Couverture de RJE_214

Article de revue

Chasse traditionnelle à la glu et directive Oiseaux

Pages 817 à 821

Question préjudicielle.
Chasse traditionnelle à la glu autorisée dans 5 départements en France.
Dérogation non conforme à l’article 9 de la directive Oiseaux.

CJUE, 17 mars 2021, One Voice, Ligue pour la protection des oiseaux c/ Ministre de la Transition écologique et solidaire, en présence de : Fédération nationale des Chasseurs, aff. C-900/19

Note

1Chaque pays a-t-il sa pensée à l’aune de l’ordre public écologique européen ? Dans cette affaire très nécessaire et édifiante, qui se situe au-delà de la seule rhétorique, est posée, par le Conseil d’État français, la question préjudicielle sur la base de l’article 267 TFUE de la légalité de la réglementation nationale qui autorise la capture d’oiseaux sauvages par la glu : cette méthode, considérée comme traditionnelle, est-elle conforme à la directive « oiseaux » de par son degré de sélectivité au regard du maintien de la biodiversité ? En outre, la France peut-elle justifier l’inexistence d’une autre solution satisfaisante pour maintenir aujourd’hui le recours à des modes et moyens de chasse aux oiseaux traditionnels à des fins récréatives ? Autrement dit, la France peut-elle conserver techniquement et juridiquement, une telle méthode prédatrice devenue exclusive en Europe – au point de consacrer, dans la lignée de Montaigne, les mots si forts de la fable : « Chaque pays a sa pensée » (La Fontaine, La Souris métamorphosée en fille, Livre neuvième, VII, v. 4) ?

2Ces questions sont à rapporter, d’une part, à la disparition massive des espèces d’oiseaux en Europe fort bien documentée scientifiquement par diverses institutions impartiales ; d’autre part, à la finalité primordiale de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JOUE n° L 20, 26 janvier 2010, qui codifie la mythique directive n° 79/409/CEE du 2 avril 1979, JOCE n° L 103, 25 avril 1979) et qu’il convient de rappeler : « La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation » (article 1er paragraphe 1). Aussi l’article 2 prescrit que : « Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ». Si ces États « prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er » (article 5), l’article 7, paragraphe 1, permet que : « En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l’ensemble de [l’Union], les espèces énumérées à l’annexe II peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution ». Toutefois, les espèces énumérées à l’annexe II partie B « peuvent être chassées seulement dans les États membres pour lesquels elles sont mentionnées » (article 7, paragraphe 3) ; parmi les espèces y figurant sont concernés le merle noir (turdus merula), la grive litorne (turdus pilaris), la grive musicienne (turdus philomelos), la grive mauvis (turdus iliacus) et la grive draine (turdus viscivorus). Cette capture autorisée ne saurait permettre « le recours à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d’une espèce, et en particulier à ceux énumérés à l’annexe IV, point a) » dont font partie les gluaux (article 8, paragraphe 1).

3Bref. Est ici contestée la validité de cinq arrêtés du 24 septembre 2018 (JO du 27 septembre 2018) édictés en application de l’article 6 de l’arrêté du 17 août 1989 relatif à l’emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d’appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse – pris sur le fondement de l’article L. 4244 du Code de l’environnement autorisant le recours à des modes de chasse traditionnels sous certaines conditions strictes. Ainsi, notamment, chacun de ces cinq arrêtés fixe, dans son article 1er, le nombre de grives et de merles noirs pouvant être capturés pour la campagne 2018-2019 : 2 900 (Alpes-de-Haute-Provence), 400 (Alpes-Maritimes), 1 1400 (Bouches-du-Rhône), 12 200 (Var) et 15 600 (Vaucluse) – question préjudicielle posée par le Conseil d’État donc (CE, 29 novembre 2019, One Voice et LPO, n° 425519, 425525, 425531, 425533, 425545, 425732 à 425746).

4L’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux » précise que « [l]es États membres peuvent déroger aux articles 5, 6, 7 et 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après »… dont « c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ».

5Il est loisible cependant aux États membres de déroger au dispositif déjà complexe mis en place par les articles 5 à 8 – lequel commande à l’interprète une grande sagacité d’esprit – s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante « pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités » (article 9, paragraphe 1, c). L’on notera la condition conjointe d’un faible nombre (à rapprocher des nombres ci-dessus cités) et la nature de l’exploitation qui s’entend comme rationnelle et juste (« judicieuse »)…

6Allons à l’essentiel. Jusqu’alors, seule la France en Europe permettait encore à cette pratique ancienne d’accomplir son funeste et pernicieux destin : capturer des oiseaux en enduisant une branche de glu. Que cette chasse soit le fruit de la tradition ne fait pas de doute : elle est attestée depuis des siècles. Voyons, par la grâce d’un rayon surgi des soleils de l’enfance, le magnifique et terrible lai de Marie de France L’Aüstic : « N’i ot coldre ne chastaignier/u il ne metent laz u glu » (Le Rossignol : Dans tous les coudriers et les châtaigniers/ils mettent des lacs et de la glu, v. 98 et 99) – ce qui situe la pratique par-delà le bassin méditerranéen (« Une aventure vus dirai/dunt li Bretun firent un lai », ibid., v. 1 et 2). Usage séculaire donc qui persiste et traverse les âges au nom de la récréation du chasseur.

7Les conclusions de l’avocate générale Juliane Kokott présentées le 19 novembre 2020, qui condensent avec clarté les enjeux tant du point de vue du droit français que du droit de l’Union européenne (en particulier sur la mise en œuvre du principe de proportionnalité et la sémantique comparée dans différents États de l’Union), sont éclairantes : « Le Conseil d’État français souhaite donc savoir si cette pratique de chasse traditionnelle, exercée dans les conditions prévues par le droit français, répond toujours aux critères de la dérogation. Il demande spécifiquement si le procédé est suffisamment sélectif, c’est-à-dire s’il exclut les captures accessoires en excès, et s’il n’existe vraiment pas d’autre solution satisfaisante » (point 4).

8De la méthode de chasse traditionnelle. Rappelant le contexte jurisprudentiel (points 22 à 26), la Cour aborde dans un premier temps la question de savoir « si l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux » doit être interprété en ce sens que le caractère traditionnel d’une méthode de capture d’oiseaux suffit, en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante, au sens de cette disposition, ne peut être substituée à cette méthode » (point 28). Si l’interprétation jurisprudentielle antérieure concourt à y répondre favorablement (points 29 à 33), la Cour ajoute : « Toutefois, si l’article 2 de la directive « oiseaux » invite les États membres à mettre en œuvre cette dernière en tenant compte des exigences écologiques, scientifiques et culturelles ainsi que des exigences économiques et récréationnelles, force est de constater que la conservation des oiseaux constitue l’objectif principal de cette directive » (point 34). Là est tout le pivot du raisonnement en l’espèce discuté et argumenté de manière stricte (points 35 à 39). Aussi, comme le précise l’avocate générale en son point 36, « il convient de prendre en considération l’article 13 TFUE, en vertu duquel l’Union et les États membres doivent tenir pleinement compte des exigences du bien-être des animaux lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de celle-ci. Il s’ensuit que c’est à l’aune des options raisonnables et des meilleures techniques disponibles qu’il convient d’apprécier le caractère satisfaisant des solutions alternatives (voir, par analogie, arrêt du 9 mars 2010, ERG e.a., C379/08 et C380/08, EU:C:2010:127, point 62) ». Après des analyses serrées, la Cour énonce, respectivement aux points 43 et 44, que : « Or, le simple fait qu’une autre méthode de capture requerrait une adaptation et, par conséquent, exigerait de s’écarter de certaines caractéristiques d’une tradition ne saurait suffire pour considérer qu’il n’existe pas une « autre solution satisfaisante », au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive « oiseaux » (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 1996, LRBPO et AVES, C10/96, EU:C:1996:504, point 21) ». Dès lors « le caractère traditionnel d’une méthode de capture d’oiseaux ne suffit pas, en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante, au sens de cette disposition, ne peut être substituée à cette méthode ».

9Reconnaissance implicite d’un ordre public écologique européen. L’essentiel est donc clairement affirmé. Dans un second temps, la Cour donne notamment des précisions utiles sur la notion de sélectivité d’une méthode de capture qui doit « tenir compte non seulement des modalités de cette méthode et de l’ampleur des prises qu’elle implique pour les oiseaux non ciblés, mais également de ses éventuelles conséquences sur les espèces capturées en terme de dommages causés, compte tenu des objectifs de protection poursuivis par cette directive » (point 62). Aussi les mots de l’article 9, paragraphe 1, c, de la directive « oiseaux » doivent être interprétés à l’aune de la finalité primordiale de ladite directive et du droit primaire de l’Union européenne en ses dispositions relatives à la préservation de l’environnement (article 3 TUE, article 37 de la Charte des droits fondamentaux, article 191 paragraphe 2 premier alinéa TFUE et de l’article 13 TFUE relatif au bien-être animal »), la Cour énonçant ici les éléments constitutifs d’un ordre public écologique européen (point 65). Puis elle en tire les leçons : la condition de sélectivité « doit être entendue en ce sens qu’elle ne peut être satisfaite, dans le cas d’une méthode de capture non létale entraînant des prises accessoires, que si celles-ci sont d’une ampleur limitée, c’est-à-dire ne concernent qu’un nombre très réduit de spécimens capturés accidentellement, pour une durée limitée, et qu’elles puissent être relâchées sans dommage autre que négligeable » (idem). Du fait qu’il soit « très vraisemblable, sous réserve des constatations faites, en dernier lieu, par la juridiction de renvoi, que, en dépit du nettoyage, les oiseaux capturés subissent un dommage irrémédiable, les gluaux étant, par nature, susceptibles d’endommager le plumage de tous les oiseaux capturés » (point 67), une telle méthode de capture non létale « qui entraîne des prises accessoires, lorsque celles-ci, même de faible volume et pour une durée limitée, sont susceptibles de causer aux espèces capturées non ciblées des dommages autres que négligeables » (point 70) est contraire à l’article 9 paragraphe 1 c de la directive « oiseaux » (point 71).

10Écueil. Dans la lignée de ce raisonnement, le Conseil d’État annule des autorisations de chasse traditionnelle visant des vanneaux huppés, des pluviers dorés et des grives et merles noirs au moyen de tenderies, et des alouettes des champs par des pantes et des matelotes (CE, 6 août 2021, LPO et One Voice, n° 425435, 425540, 426515). Désormais la cause seule de sauvegarde des chasses traditionnelles bute sur l’écueil de la vraisemblance d’un dommage irrémédiable à d’autres espèces que celles ciblées, dans ce qui, malgré l’ampleur limitée, ne peut plus aujourd’hui être considéré comme négligeable à l’aune de l’ordre public écologique européen – laissant attendre le chasseur sous l’astre froid (Voir : Manet sub Jove frigido/venator, Horace, Carmina, L I, I, v. 25).

11… mais tout n’est pas encore éclairci vu la farandole d’arrêtés du 12 octobre 2021 (JORF n° 0241 du 15 octobre 2021) autorisant « la capture » de l’alouette des champs au moyen de pantes ou matelotes dans certains départements, de tenderie pour les grives et merles noirs, etc… ce qui laisse pressentir un contentieux à rebonds ; disons-le en toute clarté : « Qui peut et n’empesche, pêche » (A. Loysel, Institutes Coutumires, 1608, 792).


Date de mise en ligne : 28/01/2022

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