Couverture de RJE_213

Article de revue

Thèses de droit de l’environnement

Pages 659 à 662

1La Société Française pour le Droit de l’Environnement attribue tous les deux ans un Prix de thèse (1er et 2ème Prix, et si le jury l’estime opportun un Prix spécial). Ces prix sont destinés à récompenser les thèses en langue française qui contribuent à l’amélioration des connaissances en droit de l’environnement.

2Pour l’édition 2021 du Prix de thèse de la SFDE, trois prix ont été décernés :

Premier Prix : Aline TREILLARD, L’appréhension juridique de la nature ordinaire, sous la direction du Pr. Jessica MAKOWIAK, Université de Limoges, soutenue le 8 novembre 2019, 590 p.

3Le droit ne manque pas de principes et d’instruments pour régir les activités susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement. Pourtant, la migration du concept de nature ordinaire en droit n’est pas encore réalisée. L’intérêt pour les espèces communes et les espaces ne présentant pas de particularités scientifique, esthétique ou historique est surtout abordé par des disciplines voisines telles que la biologie de la conservation, la sociologie, la géographie ou bien encore la philosophie. En réaction à cette indifférence, la thèse propose d’éclairer l’appréhension juridique du concept de nature ordinaire, d’examiner les conditions de son institution et les processus qui en permettraient la consécration en tant que nouvel impératif de conservation. De cette manière, elle interroge profondément le degré de maturité du droit de l’environnement, l’appréhension juridique de la nature ordinaire mettant ce dernier à l’épreuve d’une structuration et d’une formulation plus écocentrées.

4La thèse aboutit ainsi à présenter des alternatives aux modes de catégorisation juridique binaires qui structurent notre ordre juridique. Une tentative de reconstruction du droit de l’environnement est alors proposée, sur le fondement de la définition d’un statut général de protection de la nature, considéré comme un levier essentiel pour la détermination de régimes juridiques susceptibles de garantir l’adéquation des normes au réel. À même de construire de nouvelles interdépendances entre la société et les écosystèmes, la thèse envisage plus généralement les bouleversements des modes de conceptualisation et de théorisation du droit que l’appréhension juridique de l’ordinaire implique notamment pour le droit administratif (redéfinition de la place de la puissance publique, de l’approche de l’intérêt général, des rapports du droit à l’obéissance et à l’impérativité de la norme, étude de la circulation des « foyers » de production normative et de l’importance des dispositifs et du maintien des procédures). L’enjeu de cette étude est donc double. Elle vise à proposer des pistes de réforme du droit de l’environnement et elle ambitionne aussi d’établir durablement les impératifs environnementaux au cœur du contrat social et des branches du droit chargées de régir les « choses » publiques.

Deuxième Prix : Muriel LAISNÉ, L’environnementalisation du contrat de bail commercial, sous la direction du Pr. Catherine BARREAU, Université de Rennes 1, soutenue le 6 décembre 2019, 704 pages

5Le contrat de bail commercial est un outil économique d’inspiration fortement libérale. Alors que son statut a prouvé depuis longtemps sa capacité à protéger le preneur, ce contrat intègre de plus en plus des données environnementales. À travers le « kaléidoscope » environnemental, le bail, pris comme « contrat-cible » dans cette étude, réagit de manière ambiguë : tantôt résistant, tantôt participant à la protection de l’environnement. La rencontre du droit du bail commercial et du droit de l’environnement est en grande partie imputable aux risques environnementaux.

6L’environnementalisation à l’œuvre dans le bail permet de s’interroger plus spécifiquement sur le rôle et les transformations de ce contrat.

7Si cette évolution est un facteur de perturbation à de nombreux égards, elle est aussi un facteur de socialisation du bail, qui peut ainsi contribuer à la protection de l’environnement.

8D’une part, les obligations d’information n’ont cessé de croître provoquant des perturbations. Les incertitudes sur le champ d’application ou encore les sanctions engendrent paradoxalement des risques liés à l’environnement. En outre, la problématique des sites et sols pollués est susceptible d’être appréhendée à la fois par le droit du bail commercial et le droit de l’environnement avec les législations sur les installations classées, les déchets et les sites et sols pollués. Dès lors, le droit de l’environnement emporte d’importantes conséquences sur le bail, le contrariant ou le modifiant.

9D’autre part, l’environnement insuffle une fonction sociale environnementale à ce contrat et exacerbe la socialisation. Bien qu’il ne soit pas de son essence de pourvoir à l’intérêt général, il contribue à la protection de l’environnement en prenant en compte des données environnementales issues de la loi, du juge et des contractants. Intégrant toujours plus d’intérêt général environnemental, le bail commercial se socialise. Sa socialisation contemporaine donne à voir une fonction environnementale. Dans une posture résolument tournée vers la protection de l’environnement, la réception d’une telle fonction par le bail met en évidence des avancées et des difficultés.

10En conclusion, l’environnementalisation du bail commercial se mesure sur deux plans : une inflation massive d’obligations d’information, de prévention et même de précaution, de vigilance renforcée, de politique incitative plus que coercitive, de production normative par les contractants, et, une transformation de la philosophie des rapports locatifs du fait du dialogue et de la concertation promus par l’environnement.

11À partir des observations de cette étude, des propositions d’amélioration ont été recensées en matière d’information environnementale, d’obligation des parties, d’audit et d’état des lieux, de fiscalité des travaux de performance environnementale, de régulation de l’environnement sur le plan économique et juridique, et de création d’un régime spécial pour les activités à risque pour l’environnement.

Prix spécial : Pag-yendu M. YENTCHARÉ, Protocole de Nagoya et protection juridique des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques : la fabrique d’un droit international de la reconnaissance, sous la direction de Sophie LAVALLÉE et Georges AZZARIA, Université de Laval (Québec, Canada), 2019, xiv+397 pages

12Cette thèse traite de la protection juridique des savoirs traditionnels. Cette question est devenue un problème public à la faveur de la dénonciation, par plusieurs acteurs de la société civile, d’actes de biopiraterie. La biopiraterie désigne l’appropriation illicite des savoirs traditionnels des peuples autochtones ou des communautés locales (PACL) par des utilisateurs qui s’en servent pour fabriquer de nouveaux produits (alimentaires, cosmétiques ou pharmaceutiques) protégés par des droits de propriété intellectuelle – surtout des brevets –, sans toutefois reconnaître l’apport des PACL dans la création de l’innovation protégée.

13Face à ce problème, le droit international propose deux réponses. D’une part, l’article 5(5) du Protocole de Nagoya, entré en vigueur le 12 octobre 2014, pose le principe du partage juste et équitable, avec les communautés autochtones ou locales, des avantages monétaires et non monétaires, résultant de l’utilisation de leurs savoirs traditionnels sur les vertus des plantes ou animaux. Ce principe est toutefois conditionné par les conditions et limites que peut fixer le droit national de l’État fournisseur. D’autre part, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) élabore depuis l’an 2000 des projets de lois spécifiques dites sui generis, pour protéger les savoirs traditionnels, invoquant l’inadéquation du brevet pour ce faire puisque les savoirs traditionnels ne rempliraient pas les conditions de nouveauté, d’inventivité et d’application industrielle requis par les droits nationaux de brevet. Ces deux solutions, considérées comme complémentaires, ne semblent toutefois pas parvenir à répondre efficacement au problème de la protection des savoirs traditionnels.

14Cette thèse cherche donc une solution juridique qui soit plus adaptée aux réalités vécues par les PACL. À partir de l’approche de la construction sociale du droit et des concepts de reconnaissance, d’équité et de justice environnementale, cette thèse veut comprendre comment se sont structurées les deux approches majoritaires concernant la protection des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques en droit international. Cette réflexion ouvre à la possibilité de remise en cause de la non-brevetabilité des savoirs traditionnels, grâce à une étude de trois cas de biopiraterie (les affaires du Hoodia gordonii, du Guiera senegalensis et de la Quassia amara). Elle suggère également, à l’occasion de la mise en œuvre du Protocole de Nagoya, une approche renouvelée et pragmatique du brevet comme outil de protection des savoirs traditionnels.

15(voir également le compte rendu de cette thèse rédigé par Ali MEKOUAR paru dans la RJE 1/2020, p. 206)


Date de mise en ligne : 17/09/2021

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