilité de prestataires intermédiaires. Celle-ci s’articule autour de trois fonctions : “le simple transport”, une forme de stockage dit “caching”, et l’hébergement :

Article 12 : Simple transport (Mere conduit)

76

  1. Les États membres veillent à ce qu’en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de communication, le prestataire de services ne soit pas responsable des informations transmises, à condition que le prestataire :
    1. ne soit pas à l’origine de la transmission ;
    2. ne sélectionne pas le destinataire de la transmission ; et
    3. ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la transmission.
  2. Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1 englobent le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations transmises, pour autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la transmission sur le réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps raisonnablement nécessaire à la transmission.
  3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.

Article 13 : Forme de stockage dite “caching”

77

  1. Les États membres veillent à ce qu’en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable au titre du stockage automatique, intermédiaire et temporaire de cette information fait dans le seul but de rendre plus efficace la transmission ultérieure de l’information à la demande d’autres destinataires du service, à condition que :
    1. le prestataire ne modifie pas l’information ;
    2. le prestataire se conforme aux conditions d’accès à l’information ;
    3. le prestataire se conforme aux règles concernant la mise à jour de l’information, indiquées d’une manière largement reconnue et utilisées par les entreprises ;
    4. le prestataire n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l’industrie, dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation de l’information, et
    5. le prestataire agisse promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que l’information à l’origine de la transmission a été retirée du réseau ou du fait que l’accès à l’information a été rendu impossible, ou du fait qu’un tribunal ou une autorité administrative a ordonné de retirer l’information ou d’en rendre l’accès impossible.
  2. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette fin à une violation ou qu’il prévienne une violation.

Article 14 : Hébergement

78

  1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :
    1. le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite et, en ce qui concerne une demande en dommages-intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente, ou
    2. le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.
  2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.
  3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible.

Article 15 : Absence d’obligation générale en matière de surveillance

79

  1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
  2. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services, ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement.

80 Le texte de loi récemment adopté devant le Parlement français n’est donc pas l’exacte écriture de la directive européenne qui vient d’être adoptée. Sa transposition en droit interne, pour laquelle les États membres disposeront de dix-huit mois à compter de sa publication au Journal officiel, posera donc le problème de sa compatibilité avec une loi relative à la liberté de communication audiovisuelle qui vient traduire la volonté d’un exercice législatif limité à l’instauration de quelques obligations, d’ailleurs bien en deçà de celles déjà arrêtées par la jurisprudence.

81 Par ailleurs, les champs d’application de la directive européenne et du projet français en cours ne se recouvrent pas. En particulier, les acteurs économiques visés ne sont pas les mêmes : la directive européenne traite de la responsabilité, ou plutôt de la non-responsabilité, du transporteur, du stockeur et de l’hébergeur. Le législateur français s’est quant à lui attaché à identifier, d’une part, quelques obligations à la charge du prestataire qui stocke de façon directe et permanente des contenus, à la charge de celui qui offre un accès et à la charge de l’éditeur d’un service en ligne et, d’autre part, dans une mesure réduite, un cadre de responsabilité civile et pénale pour celui qui continuera à stocker des contenus déclarés, supposés ou jugés illicites.

CONCLUSION

82 La conclusion ne peut être que temporaire dans la mesure où le texte modifiant la loi française du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication qui vient d’être adopté ne peut être considéré comme constituant l’exacte transposition du texte européen.

83 En effet, les débats nationaux ont finalement plus porté sur des obligations d’identification des auteurs ou éditeurs de contenus, ou de réactions face à des contenus dits ou supposés illicites, que sur l’instauration de réels principes de responsabilité, ce qui milite d’ailleurs en faveur de l’application du cadre de la responsabilité de droit commun aux nouveaux professionnels de l’internet. Cette application nécessaire du droit commun de la responsabilité a d’ailleurs été réaffirmée tant par la jurisprudence qu’au cours du débat parlementaire.

84 La problématique de l’internet est, et demeure, en matière d’application du droit quel qu’il soit, celle non pas du droit applicable, mais des moyens nécessaires à cette application, au regard d’un environnement technologique modifié et permettant ou nécessitant des comportements nouveaux.

85 En l’espèce, les obligations d’identification, ou l’obligation de diligence qui viennent d’être consacrées par la loi mettent en place une double protection :

86

  • celle de la victime d’une infraction ou d’un préjudice qui pourra toujours être en mesure d’identifier l’auteur ou l’éditeur indélicat,
  • celle du prestataire qui, lui-même, pourra toujours appeler en garantie ces auteurs ou éditeurs.

87 On notera d’ailleurs que si les professionnels sont longtemps restés hostiles par principe à l’idée même d’une responsabilité, ils semblent avoir reconnu à l’occasion de l’adoption de la loi que ce texte avait pour le moins le mérite de fixer quelques règles qui jusqu’alors demeuraient floues.

88 En effet, l’avantage premier, tant des décisions de justice rendues jusqu’à présent que du texte adopté, est d’indiquer très clairement aux opérateurs un certain nombre de moyens qu’ils doivent mettre en œuvre pour éviter de voir leur responsabilité engagée.

89 À l’heure actuelle, ces moyens sont au nombre de quatre :

90

  • une obligation d’information qui pourra prendre notamment la forme d’une information première dans le cadre du contrat de prestations d’hébergement, sous la forme de conditions en ligne ou encore de lettres périodiques adressées aux abonnés ;
  • une obligation de vérification ponctuelle ;
  • une obligation d’action sous la forme soit d’une l’envoi de lettre recommandée, soit de la fermeture de sites en fonction des cas identifiés. Cette obligation peut tout aussi bien être appréciée au travers d’un recours qu’initierait le prestataire d’hébergement devant les tribunaux pour savoir s’il doit, ou non, face à un site litigieux, procéder à sa fermeture.
  • une obligation d’identification par les fournisseurs d’accès ou les prestataires de stockage des auteurs ou des éditeurs, mais aussi pour ces derniers une obligation de déclaration.

91 On ne peut cependant que constater la difficulté d’appréhender, de manière globale, la population des prestataires de l’internet, leurs fonctions, leurs obligations et leurs responsabilités. La directive européenne traite de transport, stockage et d’hébergement et de conditions de non-responsabilité ; la loi française révisée relative à la communication audiovisuelle de stockage, d’accès, d’auteurs et d’éditeurs et d’obligations permettant la recherche des responsabilités ; la jurisprudence s’est, quant à elle, à ce stade, attachée à caractériser les comportements fautifs générateurs de responsabilité, surtout en matière d’hébergement.

92 Clarification et stabilisation sont encore à espérer, comment arriveront-elles ? Via le juge ou le législateur… à l’heure où le plus grand nombre s’interroge toujours sur le contenu d’un futur projet de loi relatif à la société de l’information ?


Date de mise en ligne : 22/03/2014

https://doi.org/10.3917/legi.021.0079

Notes

  • [1]
    TGI Paris (ord . réf.), 12 juin 1996 - UEJF c/ Cavalcom et autres.
  • [2]
    TGI Paris (ord. réf.), 9 juin 1998 - V. Lacambre c/ E. Lefebure-Hallyday.
  • [3]
    CA Paris, 10 février 1999 – V. Lacambre c/ p. 38 et 160-III, p. 52. E. Lefebure-Hallyday, v. Légipresse n° 160-I,
  • [4]
    TGI (ord. réf.), 22 février 1999 – Société Légipresse n° 164-I, p. 103. Christian Dior c/ Société World Media Live, v.
  • [5]
    TGI Nanterre, 8 décembre 1999 - L. Heine- autres, v. Légipresse n° 169 -I, p. 22 et 169-III, mann ép. Lacoste c/ Société Multimania et p. 40.
  • [6]
    Cour d’appel de Versailles (12e ch.), 8 juin 2000 – Société Multimania production c/ L. Heineman , épouse Lacoste et autres, v. Légipresse n° 174-III, p. 140, note C. Rojinsky.
  • [7]
    TGI Nanterre (ord. réf.), 31 janvier 2000 – 3 Suisses, SNC 3SH, Helline, Redcats, La Redoute, Quelle La Source c/ Axinet Communication et Consorts Guiffault, v. Légipresse n° 172-I, p. 74.
  • [8]
    TGI Paris, 24 mars 2000 – M. Pagotto et autres c/ MM. Gallopin, Lacambre et autre, v. Légipresse n° 172-I, p. 71.
  • [9]
    v. position commune arrêtée par le Conseil de l’Union européenne le 28 février 2000 et la résolution législative du Parlement européen, Légipresse n° 172-IV, p. 51, commentaire L. Bochurberg et directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 (JOCE L. 178 du 17 juillet 2000), v. annexe 3, p. 172.

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