Couverture de RJE_214

Article de revue

L’évaluation environnementale stratégique face à l’urgence

Pages 679 à 682

Notes

1L’exigence de prise en compte des préoccupations environnementales, dans la mise en œuvre de politiques publiques ou dans l’élaboration de projets, s’est profondément renouvelée ces dernières années : des mutations sensibles sont intervenues dans le cadre juridique et méthodologique applicable, dans la compétence des acteurs impliqués, ainsi que dans les modes de participation du public. La directive 2001/42/CE du 27 juin 2001, en consolidant en Europe l’évaluation des incidences environnementales des plans et programmes ou évaluation environnementale stratégique (EES), a contribué à ce mouvement.

2Deux décennies plus tard, le besoin de repenser l’intégration des considérations environnementales à une échelle stratégique garde toute son actualité : il s’agit tout autant de renforcer les réflexions menées en amont de la chaîne décisionnelle globale, à un niveau où les marges de manœuvre sont censées être importantes, que d’anticiper, en aval, l’élaboration de projets concrets. Parallèlement, la notion d’urgence est de plus en plus mise en avant dans le débat public, pour faire face tant au réchauffement climatique qu’à la perte de la biodiversité ou aux tensions sur l’eau, comme aux enjeux de relance économique en situation de crise.

3Or cet appel à traiter l’urgence conduit nécessairement à s’interroger sur les manières de préparer la prise de décision et de gérer les controverses. L’urgence écologique n’apparaît donc pas seulement comme un appel à adapter les processus existants : elle implique de s’attacher aux attentes placées dans ces processus, alors même que l’urgence peut aussi être invoquée dans une optique de simplification ou de facilitation par certaines parties prenantes, institutionnelles ou non. Paradoxalement, elle semble aussi entretenir une tentation de hiérarchiser a priori voire d’opposer les thématiques environnementales, au détriment d’une approche globale et intégrée.

4Pour les 20 ans de cette directive, une journée d’études sur « L’EES face à l’urgence » a été organisée le 31 août 2021 par AGROPARISTECH en association avec le SIFEE [1] et la SFDE [2], avec l’appui d’un collectif d’experts pluriels et indépendants.

5Le principe d’intégration de l’environnement comporte deux aspects complémentaires. Sur le fond, il s’agit de respecter les objectifs environnementaux et les ambitions fixées au plus haut niveau d’engagement juridique pour les politiques publiques. D’autre part, des démarches et méthodes spécifiques doivent être mises en œuvre pour prendre en compte efficacement l’environnement lors de l’élaboration d’un projet, d’un document de planification ou d’une politique. Ce rôle des évaluations environnementales doit s’articuler avec les principes de prévention, d’information et de participation du public inscrits dans la Charte de l’environnement.

6Portées par le droit, les évaluations environnementales ex-ante sont des démarches d’aide à la conception et à la décision. Elles ne créent pas en elles-mêmes de nouveaux objectifs environnementaux, mais interviennent pour aider à la prise en compte des objectifs fixés par ailleurs (réduction des GES [3], adaptation aux changements climatiques…). Elles se structurent autour de quatre dimensions pratiques enrichies au fur et à mesure des retours d’expérience :

  • produire une connaissance utile sur l’état de l’environnement, les impacts, les effets cumulés… ;
  • s’inscrire dans un processus de décision, en aidant à l’examen d’alternatives, de mesures de réduction, de compensation écologique (démarche ERC) ;
  • informer et consulter les autorités compétentes et le public ;
  • prévoir un suivi des interactions du plan/projet avec son environnement afin d’envisager des mesures correctrices si nécessaire.

7Ces démarches ont ainsi pour ambition d’éclairer l’ensemble des parties prenantes par un rapportage préalable des conséquences environnementales, ainsi que par une justification des choix, données indispensables pour nourrir le débat citoyen et légitimer la décision finale. L’EES apparaît a priori comme une ressource pour gérer l’urgence écologique. Pour autant, les évaluations menées à cette échelle, qui nécessitent des méthodologies spécifiques, restent disparates et suscitent encore des critiques quant à leur efficacité et leur insertion dans le processus d’élaboration des documents, du fait notamment d’une adaptation insuffisante des procédures à ce nouvel atout.

8Face à l’urgence climatique, la transition énergétique et l’adaptation au changement climatique ne peuvent se contenter de réponses ponctuelles. Elles impliquent, plus encore que d’autres enjeux, une planification stratégique forte et à long terme, agile néanmoins, assortie d’objectifs temporellement définis et déclinés dans la plupart des activités humaines, elles-mêmes souvent l’objet de politiques publiques planifiées.

9Le défi à relever pour nos sociétés de la transition écologique est considérable. Celui de la transition énergétique doit permettre de stabiliser le climat dans un état le moins dégradé possible afin d’éviter une déstabilisation socio-économique trop profonde. Celui de la diversité biologique est tout autant essentiel car l’humanité n’est qu’une composante de l’écosystème Terre dont elle ne peut s’extraire. Les deux défis sont interdépendants, doivent être relevés de façon synchrone, tout en gardant vivantes la démocratie participative et la justice sociale.

10Pour ne parler que du climat, nous sommes au pied du mur puisque les engagements pris par la France dans l’Accord de Paris et déclinés dans la SNBC [4] marquent une vraie rupture dans nos modes de vie, avec une première étape importante dès 2030 (-40 % de GES par rapport à 1990) avant d’atteindre une décarbonation complète en 2050. Elle s’articule sur un triptyque sobriété – décarbonation et efficacité énergétique – stockage du carbone.

11Pourtant la trajectoire d’atténuation esquissée par la SNBC se heurte à des difficultés structurelles :

  • le manque de liaison avec le cadre de référence du PNACC [5] qui reste imprécis : les forêts par exemple devraient constituer un important puits de carbone en 2050 selon la SNBC, mais la résilience des écosystèmes forestiers au changement climatique déjà acquis n’est pas évaluée ; de même concernant la capacité de refroidissement de centrales par les rivières lors de périodes chaudes plus longues, fréquentes et intenses.
  • l’absence de déclinaison territoriale de la PPE [6] et a fortiori de la SNBC : il n’existe pas de lien précis renvoyant à une véritable planification territoriale des capacités de production, donc des installations d’énergie renouvelable ou décarbonée ; ainsi l’évaluation environnementale de projet d’un champ éolien offshore ne pourra pas se référer à un document de planification justifiant l’emplacement choisi, les alternatives étudiées, les effets cumulés avec les projets existants et à venir… ; de même les SRADDET doivent prendre en compte les orientations de la SNBC et de la PPE, mais sans objectifs partagés nationalement, on ne peut qu’espérer que la somme des initiatives régionales (et sectorielles) permettra de rester ajusté à la trajectoire bas carbone ; enfin, l’absence de planification empêche l’organisation d’un débat public structuré sur les alternatives du futur mix énergétique (part des ENR et part du nucléaire) et sur la rentabilité des investissements selon les filières et les finalités (sobriété vs. décarbonation).
  • la difficulté de mise en cohérence de plans et programmes relevant d’autorités différentes notamment pour les documents d’urbanisme (SRADDET, SCOT, PLUI…) qui sont des outils essentiels de planifications en particulier pour le ZAN [7].

12Dans le même temps, nous devons nous préparer au réchauffement inéluctable du climat lié aux GES déjà émis (+1,8 °C en métropole en 2019 par rapport à la période 1961-1990 [8]), et ceci au mieux jusqu’en 2050. Nous devons également inclure dans nos analyses la part de carbone importée, et plus largement agir au niveau international pour que l’ensemble des pays s’engage dans la même voie (la France représentant 2 % de l’empreinte carbone mondiale).

13Ainsi le chemin de la transition écologique paraît bien étroit et escarpé, mais il n’est certainement pas inaccessible. Pour y arriver, il faudra écrire avec la société civile organisée le récit national de la transition écologique réussie, intégrant les limites écologiques et proposant différents scenarii, pour imaginer nos modes de vie en 2030 puis 2050 (démétropolisation ou métropolisation, sobriété, rapprochement des producteurs et des consommateurs, travail à distance, juste partage des efforts, formation et emploi, éducation, santé…). Cette construction d’un futur désirable, à laquelle le CESE pourrait contribuer utilement, devrait permettre d’engager l’ensemble des citoyens dans un destin commun et tempérer les résistances locales au changement. De ce grand débat citoyen pourrait découler une vraie planification des ENR et plus largement des infrastructures nécessaires à la transition, déclinée opérationnellement dans les territoires selon leurs spécificités (gisements d’ENR, puissance installée), intégrant les enjeux de diversité biologique et d’eau, mais aussi socio-économiques et d’innovation, pour rechercher les projets de moindre impact.

14Nous n’avons plus le temps de procrastiner, les investissements nécessaires à la transition doivent être mobilisés dans les années à venir et il faut prendre le temps du débat public pour légitimer les options qui sont devant nous (mobilités / habitat / mix énergétique / modèle agricole…). Il est temps de passer du « faire mieux » à « faire bien », et face à cette urgence, les démarches d’évaluations environnementales stratégiques, articulées avec le droit, peuvent aider à concilier transition énergétique, sauvegarde de la biodiversité, et maintien de la démocratie.


Date de mise en ligne : 28/01/2022

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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