Couverture de RJE_242

Article de revue

Comprendre ce qu’est le vrai savoir vivre…

Pages 263 à 265

English version

1 Lire, écrire et compter sont nos fondamentaux et on nous dit souvent qu’ils se perdent parmi nos enfants… Mais les générations précédentes, qui les possédaient semble-t-il mieux, ont laissé émerger des catastrophes environnementales majeures, qui touchent l’homme en retour. Pensons aux sécheresses et aux canicules, aux plastiques qui se fragmentent en microplastiques libérant à leur tour des perturbateurs endocriniens, aux pesticides toxiques pour les consommateurs mais aussi pour les agriculteurs (comme la chlordécone, qui ruine des régions entières des Caraïbes), aux polluants éternels (les fluoro-alkylés comme le Téflon) qui coûtent chaque année plus de 50 milliards d’euros de frais de santé en Europe, aux espèces introduites dont les méfaits se chiffrent à plus de 420 milliards d’euros par an dans le monde… Sans oublier, parmi tout ce qui nous abime, le trop fréquent et dangereux ratage des relations entre les hommes et les femmes dans nos sociétés, souligné par le #MeToo.

2 Des générations sachant bien lire, écrire et compter n’avaient donc pas anticipé ces catastrophes modernes. Il leur manquait en effet un fondamental : comprendre ce qu’implique d’être vivant, et comment cela doit teinter, inspirer tous nos actes – le savoir vivre dans un monde vivant. D’ailleurs, le vivant est aussi une solution : le concept One Heath et ses applications montrent combien certaines gestions de l’environnement peuvent protéger les populations de certaines maladies ; des plantations de haies ou des cultures d’espèces mélangées (agroforesterie, mélange de céréales et de légumineuses) réduisent la propagation des maladies et donc le recours aux pesticides… Explique-t-on cela aux générations suivantes pour qu’elles évitent de subir les conséquences de leurs actions, et pour qu’elles puisent dans le monde vivant d’autres moyens d’agir ? Non, hélas non…

3 Jusqu’ici, les sciences de la vie, de l’environnement et de la santé restent cantonnées à l’annonce des mauvaises nouvelles. C’est injuste : en les maîtrisant en amont, on évite certaines erreurs, même à l’échelle individuelle. Mieux formé, chaque citoyen pourrait mieux choisir son alimentation, ses produits ménagers, la gestion de ses déchets, sa sexualité… Mieux sensibilisés dès l’enfance à ce qu’impliquent d’être vivant et d’avoir un environnement, nos décideurs intégreraient peut-être plus efficacement les messages venus des sciences du vivant et de l’environnement.

4 Oui, mais… Ces sciences ne sont pas enseignées au primaire, sauf exception liée à tel ou tel enseignant ; elles vivotent d’une heure de « SVT » par semaine au collège et en seconde ; puis elles disparaissent totalement du tronc commun de première et de terminale. Est-ce assez pour tous ces jours où on ne compte pas, on ne lit pas, on n’écrit pas, mais où… on respire, on mange, on vit, on consomme, on fait l’amour, on produit des déchets ? Une scolarité secondaire, qui compte 685 heures de mathématiques, ne compte que 270 heures de SVT et une vingtaine d’heures d’éducation sexuelle, par exemple… L’équilibre y est-il ? Que non, ce n’est que la recette pour perpétrer les échecs d’hier. Aux mêmes causes, les mêmes effets.

5 À côté du savoir lire, écrire et compter, il est fondamental de savoir vivre dans un monde vivant, qui nous touche en retour quand nous le touchons. Mais nos enseignements, où chaque discipline lutte pour l’accès aux heures d’enseignement, tendent au statu quo. Ces lignes, me direz-vous, plaident justement pour enseigner plus ce qu’on appelle les SVT (Sciences de la vie et de la Terre) : oui et non. D’un côté, oui, pour mieux préparer et parer aux catastrophes environnementales et sanitaires actuelles. Mais d’un autre côté, non : elles veulent aussi lier le vivant et l’environnement aux autres disciplines. Par exemple, notre sexualité intéresse aussi les lettres et la philosophie ; les notions de moyenne et d’écart à la moyenne, qui sont au cœur des sciences de l’environnement et de la santé, ne se construisent pas sans mathématiques ; qu’est le changement climatique sans physique ni chimie ? Peut-on gérer l’environnement sans les compétences et l’action de ceux qui savent et font le droit ? Inversement, on ne peut comprendre la biologie sans une perspective d’histoire des sciences, ni comprendre les débats actuels sur la santé sans épistémologie : au début de la crise du COVID, la croyance naïve en une science faite de certitude a conduit les citoyens à l’incrédulité devant le débat scientifique, qui fait pourtant le cœur et le sérieux de ses conclusions. Une vision philosophique et sociologique sur les sciences, notamment du vivant, manque à nos concitoyens.

6 Il ne s’agit pas de nier que lire, écrire et compter ont une actualité : mais il faut les considérer dans un carquois plus large, élargi au savoir vivre dans un monde vivant. D’ailleurs, il n’y a pas de hiatus avec lire, écrire ou compter. Comprendre le vivant demande des mathématiques et peut développer l’expression écrite et orale. L’étude d’une pomme permet de rédiger pour décrire son apparence et son goût, de compter les pépins en classe pour approcher la notion de moyenne et d’écart à la moyenne, de comprendre sa fonction biologique – avant d’aborder ses rôles nutritionnels… On a naïvement hiérarchisé les savoir-faire sans tisser de liens efficaces entre eux. Or ces liens donnent du sens à chaque discipline et les justifient. L’interdisciplinarité aiderait aussi les élèves à accéder aux objets du vivant par la discipline qui leur plaît plus.

7 Enfin, faire vivre l’interdisciplinarité demande peut-être, dans les études supérieures en biologie, de diminuer la place donnée aux matières utilisées pour la sélection : les futurs médecins et les futurs agronomes choisissent souvent des options de mathématiques ou la physique-chimie en terminale, au détriment des SVT, car ce sont des matières de sélection. De fait, à l’écrit du concours des Écoles d’Agronomie, les coefficients des mathématiques et de la biologie sont par exemple identiques. Personne ne nie l’importance de compter en biologie, ni un nécessaire lien à la physique et la chimie : mais diminuer le poids de matières trop représentées pour des raisons de sélection permettrait de faire entrer d’autres sciences (par exemple humaines) et de faire vivre plus d’interdisciplinarité dans les compétences de nos futurs médecins et ingénieurs du vivant.

8 Plus de sciences de la vie, de l’environnement et de la santé ; plus d’interdisciplinarité, en ces sciences comme en tout enseignement : ce défi de l’avenir éducatif est aussi celui de la vulgarisation et de l’information scientifique. Il est le credo de la Fédération BioGée, qui se veut la voix des sciences du vivant et de l’environnement en France. BioGée réunit six académies (Science, Agriculture, Médecine, Vétérinaire, Pharmacie et Technologies), le Muséum national d’Histoire naturelle, une trentaine de sociétés scientifiques nationales, des consortiums d’entreprises, des associations d’enseignants et une vingtaine d’autres associations. Son nom, emprunté au philosophe Michel Serres, illustre une volonté d’interdisciplinarité. Elle veut montrer les apports positifs des disciplines qu’elle représente dans la vie des citoyens, la formation des plus jeunes, les prises de décision et la gestion des crises qui défient la société française. Bientôt d’ailleurs, la Société Française pour le Droit de l’Environnement va rejoindre BioGée.

9 Et peut-être rejoindrez-vous vous-même BioGée dans son appel à faire de la connaissance du vivant un fondamental et une interdisciplinarité, pour des lendemains meilleurs.


Date de mise en ligne : 03/07/2024

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