Notes
-
[1]
En revanche, si la première décision n’a pas été attaquée et est devenue définitive, et qu’intervient ensuite la décision expresse, cette seconde décision est en principe regardée comme confirmative de la première et ne peut donc pas être attaquée (CE, Ass., Ville de Moissac, 31 mai 1985, n° 42659, R. ; CE 12 octobre 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, n° 01875, 01905, 01948 et 01951, R.), sauf changement dans les circonstances de fait ou de droit.
-
[2]
Il est vrai que la décision ne détaille pas le cas du spécimen de tigre concerné et se borne à citer des textes et à se référer à l’avis du Muséum. Mais on comprend bien toutefois que l’exportation du tigre alimenterait la « demande », ce que les États parties à la Convention de Washington, dont les États de l’UE et la France, semblent vouloir éviter par tous moyens : ne pas élever des tigres pour leurs « parties et produits », détruire les stocks disponibles sauf pour des besoins scientifiques.
-
[3]
La jurisprudence vise les deux, mais ne semble pas faire une application de la seule Convention lorsque le règlement est applicable.
Cf. pour le règlement de 1982, CE, 19 mars 1990, Ministre de l’environnement c/ Pomarède, n° 94477, T. ; CE, 30 janvier 1995, Société Fourrures Maurice c/ Commune de Montreuil, n° 130238, R. ; CE, 6 décembre 1998, Ministre de l’environnement c/ Société des Fourrures Maurice, n° 172563, T.
Pour celui de 1996, CE, 6 décembre 2012, Ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat c/ Société Fauna & Films, n° 343421, T. ; CE, 23 janvier 2019, Association One Voice et autres, n° 426257, Inédit ; CE, 13 février 2019, Fédération française de La Coutellerie, nos 408118, 412269, T. -
[4]
Source WWF : « 3 890 : c’est le nombre de tigres sauvages répertoriés par le WWF et le Global Tiger Forum (GTF). (…) 690 tigres sauvages supplémentaires ont été répertoriés entre 2010 et 2016. (…) Cette bonne nouvelle recouvre une augmentation des populations en Inde, en Russie, au Népal et au Bhutan, des enquêtes plus fines et une meilleure protection de l’espèce ».
La jurisprudence a pu admettre que la seule détention dans une propriété qui n’est pas ouverte au public de deux tigres ne saurait être assimilée à une activité d’élevage, c’est-à-dire une activité commerciale (CE, 20 octobre 1995, Ministre de l’Environnement c/ M. Ziegler, n° 153605 I). La seule question qui se pose alors est une question de police : la sécurité des riverains. -
[5]
« les stipulations claires de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages ne font obstacle à l’adoption ni de mesures internes plus strictes ni de mesures tendant à la réglementation du commerce d’espèces auxquelles elle ne s’applique pas ».
-
[6]
Cf. par exemple concl. C. de La Verpillière sur CE, 19 mars 1990, Ministre de l’environnement c/ Pomarède, n° 94477, T.
CITES - Application dans les États membres de l’Union européenne - Règlement n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996.
Spécimen de tigre naturalisé / Demande d’exportation de la France vers l’Asie.
Avis défavorable du Muséum d’histoire naturelle / Refus du permis d’exportation.
Tribunal administratif de Montreuil, 2ème chambre, 30 septembre 2020, SARL Colonial Concept, n° 1904104
1Considérant ce qui suit :
21. La société Colonial Concept a adressé le 13 septembre 2018 à la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie une demande d’exportation vers l’Asie d’un spécimen de tigre naturalisé. Par décision du 7 janvier 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a explicitement refusé de lui accorder le permis sollicité. La société requérante demande l’annulation de cette décision, qui s’est substituée au refus implicite né le 13 novembre 2018, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux.
3Sur les conclusions à fin d’annulation :
42. En premier lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (…) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l’article L. 311-5 (…) ».
53. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser l’autorisation d’exportation sollicitée, le préfet de la Seine-Saint-Denis s’est fondé sur le d) de l’article 5.2 du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce, et sur la circonstance tirée de ce que, en suivant l’avis rendu le 5 décembre 2018 par l’autorité scientifique française, les éléments contextuels contenus dans la résolution 12.5 adoptée par la Conférence des Parties à la Convention de Washington, telle la pratique du commerce de peaux et d’os de tigres notamment dans les pays asiatiques qui contribue à alimenter un braconnage de spécimens sauvages mettant en danger cette espèce, constituent un facteur lié à la conservation de l’espèce s’opposant à la délivrance du permis sollicité. Dès lors, le préfet, qui a indiqué les considérations de fait et de droit sur lesquelles il s’est fondé, a suffisamment motivé sa décision.
64. En deuxième lieu, d’une part, aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « (…) Les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Et aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 311-2 du même code : « Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration. Cependant, les avis, prévus par les textes législatifs ou réglementaires, au vu desquels est prise une décision rendue sur une demande tendant à bénéficier d’une décision individuelle créatrice de droits, sont communicables à l’auteur de cette demande dès leur envoi à l’autorité compétente pour statuer sur la demande. Lorsque les motifs de l’avis n’y figurent pas, ceux-ci doivent être également communiqués au demandeur en cas d’avis défavorable ».
75. D’autre part, aux termes de l’article 5.2 du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 : « Un permis d’exportation pour les spécimens des espèces énumérées à l’annexe A ne peut être délivré que lorsque les conditions suivantes sont remplies : (…) d) l’organe de gestion de l’État membre s’est assuré, après consultation de l’autorité scientifique compétente, qu’aucun autre facteur lié à la conservation de l’espèce ne s’oppose à la délivrance du permis d’exportation ».
86. Contrairement à ce que soutient la société Colonial Concept, il était loisible au préfet, pour s’assurer que la demande qu’elle formulait remplissait la condition posée par le d) de l’article 5.2 du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996, de saisir pour avis le Muséum national d’histoire naturelle, autorité scientifique française au sens dudit règlement. En outre, il ne résulte pas des dispositions du règlement (CE) n° 338/97 que l’avis de l’autorité scientifique doit être obligatoirement motivé. Enfin, la circonstance tirée de ce que l’avis rendu le 5 décembre 2018 par le Muséum national d’histoire naturelle n’a pas été communiqué à la société requérante concomitamment à la notification de la décision attaquée, est sans influence sur la légalité de cette dernière. Il s’ensuit que les moyens tirés du vice de procédure doivent être écartés.
97. En troisième lieu, d’une part, il résulte des termes de l’article 1er du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce que : « L’objectif du présent règlement est de protéger les espèces de faune et de flore sauvages et d’assurer leur conservation en contrôlant leur commerce conformément aux articles suivants. Le présent règlement s’applique dans le respect des objectifs, principes et dispositions de la convention définie à l’article 2 ». Et aux termes de l’article 2 du même règlement : « Aux fins du présent règlement, on entend par : (…) b) « convention » : la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) (…) ».
108. D’autre part, aux termes du préambule du règlement (CE) n° 865/2006 de la Commission du 4 mai 2006 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce : « (…) Des dispositions doivent être prises pour mettre en œuvre le règlement (CE) n° 338/97 et pour assurer le respect intégral des dispositions de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), ci-après dénommée « la convention » (…) ».
119. Il est constant que le règlement (CE) n° 338/97 du Conseil et le règlement d’application (CE) de la Commission n° 865/2006 déterminent les règles applicables dans les États membres visant à assurer le respect des stipulations de la Convention CITES de Washington. Dès lors, la société Colonial Concept ne peut utilement se prévaloir à l’appui de ses conclusions de la méconnaissance desdites stipulations, lesquelles sont dépourvues d’effet direct au sein de l’Union européenne.
1210. En quatrième lieu, il est constant que le tigre est une espèce classée dans l’annexe A du règlement (CE) n° 338/97 et dans l’annexe I de la convention CITES. Par ailleurs, aux termes de l’article 2 de ce même règlement : « Aux fins du présent règlement, on entend par : (…) t) « spécimen » : tout animal ou toute plante, vivant ou mort appartenant aux espèces inscrites aux annexes A à D, ou toute partie ou tout produit obtenu à partir de ceux-ci, incorporé ou non dans d’autres marchandises, ainsi que toute autre marchandise dans le cas où il ressort d’un document justificatif, de l’emballage ou d’une marque ou étiquette ou de tout autre élément qu’il s’agit de parties ou de produits d’animaux ou de plantes de ces espèces, sauf si ces parties ou produits sont spécifiquement exemptés de l’application des dispositions du présent règlement ou des dispositions relatives à l’annexe à laquelle l’espèce concernée est inscrite par une indication dans ce sens contenue dans les annexes concernées (…) ».
1311. Et, aux termes de l’article 5.2 du règlement (CE) n° 338/97 : « Un permis d’exportation pour les spécimens des espèces énumérées à l’annexe A ne peut être délivré que lorsque les conditions suivantes sont remplies : (…) d) l’organe de gestion de l’État membre s’est assuré, après consultation de l’autorité scientifique compétente, qu’aucun autre facteur lié à la conservation de l’espèce ne s’oppose à la délivrance du permis d’exportation ».
1412. Ainsi qu’exposé au paragraphe 3, il ressort des pièces du dossier que pour refuser l’autorisation d’exportation sollicitée, le préfet de la Seine-Saint-Denis s’est fondé sur les éléments contextuels contenus dans la résolution 12.5 adoptée par la Conférence des Parties à la Convention de Washington, aux termes de laquelle cette instance se dit « Préoccupée (…) par le fait que malgré certaines améliorations, le commerce de peaux de tigres et d’autres espèces de grands félins d’Asie continue d’alimenter un braconnage qui pourrait entraîner l’extinction de ces espèces dans la nature ».
1513. La société requérante, qui se borne à faire valoir que le spécimen intéressé est né, a été élevé et est mort en captivité sur le territoire français, ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer que l’exportation projetée d’une peau de tigre naturalisé vers un pays asiatique, ne contribuerait pas à entretenir la circulation de tels produits et, en conséquence, à alimenter le maintien d’une demande en la matière et d’une offre illégale.
1614. Dès lors, au vu de ce qui précède et de l’avis défavorable rendu par l’autorité scientifique le 5 décembre 2018, et quand bien même la résolution précitée adoptée par la Conférence des Parties à la Convention de Washington et le plan d’action de l’Union européenne contre le trafic d’espèce sauvages, qui ne constituent pas des sources du droit dont la méconnaissance peut être utilement invoquée à l’appui du présent recours, ne préconisent pas l’interdiction absolue du commerce du tigre, le préfet a pu considérer, sans commettre d’erreur d’appréciation, que les éléments de contexte précités constituent un facteur lié à la conservation de l’espèce s’opposant à la délivrance du permis d’exportation sollicité.
1715. En cinquième lieu, aux termes de l’article 1er du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce que : « L’objectif du présent règlement est de protéger les espèces de faune et de flore sauvages et d’assurer leur conservation en contrôlant leur commerce conformément aux articles suivants (…) ». Il résulte, en outre, des termes du préambule du même règlement que : « (…) les dispositions du présent règlement ne préjugent pas des mesures plus strictes pouvant être prises ou maintenues par les États membres, dans le respect du traité (…) ». Par ailleurs, aux termes de l’article 6.1 de ce règlement : « Lorsqu’un État membre rejette une demande de permis ou de certificat et qu’il s’agit d’un cas significatif au regard des objectifs du présent règlement, il en informe immédiatement la Commission en précisant les motifs du refus ».
1816. La circonstance tirée de ce que, par décision du 25 mars 2019, soit postérieurement à la date d’édiction de l’acte attaqué, l’administration italienne a accordé à la société Colonial Concept le permis d’exporter le spécimen litigieux à Taiwan, n’est pas de nature à démontrer que la position retenue par le préfet de la Seine-Saint-Denis serait nouvelle, isolée ou minoritaire. Les échanges de courriels informels avec l’administration belge produits par la requérante, également postérieurs à la décision contestée, ne sont pas davantage de nature à démontrer cette circonstance. Dès lors, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la décision attaquée entrainerait une application non-uniforme du droit de l’Union européenne. En tout état de cause, la circonstance tirée de ce que l’État français n’aurait pas informé la Commission européenne de la position qu’il a retenue en l’espèce, à supposer qu’il s’agisse d’un cas significatif, est sans influence sur la légalité de la décision attaquée.
1917. Par ailleurs, il résulte des éléments versés au dossier que la demande présentée par la société Colonial Concept à l’administration tendait à la délivrance non pas d’une autorisation dérogatoire de commercialisation d’un spécimen d’une espèce protégée sur le fondement de l’article 8 du règlement du 9 décembre 1996, mais d’une autorisation d’exportation au titre de l’article 5.2 du même règlement, laquelle ne permet pas d’exploiter commercialement le spécimen dont s’agit. Dès lors, la requérante ne peut utilement faire valoir que la décision litigieuse créerait une distorsion de concurrence en son préjudice par rapport aux sociétés implantées en Italie.
2018. Enfin, à la supposer établie, la circonstance tirée de ce que le délai de traitement d’une telle demande en France, en l’espèce de quatre mois, serait plus long que le délai de trente à quarante-cinq jours pris par les autorités italiennes pour autoriser l’exportation sollicitée, ne constitue pas à elle seule une méconnaissance du principe d’égalité de traitement des citoyens de l’Union européenne.
2119. Il résulte tout de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité de la requête, que la société Colonial Concept n’est pas fondée à demander l’annulation des décisions attaquées.
22Sur les frais liés à l’instance :
2320. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l’État, qui n’est pas partie perdante, les sommes demandées par la société requérante au titre des frais exposés en cours d’instance et non compris dans les dépens.
24Décide :
25Article 1er : La requête de la société Colonial Concept est rejetée.
26Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Colonial Concept et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Conclusions
27Cette affaire concerne une espèce protégée et connue de tous, le plus grand prédateur terrestre. Le Tigre alias Panthera Tigris depuis Linné.
28La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, dite « CITES », ouverte à la signature, à Washington, le 3 mars 1973, réglemente ou interdit le commerce de nombreuses espèces en fonction du degré de menace qui pèse sur elles.
29L’application de cette Convention de Washington dans les États de l’Union européenne a fait l’objet de plusieurs règlements, en particulier le règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce et ceux pris pour son application.
30La réglementation communautaire vise à assurer une application uniforme du dispositif de la CITES tout en renforçant pour certaines espèces le niveau de protection et les procédures d’autorisation.
31Les espèces sont inscrites dans quatre annexes européennes classées de A à D (l’annexe A étant le statut de protection le plus élevé). Le tigre est inscrit à l’annexe A de ce règlement depuis son entrée en vigueur le 1er juin 1997. Les spécimens relevant de cette annexe ne peuvent faire l’objet d’une utilisation commerciale ou d’un commerce international (importation, exportation, réexportation), sauf dérogation.
32Toute sortie ou exportation du territoire de l’Union européenne de spécimens vivants ou morts d’espèces inscrites aux annexes A, B ou C, doivent faire l’objet d’un permis d’exportation délivré par un organe de gestion de l’État membre où se trouvent les spécimens.
33Par ailleurs, les activités commerciales au sein de l’UE liées à des spécimens d’espèces de l’annexe A nécessitent la délivrance d’une autorisation spéciale, sauf en ce qui concerne les spécimens travaillés datant d’avant 1947.
34C’est en se fondant sur ce règlement de 1996 que, par une décision en date du 7 janvier 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé à la société Colonial Concept la délivrance d’un permis d’exportation dans le but de commercialiser vers « la Chine » un spécimen de tigre naturalisé, né et élevé en captivité en France.
35Cette décision a été prise après un avis défavorable donné, en tant qu’autorité scientifique, par le Muséum d’Histoire Naturelle, le 5 décembre 2018. Et plus précisément, un avis défavorable permanent sur l’exportation et la réexportation à des fins commerciales de parties et produits de tigres d’élevage.
36La société demande l’annulation de cette décision et du rejet de son recours gracieux. Mais vous ne sauriez statuer sur la première décision implicite de rejet et celle rejetant le recours gracieux contre cette décision dont la requérante demande aussi l’annulation.
37Car, en effet, lorsqu’un requérant conteste, dans les délais de recours, une décision implicite de rejet et une décision expresse de rejet intervenue postérieurement, ses conclusions doivent être regardées comme dirigées uniquement contre la seconde décision, qui s’est substituée à la première (CE, 28 mai 2010, Société IDL, n° 320950, Recueil). Et il en va de même lorsque seule la décision implicite a été attaquée alors que la décision expresse ne l’est pas. Les conclusions dirigées contre la première sont ainsi regardées comme dirigées contre la seconde (CE, 8 juin 2011, Mme Balci, n° 329537, Tables) [1].
38Passons à l’examen des moyens d’annulation.
I – Légalité externe
391. Le premier moyen est tiré de l’absence de motivation de la décision.
40Il s’agit en effet d’une décision individuelle défavorable en tant qu’elle refuse une autorisation (L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration). Mais, nous pensons que cette décision fait suffisamment apparaître les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde. Notamment le d) de l’article 5.2 du règlement du 9 décembre 1996. Et qu’elle est ainsi suffisamment motivée [2].
41Les deux moyens suivants concernent l’avis émis par le Muséum d’Histoire Naturelle.
422. Il est d’abord fait grief au préfet de n’avoir pas joint l’avis à sa décision.
43Mais :
- Sauf disposition expresse en ce sens, aucune règle ni aucun principe n’impose à une autorité administrative de joindre à sa décision l’avis (obligatoire ou non) qui l’a précédée.
- Et, la question de la communicabilité de cet avis dans le cadre de la procédure mentionnée à l’article L. 311-2 du Code des relations entre le public et l’administration, relève d’une procédure distincte, celle faisant intervenir la CADA, en cas de refus de communication. Il s’agit donc d’un litige distinct qui ne concerne pas la présente affaire relative à une question d’environnement. Ajoutons que cette pièce a finalement été communiquée au titre du contradictoire dans le cadre de la présente procédure.
443. La société remet aussi en cause le bien-fondé de la saisine du Muséum.
45Selon elle, les conditions prévues par l’article 5.2 du règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 n’étaient pas remplies. Cet article, sur lequel s’est fondé le préfet, prévoit qu’un permis d’exportation de spécimens d’espèces protégées, comme le tigre, ne peut être délivré que lorsque « l’organe de gestion de l’État membre s’est assuré, après consultation de l’autorité scientifique compétente, qu’aucun autre facteur lié à la conservation de l’espèce ne s’oppose à la délivrance du permis d’exportation ».
46Mais, d’une manière générale, il ne saurait être fait grief à l’autorité administrative de solliciter l’avis, même facultatif, d’un organe ou d’une institution possédant une expertise particulière (et plus grande que la sienne) afin de prendre la meilleure décision possible, dès lors que cet avis a été recueilli dans des conditions régulières. Et que l’autorité administrative ne renonce pas à exercer sa compétence et donc à porter sa propre appréciation sur une situation donnée.
47En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, cet avis n’avait pas à être motivé dès lors qu’il n’appartient à aucune des catégories pour lesquelles la motivation est obligatoire.
48Par ailleurs, la circonstance que l’autorité scientifique se prononcerait pour « les demandes ultérieures », n’affecte en aucune manière la régularité de la décision prise dans la présente affaire.
49Enfin, s’agissant du choix de l’autorité consultée et du contenu de l’avis : en matière de connaissance des espèces animales, de toutes époques et de tous lieux, le Muséum d’Histoire Naturelle nous semble représenter le modèle même de « l’autorité scientifique compétente » dont il constitue l’une des références mondiales depuis ses origines et sa création en 1793. Et même antérieurement, si l’on se réfère aux travaux fondateurs du comte de Buffon au sein du « cabinet d’histoire naturelle » du « Jardin du roi ».
50L’avis a ainsi été donné régulièrement par l’autorité la plus qualifiée pour ce faire.
51La procédure est donc régulière.
52Venons-en au bien-fondé de la décision.
II – Légalité interne
53Pour la requérante, la question principale est la suivante : le préfet ne pouvait se fonder sur des dispositions de protection des espèces sauvages menacées dès lors que l’animal a toujours vécu en captivité sur le sol français.
541. Elle évoque d’abord la méconnaissance de la Convention de Washington.
55Et plus particulièrement d’un article dérogatoire, l’article VII, alinéa 5, en vertu duquel : « Lorsqu’un spécimen d’une espèce animale a été élevé en captivité un certificat délivré par l’organe de gestion à cet effet est accepté à la place des permis et certificats de droit commun. ».
56Mais, comme on l’a vu, l’application de la Convention de Washington dans les États de l’Union européenne a fait l’objet de plusieurs règlements dont c’est l’objet même, en particulier le règlement (CE) n° 338/97 du Conseil du 9 décembre 1996 qui a succédé au règlement relatif à la protection des espèces de faune et de flore sauvages par le contrôle de leur commerce n° 3626/82 du 3 décembre 1982. Afin précisément de permettre aux États membres de l’appliquer de manière uniforme. Dans ces conditions, c’est sans doute le règlement de 1996 qu’il faut appliquer et pas la Convention, directement [3].
572. Mais l’application du règlement de 1996 est aussi contestée par la requérante.
58Le préfet s’est fondé sur le deuxième paragraphe de l’article 5 que nous appellerons « 5.2 » du règlement relatif aux permis d’exportation qui prévoit un certain nombre de conditions cumulatives pour les spécimens des espèces énumérées à l’annexe A.
59Et notamment que (a) l’autorité scientifique compétente a émis par écrit l’avis que l’exportation de spécimens n’exercera aucune influence négative sur l’état de conservation de l’espèce ou encore que (d) l’organe de gestion de l’État membre s’est assuré, après consultation de l’autorité scientifique compétente, qu’aucun autre facteur lié à la conservation de l’espèce ne s’oppose à la délivrance du permis d’exportation.
60C’est sur ce dernier point que s’est fondé le préfet pour refuser le permis.
61Pour nous la question est relativement simple. L’objet même du règlement est « d’accorder la protection la plus complète possible des espèces couvertes » par ledit règlement (considérant 10). Notamment, en contrôlant le commerce des spécimens de ces espèces (article 1er). Au premier rang desquelles se trouve le tigre, espèce gravement menacée puisqu’elle compte aujourd’hui moins de 4 000 individus à l’état sauvage dans le monde selon le Fonds mondial pour la nature (WWF) [4]. La principale cause de régression du tigre étant, outre la destruction de son habitat naturel, le braconnage destiné à alimenter le commerce de sa peau ou de différentes parties de son corps.
62On peut donc comprendre que toute mesure tendant à limiter l’offre et même à « assécher » ce marché (comme c’est aussi le cas pour les cornes de Rhinocéros ou les défenses d’Éléphant), est directement liée à l’objectif de sauvegarder l’espèce, par tous moyens. Y compris lorsque l’animal est né en captivité et n’a jamais connu les jungles de Sumatra ou les forêts de la Taïga sibérienne. C’est la position qui a été adoptée par le préfet (en se fondant en particulier sur l’avis du Muséum d’histoire naturelle) et qui, à notre avis, est la bonne.
63Pour nous, le préfet n’a pas méconnu le règlement.
64Et la circonstance que l’animal concerné est né en captivité et qu’il se rattacherait à l’annexe B du règlement est sans incidence puisque le 4ème paragraphe de l’article 5 (le « 5.4 ») dispose que, pour cette catégorie « [u]n permis d’exportation ne peut être délivré que lorsque les conditions énoncées [à l’article 5] paragraphe 2 points a), b), c) i) et d) sont remplies ». Or le préfet a précisément estimé, à juste titre, que la condition énoncée au d) du 5.2 n’était pas remplie.
65De la même façon, la société ne saurait évoquer la résolution 12.5 adoptée par la Conférence des Parties à la Convention de Washington et le plan d’action de l’Union européenne contre le trafic d’espèces sauvages qui ne préconiseraient pas l’interdiction absolue du commerce du tigre. En effet, ces textes sans force obligatoire, ne sauraient faire obstacle à l’appréciation portée par le préfet sur le seul fondement de l’article 5.2 du règlement de 1996.
66Dans ces conditions, le moyen pourra donc être écarté.
67Les autres moyens sont liés à une analyse comparative de la position de la France et de celles d’autres États de l’UE.
68Précisons que la société Colonial Concept a décidé de contourner la difficulté représentée par le refus de permis d’exportation opposé par les autorités françaises en saisissant les autorités italiennes qui lui ont accordé ledit permis pour une exportation de la peau du tigre en vue de son achat par un client résidant à Taïwan.
693. Pour la société, cette circonstance révélerait l’illégalité de la décision du préfet et l’absence de toute menace sur la conservation de l’espèce. Mais la légalité d’une décision administrative n’est pas appréciée au vu des mérites réels ou supposés d’une autre décision. Or, comme nous l’avons dit nous ne pensons pas que le préfet, qui s’est notamment fondé sur l’avis du Muséum d’Histoire Naturelle, se serait mépris dans l’appréciation qu’il a pu faire de la demande.
704. La requérante soutient aussi que l’interprétation isolée de la France méconnaîtrait le principe d’unicité des pratiques au sein de l’Union européenne.
71Notons d’abord que la décision italienne en date du 25 mars 2019 est postérieure à la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis du 7 janvier, et qu’aucun élément ne permet de considérer que la lecture italienne du règlement, favorable à la requérante, serait la seule possible. Étant d’ailleurs entendu que ni la Convention de Washington ni les règlements européens pris pour son application ne font obstacle à l’adoption de mesures internes plus strictes (CE, 8 août 1990, Société DACO, n° 82154 [5]).
72De la même manière si la société joint un courriel d’un agent de la direction générale de l’environnement belge en date du 19 avril 2019, ce courriel, qui ne constitue d’ailleurs qu’un avis informel, ne saurait à lui seul établir la méconnaissance du principe d’unicité. Il est ainsi rédigé « [u]ne peau de tigre sur coque en polystyrène ne conviendrait pas pour la médecine traditionnelle asiatique (aucun os [n’étant] disponible) (…) dès lors l’exportation pourrait être plus facilement admise ».
73Par ailleurs, la société requérante fait valoir qu’en application de l’article 6, paragraphe 4, b), du règlement de 1996, il appartenait à l’administration d’avertir la Commission européenne du changement de position de la France. Mais, comme le fait valoir le préfet, ce dispositif ne s’applique que dans le cas où un précédent refus est intervenu et qu’il est suivi d’un changement de position. Il appartenait en fait à la société d’informer les autorités italiennes du précédent refus des autorités françaises et aux autorités italiennes d’informer la commission. Le moyen pourra donc être écarté.
745. La requérante soutient aussi que la pratique de l’administration française méconnaît les droits et libertés fondamentaux de l’Union européenne.
75Selon elle, il s’agit d’une pratique isolée qui aurait de graves conséquences en termes d’égalité et de libre concurrence. Cette pratique tiendrait à la fois à la lecture restrictive du règlement et au délai de traitement de quatre mois qui serait anormalement long et ainsi incompatible avec les contraintes d’une activité commerciale internationale.
76La requérante invoque l’article 18, alinéa 1er, du Traité de fonctionnement de l’Union européenne qui interdit « toute discrimination exercée en raison de la nationalité ».
77Pour elle, ces principes fondamentaux de l’Union européenne sont gravement entravés par les décisions de rejet dès lors que l’inégalité entre les nationaux et les non nationaux crée nécessairement une distorsion de concurrence. Les concurrents directs de la requérante qui exercent leurs activités au sein de l’Union européenne pourraient ainsi « proposer des prestations de vente rendues impossibles en France ».
78Rappelons d’abord que la Convention de Washington et le règlement qui s’en inspire n’ont pas un objet principalement économique. Ils visent d’abord et avant tout la circulation des espèces, y compris dans les cas où elle n’est pas le fait de professionnels [6].
79Dès lors que l’objet de cette réglementation n’est pas exclusivement économique, des éléments de nature purement commerciale, y compris le principe de libre concurrence, ne sauraient influer sur les décisions prises par les autorités administratives de chaque pays membre en vue de protéger une espèce menacée, qui relèvent d’une autre logique.
80Et, quoi qu’il en soit, une lecture stricte du règlement et des délais d’examen relativement longs (mais pas pour autant déraisonnables) nécessitant la saisine d’une autorité scientifique comme le Muséum d’Histoire Naturelle, en vue de prendre la décision la plus favorable à la sauvegarde d’une espèce menacée emblématique, ne sauraient être considérés à eux seuls comme contraires aux droits fondamentaux de l’Union européenne. En particulier, de discrimination par rapport à la nationalité.
81Au total, aucun des moyens soulevés dans cette affaire ne nous semble pouvoir prospérer.
82Et dans ces conditions vous pourrez rejeter la requête.
83Par ces motifs nous concluons :
- Rejet de la requête
Date de mise en ligne : 28/01/2022
Notes
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[1]
En revanche, si la première décision n’a pas été attaquée et est devenue définitive, et qu’intervient ensuite la décision expresse, cette seconde décision est en principe regardée comme confirmative de la première et ne peut donc pas être attaquée (CE, Ass., Ville de Moissac, 31 mai 1985, n° 42659, R. ; CE 12 octobre 1979, Rassemblement des nouveaux avocats de France, n° 01875, 01905, 01948 et 01951, R.), sauf changement dans les circonstances de fait ou de droit.
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[2]
Il est vrai que la décision ne détaille pas le cas du spécimen de tigre concerné et se borne à citer des textes et à se référer à l’avis du Muséum. Mais on comprend bien toutefois que l’exportation du tigre alimenterait la « demande », ce que les États parties à la Convention de Washington, dont les États de l’UE et la France, semblent vouloir éviter par tous moyens : ne pas élever des tigres pour leurs « parties et produits », détruire les stocks disponibles sauf pour des besoins scientifiques.
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[3]
La jurisprudence vise les deux, mais ne semble pas faire une application de la seule Convention lorsque le règlement est applicable.
Cf. pour le règlement de 1982, CE, 19 mars 1990, Ministre de l’environnement c/ Pomarède, n° 94477, T. ; CE, 30 janvier 1995, Société Fourrures Maurice c/ Commune de Montreuil, n° 130238, R. ; CE, 6 décembre 1998, Ministre de l’environnement c/ Société des Fourrures Maurice, n° 172563, T.
Pour celui de 1996, CE, 6 décembre 2012, Ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat c/ Société Fauna & Films, n° 343421, T. ; CE, 23 janvier 2019, Association One Voice et autres, n° 426257, Inédit ; CE, 13 février 2019, Fédération française de La Coutellerie, nos 408118, 412269, T. -
[4]
Source WWF : « 3 890 : c’est le nombre de tigres sauvages répertoriés par le WWF et le Global Tiger Forum (GTF). (…) 690 tigres sauvages supplémentaires ont été répertoriés entre 2010 et 2016. (…) Cette bonne nouvelle recouvre une augmentation des populations en Inde, en Russie, au Népal et au Bhutan, des enquêtes plus fines et une meilleure protection de l’espèce ».
La jurisprudence a pu admettre que la seule détention dans une propriété qui n’est pas ouverte au public de deux tigres ne saurait être assimilée à une activité d’élevage, c’est-à-dire une activité commerciale (CE, 20 octobre 1995, Ministre de l’Environnement c/ M. Ziegler, n° 153605 I). La seule question qui se pose alors est une question de police : la sécurité des riverains. -
[5]
« les stipulations claires de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages ne font obstacle à l’adoption ni de mesures internes plus strictes ni de mesures tendant à la réglementation du commerce d’espèces auxquelles elle ne s’applique pas ».
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[6]
Cf. par exemple concl. C. de La Verpillière sur CE, 19 mars 1990, Ministre de l’environnement c/ Pomarède, n° 94477, T.