LEGICOM 1999/4 N° 20

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Article de revue

Le juge des référés et la protection de la vie privée

Pages 27 à 33

1 LA PROTECTION de la vie privée est un domaine de prédilection légale de l’intervention du juge des référés, dans des limites que la jurisprudence a étendues dans une période récente même si, semble-t-il, en cours d’être révolue.

A/ LE CADRE LÉGAL : LA PROTECTION DE L’INTIMITÉ DE LA VIE PRIVÉE

2 L’article 9 du code civil, résultant de la loi de 1970, après avoir affirmé en son premier alinéa le principe du respect de la vie privée, précise en son alinéa 2 : « Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures telles que séquestre, saisie, et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».

3 Cette même loi du 17 juillet 1970 comportait par ailleurs une disposition pénale qui fut codifiée au code pénal, en son article 368 et qui définissait et réprimait le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée, en particulier par intrusion visuelle ou audiophonique.

4 Il y avait donc corrélation entre le délit pénal et la possibilité légale de décisions judiciaires, restrictives de la liberté de la presse, que la commission de ce délit pouvait justifier en référé en cas d’urgence.

5 Le nouveau code de procédure civile élargit le champ d’intervention du référé, non seulement aux cas, traditionnels, d’urgence selon son article 808 mais aussi, sans condition d’urgence et même en présence d’une contestation sérieuse, afin de prescrire toutes les mesures conservatoires ou de remise en état pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, selon l’article 809, alinéa 1. Et l’article 809, alinéa 2, NCPC permet que soit accordée en référé une provision dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

6 Une approche restrictive de la conjugaison de ces textes aurait conduit à limiter la possibilité d’intervention du président du tribunal statuant en référé, au seul cas d’urgence, d’une part et d’atteinte à l’intimité de la vie privée relevant du délit pénal, d’autre part.

7 L’approche extensive qui a prévalu fait abstraction de la notion d’urgence que ne requiert pas l’article 809, alinéa 1, et retient que l’atteinte à la vie privée, faute civile, suffit à constituer un trouble manifestement illicite, autorisant les mesures de saisie, suspension de diffusion, ou insertion de communiqué.

8 De plus, certaines situations de fait, étrangères aux prévisions des textes, ont conduit à une extension jurisprudentielle.

9 M. Raymond Lindon pouvait ainsi écrire :

10 « Au résultat de cette pratique, le juge des référés est devenu, autant sinon plus que le tribunal correctionnel, le juge de droit commun en matière de presse » (D. 1984.j.14).

B/ L’EXTENSION JURISPRUDENTIELLE QUI A FAIT DU JUGE DES RÉFÉRÉS LE JUGE DU DROIT COMMUN

11 Cette extension jurisprudentielle, pour compréhensible qu’elle ait pu être dans certains cas, a finalement abouti à l’inversion des règles, en ce que la juridiction d’exception des référés est devenue la règle, et le recours au tribunal l’exception.

1. La notion d’atteinte “intolérable”

12 Par ordonnance du 12 novembre 1976 (D.1977-233), le président du tribunal de Paris ordonnait la saisie d’un livre portant : « manifestement atteinte à l’intimité de la vie privée et une atteinte intolérable à la personnalité de la victime, lui causant un dommage qui risque d’être irréparable par l’allocation ultérieure de dommages et intérêts », mais rejetait la demande subsidiaire de provision.

13 Quelques années plus tard, le président du tribunal de Paris fut confronté à la demande de saisie exprimée par la famille d’une victime d’un assassin, victime dont étaient publiés des clichés, établis par les autorités de police, montrant le cadavre dépecé par un sadique. Sa décision de retrait de diffusion, avec un dispositif précis pour en assurer l’effectivité, fut motivée par le fait que le journal admettait le caractère manifestement illicite du trouble causé par sa publication. Par une référence à la notion de trouble illicite au sens de l’article 809, alinéa 1, NCPC, le tribunal ajoutait :

14 « la publication incriminée paraît bien constituer une violation du secret de l’instruction » (GP, 4 janvier 1984 p. 9).

15 La rigueur juridique de ces décisions émanant des présidents eux-mêmes, statuant en référé, fut ensuite parfois amoindrie dans les ordonnances prises par certains de leurs délégataires.

16 Par arrêt du 13 avril 1988 (Bull. Cass. I 97) la Cour de cassation rejetait le pourvoi contre un arrêt confirmatif d’une ordonnance de rejet d’une demande de saisie faute d’atteinte par le journal à l’intimité de la vie privée. L’ordonnance avait cependant, sur le fondement de l’article 809 NCPC, prononcé une astreinte, à titre de dommages et intérêts provisionnels, à défaut de remise en état volontaire et spontanée par voie de retour des numéros déjà proposés à la vente ou des numéros en instance de routage.

17 Prééminence semblait ainsi être accordée au texte réglementaire de procédure au regard du texte légal restrictif.

18 L’exigence du “quasi-constat” provisoire par le juge des référés du délit pénal d’atteinte à la l’intimité de la vie privée pour retenir sa compétence pouvait paraître jurisprudentiellement périmée.

19 Les limites restrictives de l’article 9, alinéa 2, du code civil furent cependant rappelées par trois arrêts de la Cour de cassation dans les mois suivants :

20

  • Le 31 mai 1988, après qu’un chef d’entreprise eut obtenu une ordonnance de référé interdisant à un journal de publier des informations sur son état de fortune et que la cour d’appel eut autorisé le journal à faire état du refus d’information opposé par l’intéressé, la première chambre civile cassait l’arrêt de la cour d’appel au motif du défaut de recherche sur l’atteinte, ou non, à l’intimité de la vie privée (Bull. Cass. I. 167).
  • Le 29 juin 1988, la deuxième chambre civile cassait un arrêt de la cour d’appel ayant interdit la publication de la photographie de la résidence secondaire d’une personne pour atteinte à sa vie privée, faute qu’ait été précisé en quoi cette publication emportait révélation de faits ayant le caractère d’intimité prévu par l’article 9 alinéa 2 du code civil (Bull. Cass. II. 160).
  • Le 4 octobre 1989, à nouveau vis-à-vis de la publication d’informations sur le patrimoine de l’un des “CENT FRANÇAIS LES PLUS RICHES”, la première chambre civile de la Cour de cassation rejetait le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel. La cour d’appel avait confirmé l’ordonnance de référé rejetant la demande d’interdiction de publication, au motif que « les mesures prévues par l’article 9, alinéa 2, du code civil ne peuvent être ordonnées en référé, que dans le seul cas d’une intrusion dans la vie privée qui porte atteinte à l’intimité de celle-ci ». (Bull. Cass. II. 307).

21 La distinction, établie par la loi et confirmée par la jurisprudence entre le respect de la vie privée et l’atteinte à son intimité, fut ensuite souvent méconnue par des ordonnances de référé retenant la compétence de cette juridiction d’exception par simple affirmation d’atteinte à la vie privée ou par appréciation très extensive de “l’intimité de la vie privée” pour des faits que le juge du fond, eut-il été saisi, n’aurait pas nécessairement qualifiés ainsi.

2. Les saisies

22 Le 6 juin 1988, une ordonnance de référé décidait la saisie immédiate d’une revue qui publiait un article illustré de photos, dont certaines auraient été prises à son insu, attentatoire à l’intimité de la vie privée d’une actrice, sur le fondement du caractère manifestement illicite et irréversible du préjudice ainsi causé. Le juge ajoutait une condamnation à provision de 150 000 F, mais cette décision de saisie ne fut pas exécutée, en raison d’un accord financier négocié ensuite entre les parties.

23 Quelques mois plus tard, une mesure de saisie fut en revanche refusée, tant en première instance qu’en appel, malgré le constat d’atteinte à l’intimité de la vie privée. Ce refus était motivé par le caractère pamphlétaire du journal, les divulgations antérieures relatives à sa vie privée par le demandeur et par le fait que la réparation adéquate et intégrale pouvait être assurée dans le cadre d’un débat au fond (Légipresse n° 160-I, p.30).

24 Le 30 mai 1991 était rendue une ordonnance ordonnant la suppression d’une page centrale d’une revue dite “de charme” avec retrait de toutes affiches représentant une journaliste “partiellement dénudée dans une attitude provocante”, au motif que la diffusion d’une telle image constituait une agression insupportable source pour elle d’un dommage insusceptible d’une réparation ultérieure, avec allocation d’une provision de 40 000 F.

25 Par delà ces cas extrêmes, nombre de personnalités de diverses professions mais exposées à des investigations journalistiques multiplièrent des demandes de saisie ou de communiqué, et de provision, devant la juridiction des référés.

26 Certaines publications furent plus précisément concernées, et furent donc l’objet de demandes répétitives, voire même groupées, à raison de plusieurs numéros successifs. Si les mesures de saisie, souvent d’ailleurs non sollicitées, ne furent en tout cas pas ordonnées, les condamnations, en référé, à publication de communiqués et provisions s’avérèrent de plus en plus importantes, jusqu’à occuper “la Une” de certaines publications, ou des pleines pages intérieures, avec des provisions pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de francs, et parfois même au-delà.

27 Les décisions de référé, qu’elles émanent du tribunal de Paris ou du tribunal de Nanterre, mettaient en général en exergue la réitération des atteintes à la vie privée, et se prononçaient tant sur les mesures provisoires que sur l’appréciation du préjudice, de telle sorte que le tribunal n’était quasiment jamais saisi au fond.

3. Les demandes préventives

28 L’été 1996 se traduisit par un développement jurisprudentiel de la notion de “demande préventive” sur le fondement d’un soupçon d’atteinte à l’intimité de la vie privée.

29 Le 2 août 1996 était rendue une ordonnance (inédite) interdisant, sous astreinte de 800 000 F, à un groupe de presse de publier dans tous périodiques édités par ce groupe toutes photographies réalisées à l’insu d’une journaliste de forte notoriété pendant ses vacances. L’agence de presse et des photographes avaient reconnu que des photographies avaient été prises, et l’agence avait même demandé un donner acte de ce qu’elle s’interdisait de les diffuser.

30 Quelques jours plus tard, le 24 août 1996 le tribunal de Nanterre accueillit la demande d’interdiction, formulée par l’auteur qui publiera lui-même plus tard un livre de souvenirs, de toute publication : « des photos le représentant en compagnie intime d’une personne de sexe féminin et au plus de trois autres personnes le 5 août 1996 ».

31 Par arrêt du 2 octobre 1996, (GP 30.04.1997 p. 19) la cour de Versailles infirmait cette ordonnance et retenait au contraire que le critère d’imminence de l’article 809 NCPC laissait à la charge du demandeur la preuve non d’une simple crainte, mais d’une certitude ou d’un risque sérieux de survenance qui n’était pas établi en l’espèce.

32 Le 13 septembre 1996, en revanche, sur une demande préventive d’interdiction de publication de “tout cliché photographique du demandeur pris pendant son hospitalisation” sous astreinte, une ordonnance disait n’y avoir lieu à référé en l’état “d’un préjudice éventuel purement hypothétique”, et condamnait le demandeur du chef de l’article 700.

33 Le 5 août 1998, un acteur obtenait une ordonnance de référé interdisant provisoirement à un éditeur toute publication d’un synopsis, du chef notamment d’atteinte à l’intimité de sa vie privée, et le 20 août suivant, une deuxième ordonnance prescrivait la publication d’un communiqué judiciaire dans un journal qui avait reproduit les écritures judiciaires, avec rejet de la demande de saisie alors présentée (Légipresse n° 157-I, p. 153).

34 Mais, statuant au fond, le tribunal de grande instance de Paris rappelait, par jugement du 18 novembre 1998 (D.99.462) : « la nature et la finalité du synopsis litigieux, ébauche d’un ouvrage en gestation dont les renseignements schématiques sont destinés à l’information de l’éditeur ne permettent pas, à défaut de tout acte de publication, de retenir comme atteinte à la vie privée sa seule communication à l’éditeur ».

4. La vie privée post-mortem

35 L’affirmation par l’arrêt de la cour de cassation du 5 novembre 1996 (D.97.403), de l’autonomie de l’article 9 du code civil par rapport à l’article 1382 du même code, c’est-à-dire que l’atteinte à la vie privée constitue une faute spéciale impliquant un préjudice spécial, doit normalement conduire à une évolution du chef de l’appréciation même des éléments du préjudice invoqué à raison de l’atteinte à la vie privée. L’appréciation de ce préjudice par son juge légal, c’est-à-dire le tribunal statuant au fond, doit être restaurée.

36 Cette extension jurisprudentielle a même conduit des juridictions statuant en référé, à ajouter des éléments de protection de la vie privée “indirecte” .

37 L’article 9 du code civil, qualifié de “droit de la personnalité” par certains auteurs, protège un droit strictement personnel et intransmissible.

38 La question s’était déjà posée en 1976 lors de la publication d’une photo d’un acteur sur son lit de mort. L’ordonnance de référé du 11 janvier 1977 (D.1977 - 83), avait alors retenu :

39 « le droit au respect de la vie privée s’étend par delà la mort à celui de la dépouille mortelle » et la décision de saisie mettait en exergue l’absence de consentement de la famille et la volonté - établie - du défunt.

40 Cette notion de “la vie privée du défunt” a récemment resurgi à l’occasion du décès de l’ancien président de la République et de l’assassinat d’un préfet. L’ordonnance de référé du 12 février 1998 ordonnait aux journaux ayant publié une photo du préfet assassiné et gisant sur le pavé d’une rue, d’insérer dans leur prochain numéro un communiqué précisant que cette publication avait causé un trouble grave aux membres de la famille. La demande de saisie, disproportionnée, alors que le trouble invoqué était susceptible d’être réparé dans le cadre d’une action devant le juge du fond, a cependant été rejetée.

41 Sur appel des journaux, la cour de Paris (jugement et arrêt publiés Légipresse n° 152-III, p. 86), modifiant la motivation de l’ordonnance estima que la publication de cette photographie, au cours de la période de deuil, constituait pour la veuve et les enfants “une profonde atteinte à leur sentiment d’affliction, partant à l’intimité de leur vie privée” et modifiait les termes du communiqué pour faire état de ce que la publication portait atteinte à l’intimité de la vie privée de la famille.

42 Une motivation de même nature fut retenue à l’encontre du journal ayant publié la photo de l’ancien Président sur son lit de mort, alors qu’en revanche, concernant l’interdiction de publication du livre rédigé par son médecin, c’est sur le fondement de la violation du secret médical que fut retenu le trouble manifestement illicite justifiant la décision en référé d’interdiction de diffusion à titre provisoire, dans l’attente d’une décision sur le fond (Cass. Civ., I 16 juillet 1997 - GP 1er février 1998 panorama CC 25).

43 L’affirmation, par la juridiction des référés, de la notion de “vie privée familiale” tant au regard de la recevabilité de l’action présentée par des membres de la famille qu’au regard de la définition même du trouble manifestement illicite ajoute manifestement aux textes. Quelque difficile que puisse être en pareil cas la situation concrète à laquelle est confrontée la juridiction des référés, la question reste posée d’une motivation extralégale quant à la teneur même de la faute fondamentale. Son appréciation demeure très complexe au regard des dispositions répressives de l’atteinte à l’intimité de la vie privée, du moins dans l’un des cas jugés, et plus encore au regard de la faute civile.

C/ LE RETOUR À L’ÉQUILIBRE PROCÉDURAL : LE RÉFÉRÉ, PROCÉDURE D’EXCEPTION

44 Les extensions jurisprudentielles constatées au cours des dernières années semblent devoir se résorber. De très nombreuses décisions rendues en référé ont en effet cessé d’accueillir les “référés-provision au fond”, comme tel fut un temps le cas. Cette banalisation des demandes présentées en référé a en effet conduit à des décisions, en référé, allouant des provisions d’un montant paraissant excéder ce que le tribunal, statuant au fond, aurait pu apprécier.

45 Un exemple récent illustre cette singularité : par ordonnance du 2 octobre 1998, le tribunal de Nanterre, accorda à un journaliste et à sa compagne, après publication d’un article sur leur rupture alléguée, avec photos d’illustration, des provisions sur dommages et intérêts, cumulant à 270 000 F, montant estimé excessif par le journal en cause.

46 Ce journal prit l’initiative de saisir lui-même le tribunal, statuant en formation normale, en ne disconvenant pas de l’atteinte par lui portée à la vie privée, mais en lui demandant d’arbitrer le montant des dommages et intérêts de façon plus mesurée. Il obtint satisfaction partielle car le tribunal, statuant au fond, apprécia le préjudice de façon très différente de la juridiction des référés, puisque le jugement accorda des dommages et intérêts d’un montant cumulé de 160 000 F, quelques mois plus tard, le 27 janvier 1999. (décision inédite).

47 Concernant le principe même de la publication d’un communiqué ordonné en référé en tant que sanction d’une atteinte à la vie privée, la cour de Versailles infirmant, dans un arrêt du 14 août 1998 (inédit), une ordonnance du tribunal de Nanterre du 24 juillet 1998 décida que : « en droit, l’article 9 in fine donne pouvoir au juge des référés d’ordonner ces mesures, s’il y a urgence », avant d’ajouter : « en l’espèce l’exécution pratique de la modalité définie par le premier juge pèche, par manque de pragmatisme, puisqu’une première page défigurée par un tel bandeau imposé ne manquerait pas d’attirer de nombreux acheteurs potentiels appâtés par la certitude qu’ils trouveront désormais dans ce magazine des informations pour le moins croustillantes ; que cette solution aboutirait à l’effet inverse de celui recherché.... et considérant qu’il n’est pas évident que l’atteinte portée à l’intimité de la vie privée de Mlle X. soit d’une exceptionnelle gravité ». La cour infirma la partie de l’ordonnance du chef de la publication d’un communiqué judiciaire, en en réservant l’appréciation au juge du fond.

48 Il s’agissait en l’espèce d’un article évoquant le “spleen” d’une actrice, avec des photos d’illustration la montrant dénudée.

49 Cette évolution, prenant en considération l’évidence que constitue l’irréversibilité d’une mesure de publication d’un communiqué judiciaire, surtout lorsqu’il est imposé de façon très apparente, a été également retenue par une ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Paris du 11 août 1999, (inédite) refusant à une actrice et son époux, dont la séparation avait été annoncée dans un article illustré de photos, la publication du communiqué sollicité en référé au motif que : « si toutes les atteintes de la nature de celle relevée sont par définition intolérables pour les personnes mises en cause, et s’il est exact que, dans le cas d’espèce, elles sont encore aggravées par l’image dévalorisante du couple qui est donné, il n’en demeure pas moins que la réparation octroyée par le juge des référés est provisoire et qu’elle ne peut s’étendre à une mesure de publication, complémentaire de l’indemnisation mais de fait définitive, que dans le cas où l’atteinte subie est particulièrement grave et où l’absence de publication immédiate aurait pour conséquence de compromettre l’indemnisation future totale de la victime ».

50 L’analyse de nombre de décisions de jurisprudence émanant de la juridiction des référés et de tribunaux statuant au fond, démontre en effet un contraste important entre des motivations parfois sibyllines au soutien de sanctions sévères et des exposés de motifs circonstanciés individualisant les éléments particuliers du cas jugé par le tribunal au fond.

51 L’affirmation, en référé, d’une atteinte à l’intimité de la vie privée, constitue un préjugé, même provisoire et n’ayant pas l’autorité de chose jugée, de la commission d’un délit pénal.

52 Mais la prudence d’appréciation quant au principe même de l’atteinte alléguée commande que soit opérée, déjà en référé, la distinction entre l’atteinte à l’intimité et la faute civile d’atteinte à la vie privée, comme rappelé par la cour de cassation selon les arrêts susvisés.

53 Le fait est que la juridiction pénale est très rarement saisie sur le fondement du délit pénal d’atteinte à l’intimité de la vie privée, ceux-là même qui l’invoquent pour obtenir des sanctions en référé, privilégiant ensuite de façon quasi systématique la saisine de la juridiction civile dès lors qu’ils n’ont pas obtenu de la juridiction des référés ce qu’ils estiment une réparation suffisante.

54 Ce constat permet de relativiser les affirmations “d’atteinte à l’intimité de la vie privée” exprimées devant le juge des référés, et ensuite transformées en simple “atteinte à la vie privée”, devant le tribunal statuant au fond.

55 Ce retour à l’équilibre procédural d’une saisine plus normale du tribunal statuant au fond devrait être facilité par la réforme procédurale récemment intervenue au tribunal de Paris, et la constitution d’une chambre de la presse. Cette chambre sera de nature à éviter la dispersion des instances en référé entre une pluralité de magistrats, particulièrement pendant les périodes de vacation, ce qui conduisait à une diversité jurisprudentielle parfois singulière.

56 En effet, le tribunal, statuant au fond, dispose non seulement des mérites de la collégialité et d’un délai raisonnable, mais en outre de tous éléments d’appréciation, en demande comme en défense, pour définir les critères individuels de la conf iguration de la vie privée ou de l’intimité de la vie privée des demandeurs. Il peut définir la nature et la gravité de l’atteinte alléguée en fonction des moyens de défense qui lui sont présentés et dispose des éléments relatifs à la définition et à la réparation du préjudice spécifique résultant de l’atteinte, permettant ainsi une motivation autorisant une compréhension plus complète et mieux adéquate par les parties en cause.

57 Légalement, la protection de la vie privée n’a pas à être spécifiquement sanctionnée par le juge des référés mais par le tribunal.

58 Les demandes de réparation financière du préjudice moral allégué excédent la compétence de la juridiction des référés, sauf aveu de faute qui advient parfois, en ce que la nature même de la faute alléguée, civile ou pénale, et l’appréciation du préjudice, quasi exclusivement moral, spécifique et non de droit commun, sont sérieusement contestables dans la majorité des cas.

59 La protection normale de la vie privée, ou de son intimité, incombe au tribunal civil ou correctionnel, statuant au fond.

60 En revanche, lorsque les circonstances font apparaître l’évidence d’une atteinte à l’intimité de la vie privée, le président statuant en référé doit alors, mais alors seulement, assurer la protection de la victime par la sanction provisoire appropriée. La conjugaison des dispositions de l’article 809, alinéa 1, NCPC lui permet le choix de la mesure qui lui paraît adaptée pour assurer cette protection.

61 Ce droit conféré au président statuant en référé de rompre l’équilibre entre la liberté de la presse et les droits de la personne en ordonnant une mesure attentatoire à cette liberté relève d’une situation d’exception déférée à une juridiction d’exception en tant que recours ultime dans les cas extrêmes.


Date de mise en ligne : 29/03/2014

https://doi.org/10.3917/legi.020.0027

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