Couverture de RJE_214

Article de revue

Environnement et genre. Quand la question du changement climatique met (aussi) en lumière l’inégalité femme homme

Pages 675 à 677

Notes

1À l’heure où nous écrivons ces lignes, se tient la vingt-sixième conférence des Nations unies (COP 26) sur le changement climatique à Glasgow. L’occasion de souligner ici la question de la place des femmes face à un tel enjeu, notamment en termes de vulnérabilité, d’adaptation, ou encore de responsabilités.

2Dans la mesure où la question commence à être largement documentée [1], nous nous contenterons de mettre en lumière un certain nombre de paradoxes. Alors que les femmes sont des actrices essentielles de la lutte contre le changement climatique en raison de leur rôle (notamment vis-à-vis des ressources naturelles) et d’une expertise particulière, elles sont aussi les plus vulnérables et paradoxalement écartées du pouvoir de décision en la matière. Pourtant, on sait aussi que l’investissement en faveur de la défense de l’environnement est majoritairement féminin. Pour des raisons tenant à la lutte pour leur survie et celle de leur famille, les femmes (plus particulièrement au « Sud ») se sont engagées dès les années 70 pour la défense de certaines ressources. Le mouvement Chipko [2] est emblématique d’un tel engagement, les femmes s’étant alors interposées entre les bûcherons et les arbres destinés à l’abattage, pour dénoncer la politique de déforestation menée par l’Inde dans la région himalayenne [3]. Comme l’analyse Julie Rousseau, de tels combats révèlent aussi une même histoire de domination, celle d’une société cherchant à domestiquer la nature et, par analogie, celle d’une société patriarcale elle aussi fondée sur la domination d’un sexe sur l’autre [4]. Dans les pays développés, il apparaît que les femmes sont également davantage investies dans la cause environnementale, comme en témoignent par exemple leurs choix électoraux [5]. Or c’est précisément une « socialisation genrée différenciée » [6] qui explique cette féminisation de l’engagement écologique. Ainsi les femmes exercent majoritairement des activités professionnelles liées aux soins et sont aussi majoritairement responsables des travaux domestiques [7], une telle « éducation » les conditionnant à être davantage altruistes que les hommes (y compris, donc, vis-à-vis de l’environnement) [8]. Pire encore, des stéréotypes de genre expliqueraient que l’écologie soit associée à une forme de « féminité » [9].

3De telles inégalités se poursuivent lorsque l’on s’intéresse à la vulnérabilité des femmes face aux catastrophes naturelles [10] et aux changements climatiques. À l’échelle mondiale et sans pouvoir lister l’ensemble des facteurs à l’origine d’une telle vulnérabilité, retenons leur plus grande dépendance vis-à-vis des ressources naturelles (les femmes portant « le fardeau des responsabilités familiales » [11] comme l’approvisionnement en eau [12], la collecte des combustibles ou la sécurité alimentaire) ; la pénibilité du travail (souvent agricole) généralement exercé ; la mobilité réduite des femmes pour des raisons sociales et culturelles, leur migration forcée les exposant de surcroit à une plus grande insécurité voire à des violences sexuelles [13]. Enfin, les pauvres sont plus vulnérables aux changements climatiques ; or 70 % des pauvres sont des femmes.

4Pourtant, il est aussi avéré que les femmes peuvent jouer un rôle majeur dans l’adaptation aux changements climatiques. Compte tenu de la place qui leur est traditionnellement dévolue notamment dans les pays du sud, elles sont détentrices de savoir-faire essentiels pour des stratégies d’adaptation (pratique de cultures durables, de méthode de conservation alimentaire, maitrise de connaissances environnementales locales…). Mais en matière de changements climatiques comme ailleurs, les femmes sont largement exclues de la prise de décision. Quelques chiffres suffisent à en attester. Lors de la COP 21 réunie à Paris en 2015, il n’y avait que 8 femmes parmi les 150 chefs d’États présents. Quant aux conseils d’administration du Fonds vert pour le climat et du Fonds pour l’environnement mondial, ils étaient composés en 2016 de moins de 15 % de femmes. Enfin ces dernières ne bénéficient que très peu d’un accès aux crédits pour l’adaptation aux changements climatiques (en Afrique par exemple, 70 % des financements sont consacrés à des projets technologiques de grande ampleur largement dirigés par des hommes) [14].

5Face à de telles inégalités, des initiatives se multiplient. Ainsi le Women’s Forum for the Economy and Society (organisation internationale fondée en 2005) a lancé un groupe de travail consacré à la question des femmes et du climat. Épousant la forme d’une convention internationale, une charte a été élaborée en 2019 et soumise au G20 la même année. Elle comprend 5 engagements, tels que l’atteinte d’ici 2030 de la parité dans les instances de décision liées au climat, ou encore l’intégration de données et de considérations de genre dans le développement des politiques climatiques [15].

6Il est temps pour nous d’achever l’écriture de ces lignes. Nous sommes le 3 novembre 2021, date symbolique à compter de laquelle, compte tenu de l’écart moyen des salaires entre les femmes et les hommes récemment publié par Eurostat [16], les femmes françaises commencent à « travailler gratuitement » [17].


Date de mise en ligne : 28/01/2022

Notes

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