« For true and false are attributes of speech, not of things. And where speech is not, there is neither truth nor falsehood. ».
2 Ceci n’est pas… Par-delà l’illusion ce qui est peut ne pas être. Le jeu du vrai et du faux est éternel, en peinture naturellement (de Zeuxis à Magritte) ou en pensée forcément (des sophistes à Artaud), et ailleurs dans l’air bleu des créations humaines.
3 Dans Ceci n’est pas un conte (1772-1773), en fait une trilogie de contes qui montre la relativité des pensées et des règles et, en principe, sont vivants ensemble, Diderot écrit in fine « Mais mettez la main sur la conscience, et dites-moi, vous, monsieur l’apologiste des trompeurs et des infidèles, si vous prendriez le docteur de Toulouse pour votre ami ?… Vous hésitez ? Tout est dit ».
4 Alors, disons. En ce temps d’extermination du vivant, le pluralisme de vérités ne nie pas la nécessité de la science comme raison dans les mots pour fonder la méthode et le discours en droit de l’environnement. Il n’est pas une préface à l’obscurantisme ; un faiseur injuste d’ombres, évacuant l’épistémologie de ce droit dans les fossés de la déraison et du chaos. Il n’est pas une lueur hasardeuse éclairant la pénombre telle la foudre zébrant la nuit.
« Comment être humain quand nature se meurt ? Tout est lié : la survie, la pensée, la féerie. ».
6 Au fond, qui sait ? Toute connaissance, intuitive ou raisonnée, est inscrite dans le temps historique ; elle est fondamentalement contingente et file une généalogie. Michel Foucault, dans la lignée de Nietzsche, l’a bien montré : « la critique des injustices du passé par la vérité que l’homme détient aujourd’hui devient destruction du sujet de connaissance par l’injustice propre à la volonté de savoir. » (Dits et écrits, I, p. 1024).
7 Reprise : C’est là l’immixtion de la bonne raison particulièrement nécessaire en ces temps où la science paraît être l’instance reine de véridiction légitime, inféodant la politique ou le droit à sa propre vérité, alors même que sa conception moderne remet en question ses fondements épistémologiques classiques ; et cela dans toutes ses dimensions, aussi bien dans ses rapports du sujet à l’objet que dans sa capacité à transcender la raison et l’ordre, dans son aptitude à discerner entre science et non-science, ou encore à situer sa propre place, comme celle de ses acteurs et de ses processus, dans les rapports de pouvoir ou dans le flux de l’histoire ou même dans la société (S. Gutwirth et É. Naim-Gesbert, « Science et droit de l’environnement : réflexions pour le cadre conceptuel du pluralisme de vérités », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, n° 34, 1995, p. 33-98. Et S. Gutwirth, Waarheidsaanspraken in recht en wetenschap. Een onderzoek naar de verhouding tussen recht en wetenschap met bijzondere illustraties uit het informaticarecht, VUBPress/MAKLU, 1993 ; « Waarhedenpluralisme : een middel tegen de erosie van recht », in Recht : schijn en werkelijkheid, Tegenspraak Cahier 13 - 10 jaar Tegenspraak, Mys & Breesch, 1992, p. 33-40 ; « Waarhedenpluralisme, recht en juridische expertsystemen. Een verkenning », in Automatisering van de juridische besluitvorming, R. de Corte (dir.), Mys & Breesch, 1993, p. 123-148).
8 La vérité est la capture appropriée de mots qui ordonnent une pensée en un chemin plus ou moins scientifique – une méthode (µέθοδς methodos : qui suit un chemin) définissant un discours. Clairement dans le domaine de la pensée aucun absolu ne règne : « Vérité de la science ? Toute science de la nature repose sur la perception ; déclarer la perception fausse au nom de la science est une contradiction » (S. Weil, « Cahier inédit I », in Œuvres complètes, Gallimard, 1994, p. 173). C’est en ce sens qu’il faut entendre l’initium du droit de l’environnement : « Tout commencement est à réamorcer. Comme l’élan qui fait jaillir la dimension du sacré de la nature pour renouer avec le droit naturel : Renaissance. S’esquisse un temps neuf pour le droit de l’environnement, un moment où la pensée qui le fonde surgit en une temporalité propice liant la volonté des hommes à leur destin. Initium donc, entendu selon la voie augustinienne (Saint-Augustin, De Civitate Dei contra paganos, 413-426, XII, 20). Un moment où la parole juridique devient la proie de l’écoulement du temps et est questionnée sur son aptitude à discerner ce qui est juste et ce qui ne l’est pas (Prudentia est rerum bonarum et malarum neutrarumque scientia, Cicéron, De inventione, vers 84, LII, 160, « La sagesse est l’art de saisir ce qui est bon et mal et ce qui n’est ni l’un ni l’autre »). (…) En effet, dans les commencements gît le sentiment du juste (Homère, L’Odyssée, Chants II et III) ».
9 Ab initio : ce qui suppose à vrai dire, et voilà où nous allons, une conception doctrinale nominaliste du droit de l’environnement, définie ainsi : l’accord du nom (la norme) et de la chose (le réel écologique) au plus près et au plus juste » (Éric Naim-Gesbert, « L’accord du nom et de la chose, initium du droit de l’environnement », in « La doctrine en droit de l’environnement », RJE, n° spécial, 2016, p. 15-16 ; voir aussi, « La définition nominaliste du droit de l’environnement », in Des petits oiseaux aux grands principes, Mélanges J. Untermaier, Paris, mare & martin, 2018, p. 283-289 ; « Que le droit de l’environnement soit une langue vivante ! Du nominalisme et de ses effets sur le statut de la nature : définition de l’équité environnementale », cette revue, n° 3, 2018, p. 449-453).
10 L’humain qui parle comme l’oiseau vole libre. Dans le langage et avec la parole s’établit la frontière du vrai et du faux en justesse – au risque sinon de s’engluer tel l’oiseau pris au piège.
« Seeing then that truth consisteth in the right ordering of names in our affirmations, a man that seeketh precise truth had need to remember what every name he uses stands for, and to place it accordingly ; or else he will find himself entangled in words, as a bird in lime twigs. ».
12 Le juste s’y discerne en une voie qui révèle une vérité dans sa durée et capturée à un moment.
13 Ainsi, par exemple, et en lui-même, le principe de précaution incarne au mieux ce chemin. En effet, il exprime l’adéquation qui dans l’incertitude donne sens à la vérité (en ce lieu situé s’ouvre une métaphysique du temps où peut surgir le vrai), la vraisemblance qui permet de penser l’équilibre du juste (la précaution aide le droit à ajuster le mot à la chose naturelle), l’acceptabilité qui se forge dans la puissance de véridiction (non pas du droit en devenir mais du droit devenant ce qu’il doit être).
14 On pense avec les mots qu’on forge. La découverte de la vérité est un tremblement sur l’horizon métaphysique que nous appelons donc pluralisme de vérités. Elle a sa part dans les expressions les plus emblématiques du droit de l’environnement, tels les droits subjectifs, le mécanisme de l’étude d’impact et les principes directeurs (G.-J. Martin, « La "vérité" scientifique à l’épreuve du droit. L’exemple du droit de l’environnement », in Le faux, le droit et le juste, J.-J. Sueur (dir.), Bruylant, 2009, p. 22-23). Est à bannir toute quête illusoire d’une vérité pure – chemin qui ne peut mener qu’à une impasse en démocratie fondée sur la définition de l’acceptabilité des risques. Dès lors peut se forger une certaine vérité – façonnée par la méthode scientifique et dans les formes juridiques – qui puisse en l’état, et à un moment donné, réguler le réel. Une formule s’institue alors : véracité-éclaircie-action. Aucune sophistique ici, mais bien la nécessité, en une intention nominaliste, d’établir une fluidité prescriptive pour définir une normativité acclimatée au plus juste du réel écologique.
15 La vérité est bel et bien une ouverture sur le monde des choses et des mots : « Aussi ne fais-je pas profession de savoir la vérité, ni d’y atteindre. J’ouvre les choses plus que je ne les découvre. » (Montaigne, Les Essais, édition 1595, Livre II, chapitre XII).
16 Que cette chronique d’ouverture puisse faire entendre que le droit de l’environnement doit se doter de la capacité magique de changer la perception de la vie et faire des êtres humains d’éternels émerveillés – causa sui. Nous y tenons comme le faucon à sa vue planant dans l’air bleu.
« For between true science and erroneous doctrines, ignorance is in the middle. ».
Date de mise en ligne : 30/03/2022