1 CJUE, 14 mars 2024, D & A Pharma / Commission et EMA, aff. C-291/22 P, ECLI : EU : C : 2024 : 228.
2 Le recours est introduit par une entreprise productrice d’un médicament visant à lutter contre la dépendance à l’alcool, l’Hopveus, afin d’obtenir l’annulation par la Cour de justice de l’arrêt du Tribunal de l’Union rendu le 2 mars 2022, D & A Pharma / Commission et EMA. Dans cet arrêt, le Tribunal a rejeté le recours de la requérante tendant à l’annulation de la décision d’exécution de la Commission européenne lui refusant sa demande de mise sur le marché du médicament en cause. La décision litigieuse a été adoptée à la suite d’un premier avis défavorable rendu par le comité des médicaments à usage humain (ci-après « CHMP ») et d’un second avis émis après la sollicitation par la requérante d’un réexamen de sa demande et de la convocation du groupe scientifique consultatif (ci-après « GSC ») psychiatrie. La requérante invoque devant la Cour deux principaux moyens à l’appui de son recours. D’une part, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en exigeant de la requérante d’apporter la preuve de la partialité de deux membres du groupe d’experts consulté par le CHMP, chargé d’élaborer les avis scientifiques de l’Agence européenne des médicaments (ci-après « EMA »). D’autre part, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que la décision du CHMP de ne pas convoquer le GSC psychiatrie lors de l’élaboration des avis scientifiques n’était pas illégale. Il est ainsi question pour le juge de l’Union de déterminer en l’espèce quel pouvoir d’appréciation disposent l’EMA et le CHMP dans l’élaboration des « meilleurs avis scientifiques possibles ».
3 S’agissant du moyen lié à la partialité alléguée des deux membres du groupe d’experts consulté par le CHMP, la Cour de justice commence par rappeler ce qu’implique l’exigence d’impartialité objective pour l’EMA et ses comités (points 71 à 81). L’impartialité objective se trouve compromise en cas de conflit d’intérêts d’un des membres du comité ou d’un expert consulté par ce comité, lorsqu’il existe un chevauchement de fonctions, indépendamment de sa conduite personnelle (points 74 et 75). Une situation de conflit d’intérêts d’un expert prenant part à la procédure d’édiction d’un avis scientifique est alors susceptible, en raison de son influence sur la décision adoptée, d’entacher sa légalité (point 76). La CJUE relève que le règlement n° 726/2004 relatif à la mise sur le marché de médicaments à usage humain confère à l’EMA le soin de fixer les règles mettant en œuvre l’exigence d’impartialité et d’indépendance de ses experts et ainsi d’opérer l’arbitrage entre cette double exigence et l’intérêt public tenant à la nécessité de disposer des meilleurs avis scientifiques (points 84 et 85). L’EMA bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des critères garantissant l’impartialité et l’indépendance de ses membres, sous réserve du respect des droits et principes de la Charte des droits fondamentaux (points 86 à 89). Or, la Cour considère que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’appréciation en l’espèce des intérêts concurrents des deux experts, tels qu’ils ont été définis dans la politique adoptée spécifiquement par l’EMA (points 91 à 118).
4 Concernant le moyen tiré du refus par le CHMP de consulter le GSC psychiatrie lors du réexamen de l’avis scientifique, la CJUE souligne que, selon le règlement n° 726/2004 et les lignes directrices de l’EMA relative à la procédure de réexamen, le CHMP doit consulter le GSC établi dans le domaine thérapeutique correspondant lorsque la demande est motivée et faite en temps utile et, dans le cas où il n’en existerait pas, le CHMP doit consulter un groupe d’experts ad hoc (points 134 à 142). La Cour conclut à un vice de procédure en ce que le CHMP a outrepassé manifestement les limites de son pouvoir d’appréciation en décidant de convoquer un groupe d’experts ad hoc en lieu et place du GSC psychiatrie, sous prétexte qu’il serait plus apte à répondre aux questions scientifiques (points 143 à 160). La décision litigieuse est ainsi frappée de nullité car elle a été adoptée sur le fondement de l’avis scientifique de l’EMA qui aurait dû lui-même être considéré comme nul (point 158). Cet arrêt illustre simplement l’influence que peut avoir un avis scientifique sur la décision adoptée, d’où l’importance pour le juge de l’Union de rappeler les limites dans lesquelles s’exerce le large pouvoir d’appréciation de l’agence à l’aune de l’intérêt public d’élaborer les « meilleurs avis scientifiques possibles ».
Date de mise en ligne : 03/07/2024