Notes
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[1]
CE, ord., 17 juillet 2019, Comité de défense les Hauts de Badones-Montimas, n° 432026 ; CE, ord., 2 avril 2020, Fédé. Nat. Droit au logement et a., n° 439763 : RJE n° 4/2020, cette chronique, p. 840.
-
[2]
CE, ord., 15 mars 2021, Terre d’abeille et a., n° 450194 : AJDA 2021, p. 593, note M.-C. de Montecler ; JCP A 2021, Act. 214, par A. Lami.
-
[3]
Seul le référé-liberté retiendra notre attention.
-
[4]
JO du 6 février 2021, texte n° 25.
-
[5]
Loi n° 2020-1578, JO du 15 décembre 2020, texte n° 3.
-
[6]
Décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, JO du 15 décembre 2020, texte n° 4 : RJE n° 4/2021, p. 766, chron. M. Fleury et M.-A. Cohendet.
-
[7]
A. Lami, « La dérogation à l’utilisation des néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières devant le juge des référés », note précitée.
-
[8]
TA Montreuil, 29 mars 2021, Commune de Mitry-Mory, n° 2101144.
-
[9]
Cons. const., 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 QPC : RJE n° 4/2020, p. 824, chron. M. Fleury et M.-A. Cohendet.
-
[10]
A. Kiss, « Les origines du droit à l’environnement : le droit international », in La charte constitutionnelle en débat, RJE n° spécial 2003, p. 13. V. aussi, du même auteur, « Le droit à la conservation de l’environnement », Revue universelle des droits de l’Homme, 1990, p. 445-448.
-
[11]
CE, ord., 27 mars 2021, Assoc. Sea Shepherd France, n° 450592 : AJDA 2021, p. 711, note M.-Ch. de Montecler.
-
[12]
M.-Ch. de Montecler, « Les limites des pouvoirs du juge des référés face à la protection des dauphins », note précitée.
-
[13]
CE, 29 juillet 2020, Assoc. de Sauvegarde du patrimoine Mont 14 et a., n° 429235 : EEI n° 4, avril 2021, Chron. 1, par L. Fonbaustier, § 9.
-
[14]
Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, JO du 24 novembre 2018, texte n° 1.
-
[15]
CE, 26 février 2021, n° 432371.
-
[16]
CE, 10 mars 2021, n° 445547. Le contexte était celui des élections municipales de 2020, marquées par une forte abstention en partie due au contexte pandémique.
-
[17]
CE, ord., 11 septembre 2020, LPO et One Voice, n° 443482 et 443567 : AJDA 2020, p. 1685 ; Droit de l’environnement 2021, p. 166, chron. G. Audrain-Demey et B. Lormeteau ; RSDA n° 2/2020, p. 264, note B. des B. ; ibid., n° 1/2021, chron. S. Jolivet, p. 111.
-
[18]
JO du 28 août 2020, texte n° 4.
-
[19]
Directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, JOUE L 20 du 26 janvier 2010.
-
[20]
TA Guadeloupe, ord., 7 septembre 2018, n° 1800779, ASPAS et a. ; confirmé au fond par TA Guadeloupe, 19 février 2019, n° 1800780, ASPAS et a.
-
[21]
TA Guadeloupe, ord., 31 octobre 2019, n° 1901330, ASPAS et a. ; confirmé au fond par TA Guadeloupe, 12 mars 2020, n° 1900952, ASPAS et a.
-
[22]
J. Bétaille, « La directive oiseaux quarante ans après : des résultats encourageants et des espoirs à concrétiser », RSDA n° 2/2020, p. 326.
-
[23]
CE, 28 décembre 2018, n° 419063, LPO : AJDA 2019, p. 1173, note J. Bétaille.
-
[24]
CJUE, 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola Pohjois-Savo – Kainuury, C-674/17 : RJE n° 2/2020, p. 399, note É. Naim-Gesbert.
-
[25]
Directive 92/43/CEE du Conseil européen du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, JOUE du 22 juillet 1992.
-
[26]
Pour plus de précisions sur ce point, v. S. Jolivet, chronique « droit (national) de l’environnement », RSDA n° 1/2021, spéc. p. 113 et s.
-
[27]
CE, 4 février 2021, FERUS et a., n° 434058 : Droit de l’environnement 2021, p. 116, concl. O. Fuchs ; ibid., p. 166, chron. G. Audrain-Demey et B. Lormeteau ; EEI 2021, comm. 32, par L. Daydie.
-
[28]
JO du 29 juin 2019, texte n° 8. L’arrêté prévoyait deux types de mesures d’effarouchement : l’effarouchement simple à l’aide de moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l’effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux.
-
[29]
Les conclusions (précitées) du rapporteur public ne sont guère plus éclairantes. Olivier Fuchs écrit seulement : « vous pourrez écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution, qui ne nous semble pas pouvoir être invoqué en l’espèce compte tenu de la nature des risques en cause ».
-
[30]
CE, 8 juillet 2020, ADRM, n° 428271 : DMF 2021, n° 831, p. 90, note M. Morin.
-
[31]
JO du 6 novembre 2012, texte n° 38.
-
[32]
JO du 14 février 2013, texte n° 32.
-
[33]
Nous le citons : « De manière générale, lorsque l’État est contraint par le droit de l’Union d’agir dans un sens déterminé, les normes législatives et réglementaires de droit interne ne peuvent être utilement invoquées et même le respect des normes constitutionnelles n’est examiné que par le truchement des principes équivalents de droit de l’Union, lorsque ceux-ci existent (CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, n° 287110, Rec.). Mais dans la mesure où le droit de l’Union laisse l’État libre d’agir, les moyens de droit interne redeviennent opérants ». L’intégralité des conclusions est accessible sur ArianeWeb.
-
[34]
CE, 31 décembre 2020, Générations Futures et a., n° 439127.
-
[35]
CC, 19 mars 2021, Assoc. Générations futures et a., n° 2021-891 QPC : RJE n° 4/2021, p. 773, chron. M. Fleury et M.-A. Cohendet.
-
[36]
CE, 22 juillet 2020, Cne de Ris-Orangis et a., n° 439213 : EEI n° 4, avril 2021, Chron. 1, par L. Fonbaustier, §23.
-
[37]
Loi n° 2019-1147, JO du 9 novembre 2019, texte n° 1.
-
[38]
Les conclusions d’Olivier Fuchs sont accessibles sur ArianeWeb.
-
[39]
CE, 17 décembre 2020, Fédé. environnement durable et a., n° 427389 : Droit de l’environnement 2021, p. 80, concl. O. Fuchs ; EEI n° 4, avril 2021, Chron. 1, par L. Fonbaustier, §23.
-
[40]
Loi n° 2018-727, JO du 11 août 2018, texte n° 1.
-
[41]
O. Fuchs, « Le Conseil d’État valide l’expérimentation de la participation du public par voie électronique », Droit de l’environnement 2021, p. 80.
-
[42]
Terme employé par O. Fuchs, dans ses conclusions précitées.
-
[43]
CA Toulouse, 10 février 2020.
-
[44]
Cass. com., 10 novembre 2020, 20-82.285, Inédit.
-
[45]
Art. 3 : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
-
[46]
Art. 4 : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ».
-
[47]
Loi n° 2026-1087, 8 août 2016, JO du 9 août 2016.
-
[48]
J. Malet-Vigneaux, « De la loi de 1976 à la loi de 2016. Le préjudice écologique : après les hésitations, la consécration », RJE , 4/2016, p. 617.
-
[49]
G. Martin, « Le préjudice écologique », in La loi biodiversité en pratique, C. Cans (dir.), Ed. législatives, 2016.
-
[50]
Voy. Chronique sur la Charte de l’environnement devant le Conseil Constitutionnel, dans ce même numéro, RJE 4/2021, p. 763.
-
[51]
Cass. crim., 29 juin 2021, 20-82.245.
-
[52]
Cass. crim., 30 mars 2021, 21-90.002, inédit.
-
[53]
Art. 1 : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
-
[54]
Art. 2 : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».
-
[55]
Art. 3 : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
-
[56]
Art. 5 : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
-
[57]
Cass. crim. 26 novembre 2019, n° 19-85623, inédit.
-
[58]
RJE n° 4/2020, cette chronique, p. 851.
I – La Charte de l’environnement devant le Conseil d’État
1La période couverte par cette chronique poursuit la focalisation du contentieux administratif de la Charte sur un nombre limité d’articles. L’article 5 (C.) et l’article 7 (D.) sont évidemment de la partie, tandis que l’article 3 fait une timide (ré)apparition (B.). L’article 1er, quant à lui, est l’absent remarqué d’ordonnances de référé esquissant enfin une ouverture du juge administratif vers la reconnaissance du « droit à la protection de l’environnement » comme liberté fondamentale (A.).
A – Le droit à la protection de l’environnement, liberté fondamentale ?
2L’an passé, nous chroniquions deux décisions entretenant le doute sur la qualification du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé en tant que liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative [1]. Pour la présente période, deux décisions semblent au contraire témoigner d’une attitude plus ouverte du juge des référés du Conseil d’État sur cette question, sans dissiper toutes les zones d’ombre.
3La première, du 15 mars 2021 [2], s’inscrit dans le contentieux relatif à la réautorisation dérogatoire des insecticides néonicotinoïdes destinée à protéger les betteraves de la jaunisse. Plus précisément, le juge des référés est conduit à examiner à la fois un référé-liberté et un référé-suspension [3] contre l’arrêté interministériel du 5 février 2021 autorisant provisoirement l’emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxame [4]. Au soutien de leur référé-liberté, les requérants invoquent notamment l’atteinte grave et manifestement illégale « à la protection de l’environnement, à la liberté du commerce et de l’industrie et au droit de propriété ». En défense, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation réfute toute atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées, sans contester du moins explicitement l’existence même de certaines d’entre elles. La requête est rejetée selon un raisonnement ne comportant pas de grande surprise. Le juge des référés rappelle en substance que la dérogation a été prévue par la loi du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières [5]. Or le Conseil constitutionnel a jugé cette loi conforme à la Constitution, et notamment à la Charte de l’environnement (point 6) [6]. De plus, l’arrêté litigieux « se borne à mettre en œuvre » (point 7) une autorisation dont le principe a été posé par le législateur lui-même, et se trouve ainsi couvert au moins partiellement par l’écran législatif. Ce qui retient davantage l’attention, dans le cadre de cette chronique, c’est l’énoncé de la solution : « en précisant les conditions d’emploi des semences ainsi traitées et les limitations qui s’appliqueront à l’usage de ces terres pour les campagnes 2022 à 2024 afin de limiter les risques résultant des cultures suivantes, [l’arrêté en cause] ne porte, par lui-même, aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie et au droit de propriété des éleveurs d’abeille. Eu égard aux précisions qu’il contient, notamment quant aux conditions d’usage des semences traitées et à la limitation des cultures suivantes pour les campagnes 2022, 2023 et 2024, il n’apparaît pas non plus qu’il porte, en tout état de cause, une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la protection de l’environnement » (point 7). Bien que l’interprétation de la proposition « en tout état de cause » soit toujours délicate dans les décisions du juge administratif, la dernière phrase citée semble attester de la reconnaissance, par le juge des référés du Conseil d’État, du « droit à la protection de l’environnement » comme une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du CJA. S’il ne s’agit pas (encore ?) d’une décision de principe, l’absence de contestation sérieuse de cet élément doit « en tout état de cause » être saluée. En l’espèce, la prise en compte de cette liberté fondamentale par l’arrêté litigieux paraît justifiée par la durée limitée de la dérogation et la limitation de l’usage des pesticides à un secteur agricole précis [7]. La formulation retenue ici, « droit à la protection de l’environnement », peut surprendre même si elle est reprise des termes de la requête. Celle de droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé eût été plus orthodoxe eu égard à l’écriture de l’article 1 de la Charte. Mais, précisément, l’article 1 de la Charte n’est à aucun moment mentionné, comme s’il n’était pas la source de cette liberté fondamentale.
4On retrouve cependant cette même formulation dans une ordonnance du Tribunal administratif de Montreuil rendue quelques jours plus tard, le 29 mars 2021 [8], avec en outre un élément d’explication. Le référé-liberté déposé par la commune de Mitry-Mory, et accueilli par le juge, visait à s’opposer à la reprise des travaux du CDG express par la SNCF, malgré l’annulation contentieuse de la dérogation à la protection des espèces protégées présentes sur le site. Comme l’y invitait la requérante, le juge montreuillois s’appuie sur la décision du Conseil constitutionnel UIPP du 31 janvier 2020 [9] pour admettre le droit à la protection de l’environnement comme liberté fondamentale. Or, les juges de la rue Montpensier y fondent la valeur constitutionnelle de la protection de l’environnement sur le préambule de la Charte, non sur son article 1.
5En doctrine, Alexandre Kiss a aussi soutenu que « le droit à l’environnement doit être compris comme un droit procédural. Autrement dit, il doit être compris comme le droit à la protection de l’environnement et des procédures permettant d’assurer cette protection doivent être à la disposition de chaque individu » [10]. Le risque est toutefois de négliger un peu la dimension substantielle de ce droit, que véhicule mieux le libellé de l’article 1 de la Charte. Quoi qu’il en soit, rien n’indique que la source textuelle de la liberté fondamentale liée à la protection de l’environnement, comme sa formulation exacte, ne soit figée pour l’avenir.
6La deuxième décision que nous souhaitions brièvement mentionner est une ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’État le 27 mars 2021 [11]. L’association Sea Shepherd France a déposé un référé-liberté afin que le juge prononce diverses mesures visant à limiter de façon effective les captures accidentelles de mammifères marins par les bateaux de pêche sur la côte atlantique, et qu’il use de ses pouvoirs d’injonction vis-à-vis des ministres de la Transition écologique, de la Mer et de l’Agriculture et de l’Alimentation. Dans sa requête, l’association invoque une atteinte grave et manifestement illégale à deux séries de libertés fondamentales, du fait de la carence de l’État : d’une part, le « droit à l’environnement en raison de l’atteinte à des espèces de mammifères marins, et notamment des dauphins communs "delphinus delphis", dont les prises accidentelles menacent la conservation, et de l’atteinte aux écosystèmes du fait de l’importance du rôle écosystémique des dauphins » ; d’autre part, le « droit à la vie en raison du risque sanitaire constitué par la présence des animaux échoués sur les plages ». Le juge accepte d’examiner la requête « sans même spécifier quelle liberté fondamentale était en cause » [12]. Il faut dire que la ministre de la Mer ne contestait pas, non plus, l’existence des libertés fondamentales invoquées. Tout au plus notera-t-on la présence, dans les visas de la décision, du préambule de la Constitution. L’ordonnance se conclut néanmoins par un rejet, en substance motivé par deux éléments. D’une part, les mesures prises par l’État n’apparaissent pas manifestement insuffisantes, d’autre part et surtout les mesures réclamées par Sea Shepherd (notamment la fermeture des pêcheries plusieurs mois par an) excèdent l’office du juge des référés, car elles sont de nature pérenne et non provisoire.
7Faut-il voir dans les ordonnances des 15 et 27 mars 2021 la préfiguration d’une prise de position, plus explicite, sur la qualification du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé en tant que liberté fondamentale ?
B – Le devoir de prévention (art. 3)
8L’article 3 de la Charte a (encore) été visiblement peu mobilisé devant le Conseil d’État, au cours de la période chroniquée. On notera seulement que le juge administratif suprême a refusé, le 29 juillet 2020 [13], de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 20 de la loi « ELAN » du 23 novembre 2018 [14], qui rend la « procédure intégrée » de l’article L. 300-6-1 du Code de l’urbanisme applicable à certaines constructions et opérations d’aménagement situées à proximité immédiate des sites liés aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. La raison est que la disposition législative contestée « n’a pas pour objet de mettre en œuvre le principe de prévention ». Le Conseil d’État se réfugie classiquement derrière la conditionnalité législative fixée à l’article 3 de la Charte, pour délimiter strictement le champ d’application du devoir / principe constitutionnel de prévention.
C – Le principe de précaution (art. 5)
9Certaines décisions impliquant le principe de précaution n’appellent guère de commentaires, en ce qu’elles confirment simplement que son champ d’application est restreint à l’environnement. Ainsi l’exigence d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement s’oppose à l’invocation du principe de précaution en matière sécuritaire, notamment pour contester le principe et les modalités d’utilisation des lanceurs de balles de défense par les forces de l’ordre [15]. Ainsi encore, l’article 5 de la Charte, même en combinaison avec l’article 1, ne peut être invoqué en matière électorale pour faire annuler des opérations de vote dans une circonscription déterminée [16].
10Mais la période chroniquée a aussi permis au Conseil d’État d’apporter de nouvelles précisions concernant le champ d’application du principe de précaution, tant en ce qui concerne la protection des espèces sauvages (1.) que la politique commune de la pêche (2.).
1 – Précaution et protection des espèces sauvages
11La plus prometteuse des décisions rapportées résulte d’une ordonnance du juge des référés du 11 septembre 2020 [17] : elle conduit à l’application du principe de précaution en faveur de la protection des espèces sauvages. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et One Voice demandaient la suspension de l’arrêté du 27 août 2020 [18] prévoyant que 17 460 tourterelles des bois pouvaient être tuées par les chasseurs au cours de la saison (contre 18 000 l’année précédente). Le juge de l’urgence relève que « la diminution de 3 % du quota de prélèvement litigieux par rapport à la première saison où il avait été fixé n’a été déterminée ni au regard des 4 950 prélèvements qui ont été enregistrés au titre de cette saison et dont l’exhaustivité ainsi que la représentativité sont d’ailleurs contestées, ni en prenant en compte l’état de conservation de l’espèce et les prélèvements dans les autres pays de la voie de migration occidentale, ni encore en fonction de données relatives à l’évolution de la population française depuis l’année dernière mais uniquement par application d’une règle de trois fondée sur une approximation de la baisse tendancielle de la population européenne sur les décennies passées alors qu’une telle baisse devait conduire si le gouvernement estimait qu’elle perdurait en dépit de la diminution des prélèvements, à interdire ceux-ci, s’agissant d’une espèce aussi vulnérable, et non à réduire proportionnellement leur quota ». Il considère alors, à l’aune (notamment) du principe de précaution, que la fixation d’un quota de chasse supérieur à zéro lors de la saison 2020-2021 fait peser un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté litigieux. L’ordonnance est prise au visa de la directive « Oiseaux » (car la tourterelle des bois est un oiseau migrateur dont la chasse est autorisée sous conditions par l’article 7 de ce texte) [19], mais aussi du préambule de la Constitution.
12Le Tribunal administratif de la Guadeloupe avait certes indiqué la voie, en suspendant puis annulant des arrêtés autorisant la chasse du pigeon à couronne blanche [20] et de la grive à pieds jaunes [21] en Guadeloupe et à Saint-Martin, en se fondant sur ce même principe de précaution. Mais l’ordonnance du 11 septembre 2020, qui mérite encore une confirmation par un arrêt au fond, reste la première prise de position explicite de la plus haute juridiction administrative sur l’application du principe de précaution en matière de protection des espèces. Elle intervient après plusieurs « occasions manquées » [22], spécialement en ce qui concerne la chasse à la glu [23]. L’élément déclencheur de l’évolution du positionnement du Conseil d’État, significativement effectuée dans un contexte d’application du droit de l’Union européenne, est probablement l’arrêt « Tapiola » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en date du 16 octobre 2019 [24]. Pour rappel, l’apport majeur de cet arrêt, rendu sur renvoi préjudiciel dans le contexte des dérogations à la protection stricte des espèces d’intérêt communautaire visées par la directive « Habitats » (en l’occurrence des loups en Finlande) [25], était déjà l’application inédite, par les juges de Luxembourg, du principe de précaution à la protection des espèces sauvages. Allant d’une certaine manière plus loin que l’arrêt « Tapiola », l’ordonnance du 11 septembre 2020 n’applique pas le principe de précaution à une espèce protégée, mais à une espèce chassable. Gravitant autour du principe de précaution de l’article 5 de la Charte, une nouvelle orientation du droit de la protection des espèces est peut-être en train d’émerger dans le sillage de ces décisions [26].
13Toutefois, ceux qui craindraient une application extensive et/ou systématique du principe de précaution en matière de protection des espèces peuvent se rassurer. Dans un arrêt du 4 février 2021 [27], le Conseil d’État considère que les risques impliqués par les mesures d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées (espèce protégée) prévues à titre expérimental par un arrêté du 27 juin 2019 [28] n’entrent pas dans le champ d’application du principe de précaution. La motivation est pour le moins laconique : « si les requérantes soutiennent que l’arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de précaution tel que défini par l’article 5 de la Charte de l’environnement, les risques invoqués pour la viabilité de l’espèce, s’agissant d’une réglementation ayant pour objet d’organiser les conditions de mise en œuvre de dérogations au principe de protection des espèces protégées et de leurs habitats posé par la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 et les articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement, ne sont pas au nombre de ceux, présentant des incertitudes en l’état des connaissances scientifiques, visés à cet article ». L’étonnement grandit à la lumière de l’arrêt « Tapiola » (précité) de la CJUE. Dans cette affaire concernant également les conditions de mise en œuvre de dérogations au principe de protection posé par la directive Habitats, c’étaient précisément les incertitudes de l’effet des dérogations sur l’état de conservation de l’espèce qui justifiaient l’application du principe de précaution. Le juge administratif estime-t-il que les risques liés aux mesures d’effarouchement des ours sont certains, auquel cas on basculerait dans l’application du principe de prévention ? Rien ne permet de l’indiquer [29]. De plus, lorsqu’il censure l’article 4 de l’arrêté précisant les modalités de mise en œuvre de l’effarouchement renforcé à l’aide de tirs non létaux, le Conseil d’État emploie un vocabulaire plus caractéristique de la précaution que de la prévention : « les dispositions de l’arrêté attaqué relatives à ce mode d’effarouchement ne permettent pas de s’assurer, eu égard aux effets d’un tel effarouchement sur l’espèce, que les dérogations susceptibles d’être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte, en l’état des connaissances prévalant à la date de l’arrêté attaqué, au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce ».
2 – Précaution et compétence exclusive de l’Union européenne (politique commune de la pêche)
14Bien qu’une espèce sauvage soit également au cœur du contentieux, le problème du champ d’application du principe de précaution se pose en des termes relativement différents dans l’arrêt du 8 juillet 2020 [30]. L’Association de défense des ressources marines (ADRM) demandait l’annulation de la taille de capture minimale du maigre commun, fixée par arrêtés ministériels des 26 octobre 2012 [31] et 28 janvier 2013 [32] à 45 cm pour la pêche de loisir, et à 30 cm pour la pêche professionnelle. L’ADRM invoquait le principe de précaution de l’article 5 de la Charte, mais la politique commune de la pêche étant une compétence exclusive de l’Union européenne, qui reconnaît par ailleurs « l’approche de précaution », ce moyen était-il opérant ? Éclairé par Laurent Cytermann, son rapporteur public [33], le Conseil d’État répond positivement.
15Les règlements litigieux se situent dans la marge de liberté des États membres : les textes européens ne prévoient pas de taille minimale, les mesures nationales sont au moins aussi strictes que les règles européennes, et elles ne s’appliquent qu’aux navires français. Aussi, selon le Conseil d’État, « il appartient au ministre, dans la mise en œuvre de cette compétence [de fixer une taille minimale de capture pour une espèce d’organisme marin dont la pêche n’est pas soumise à une telle taille par la réglementation européenne], qui n’implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l’Union européenne mais suppose l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement ». Appliquant ce raisonnement à l’espèce en exerçant classiquement un contrôle normal sur l’appréciation du risque, les juges du Palais-Royal considèrent qu’ « il n’est pas établi avec certitude que l’état du stock de maigre dans le golfe de Gascogne imposerait l’adoption d’une taille minimale plus élevée. En revanche, il ressort de nombreux avis scientifiques concordants produits par l’ADRM que le constat d’un "plateau" dans l’abondance des captures accompagné de variations cycliques est fréquemment révélateur de l’incapacité d’une espèce de poissons à reconstituer une population de géniteurs suffisamment stable, qui peut conduire à un effondrement brutal de la ressource pour une longue durée. Alors que ces éléments circonstanciés accréditent l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement de nature à justifier, en dépit des incertitudes subsistant sur sa réalité et sa portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution, il apparaît qu’aucune des études préconisées en 2009 par l’IFREMER n’a été réalisée ni aucune autre mesure de protection spécifique au maigre mise en œuvre, alors que l’IFREMER recommandait, en cas de fixation de la taille minimale à 30 cm, de protéger à tout le moins les nourriceries de cette espèce. Dès lors, en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale à la lumière de ces éléments alors qu’aucune autre mesure adaptée n’était prise, le ministre a méconnu les obligations découlant du principe de précaution ». Cette méconnaissance motive l’annulation des dispositions des arrêtés du 26 octobre 2012 et du 28 janvier 2013 et l’injonction au ministre de réexaminer, dans le délai d’un an, la demande de l’ADRM de relever la taille de capture minimale du maigre commun.
D – Droit à la participation du public (art. 7)
16Comme lors de la période précédente, seul le volet « participation du public » de l’article 7 de la Charte sera présent dans ces colonnes, faute de matière sur l’accès aux informations. Même en ce qui concerne la participation du public, aucune décision importante n’est à noter. On mentionnera brièvement trois demandes de renvois de QPC, ayant connu des fortunes diverses.
17Dans un arrêt du 31 décembre 2020 [34], le Conseil d’État accepte de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC portant sur les dispositions du III de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime fixant les modalités de participation à l’élaboration des chartes d’engagements sur l’utilisation des pesticides. À la fois trop imprécises sur les modalités de la participation et trop restrictives quant au public susceptible de participer, ces dispositions seront déclarées inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel le 19 mars 2021 [35].
18En revanche, dans un arrêt du 22 juillet 2020 [36], le Conseil d’État refuse de renvoyer la QPC portant sur le II de l’article 31 de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat [37], qui procède à une validation législative des arrêtés prescrivant ou approuvant des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). La validation se limite à contrer un seul moyen contentieux : la contestation du manque d’indépendance de l’autorité de l’État ayant décidé de ne pas soumettre le PPRT à évaluation environnementale après examen au cas par cas, par rapport à l’autorité de l’État compétente pour approuver le plan. Le Conseil d’État indique sèchement que la validation législative en question n’a pas « méconnu l’article 7 de la Charte de l’environnement ». Il en va ainsi, avait précisé le rapporteur public, « en raison du caractère trop indirect de l’atteinte qu’elle porterait à l’environnement » [38].
19De même, dans un arrêt du 17 décembre 2020 [39], le Conseil d’État refuse de renvoyer la QPC portant sur l’article 56 de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (dite loi « ESSOC ») [40]. Cet article prévoit en substance le remplacement, à titre expérimental pour une durée de trois ans, de l’enquête publique par une participation du public par voie électronique pour les projets soumis à l’autorisation environnementale, à la condition que ces projets aient donné lieu à une concertation préalable sous l’égide d’un garant. Les juges du Palais-Royal estiment que « le législateur a déterminé de manière suffisante les modalités permettant une participation effective du public à l’élaboration des décisions faisant l’objet de l’expérimentation ». On perçoit à la lecture des conclusions du rapporteur public [41] que c’est le processus global de participation du public, de l’amont – avec la concertation sous l’égide d’un garant – à l’aval – avec la participation par voie électronique – qui est confronté à l’article 7 de la Charte de l’environnement, et permet d’assurer la conformité de la disposition législative contestée au texte constitutionnel. Par ailleurs, la critique des requérants sur l’inégalité d’accès à la participation en raison de la fracture numérique est « désamorcée » [42] par la possibilité, y compris dans le cadre de la participation par voie électronique, d’envoyer ses observations par voie postale. Malgré sa modestie, on relèvera avec intérêt ce début de contrôle juridictionnel des modalités permettant une participation effective du public.
II – La Charte de l’environnement devant le juge judiciaire
20Sur la période couverte par cette chronique, seules trois décisions de la Cour de cassation relèvent l’invocation de la Charte de l’environnement devant le juge judiciaire, et particulièrement de ses articles 3 et 4. L’une de ces décisions est d’importance en ce qu’elle concerne la compatibilité de l’article 1247 du Code civil – et plus précisément sa limite de la définition du préjudice réparable à un préjudice non négligeable – aux articles 3 et 4 de la Charte (A.). Les articles 1, 2 et 5 sont également invoqués aux côtés des articles 3 et 4 dans une autre décision, mais à titre presque anecdotique, dans une affaire sans lien direct avec l’environnement (B.).
A – Le préjudice écologique « non négligeable », une atteinte aux articles 3 et 4 de la Charte ?
21Plusieurs associations opposées au nucléaire forment un pourvoi contre un arrêt de Cour d’appel [43] ayant refusé de reconnaître leur préjudice et la responsabilité d’EDF lors du dépassement du seuil d’émission de radioactivité de la centrale de Golfech en 2016 et demandent à la Cour de cassation de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
22Dans le cadre de ce pourvoi, la Cour de cassation accepte, par une décision du 10 novembre 2020 [44], de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC portant sur la conformité de l’article 1247 du Code civil – qui consacre la réparation du préjudice écologique – aux articles 3 [45] et 4 [46] de la Charte de l’environnement, relatifs à la prévention par toute personne des atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement, ou à défaut d’en limiter les conséquences, et à la contribution par toute personne à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement. Plus précisément, la question porte sur la limite de la définition du préjudice écologique à « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (souligné par nous). Il est vrai que cette limite avait déjà soulevé des interrogations lors des travaux préparatoires à la loi de 2016 sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages [47] qui consacre l’entrée dans le Code civil de la réparation du préjudice écologique. Défini largement, le préjudice écologique réparable a toutefois été restreint au préjudice non négligeable, traduisant le souhait du législateur d’éviter une multiplication de recours inutiles quand un dommage minime a été causé [48]. Il convient cependant de rappeler que cette limite ne se retrouve pas concernant les autres types de préjudices connus en droit commun de la responsabilité et s’explique sans doute par la pression des lobbies industriels, inquiets de cette nouvelle responsabilité les concernant [49]. La Cour de cassation, dans sa décision du 10 novembre 2020, accepte par conséquent de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel, en estimant qu’elle revêt un caractère nouveau « compte tenu de la place croissante qu’occupent les questions relatives aux atteintes portées à l’environnement dans le débat public ». Par une décision d’importance, du 5 février 2021 [50], le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 1247 du Code civil conforme à la Constitution, et a ainsi validé la limite relative à la réparation du préjudice écologique à une certaine gravité de ce dernier. Ainsi, les atteintes considérées comme négligeables à l’environnement ne sont pas réparables, et le législateur « n’a pas méconnu le principe selon lequel toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement » et les dispositions contestées « n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter la réparation qui peut être accordée aux personnes qui subissent un préjudice du fait d’une atteinte à l’environnement ».
23Outre le renvoi de la QPC, cette affaire concernant les dépassements du seuil d’émission de radioactivité de la centrale de Golfech en 2016 a fait l’objet d’une autre décision du 29 juin 2021 de la Cour de cassation [51], qui casse partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au visa notamment de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement qui permet aux associations agréées ou déclarées répondant aux conditions qu’il fixe et qui ont notamment pour objet la protection de l’environnement ou la sûreté nucléaire, d’obtenir réparation du préjudice moral que causent aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre le non-respect de la réglementation destinée à la protection de l’environnement ou relative aux installations classées. Le deuxième moyen du pourvoi énonce que, pour débouter les parties civiles de leurs demandes indemnitaires, l’arrêt attaqué, après avoir déclaré établies à la charge de la société EDF des fautes civiles résultant de la défaillance de la procédure de dégazage en mode manuel, du contournement de la procédure de collecte et de traitement habituel des effluents gazeux en raison de l’absence totale de stockage et de la mise au contact de l’atmosphère d’effluents gazeux n’ayant pas fait l’objet d’un stockage préalable pour décroissance radioactive, énonce qu’il n’est pas démontré par les appelantes que les manquements à la réglementation applicable aient engendré la moindre atteinte environnementale ni le moindre préjudice aux malades de la thyroïde ou aient été de nature à créer un risque de réalisation de tels dommages. La Cour d’appel en conclut que l’atteinte aux intérêts collectifs défendus par ces associations n’est pas caractérisée. La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en rappelant que la seule violation de la réglementation applicable est de nature à causer aux associations concernées un préjudice moral indemnisable. Soulignons que le premier moyen du pourvoi, qui s’appuie quant à lui sur « l’abrogation par le Conseil constitutionnel de l’article 1247 du code civil en ce qu’il limite la réparation du préjudice écologique aux "atteintes non négligeables", en contradiction avec les obligations de prévention et de réparation du préjudice causé à l’environnement imposées par les articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement sans aucune limitation », est, de fait, devenu sans objet compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du 5 février 2021 et doit par conséquent être écarté.
B – Les articles 1, 2, 3 et 5 de la Charte de l’environnement (encore) convoqués face à l’article 198 du code de procédure pénale
24Dans une décision du 30 mars 2021 [52], la Cour de cassation refuse le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel en raison de l’absence de nouveauté et de caractère sérieux. La question, d’une longueur remarquable, est ainsi posée : « L’article 198 du code de procédure pénale porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au droit à un procès équitable, aux droits de la défense, au droit à un recours effectif, au droit de résistance à l’oppression, au principe de clarté, de précision, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, au principe de sécurité juridique, au principe de sûreté, au principe d’égalité des armes, au principe du contradictoire, au principe d’égalité des justiciables et citoyens devant la loi, au principe de la séparation des pouvoirs, au principe de péréquation, au principe d’indivisibilité de la République, au principe d’équité territoriale, au principe de sauvegarde de l’environnement, aux principes de préservation et de prévention de l’environnement, aux principes de précaution et de vigilance, ainsi qu’au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, garantis notamment par les articles 1, 2, 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, par le préambule et les articles 1, 2, 34 et 72-2 de la Constitution du 4 octobre 1958, et par les articles 1, 2, 3 et 5 de la Charte de l’environnement de 2004 ? » (souligné par nous).
25L’article 198 du Code de procédure pénale dispose que « [l]es parties et leurs conseils sont admis jusqu’au jour de l’audience à produire des mémoires qu’ils communiquent au ministère public et aux autres parties. Ces mémoires sont déposés au greffe de la chambre d’accusation et visés par le greffier avec l’indication du jour et de l’heure du dépôt ». Ainsi, le fait d’obliger qu’une personne se déplace pour déposer le mémoire au greffe pour toutes les parties non représentées, et tous les avocats exerçant dans la ville où siège la chambre de l’instruction, conduit ces personnes à avoir un impact négatif sur l’environnement. Dès lors, l’article 198 du Code de procédure pénale ne serait pas conforme à plusieurs articles de la Charte de l’environnement. Tout d’abord au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (article 1) [53] ; ensuite au devoir qu’a toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement (article 2) [54] et de prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences (article 3) [55] ; enfin, au principe de précaution (article 5) [56].
26La Cour de cassation refuse logiquement le renvoi de cette QPC au Conseil constitutionnel en raison de son absence de nouveauté et de caractère sérieux. Rappelons, en effet, qu’à l’occasion de notre chronique précédente, nous présentions une décision similaire, en date du 26 novembre 2019 [57], de non-renvoi d’une QPC [58]. Ainsi, toujours dans le cadre d’une affaire de dénonciation calomnieuse, la Cour de cassation avait déjà relevé l’absence de caractère nouveau des questions posées, en invoquant un principe d’équité territoriale et leur absence de caractère sérieux. En effet, en prévoyant une dérogation à l’obligation pour les parties et leurs avocats de déposer leurs mémoires au greffe de la chambre d’instruction au bénéfice des avocats n’exerçant pas dans la ville où siège cette juridiction, seuls autorisés à adresser leur mémoire par télécopie ou lettre recommandée, l’article 198 du Code de procédure pénale concilie l’exigence de sécurité juridique avec les contraintes spécifiques inhérentes à la profession d’avocat. En outre, en plaçant les parties non assistées et les avocats, selon leur lieu d’exercice, dans des situations différentes, l’article 198 du Code de procédure pénale règle de façon différente des situations différentes et n’a donc pas pour effet de porter une atteinte injustifiée au principe d’égalité. Une fois encore, la sauvegarde de l’environnement a été appelée au secours d’une affaire de dénonciation calomnieuse, mais par un chemin sinueux et assez peu convaincant… Nul doute en effet que la protection environnementale n’était pas l’intérêt premier de cette affaire !
Mots-clés éditeurs : droit à la protection de l’environnement, droit à la participation, atteintes non négligeables à l’environnement, devoir de prévention, Charte de l’environnement, Cour de cassation, Conseil d’État, principe de précaution, réparation du préjudice écologique
Date de mise en ligne : 28/01/2022
Notes
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[1]
CE, ord., 17 juillet 2019, Comité de défense les Hauts de Badones-Montimas, n° 432026 ; CE, ord., 2 avril 2020, Fédé. Nat. Droit au logement et a., n° 439763 : RJE n° 4/2020, cette chronique, p. 840.
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[2]
CE, ord., 15 mars 2021, Terre d’abeille et a., n° 450194 : AJDA 2021, p. 593, note M.-C. de Montecler ; JCP A 2021, Act. 214, par A. Lami.
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[3]
Seul le référé-liberté retiendra notre attention.
-
[4]
JO du 6 février 2021, texte n° 25.
-
[5]
Loi n° 2020-1578, JO du 15 décembre 2020, texte n° 3.
-
[6]
Décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, JO du 15 décembre 2020, texte n° 4 : RJE n° 4/2021, p. 766, chron. M. Fleury et M.-A. Cohendet.
-
[7]
A. Lami, « La dérogation à l’utilisation des néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières devant le juge des référés », note précitée.
-
[8]
TA Montreuil, 29 mars 2021, Commune de Mitry-Mory, n° 2101144.
-
[9]
Cons. const., 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 QPC : RJE n° 4/2020, p. 824, chron. M. Fleury et M.-A. Cohendet.
-
[10]
A. Kiss, « Les origines du droit à l’environnement : le droit international », in La charte constitutionnelle en débat, RJE n° spécial 2003, p. 13. V. aussi, du même auteur, « Le droit à la conservation de l’environnement », Revue universelle des droits de l’Homme, 1990, p. 445-448.
-
[11]
CE, ord., 27 mars 2021, Assoc. Sea Shepherd France, n° 450592 : AJDA 2021, p. 711, note M.-Ch. de Montecler.
-
[12]
M.-Ch. de Montecler, « Les limites des pouvoirs du juge des référés face à la protection des dauphins », note précitée.
-
[13]
CE, 29 juillet 2020, Assoc. de Sauvegarde du patrimoine Mont 14 et a., n° 429235 : EEI n° 4, avril 2021, Chron. 1, par L. Fonbaustier, § 9.
-
[14]
Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, JO du 24 novembre 2018, texte n° 1.
-
[15]
CE, 26 février 2021, n° 432371.
-
[16]
CE, 10 mars 2021, n° 445547. Le contexte était celui des élections municipales de 2020, marquées par une forte abstention en partie due au contexte pandémique.
-
[17]
CE, ord., 11 septembre 2020, LPO et One Voice, n° 443482 et 443567 : AJDA 2020, p. 1685 ; Droit de l’environnement 2021, p. 166, chron. G. Audrain-Demey et B. Lormeteau ; RSDA n° 2/2020, p. 264, note B. des B. ; ibid., n° 1/2021, chron. S. Jolivet, p. 111.
-
[18]
JO du 28 août 2020, texte n° 4.
-
[19]
Directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, JOUE L 20 du 26 janvier 2010.
-
[20]
TA Guadeloupe, ord., 7 septembre 2018, n° 1800779, ASPAS et a. ; confirmé au fond par TA Guadeloupe, 19 février 2019, n° 1800780, ASPAS et a.
-
[21]
TA Guadeloupe, ord., 31 octobre 2019, n° 1901330, ASPAS et a. ; confirmé au fond par TA Guadeloupe, 12 mars 2020, n° 1900952, ASPAS et a.
-
[22]
J. Bétaille, « La directive oiseaux quarante ans après : des résultats encourageants et des espoirs à concrétiser », RSDA n° 2/2020, p. 326.
-
[23]
CE, 28 décembre 2018, n° 419063, LPO : AJDA 2019, p. 1173, note J. Bétaille.
-
[24]
CJUE, 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola Pohjois-Savo – Kainuury, C-674/17 : RJE n° 2/2020, p. 399, note É. Naim-Gesbert.
-
[25]
Directive 92/43/CEE du Conseil européen du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, JOUE du 22 juillet 1992.
-
[26]
Pour plus de précisions sur ce point, v. S. Jolivet, chronique « droit (national) de l’environnement », RSDA n° 1/2021, spéc. p. 113 et s.
-
[27]
CE, 4 février 2021, FERUS et a., n° 434058 : Droit de l’environnement 2021, p. 116, concl. O. Fuchs ; ibid., p. 166, chron. G. Audrain-Demey et B. Lormeteau ; EEI 2021, comm. 32, par L. Daydie.
-
[28]
JO du 29 juin 2019, texte n° 8. L’arrêté prévoyait deux types de mesures d’effarouchement : l’effarouchement simple à l’aide de moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l’effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux.
-
[29]
Les conclusions (précitées) du rapporteur public ne sont guère plus éclairantes. Olivier Fuchs écrit seulement : « vous pourrez écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution, qui ne nous semble pas pouvoir être invoqué en l’espèce compte tenu de la nature des risques en cause ».
-
[30]
CE, 8 juillet 2020, ADRM, n° 428271 : DMF 2021, n° 831, p. 90, note M. Morin.
-
[31]
JO du 6 novembre 2012, texte n° 38.
-
[32]
JO du 14 février 2013, texte n° 32.
-
[33]
Nous le citons : « De manière générale, lorsque l’État est contraint par le droit de l’Union d’agir dans un sens déterminé, les normes législatives et réglementaires de droit interne ne peuvent être utilement invoquées et même le respect des normes constitutionnelles n’est examiné que par le truchement des principes équivalents de droit de l’Union, lorsque ceux-ci existent (CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, n° 287110, Rec.). Mais dans la mesure où le droit de l’Union laisse l’État libre d’agir, les moyens de droit interne redeviennent opérants ». L’intégralité des conclusions est accessible sur ArianeWeb.
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[34]
CE, 31 décembre 2020, Générations Futures et a., n° 439127.
-
[35]
CC, 19 mars 2021, Assoc. Générations futures et a., n° 2021-891 QPC : RJE n° 4/2021, p. 773, chron. M. Fleury et M.-A. Cohendet.
-
[36]
CE, 22 juillet 2020, Cne de Ris-Orangis et a., n° 439213 : EEI n° 4, avril 2021, Chron. 1, par L. Fonbaustier, §23.
-
[37]
Loi n° 2019-1147, JO du 9 novembre 2019, texte n° 1.
-
[38]
Les conclusions d’Olivier Fuchs sont accessibles sur ArianeWeb.
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[39]
CE, 17 décembre 2020, Fédé. environnement durable et a., n° 427389 : Droit de l’environnement 2021, p. 80, concl. O. Fuchs ; EEI n° 4, avril 2021, Chron. 1, par L. Fonbaustier, §23.
-
[40]
Loi n° 2018-727, JO du 11 août 2018, texte n° 1.
-
[41]
O. Fuchs, « Le Conseil d’État valide l’expérimentation de la participation du public par voie électronique », Droit de l’environnement 2021, p. 80.
-
[42]
Terme employé par O. Fuchs, dans ses conclusions précitées.
-
[43]
CA Toulouse, 10 février 2020.
-
[44]
Cass. com., 10 novembre 2020, 20-82.285, Inédit.
-
[45]
Art. 3 : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
-
[46]
Art. 4 : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ».
-
[47]
Loi n° 2026-1087, 8 août 2016, JO du 9 août 2016.
-
[48]
J. Malet-Vigneaux, « De la loi de 1976 à la loi de 2016. Le préjudice écologique : après les hésitations, la consécration », RJE , 4/2016, p. 617.
-
[49]
G. Martin, « Le préjudice écologique », in La loi biodiversité en pratique, C. Cans (dir.), Ed. législatives, 2016.
-
[50]
Voy. Chronique sur la Charte de l’environnement devant le Conseil Constitutionnel, dans ce même numéro, RJE 4/2021, p. 763.
-
[51]
Cass. crim., 29 juin 2021, 20-82.245.
-
[52]
Cass. crim., 30 mars 2021, 21-90.002, inédit.
-
[53]
Art. 1 : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
-
[54]
Art. 2 : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».
-
[55]
Art. 3 : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
-
[56]
Art. 5 : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
-
[57]
Cass. crim. 26 novembre 2019, n° 19-85623, inédit.
-
[58]
RJE n° 4/2020, cette chronique, p. 851.