Couverture de RJE_241

Article de revue

Boire et/ou chasser ?

Pages 5 à 7

Notes

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1 Publié au Journal officiel le 17 septembre 2023, un décret crée une nouvelle contravention réprimant le fait de chasser « en état d’ivresse manifeste » à l’occasion d’une « action de chasse ou de destruction en étant porteur d’une arme à feu ou d’un arc » [1]. Cette mesure s’inscrit dans le prolongement du « Plan chasse » présenté par le Gouvernement au début de l’année 2023, qui prévoyait initialement la création d’un délit et l’instauration d’une journée sans chasse, ces deux dispositions ayant été abandonnées [2]. Ce plan fait suite, notamment, au rapport du Sénat du 14 septembre 2022 opportunément intitulé La sécurité : un devoir pour les chasseurs, une attente de la société[3]. Une attente certaine, puisque la mission d’information du Sénat a été créée suite à la pétition d’un collectif ayant recueilli plus de 100 000 signatures [4].

2 Cette mesure, qui n’est en aucun cas assimilable à un contrôle de l’alcoolémie, constitue l’occasion de s’interroger brièvement sur la nature et l’évolution des accidents liés à la pratique de la chasse. En 2022-23, 78 accidents ont été relevés par l’OFB dont 6 mortels, contre 90 accidents (dont 8 mortels) l’année précédente et 232 en 1999-2000 [5]. Si la baisse est significative, la mission d’information parlementaire estime que, compte tenu de la nature de ces accidents, une réduction des risques est encore largement possible. En effet, la plupart des accidents résultent de fautes graves de sécurité ou de comportement, soit de tirs dans l’angle des 30° [6], vers des habitations, des personnes ou des routes ou tout simplement sans identification (67 % des accidents pour la chasse au grand gibier et 77 % des accidents lors de la chasse au petit gibier) [7]. Si l’on s’intéresse de plus près aux 8 accidents mortels survenus en 2021-22, le constat est le même : trois résultent de tirs directs dont deux dans l’angle des 30°, un résulte d’un ricochet à la suite d’un tir dans l’angle des 30°, tandis que l’enquête était en cours d’instruction pour 3 autres accidents [8]. On notera que certaines années (2020-21), l’âge des auteurs des tirs mortels a été déterminant, puisque trois d’entre eux étaient âgés de 77 ans, 81 ans et 102 ans ! Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la mission d’information sénatoriale préconise, dans son rapport, « de s’assurer de manière plus approfondie de l’aptitude des chasseurs à détenir une arme et à s’en servir dans la nature », et propose d’aligner la chasse sur les sports se pratiquant avec une arme (tir sportif, ball-trap et ski-biathlon), en exigeant des chasseurs la production d’un certificat médical annuel. Pour l’heure en effet, et depuis 2005 seulement, un seul certificat est exigé au moment du passage du permis.

3 Une telle mesure pourrait d’ailleurs produire des effets positifs sur la question – visiblement sensible, indéniablement taboue en France [9] – d’une éventuelle dépendance à l’alcool. À cet égard, 9 % des accidents de chasse sont liés à l’alcool ou aux stupéfiants, soit, selon le rapport précité, « une proportion non négligeable mais assurément très inférieure aux caricatures ». On soulignera toutefois que pour les accidents les moins graves, un dépistage n’est pas réalisé.

4 Ces chiffres ne tiennent pas compte non plus des « incidents » de chasse, c’est-à-dire des tirs n’ayant pas entraîné d’atteintes à des personnes mais à des animaux domestiques et d’élevage ou à des choses. Ces derniers ne régressent d’ailleurs pas autant que les accidents, et les chiffres sont mal connus. En 2021-22, il y aurait eu 104 incidents : 53 tirs vers des habitations, 33 tirs vers des véhicules et 18 tirs sur des animaux domestiques, et 84 en 2022-23. Comme le souligne le rapport, les incidents doivent être pris très au sérieux, puisque chaque incident aurait pu être un accident.

5 Face à de tels constats, on s’étonnera que le décret de septembre n’instaure qu’une contravention pour « état d’ivresse manifeste » et ne reprenne pas les préconisations de la mission d’information. Celle-ci recommandait, à l’instar de ce qui se pratique chez la plupart de nos voisins européens, l’interdiction de l’alcool et de l’usage de stupéfiants lors de la chasse et l’alignement des taux retenus et des sanctions sur les règles en vigueur en matière de Code de la route.

6 L’on se souviendra, alors, que le Président de la République s’est vu décerner, en 2022, le prix de la personnalité de l’année aux « Trophées du vin » de la Revue du vin de France [10], notamment pour avoir déclaré : « Je bois du vin tous les jours, midi et soir ». Relevons aussi, non sans ironie, que les pouvoirs publics expérimentent, depuis le début de l’année 2024, la vente de munitions dans les bureaux de tabac, le département des Pyrénées-Atlantiques ayant été sélectionné par le ministère de l’Intérieur avant que la mesure ne soit généralisée. Or en France 55,5 % des buralistes sont aussi des débits de boisson !


Date de mise en ligne : 11/04/2024

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