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Article de revue

45 ans après 1976 : L’environnement, une préoccupation d’intérêt général parmi d’autres…

Pages 683 à 686

Notes

  • [1]
    JORF du 13 juillet 1976.
  • [2]
    JORF du 20 juillet 1976.
  • [3]
    M. Prieur, « Pourquoi une revue juridique de l’environnement ? », RJE, 1976, n° 1, p. 3-4.
  • [4]
    Les textes de soft law et de hard law du droit international contiennent la même idée en substance, même si l’expression d’« intérêt général » ne se retrouve pas en tant que telle. Pareillement, sans qu’il soit besoin de faire un inventaire exhaustif, plusieurs ordres juridiques contiennent la même idée.
  • [5]
    Avec l’adoption de la Charte de l’environnement de 2004 par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement (JORF du n° 51 du 2 mars 2005, texte n° 2).
  • [6]
    Dont les travaux sont accessibles en ligne : https://www.ipcc.ch.
  • [7]
    L. Peyen, « Crise sanitaire, crise du droit de l’environnement ? », JCP A, n° 20, 27 juillet 2020, p. 4-5.
  • [8]
    V. notamment A. Pellet, « Les raisons du développement du soft law en droit international : choix ou nécessité ? », in Regards croisés sur la soft law en droit interne, européen et international, P. Deumier et J.-M. Sorel (dir.), LGDJ, 2018, p. 177-192.
  • [9]
    V. notamment CJCE, 14 juillet 1998, Gianni Bettati et Safety Hi-Tech Srl, aff. C-341/95, §53.
  • [10]
    À titre d’exemple, le Conseil constitutionnel a récemment rappelé qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’injonction à l’égard du législateur » (Cons. constit., 13 août 2021, Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, n° 2021-825 DC, §3). Il rappelle aussi fréquemment « qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement (Cons. constit., 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et a., n° 2012-282 QPC, consid. 8).
  • [11]
    Rappelons que le juge néerlandais est allé jusqu’à identifier un « devoir de vigilance » à la charge de l’État dans la décision de la Cour du District de La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas : RJE, n° 4, 2015, note A.-S. Tabau et C. Cournil. En droit français, v. P. Marcantoni, « Perspectives du contentieux climatique administratif français. La difficile identification d’une obligation juridique préalable à la charge de l’État », in Les dynamiques du contentieux climatique. Usage et mobilisations du droit, M. Torre-Schaub (dir.), Mare & Martin, 2021, p. 361-380.
  • [12]
    Ainsi, dans la fameuse affaire Commune de Grande-Synthe (v. en dernier lieu CE, 1er juillet 2021, n° 427301), le juge a-t-il seulement enjoint au Premier ministre « de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (…) ».
  • [13]
    Aff. Gianni Bettati et Safety Hi-Tech Srl. précitée, §47.
  • [14]
    Pour un exemple en droit européen : CJCE, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark, aff. 302/86, point 21.
  • [15]
    Cons. constit., 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 DC, § 6.
  • [16]
    M. Frayssinet, « La théorie du bilan à l’épreuve du droit de l’environnement », RJE, n° 2, 2021, p. 283-299 ; R. Radiguet, « La protection de l’environnement, facteur de renouvellement du contrôle de l’utilité publique », RJE, n° 4, 2018, p. 801-822.
  • [17]
    V. R. Gosse, Les normativités du principe d’intégration. Contribution à l’étude du droit fluide de l’environnement, thèse droit, Université de Lille, 2021, p. 391 et s.

1Les années 70 ont été marquées par de profondes évolutions du droit de l’environnement. Alors qu’au niveau international, se tenait à Stockholm du 5 au 16 juin 1972 la Conférence des Nations unies sur l’environnement, au plan interne, fut créé le 7 janvier 1971 le premier Ministère de la Protection de la nature et de l’environnement, et naquirent les grandes sœurs de 1976, à savoir la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature [1] et la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement [2]. Côté doctrine, naissait la vivace Revue juridique de l’environnement dont le but était alors de « sortir le droit de l’environnement de la clandestinité » [3]. Depuis, la protection de l’environnement est « d’intérêt général » (loi du 10 juillet 1976, art. 1 ; C. env., actuel art. L. 110-1) dans l’ordre juridique interne français [4].

2Aujourd’hui, le droit de l’environnement a à son actif de belles réussites. Dans le champ normatif, sa protection est par exemple assurée au niveau constitutionnel [5] ; dans les faits, les normes ont produit des effets concrets sur la protection de certaines espèces et de certains habitats, l’amélioration de la qualité des eaux et des milieux aquatiques ou encore, parmi d’autres, la protection de la couche d’ozone. Néanmoins, ces réussites ne masquent pas les alarmes environnementales qui ne cessent de retentir. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont la version finale est attendue pour fin 2022 [6], montre de façon retentissante que la situation climatique de la planète est extrêmement préoccupante. Ces constats sur l’état de l’environnement dans le monde sont tels que se développent au sein des populations une forme d’« éco-anxiété », ou « solastagie », qui pourrait être analysée sous l’angle du droit de chacun à un environnement sain. Dans le même sens, la crise sanitaire actuelle a pu montrer à quel point les (in)actions humaines pouvaient avoir un impact sur l’environnement, au point de jeter le discrédit sur le droit de l’environnement lui-même [7] : comment expliquer que l’environnement soit dans un tel état alors que sa protection est d’intérêt général depuis 45 ans maintenant ?

3Au-delà de la difficulté qu’il y a à évaluer les conséquences de certains actes à un moment donné du fait de l’état des connaissances scientifiques, il n’est pas utile d’aller bien loin pour trouver une réponse à cette question : il y a irrémédiablement un problème de volonté dans la construction et la mise en œuvre du droit de l’environnement. En effet, parce que le droit est un acte de volonté, les normes doivent leur physionomie – forme et fond, forces et faiblesses – à la volonté qui les a faites : plus celle-ci sera orientée vers la protection de l’environnement, plus les normes adoptées seront susceptibles d’apporter satisfaction, et inversement. Or, il n’est pas aisé d’appréhender cette volonté si déterminante d’un point de vue juridique.

4Et pour cause : la frontière entre le politique et le juridique, entre l’opportunité et la légalité, est ardue à identifier. Dans l’ordre juridique international, la place de la volonté des États, conséquence directe de leur souveraineté, si discutable soit elle, est telle qu’il n’est pas envisageable de façon réaliste de vouloir séparer l’action de l’intention ; au contraire, il y a là une clé de lecture fort utile pour comprendre les évolutions contemporaines du droit, surtout en matière d’environnement [8]. Reste que les lacunes du droit international de l’environnement sont indissociables, dans la plupart des cas, du déficit de volonté des États. Il en est de même dans l’Union européenne, où le législateur européen, malgré l’exigence d’un « niveau de protection élevé de l’environnement » (Traité sur l’Union européenne, art. 3, 3 ; Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, art. 114 et 191,2 ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 37), dispose d’une marge de manœuvre confortable pour agir [9]. En droit interne également, et dans le sillage du principe de séparation des pouvoirs, non seulement les juges évitent de se mêler de ce qui relève pour eux de l’opportunité [10], mais, en plus, lorsque, face à une inaction, ils imposent – avec plus ou moins de latitude [11] – aux autorités d’agir, ils ne sauraient aller jusqu’à dire quelles sont précisément les actions à mettre en œuvre pour une meilleure protection de l’environnement [12]. Tel n’est pas leur rôle. Mais, n’est-ce pas l’objet des normes, constitutionnelles et législatives, que de restreindre la volonté des autorités publiques et d’imposer une action en faveur de l’environnement ? La valeur d’intérêt général attachée à la protection de l’environnement ne saurait-elle suffire ? Non. Mais en quoi ?

5Si la protection de l’environnement est d’intérêt général, c’est-à-dire qu’elle transcende d’autres intérêts, elle se confronte à d’autres considérations tout aussi importantes, du moins au niveau juridique, avec lesquelles elle doit composer. En témoigne l’exigence de « développement durable » qui impose de concilier « la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social » (Ch. env., art. 6). Même chose en droit européen où il n’est pas question de chercher le niveau de protection « le plus élevé possible » [13], notamment parce que l’article 191 du TFUE exige qu’il soit tenu compte, dans l’élaboration de la politique dans le domaine de l’environnement, de plusieurs éléments à mettre en balance, parmi lesquels figurent « [l]es avantages et [l]es charges qui peuvent résulter de l’action ou de l’absence d’action, [le]développement économique et social de l’Union dans son ensemble et [le]développement équilibré de ses régions ». Pareillement, l’exigence de conciliation, ou de proportionnalité, qui permet la garantie des droits et libertés peut conduire à une censure en cas d’excès de protection de l’environnement, c’est-à-dire en cas de mesure disproportionnée [14] ; il en découle qu’« il appartient au législateur d’assurer la conciliation des objectifs précités [de protection de l’environnement] avec l’exercice de la liberté d’entreprendre » [15]. Le contrôle du bilan mis en œuvre dans le cadre du contrôle de l’utilité publique ne dit pas non plus autre chose [16]. La protection de l’environnement ne peut donc se faire qu’au prix d’un équilibre avec d’autres considérations, équilibre auquel il n’est pas simple de parvenir [17]. Ceci explique la marge d’action des autorités et l’intervention minimale du juge dans bien des hypothèses. Il en résulte que les choix établis aux termes de cette recherche d’équilibre atténuent ipso facto les volontés en faveur de l’environnement, ce qui neutralise les potentialités des normes en résultant.

6Ce funambulisme auquel sont contraintes les autorités publiques est, dans les faits, indépassable, tant pour des raisons politiques (et démocratiques) que pour des raisons juridiques (et herméneutiques). Le pacte de société, tel qu’il existe traditionnellement et tel qu’il est exprimé dans l’ordre juridique, repose sur un intérêt général multifacettes et, à ce titre, sans vouloir jouer les cassandres, l’environnement est condamné à n’être qu’une préoccupation d’intérêt général parmi d’autres. Pour autant, cet horizon est-il indépassable ?

7La situation environnementale actuelle, en particulier climatique, ne réclame-t-elle pas la rationalité écologique des normes, conduisant à une priorisation des intérêts environnementaux ? Cette perspective conduit à remettre en question bien des dogmes et à repenser de façon approfondie les rapports entre les intérêts, mais aussi entre les normes entre elles, qu’il s’agisse d’une éventuelle conditionnalité environnementale, de l’absence de hiérarchie entre certains intérêts dans le champ du droit, ou encore des techniques mobilisées par les juges. Bien sûr, ce n’est pas une panacée et le risque est grand de verser dans une radicalité écologique délétère à bien des égards ; la prudence est donc de mise.

8Mais puisqu’à l’origine du droit, il y a la volonté, c’est de la société que doit provenir une telle intention, car si les pouvoirs publics ont une responsabilité en matière environnementale, celle-ci ne leur est pas exclusive.


Date de mise en ligne : 28/01/2022

Notes

  • [1]
    JORF du 13 juillet 1976.
  • [2]
    JORF du 20 juillet 1976.
  • [3]
    M. Prieur, « Pourquoi une revue juridique de l’environnement ? », RJE, 1976, n° 1, p. 3-4.
  • [4]
    Les textes de soft law et de hard law du droit international contiennent la même idée en substance, même si l’expression d’« intérêt général » ne se retrouve pas en tant que telle. Pareillement, sans qu’il soit besoin de faire un inventaire exhaustif, plusieurs ordres juridiques contiennent la même idée.
  • [5]
    Avec l’adoption de la Charte de l’environnement de 2004 par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement (JORF du n° 51 du 2 mars 2005, texte n° 2).
  • [6]
    Dont les travaux sont accessibles en ligne : https://www.ipcc.ch.
  • [7]
    L. Peyen, « Crise sanitaire, crise du droit de l’environnement ? », JCP A, n° 20, 27 juillet 2020, p. 4-5.
  • [8]
    V. notamment A. Pellet, « Les raisons du développement du soft law en droit international : choix ou nécessité ? », in Regards croisés sur la soft law en droit interne, européen et international, P. Deumier et J.-M. Sorel (dir.), LGDJ, 2018, p. 177-192.
  • [9]
    V. notamment CJCE, 14 juillet 1998, Gianni Bettati et Safety Hi-Tech Srl, aff. C-341/95, §53.
  • [10]
    À titre d’exemple, le Conseil constitutionnel a récemment rappelé qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’injonction à l’égard du législateur » (Cons. constit., 13 août 2021, Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, n° 2021-825 DC, §3). Il rappelle aussi fréquemment « qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement (Cons. constit., 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et a., n° 2012-282 QPC, consid. 8).
  • [11]
    Rappelons que le juge néerlandais est allé jusqu’à identifier un « devoir de vigilance » à la charge de l’État dans la décision de la Cour du District de La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas : RJE, n° 4, 2015, note A.-S. Tabau et C. Cournil. En droit français, v. P. Marcantoni, « Perspectives du contentieux climatique administratif français. La difficile identification d’une obligation juridique préalable à la charge de l’État », in Les dynamiques du contentieux climatique. Usage et mobilisations du droit, M. Torre-Schaub (dir.), Mare & Martin, 2021, p. 361-380.
  • [12]
    Ainsi, dans la fameuse affaire Commune de Grande-Synthe (v. en dernier lieu CE, 1er juillet 2021, n° 427301), le juge a-t-il seulement enjoint au Premier ministre « de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (…) ».
  • [13]
    Aff. Gianni Bettati et Safety Hi-Tech Srl. précitée, §47.
  • [14]
    Pour un exemple en droit européen : CJCE, 20 septembre 1988, Commission c. Danemark, aff. 302/86, point 21.
  • [15]
    Cons. constit., 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 DC, § 6.
  • [16]
    M. Frayssinet, « La théorie du bilan à l’épreuve du droit de l’environnement », RJE, n° 2, 2021, p. 283-299 ; R. Radiguet, « La protection de l’environnement, facteur de renouvellement du contrôle de l’utilité publique », RJE, n° 4, 2018, p. 801-822.
  • [17]
    V. R. Gosse, Les normativités du principe d’intégration. Contribution à l’étude du droit fluide de l’environnement, thèse droit, Université de Lille, 2021, p. 391 et s.

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