Notes
-
[1]
Selon le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, 75 % de l’environnement terrestre a été « gravement altéré » par des activités humaines et 66 % de l’environnement marin est également affecté. V. : Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, Perspectives mondiales de la diversité biologique, n° 5, Montréal, 2020.
- [2]
-
[3]
Par exemple, l’article L. 110-1 du Code de l’environnement dispose que sont d’intérêt général la connaissance, la protection, la mise en valeur, la restauration, la remise en état et la gestion des espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, des sites, des paysages diurnes et nocturnes, de la qualité de l’air, des êtres vivants et de la biodiversité, ainsi que la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu’ils fournissent.
-
[4]
Article 410-1 du Code pénal.
-
[5]
Article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.
-
[6]
CIJ, avis consultatif du 8 juillet 1996, « Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires », Recueil CIJ, 1996, p. 241-242, §29.
-
[7]
Déclaration universelle des droits de l’Humanité de 2015 (http://droitshumanite.fr/declaration/), qui reprend la formulation déjà utilisée dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 13 juin 1992.
-
[8]
Environnement et développement durable – L’indispensable mobilisation des acteurs économiques et sociaux, Avis du Conseil économique et social présenté par Martinand, 18 mars 2003, p. 8.
-
[9]
Il est apparu dans un premier temps en droit international général, sous l’expression de patrimoine commun de l’humanité lorsqu’en 1958, le président de la première conférence de Genève sur le droit de la mer, le prince Wan Waithayakorn de Thaïlande, a constaté que « la mer constitue l’héritage commun de toute l’humanité, et il est donc de l’intérêt général de déterminer nettement le droit de la mer et de faire en sorte que celui-ci réglemente équitablement les divers intérêts en jeu et assure la conservation de cet héritage pour le bien de tous ». Dans la même lignée, le représentant permanent de Malte auprès des Nations unies, l’ambassadeur Arvid Pardo, proposa, une décennie plus tard au sein de la première Commission de l’Assemblée générale à New York, en 1967, que l’utilisation des ressources minérales des fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale des États soit réglementée par les Nations unies, tout en proclamant que ces ressources constituaient le patrimoine commun de l’humanité. Aujourd’hui, en application des conventions internationales, le patrimoine commun de l’humanité comprend la lune, ses ressources et les autres corps célestes, ainsi que les fonds marins (appelés « la Zone »).
-
[10]
Respectivement articles L. 110-1 du Code de l’environnement et L. 101-10 du Code de l’urbanisme.
-
[11]
Article 6 c) du Statut du TMI de Nuremberg annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe.
-
[12]
L. Neyret, « Écocide », in Dictionnaire des biens communs, sous la direction de M. Cornu, F. Orsi et J. Rochfeld, Dictionnaires Quadrige, 2017, p. 477-484.
-
[13]
E. Fronza et N. Guillou, « Vers une définition du crime international d’écocide », in Des écocrimes à l’écocide – Le droit pénal au secours de l’environnement, sous la direction de L. Neyret, Bruylant, 2015, chapitre 7, p. 135.
-
[14]
H. Hellio, « De la valeur partagée de la sûreté de la planète à la répression internationale de l’écocide. Une nouvelle quête », in Des écocrimes à l’écocide, op. cit., chapitre 6, p. 111.
-
[15]
L. Weiss, « La mondialisation du concept de droits environnementaux et ses retombées en droit français. Recherche d’une singularité juridique », in Mondialisation et globalisation des concepts juridiques : l’exemple du droit de l’environnement, IRJS éditions, 2010, Bibliothèque de l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne – André Tunc, Tome 22, p. 39.
-
[16]
Déclaration de la Conférence des Nations unies sur l’environnement du 16 juin 1972 : « l’homme a une responsabilité particulière dans la sauvegarde et la sage gestion du patrimoine constitué par la flore et la faune sauvages et leur habitat, qui sont aujourd’hui gravement menacés par un concours de facteurs défavorables ».
-
[17]
L. Neyret, « Écocide » (Point de vue 2), https://lapenseeecologiques.com/ecocide-point-de-vue-2/.
-
[18]
G. Giudicelli-Delage, « Propos conclusifs », RJE, 2014, numéro spécial Droit répressif de l’environnement, p. 245.
-
[19]
V. Sizaire, « Peut-il exister un droit pénal de l’environnement ? », La Découverte, Délibérée, 2019/3, n° 8, p. 42-49.
-
[20]
Selon l’expression du juge Kama lors du prononcé de la sentence contre Jean-Paul Akayesu par le TPI pour le Rwanda le 2 octobre 1998.
-
[21]
A. Bouzon, Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, trad. de l’allemand par L. Bernardi, Questions de communication, 2/2002, mis en ligne le 30 juillet 2012, http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/7281.
-
[22]
Selon Cornu, le risque s’entend comme « un événement dommageable dont la survenance est incertaine quant à sa réalisation ou à la date de sa réalisation ». V. G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 7ème éd., 2005.
-
[23]
C’est bien la définition retenue par la Commission européenne de l’UE qui prend en compte deux éléments : la probabilité que survienne un élément dangereux et la sévérité de ses conséquences.
-
[24]
« La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, et sur le principe du pollueur-payeur. Les exigences en matière de protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques de la Communauté (…) ».
-
[25]
« Le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ».
-
[26]
« Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
-
[27]
Droit notamment reconnu en France dans la Charte constitutionnelle de l’environnement.
-
[28]
Directive n° 2008/99/CE du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal.
-
[29]
Considérant (5) de la directive, op. cit.
-
[30]
V. sur cette question : J. Tricot, « Écocrimes et écocide : quels responsables ? », in Des écocrimes à l’écocide, op. cit., chapitre 8, p.141-163.
-
[31]
V. sur cette question : I. Rodopoulos, « Les activités criminelles organisées en matière environnementale : quelques réflexions en vue d’une réponse pénale internationale », in Des écocrimes à l’écocide, op. cit., chapitre 9, p. 165-182.
-
[32]
« Alors que l’ensemble des systèmes écologiques de la Terre est plus vulnérable que jamais, nous assistons aussi à la recrudescence d’une criminalité environnementale qui prospère à travers le monde et profite d’une trop grande impunité. Le mépris des règles de prudence, du devoir de vigilance et du principe de précaution peut permettre à certains de dégager des profits économiques considérables au détriment des écosystèmes » : Tribune par un collectif de responsables politiques et d’intellectuels, « Reconnaître l’écocide au même rang que les crimes contre l’humanité », Libération, 10 décembre 2019, https://www.liberation.fr/auteur/20326-un-collectif-de-responsables-politiques-et-d-intellectuels.
-
[33]
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
-
[34]
Dans l’affaire « Stocamine », la chambre criminelle de la Cour de cassation a été ainsi amenée à préciser la valeur protégée par l’article 223-1 du Code pénal, relevant « que l’infraction de "risques causés à autrui" relève de la catégorie des "mises en danger de la personne" dont la sanction est exclusivement destinée à protéger la "personne humaine" » : Cass. Crim., 5 avril 2011, n° 09-83277, Inédit, M. Veron, « Infraction assurant exclusivement la protection de la personne humaine », Droit pénal, juillet 2011, commentaire 88.
-
[35]
Tel est le cas, par exemple, du conducteur d’un poids lourd qui, en connaissance du risque qu’il prend, s’engage avec un chargement de matières hautement toxiques sur un pont limité à 19 tonnes avec un attelage de 38 tonnes et n’encourt qu’une sanction au code de la route. Ou encore, du capitaine d’un cargo transportant des matières dangereuses qui pénètre dans une aire marine protégée, en infraction aux règles de la navigation maritime.
-
[36]
Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (JORF n° 0074 du 28 mars 2017), modifiée par l’ordonnance n° 2017-1162 du 12 juillet 2017 portant diverses mesures de simplification et de clarification des obligations d’information à la charge des sociétés.
-
[37]
V. Lassere, « Le risque », Dalloz 2011, Chronique 1632.
-
[38]
Y. Mayaud, sous Cass. crim., 19 avril 2017, n° 16-80.695, publié au Bulletin, confirmant la décision de condamnation pour mise en danger d’autrui prononcée par la CA Bastia, ch. correct., 6 janvier 2015.
-
[39]
Directive n° 2008/99/CE du 19 novembre 2008, op. cit.
-
[40]
« Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ».
-
[41]
Cette définition a par la suite été reprise nombre de fois, notamment par le premier ministre suédois Olof Palme pour son discours d’ouverture de la Conférence de Stockholm de 1972 sur l’environnement.
-
[42]
M. Doudou Thiam, « 13e rapport sur le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité », Annuaire de la Commission du droit international, vol. II (1), ONU, 1995, 37, §§ 8-10.
-
[43]
Par contre, ce projet a inspiré une dizaine de législateurs nationaux qui ont intégré le crime d’écocide dans leur code pénal : l’Arménie (2003), la Biélorussie (1999), la Géorgie (1999), le Kazakhstan (1997), le Kirghizistan (1997), la Moldavie (2002), la Russie (1996), le Tadjikistan (1998), l’Ukraine (2001) et le Vietnam (1990).
- [44]
1La situation actuelle, sur les plans écologique et sanitaire, appelle à une prise de conscience existentielle : celle de l’interdépendance du vivant humain et non humain et de tout ce qui l’entoure, autrement dit de l’existence d’un lien matriciel qui affirme que de la protection de la planète, notre maison-mère, dépend la survie de l’humanité, la communauté des hommes. Ce lien, qui est intra-spatial, inter-espèces et intergénérationnel, suppose des rapports positifs, de réciprocité et d’échanges, pour une cohabitation en bonne entente, une harmonie d’ensemble, en un mot : un équilibre.
2Mais la société contemporaine, dans sa soif de consommation effrénée et de recherche du profit à court terme, a rompu ce lien ancestral pour le transformer en un asservissement de la nature et des communs naturels par l’homme auto-proclamé maître de la Terre et de ce qu’il y trouve. On peut dire que le lien est aujourd’hui « dénaturé ». La disparition des forêts tropicales, l’appauvrissement des sols, l’acidification des mers et océans, la progression des zones désertiques, le réchauffement global de la planète…, tous ces phénomènes nous révèlent que le lien matriciel qui réunit en une même communauté de destin le vivant humain et non humain, s’il est indissoluble, n’en est pas moins fragile et, qu’en l’état actuel, il exige urgemment et impérativement d’être renoué et consolidé dans un ultime sursaut de survie.
3Et alors que l’état d’urgence sanitaire a été proclamé par de nombreux pays en vue d’enrayer la propagation de la Covid-19, c’est bien l’état d’urgence écologique dans lequel se trouve la planète qu’il faut décréter. Cette urgence reconnue de toutes parts (GIEC de la biodiversité, COP 25 sur le climat, rapports d’experts scientifiques de l’ONU [1], manifestations éco-citoyennes diverses…) commande un changement radical des comportements actuels, que l’on a pu qualifier en politique de « transition écologique ». Celle-ci se doit d’être franche et durable : il s’agit ni plus ni moins de recréer un lien fort qui soit garant d’un rééquilibrage des rapports entre l’homme et la nature.
4Or, la rupture de ce lien est telle qu’un changement de paradigme juridique s’impose (I.) pour accompagner la transformation des comportements et proposer un modèle cohérent où la place du droit pénal de l’environnement est à réinventer (II.). Ainsi le nouveau droit pénal à forger remplira les fonctions principales qui sont traditionnellement les siennes, à la fois expressives et normatives.
I – De la fonction expressive du droit pénal : un changement de paradigme juridique pour la sauvegarde de la sûreté de la planète
5Le rapport spécial Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir rendu par le Haut Conseil pour le Climat (HCC) en réponse à la crise déclenchée par le coronavirus contient un sous-titre évocateur qui résume l’enjeu de la situation actuelle : « accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques » [2]. Le changement de comportements qu’implique une telle transition doit s’accompagner d’une modification du cadre juridique venant poser le socle des actions à venir. Aux prémices du raisonnement, c’est la raison d’être du droit pénal, sa ratio legis (A.) qui est à questionner et à affermir face à l’urgence écologique, permettant ensuite de délimiter la place de ce droit spécial (B.), afin de consolider sa légitimité et sa pertinence au regard des enjeux et objectifs assignés.
A – Affirmer la ratio legis du droit pénal de l’environnement
6Pour accepter et appliquer, il faut comprendre pourquoi, c’est-à-dire la raison d’être : la « ratio legis ». Vecteur intellectuel qui aboutit au texte d’incrimination, elle en révèle le but légal, la volonté et raison profonde de son créateur : le législateur et de sa création : l’infraction. D’un point de vue conceptuel, elle contient en elle les enjeux à relever et à sauvegarder, qu’il convient ensuite de traduire juridiquement et d’intégrer dans le champ textuel de l’incrimination afin d’en préciser et d’en délimiter le domaine d’application. Ainsi, le droit pénal se veut le garant des valeurs sociales jugées essentielles au nom d’un intérêt supérieur, appelé « intérêt général ». Celui-ci, dans sa conception volontariste qui est celle retenue en droit français, est l’expression de la volonté générale, celle de l’ensemble de la collectivité, dépassant les intérêts particuliers, ceux de chaque individu. Notion volontairement floue et ouverte, elle suit les évolutions de la société, englobant les besoins sociaux du moment et reflétant les nouveaux enjeux. Parmi ces derniers, l’émergence de la question écologique est incontournable et se fait chaque jour plus pressante dans le contexte d’urgence que le monde connaît.
7L’intérêt général lié à la protection de l’environnement a été facilement admis en droit tant supranational que national [3]. Soutenue par la pression publique dont les revendications n’ont cessé de s’amplifier à partir des années 1970 face à la multiplication des catastrophes écologiques, la sauvegarde de notre environnement apparaît progressivement comme un intérêt commun reconnu par tous, États comme individus. À l’échelle interne, le Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 place ainsi parmi les intérêts fondamentaux de la Nation « l’intégrité […] de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement » [4]. Dix ans plus tard, la Charte constitutionnelle de l’environnement réaffirme, dans ses considérants, « que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » [5]. Mais paradoxalement, la protection que lui offre le droit, y compris pénal, se trouve dès le départ étriquée, circonscrite à une vision et donc une finalité purement utilitaires de son objet. La majorité des déclarations et textes juridiques converge en ce qu’ils n’envisagent pas l’environnement per se, c’est-à-dire pour lui-même, mais dans ses seules fonctions utiles à l’homme. Dès lors la défense assurée par le droit est indirecte, incomplète, insuffisante à enrayer le processus bien engagé de destruction.
8Le cadre juridique tronqué de sa partie la plus essentielle, à savoir le lien matriciel à l’origine de toute chose sur Terre, nécessite de sortir du carcan étroit établi par le droit actuel (1.), pour redéfinir et consacrer juridiquement les vraies valeurs fondamentales qui serviront de base à une réponse pénale mieux adaptée (2.).
1 – Sortir de l’anthropocentrisme pour adopter une vision éco-centrique
9Pendant longtemps, l’homme – du moins en Occident – s’est cru maître et possesseur d’une nature infinie aux ressources inépuisables. Depuis peu pourtant, il réalise la possible finitude de son environnement naturel et corrélativement la possible disparition de l’humanité. Cette finitude de la Terre et de ses ressources, et donc de l’humanité elle-même, est ce qui mobilise actuellement la jeunesse de différents pays et motive les marches citoyennes pour le climat et la planète, car c’est l’avenir des générations futures qui est en jeu et qui relève de la responsabilité des générations présentes. L’homme, parce qu’il se sent personnellement menacé dans son existence, prend conscience qu’il n’est pas « hors nature » ou au-dessus de la nature, mais que sa survie dépend de l’équilibre de la planète et de la pérennité du vivant non humain. Ce changement radical de perspective le place non plus au centre de tout, mais à côté du reste – « décentré » –, au sein d’un système global d’interrelations et d’interdépendance alimentant les processus de vie. Il ne s’agit plus de vivre aux dépens des autres mais avec les autres.
10L’anthropocentrisme qui préside actuellement à l’adoption des textes normatifs et qui sous-tend les discours politiques n’est donc plus de mise parce qu’il ne reflète en aucune façon cette réalité universelle de l’interdépendance, mais au contraire l’occulte dangereusement. Lorsque dans son avis consultatif du 8 juillet 1996, la Cour internationale de Justice (CIJ) reconnaît que « l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépend la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations à venir » [6], la formule reste très vague et abstraite, mais surtout demeure focalisée sur une vision purement utilitariste de cet « espace » dédié tout entier à l’homme et à son bien-être. Un quart de siècle plus tard, l’urgence commande d’effacer cette perception des choses et de la remplacer par ce qui devrait paraître une évidence : lutter contre les atteintes à l’environnement c’est lutter pour protéger l’humanité, présente et à venir, mais aussi pour protéger l’équilibre, actuel et futur, de la planète et de tout ce qui la compose.
11Le premier défi du droit de l’environnement est par conséquent de réaliser ce passage de l’anthropocentrisme, qui prend en compte de manière exclusive les intérêts de l’homme érigé en « maître et détenteur de la nature » selon l’expression de Descartes, à une vision éco-centrique basée, à l’échelle planétaire, sur des systèmes de relations et d’interrelations tournés vers un objectif global et commun : la viabilité de la planète, l’équilibre de la biosphère et la survie de l’humanité. Ce sont ces liens existants au sein des systèmes de vie qu’il convient de consolider dans un objectif de défense commune. L’enjeu est alors de faire émerger de nouvelles valeurs fondées sur une approche systémique et universelle, et de là, de consacrer de nouvelles notions juridiques propres à les représenter et à en assurer une protection de manière durable.
2 – Consacrer juridiquement de nouvelles valeurs fondamentales
12Le lien matriciel qui unit l’homme et la nature, reconnu comme point central de toute action, qu’elle soit publique, privée, individuelle ou collective, nécessite d’être consolidé au sein d’un nouveau système de valeurs dont le cheval de bataille est la protection de l’environnement per se, entendu dans sa dimension globale et universelle comme la sûreté de la planète, l’équilibre de la biosphère et la survie de l’humanité et des espèces, autant d’enjeux intrinsèquement liés. « Réaffirmant que la Terre, foyer de l’humanité, constitue un tout marqué par l’interdépendance et que l’existence et l’avenir de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » [7], les « droits de l’humanité » tels que proclamés dans la Déclaration universelle de 2015 servent autant les générations actuelles que futures ainsi que la nature et le vivant en général. Aussi serait-il plus exact de parler de droits « du vivant » ou « des êtres vivants », humains et non humains, traduction juridique de cette nouvelle vision universelle issue de l’éco-centrisme. De là, de nouvelles valeurs dont le droit répressif se ferait le protecteur attitré et institutionnel sont à définir et à consacrer par leur insertion dans de nouvelles incriminations pénales.
13Tout d’abord, si l’on s’attache à la dimension spatio-temporelle des enjeux actuels et à venir, l’environnement à préserver est à considérer comme un patrimoine commun, réunissant l’ensemble des communs naturels dont nous avons hérités de nos ancêtres et qu’il nous appartient de protéger pour en garantir la transmission aux générations suivantes, les « générations futures ». Dans son avis rendu le 18 mars 2003, le Conseil économique et social souligne bien que la dimension finie de la Terre et des ressources naturelles, le caractère non renouvelable ou épuisable de beaucoup de ces ressources leur confèrent une dimension de patrimoine à préserver. Tel « un capital » constitué par les ressources naturelles, il ne faut en consommer que les « dividendes », c’est-à-dire la partie qui se renouvelle et pas le « capital » lui-même si l’on veut un « développement durable » sur notre Terre [8]. Les choses ou ressources qualifiées de communs naturels font ainsi partie d’un tout appelé « patrimoine commun » et leur intégration dans ce patrimoine les destine à une gestion collective dont la finalité est la préservation, garantie notamment par des sanctions pénales.
14Historiquement, ce concept de patrimoine commun, désignant étymologiquement « ce qui vient des pères », donc cet héritage à léguer, n’est pas nouveau et a été décliné au fil du temps à différents niveaux : d’abord à celui de l’humanité en droit international [9], puis de la nation dans les codes de l’environnement et de l’urbanisme français [10] et, plus récemment, des êtres humains dans le 3ème considérant de la Charte constitutionnelle de l’environnement de 2004. Il est intéressant de constater qu’en 1945, le concept d’humanité, rattaché au patrimoine commun, va revêtir une dimension véritablement juridique en droit pénal par le biais de l’incrimination de « crime contre l’humanité » consacrée dans le Statut du Tribunal Militaire International (TMI) de Nuremberg [11]. L’humanité ainsi visée en tant que groupe de population civile devient un nouveau sujet de droit international, dont l’existence et la sauvegarde constituent l’objet même du droit international contemporain. Mais sous le prisme de l’écologie, l’humanité, c’est-à-dire tous les peuples du monde réunis en une communauté, pas plus que les « êtres humains » rattachés au patrimoine commun de la Charte de 2004, ne suffisent aujourd’hui à asseoir la protection pénale de notre environnement. Dépassant la vision anthropocentrée qu’ils véhiculent, ces termes doivent être remplacés par une formule plus englobante qui permettra de réunir dans une seule collectivité tous les êtres vivants placés sur le même plan, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux, et en considération des relations d’interdépendance qui les lient, pour une finalité commune : la protection de cette valeur ultime qu’est la vie.
15Ainsi peut-on dire que « le tout marqué par l’interdépendance » qui caractérise la Terre, foyer de l’humanité, dans la Déclaration universelle de 2015 et avant elle, dans la Déclaration de Rio de 1992, réunit l’humain (le « vivant humain »), l’animal et le végétal (le « vivant non humain ») et est titulaire d’un patrimoine qui, dans sa complétude allant au-delà de l’humanité humaine, ne peut être que celui de l’ensemble des êtres vivants. De là, il est alors préférable de parler d’un « patrimoine commun des êtres vivants ». Une telle qualification gagnerait à être largement utilisée pour révéler la dimension éthique de la protection de l’environnement, c’est-à-dire l’existence d’un intérêt commun correspondant à des valeurs universelles et porteur d’enjeux pour la planète et l’humanité toute entière, actuels et futurs.
16La qualification de « patrimoine commun des êtres vivants » a alors des répercussions en termes de « sûreté de la planète », nouvelle valeur commune émergente à l’échelle internationale, qui vise la viabilité de la Terre et, avec elle, l’avenir de l’humanité [12]. En effet, « derrière la sûreté de la planète, il est permis de voir une nouvelle alliance entre protection de l’environnement et protection de l’humanité, où les deux entités ne seraient pas tant dissociées qu’associées » [13]. L’avantage de cette expression réside dans sa dimension englobante qui renvoie à l’équilibre de la biosphère, l’intégrité des écosystèmes dans leur composition, leur structure et leur fonctionnement. On y trouve concrètement les différentes composantes de l’environnement : eau, air, sols, sous-sol, biodiversité (faune, flore, écosystèmes), ainsi que leurs fonctions écologiques et l’ensemble des processus vitaux. Cette nouvelle notion apparaît dès lors fondamentale en droit pénal car, d’une part, elle peut être utilisée comme incarnant « une valeur environnementale supérieure à même de constituer le fondement d’une protection renforcée et plus ample de la biosphère (…) » [14] et, d’autre part, elle correspond à la reconnaissance d’un patrimoine commun consacré en tant que notion proprement juridique dotée d’un régime de protection adapté. La sauvegarde de la sûreté de la planète a donc vocation à constituer la ratio legis de nouvelles incriminations universelles issues du changement de paradigme juridique souhaité.
17Dans un contexte d’urgence écologique et climatique, il y a un intérêt particulier à reconnaître « l’existence juridique d’un environnement commun » [15], notamment sous l’angle du droit pénal. Les qualifications de « communs naturels » et de « patrimoine commun des êtres vivants » prennent une connotation particulière. En effet, il n’est plus de chose commune parce que foisonnante et libre d’accès à tous, mais au contraire parce que rare et/ou menacée de disparition. Il n’est, par exemple, de droit à l’eau ou de droit à un air sain que parce que l’un et l’autre se raréfient. À partir de là, le patrimoine commun appelle une attention toute particulière de la part de la collectivité en termes de gestion et de conservation. Il sous-tend une responsabilité à l’égard de l’environnement, comme l’énonçait déjà en 1972 la Déclaration de Stockholm [16] dans son principe 4. Cette responsabilité se traduira et s’accomplira, notamment, par le biais de sanctions pénales propres à garantir les nouvelles valeurs universelles que porte le patrimoine commun des êtres vivants. Unanimement reconnues et juridiquement consacrées, ces valeurs fondamentales permettront de préciser, tout en la légitimant, la place du droit pénal dans le processus de protection.
B – Recentrer la place du droit pénal de l’environnement
18La question de la place du droit pénal est capitale. Elle préfigure le cadre précis et spécifique de l’intervention de ce droit si spécial dans sa relation avec le patrimoine commun des êtres vivants, objet de sa protection. Or dès l’abord, une distinction est à opérer compte tenu du fait que la préservation de l’environnement présente de nombreuses spécificités découlant du caractère polysémique et protéiforme de son objet même. Dans les atteintes à l’environnement, il y a du commun – au sens de « courant », « habituel » – et de l’exceptionnel ; de l’ordinaire et de l’extraordinaire ou, encore, « du banal et du tragique » pour reprendre l’expression du doyen Carbonnier. Le « banal » renvoie à tout ce qui ne constitue pas des atteintes massives à l’environnement mettant en péril la sûreté de la planète, l’équilibre de la biosphère et la survie de l’humanité, autrement dit les valeurs universelles issues du nouveau paradigme juridique. Il en est ainsi, par exemple, des nuisances visuelles, esthétiques, par le biais des affichages illicites, qui n’ont rien de commun, en termes de gravité et d’enjeu planétaire, avec la déforestation de l’Amazonie ou la perte mondiale de la biodiversité.
19C’est en conséquence par rapport à la nature de l’atteinte portée, du trouble occasionné ou encore du dommage produit, que le nouveau droit répressif doit se positionner. Dans le même temps, c’est aussi la forme que devra prendre la réponse pénale, exigée par certaines circonstances, qu’il conviendra de préciser et circonscrire. En tant que sanction ultime appelée dans des situations d’urgence écologique vitale pour l’humanité et la planète entière, le droit pénal novateur ne peut en toute logique qu’avoir un champ d’application restreint. C’est le « tragique » sous toutes ses formes qui doit être combattu et annihilé (1.). Et dans ce cadre déterminé, la priorité doit être donnée à la non-acceptation de l’irréversibilité impliquant d’agir au stade des risques, c’est-à-dire avant la réalisation des dommages (2.).
1 – La réponse pénale face au « tragique »
20Le « tragique » en matière environnementale renvoie à toutes les catastrophes écologiques et, par voie de corrélation, humanitaires. C’est, par exemple, la pollution pétrolière de Texaco en Equateur ou celle de Shell dans le delta du Niger, l’affaire Monsanto ou du Probo Koala, etc. C’est aussi cette criminalité environnementale organisée, générée par des trafics illicites en tout genre – trafics d’espèces protégées, de déchets toxiques, exploitations illégales de métaux précieux ou autres ressources naturelles – qui se place au 4ème rang mondial des activités illicites, après le trafic de drogue, la contrefaçon et le trafic des êtres humains [17]. Or, les répercussions de ces activités humaines vont bien au-delà de la dégradation d’un territoire géographiquement délimité, d’une forêt, d’un parc ou d’une rivière, ou de la destruction d’une espèce sauvage en particulier. L’impact négatif est à la fois transfrontière et trans-générationnel, bouleversant les processus de vie et de développement naturel dans leur globalité et sur des décennies. L’enjeu est donc à la fois inter-spatial, à l’échelle de la planète, et inter-temporel, pour les générations actuelles et futures.
21Le changement de perspective est alors incontournable. Il s’agit à présent de lutter contre les atteintes massives/substantielles/durables, portées aux communs naturels vitaux parce qu’ils sont essentiels à la sûreté de la planète et à l’équilibre de la biosphère et, par voie de conséquence, à la survie de l’humanité. L’on ne saurait se contenter d’une approche sectorielle – dont les expériences passées et actuelles nous ont révélé l’inefficacité – et d’une stratégie des petits pas. Le « tragique » dont il est question ici relève sans conteste du droit pénal pur dont la réprobation, le châtiment et la force dissuasive apparaissent comme un impératif catégorique [18]. Cet impératif implique un recentrage de l’action pénale sur les formes les plus graves d’atteintes aux écosystèmes. Tel est le domaine spécifique qui devrait lui être assigné dans le cadre d’une politique globale [19] et durable. Au regard de la hiérarchie des valeurs sociales à protéger, la nécessité de réprimer les atteintes les plus graves à l’environnement apparaît d’autant moins contestable que ces faits destructeurs présentent un degré de gravité comparable à celui des crimes jugés les plus tragiques en termes de déshumanisation, à savoir les crimes internationaux relevant du droit pénal humanitaire que sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou encore, « le crime des crimes » [20] : le génocide. Les actes mettant en cause la viabilité de la planète sont de la même manière porteurs des germes d’une destruction généralisée qui caractérisent de tels crimes.
22Mais recentrer le droit pénal de l’environnement sur les atteintes les plus graves ne suffit pas. Pour assurer l’efficacité de la protection pénale, le critère de temporalité est tout aussi décisif. Il suppose de rendre possible une intervention en temps utile afin d’empêcher, autant que faire se peut, la survenance du « tragique ». Celui-ci, en ce qu’il désigne les dégradations des écosystèmes au point d’exposer autrui, c’est-à-dire l’être humain, à un risque d’atteinte à son intégrité physique voire à sa vie, amène à se positionner sur la notion essentielle de « risque » et son appréhension par le droit pénal.
2 – La menace pénale face aux risques graves et systémiques
23Définir le risque n’est pas chose aisée tant la notion paraît subtile en ce qu’elle « agrège deux dimensions, elles-mêmes délicates à évaluer : la gravité des conséquences et la probabilité d’occurrence d’un événement redouté » [21]. Dans toute sa complexité, le risque renvoie à un danger particulier caractérisé par une incertitude quant à sa réalisation ou le moment de sa réalisation [22]. Sur le plan juridique, sa probabilité plus ou moins élevée de réalisation conduit à distinguer les risques connus et avérés entrant dans le champ de la prévention, des risques simplement potentiels ou incertains, visés par le principe de précaution parce qu’en l’état des connaissances du moment ils suscitent des controverses scientifiques. Dans son acception actuelle, le mot risque combine donc la probabilité d’occurrence d’un dommage, c’est-à-dire la possibilité qu’un événement négatif se produise, et la gravité de ce dommage potentiel [23]. Dès lors il n’existera véritablement de risque à prendre en compte que si sa première composante, le danger, est susceptible de porter atteinte à des enjeux fondamentaux, en l’occurrence humains et environnementaux, deuxième composante, par le biais d’une exposition. Le risque n’est donc incriminable que s’il entraîne une mise en danger, c’est-à-dire une exposition à une situation dommageable avec un impact potentiel. Défini de la sorte, il connaît un champ d’application des plus larges recouvrant potentiellement tous les domaines, publics et privés, d’activités humaines et phénomènes tant naturels qu’artificiels. En conséquence, il trouve tout naturellement à s’appliquer dans des situations où sont susceptibles de se produire des effets néfastes pour l’environnement et, corrélativement, pour la santé et la sécurité de l’homme, que ce soit dans des cas d’exposition au plomb, à la dioxine, à l’amiante, à des pesticides ou déchets dangereux, etc.
24Appliqué à la matière environnementale, s’il ressort que le risque zéro n’existe pas et ne pourra jamais être atteint, ses manifestations présentent des enjeux tels qu’il est impératif de s’en emparer et de les contrer dans leurs formes les plus graves. C’est, par conséquent, l’action préventive, d’anticipation des dommages, qui est à développer de manière prioritaire et que de nombreux textes généraux, tant internationaux que nationaux, appellent d’ailleurs depuis longtemps de leurs vœux. Ainsi, pour ne citer que les principaux, l’action préventive érigée en principe au niveau européen à l’article 130 R §2 du Traité de Maastricht [24] connaît en droit français une reconnaissance législative dans l’article L. 110-1-II, 2°, du Code de l’environnement [25], avant de recevoir la consécration suprême par son insertion à l’article 3 de la Charte constitutionnelle de l’environnement où elle prend la forme d’un devoir [26] révélateur d’une responsabilité collective.
25Mais si les risques, dans leur grande variété, peuvent présenter des degrés de sévérité divers, allant du risque intolérable à celui simplement négligeable et donc acceptable, le droit répressif parce qu’il intervient avant la réalisation concrète d’un dommage ne saurait tous les appréhender. La pertinence d’une démarche sanctionnatrice par anticipation, c’est-à-dire se plaçant en amont sur l’iter criminis (le chemin du crime), suppose de laisser hors champ pénal les risques faibles en termes de gravité et d’enjeu, pour ne retenir et contrer que les plus graves, ceux-là même qui relèvent du « tragique » et qui, par conséquent, sont inacceptables. L’action anticipatrice pose une limite à l’acceptabilité sociale de la sanction qu’il faut veiller à ne pas franchir. Dans son rôle de protecteur des valeurs sociales jugées essentielles, le droit pénal n’acquiert sa légitimité que dans des situations d’expositions annonciatrices de catastrophes écologiques ou de scandales sanitaires, dont on sait que les conséquences, si elles se produisaient, seraient très importantes voire irréparables.
26Dans ce cadre précis, il s’agit donc de poser concrètement les jalons d’une responsabilité pénale par anticipation axée sur les conduites à haut degré de probabilité dommageable et venant sanctionner des strictes situations de mise en danger dont le risque est le vecteur central. Ce dernier, parce qu’il s’inscrit dans le cadre de politiques de prévention, est dans le même temps lié au droit des générations futures, dans sa dimension à la fois temporelle et spatiale [27]. En effet, l’incertitude qu’il véhicule intrinsèquement amène à envisager et redouter ses conséquences possibles aussi bien pour le présent et les générations actuelles que pour le futur plus ou moins lointain et donc les générations à venir.
27Or, à l’heure actuelle, ce sont différents cas d’espèce qui échappent à la répression pénale et nécessitent donc l’intervention du législateur. La place du droit pénal dans le « tragique » est donc à inventer, qu’elle intervienne en amont face aux risques systémiques ou en aval du résultat dommageable redouté, car le point commun de toutes les affaires tragiques est l’impunité de ceux qui en sont à l’origine. Cette impunité est d’autant plus inacceptable qu’elle met en jeu l’existence même de l’humanité et de la planète liées par un même destin.
II – De la fonction normative du droit pénal : de nouvelles infractions de mise en danger de l’environnement
28L’on relève une déficience du droit de l’environnement français d’autant plus surprenante et critiquable qu’elle constitue une carence manifeste face aux exigences de la directive européenne de 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal [28]. Ladite directive reprend elle-même les termes d’une Convention du Conseil de l’Europe adoptée dix ans plus tôt et qui, même si elle n’est jamais entrée en vigueur faute d’avoir atteint le seuil de ratifications requis, a servi de modèle au Conseil de l’Union européenne. Or les textes européens sont sans équivoque sur la politique criminelle à mener par les États concernés. Partant de l’objectif clairement posé d’« un niveau de protection élevé » de l’environnement, ils décrètent qu’« il est absolument nécessaire d’instaurer des sanctions plus dissuasives à l’égard des activités préjudiciables à l’environnement, qui entraînent généralement ou sont susceptibles d’entraîner une dégradation substantielle de la qualité de l’air, y compris de la stratosphère, du sol et de l’eau ainsi que de la faune et de la flore, notamment en termes de conservation des espèces » [29].
29L’apparition et le développement de crimes globaux exigent aujourd’hui une réponse pénale de même nature, c’est-à-dire une approche systémique dans la protection que peut offrir le droit pénal. La sectorisation des infractions actuelles ne reflète en rien la complexité des relations et interrelations des éléments qui composent l’environnement, de leurs rapports et des liens qui les unissent ainsi que de toutes les implications écologiques qui en découlent. De ce fait, une grande partie de la problématique environnementale se trouve occultée alors même qu’elle exige par nature une démarche globale rendant compte de ce système d’ensemble complexe et de l’interdépendance de toute action qui s’y exerce. Il est donc impératif de sortir du dispositif sectoriel et des limites qu’il recèle pour proposer des incriminations englobantes réprimant de manière sévère les comportements impactant la sûreté de la planète pour garantir le droit des générations futures.
30Sur le plan structurel ensuite, la pratique nous révèle que la grande criminalité environnementale est essentiellement collective [30], qu’elle soit le fait de groupements criminels appelés « écomafias » [31] ou d’entreprises de commerce légales, non liées au crime organisé et dont le but principal est légitime, ce que l’on appelle la « délinquance d’entreprise ». On estime ainsi qu’une centaine d’entreprises transnationales (ETN) est responsable de 60 % de la pollution mondiale [32]. À ce titre, il est permis de parler d’une véritable « culture de l’impunité » que le système répressif actuel ne semble pouvoir atteindre. C’est que le principe de la responsabilité individuelle, central en droit pénal, se dresse comme un écueil a priori infranchissable face à une délinquance intrinsèquement collective. La répression de cette dernière nécessite par conséquent de repenser la responsabilité pénale de manière globale et non plus seulement individuelle.
31Il convient donc d’intégrer dans le droit pénal de l’environnement cette dimension systémique qui n’existe pas encore, une responsabilité inter-générationnelle avec la protection des générations présentes et futures, et donc des critères spatio-temporels que de simples délits ou contraventions sectoriels ne contiennent pas. Les infractions nouvelles, emblématiques d’une telle vision, sont à inscrire dans un processus répressif à deux temps pour plus d’efficacité. En amont, les situations créant un risque grave de catastrophes écologiques nécessitent une infraction spéciale de « risque causé à la sûreté de la planète » (A.), qui pour l’heure fait cruellement défaut en droit français. La vocation de cette infraction formelle est de faire obstacle à la réalisation d’infractions plus graves, parce que de résultat, situées en aval. Ces dernières, réalisées en cas d’échec de la politique de prévention et de dissuasion, constitueraient la deuxième étape du processus de répression dont l’une des traductions pénales, l’ultime sanction, serait le crime d’écocide (B.).
A – Face au risque non réalisé : le délit de « risque causé à la sûreté de la planète »
32À l’occasion de la refonte du Code pénal opérée en 1992, le législateur français, soucieux de développer une politique de prévention des comportements dangereux, s’était emparé de la notion de risque et lui avait consacré un délit autonome de « risques causés à autrui » à l’article 223-1 [33]. Innovation marquante du « nouveau » Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994, cette infraction, sans être propre au droit de l’environnement, aurait pu a priori servir de fondement à des poursuites pénales dans ce domaine. Mais l’on constate que la pléthore de conditions caractérisant les éléments constitutifs de l’infraction, soutenue par une jurisprudence formellement respectueuse de l’interprétation stricte de la loi pénale, se solde très souvent par des ordonnances de non-lieu ou des décisions de relaxe révélant l’inadaptation profonde du droit commun à la problématique spécifique du contentieux environnemental. L’infraction du Code pénal n’a, jusqu’à présent, fait l’objet que de relativement peu d’applications en la matière. Elle est régulièrement écartée par les juges, notamment, parce que cet « autrui » qu’elle entend protéger n’est pas l’environnement per se pris dans sa globalité mais uniquement la personne physique humaine prise dans son individualité [34].
33L’absence d’une incrimination spéciale, adaptée aux pures situations de mise en danger de l’environnement, aboutit à créer en pratique un vide juridique inacceptable en termes de répression et de dissuasion. Quid en effet des hypothèses de pollutions à effet différé, en l’absence de mise en demeure et de dommage à l’instant T, mais dont la dégradation environnementale et/ou sanitaire à plus ou moins long terme est inexorable ? Des pollutions chroniques licites car émises en faibles quantités mais qui, sur la durée ou dans leur étendue géographique, sont susceptibles de causer de graves dommages à l’environnement ? Des cas d’exposition à des polluants porteurs de risques graves pour l’environnement naturel et la santé humaine mais qui ne peuvent aboutir à des condamnations pénales faute de preuve du lien de causalité entre le polluant et le dommage ? Quid lorsqu’une infraction mineure de droit commun cache une situation plus grave de mise en danger environnementale qui n’est pas prise en compte en tant que telle par le droit pénal de l’environnement et fait par conséquent obstacle à une sanction à la hauteur de l’enjeu et de la faute commise [35] ? Des situations de pollutions collectives – par exemple, des apports successifs sur un gisement de déchets – qui sont la somme d’activités individuelles et combinées, lesquelles prises isolément ne constituent pas d’infractions pénales parce que respectueuses des normes et seuils fixés par l’administration, mais qui additionnées participent d’une prise de risque grave délibérée ?
34D’autres États, tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Croatie, l’Espagne, la Finlande, l’Italie, le Portugal ou encore la Pologne, répriment en revanche expressément le risque causé à l’environnement dans leurs codes pénaux ou criminels. Mais l’analyse des textes d’incrimination laisse apparaître de nombreuses disparités quant à la définition plus ou moins précise des valeurs sociales protégées, aux éléments constitutifs de l’infraction (matériel et moral) et aux peines encourues de nature et de montants différents (l’Autriche et la Finlande ne prévoyant que des peines d’emprisonnement alors que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie les cumulent à une peine d’amende). Ce manque d’harmonisation à l’échelle européenne se répercute forcément dans la jurisprudence de ces États qui ne semble guère fournie en la matière, ce qui pose directement la question de l’efficacité de ces législations hétérogènes.
35La consécration d’une infraction spéciale dédiée à l’environnement dans sa globalité est donc souhaitable si l’on veut disposer d’un outil juridique à la hauteur des enjeux actuels. L’existence de périls susceptibles d’impacter la sûreté de la planète appelle à incriminer à titre principal les comportements particulièrement dangereux, l’utilisation de certains moyens, de procédés destructeurs en tant que tels, sans attendre le dommage, qui pourrait à terme en découler et s’avérer irréversible. L’infraction qui réunit tous ces éléments se veut formelle en ce qu’elle n’exige pas de résultat matériel (de dommage) pour sa consommation. Au contraire, de par sa fonction de « délit-obstacle », elle cherche, par la menace du châtiment qu’elle brandit, à empêcher – faire obstacle – la survenance d’autres infractions encore plus graves en termes de résultat matériel.
36Dans sa rédaction, l’incrimination de risque causé à la sûreté de la planète doit-elle suivre le modèle tracé par le droit commun ou peut-elle s’en affranchir et gagner en autonomie ? Par souci d’adéquation de la réponse pénale, l’on serait tenté d’opter pour une solution mixte. « Garder le bon et changer le mauvais », autrement dit adapter le texte et lever les obstacles actuels à la répression. Le cap ainsi tracé impose de réunir dans le champ pénal à la fois les hypothèses spéciales de violation d’obligations particulières de prudence ou de sécurité prévues par la loi ou le règlement et, lorsque ces dernières ne peuvent être caractérisées, les situations de non-respect d’un devoir général de vigilance environnementale, détaché de normes écrites préexistantes et visant un comportement qualifié de normalement prudent et diligent. Par exemple, si l’on considère de manière spécifique les sociétés-mères et entreprises donneuses d’ordre ainsi que leurs filiales et partenaires commerciaux (sous-traitants et fournisseurs), la sanction d’une telle obligation générale de prudence et de sécurité pourrait correspondre à la traduction pénale du devoir de vigilance qui a été introduit en droit français par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 [36] pour identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers, notamment, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement.
37L’acte matériel ainsi défini, le comportement particulier incriminé appelle une sanction pénale dans la mesure où il crée un risque immédiat de dommage, c’est-à-dire un risque avéré en l’état des connaissances scientifiques et donc certain, mais non un risque de dommage immédiat. Ainsi peu importe que le dommage se réalise des années plus tard (comme dans les cas d’exposition à l’amiante qui ne cause des lésions que 30 ou 40 ans après), voire jamais. L’incertitude sur la réalisation du risque est compensée par la certitude de la gravité et de l’irréversibilité du dommage dans le cas de sa réalisation. C’est le passage de l’incertitude à la probabilité qui ouvre la voie à l’anticipation dès lors que les connaissances du moment font état d’un risque sérieux et plausible [37]. Ce qui compte c’est que le risque d’une particulière gravité soit le résultat d’une exposition immédiate, le fruit d’une mise en danger contemporaine et la marque d’une potentialité dommageable présente [38]. Le lien de causalité qui opère la jonction entre les deux composantes objectives, le comportement à l’origine du risque (l’acte matériel) et la manifestation du risque (le résultat juridique), doit être direct et certain sans pour autant être obligatoirement exclusif, faute de quoi les hypothèses d’expositions multiples et simultanées, de cumul et combinaison de sources de pollution – nombreuses en pratique –, ne pourraient être atteintes. Et si la causalité est directe, l’exposition au risque, elle, pourrait très bien n’être qu’indirecte, l’essentiel résidant dans le caractère immédiat du risque lié directement au comportement particulier incriminé.
38Reste à préciser la coloration psychologique du comportement infractionnel – l’élément moral de l’infraction de risque –, car c’est la gravité de la faute qui justifie l’intervention en amont du droit pénal, dans des situations où le dommage matériel ne s’est pas encore produit. Par conséquent, la faute commise doit nécessairement être d’une certaine intensité, d’un degré minimum, que la directive européenne de 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal a qualifié de « négligence au moins grave » [39]. Il importe alors de trouver en droit interne la traduction juridique précise de cette faute caractéristique d’une mise en danger grave de nature à causer un dommage potentiellement irréversible. Sa définition est d’autant plus importante que la faute contient en elle-même des indications sur la personne du délinquant, cible de la répression. De sa nature découleront les différentes catégories de responsables potentiels. Or dans les faits, il est possible de distinguer deux types de délinquance écologique.
39Il y a, d’une part, ce que l’on peut appeler la mise en danger objective, occasionnelle, qui relève de l’imprévoyance consciente et qui s’applique à la « délinquance de désinvolture ». Caractérisée par une faute lourde d’imprudence, elle renvoie à l’état d’esprit de celui qui, tout en sachant que son comportement est dangereux, s’y engage néanmoins et cela sans nullement vouloir le résultat dommageable. La personne prend un risque de façon délibérée en violant intentionnellement l’obligation de prudence ou de sécurité. Elle ne veut pas forcément que ce risque provoque un dommage, mais le prévoit – ou aurait dû le prévoir – comme possible et l’accepte. C’est là, dans sa traduction législative, la faute délibérée (mais non « manifestement ») de mise en danger de l’article 121-3, alinéa 2, du Code pénal [40] qui ne franchit pas la frontière du dol et reste dans la catégorie des fautes non intentionnelles, mais parmi les plus graves qui soient. Elle est une manifestation d’indifférence aux valeurs sociales protégées où l’agent veut l’acte mais pas le résultat.
40Et il y a, d’autre part, la mise en danger subjective, décidée en toute connaissance de cause, qui relève d’une stratégie d’entreprise récurrente et planifiée ou d’une organisation criminelle (les « écomafias »). La faute intentionnelle concernerait ce deuxième cas de figure qui renvoie soit à la délinquance en col blanc commise dans le cadre d’activités légales, soit à des comportements réalisés dans le cadre d’activités illégales relevant de la criminalité organisée. La démonstration du dol de l’article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal justifie alors une augmentation des peines encourues, l’intention constituant une circonstance aggravante de l’exposition au risque puisqu’elle est une manifestation d’hostilité aux valeurs sociales protégées, l’agent voulant non seulement l’acte mais encore, ne serait-ce que partiellement, le résultat dommageable.
41Face à la diversité de la délinquance écologique créant des situations de mise en danger grave, le champ répressif doit permettre d’englober tous les actes, commis intentionnellement ou par négligence grave, de nature à exposer directement ou indirectement l’environnement dans ses différentes composantes à un risque immédiat de dégradation substantielle mettant en danger la sûreté de la planète et la survie de l’humanité. L’infraction de risque sanctionnerait alors le fait d’exposer directement ou indirectement l’environnement pris dans ses différentes composantes : eau, air, sols, sous-sol, faune, flore, écosystèmes, par négligence grave à un risque immédiat de dégradation substantielle ou durable mettant en péril la sûreté de la planète ou la santé ou la sécurité des personnes. Étant précisé que la négligence grave s’entend soit de la violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement soit de la commission d’une faute caractérisée qui expose l’environnement à un risque d’une particulière gravité que la personne en cause ne peut ignorer et que, lorsque le délit est commis intentionnellement, une aggravation des peines s’applique.
42La gravité du risque pris en compte est donc en relation avec l’irréversibilité du dommage potentiel qui, en cas d’échec à faire obstacle à sa réalisation, appelle à franchir un degré supplémentaire dans le processus répressif par le recours ultime au crime d’écocide.
B – Face au risque réalisé : la reconnaissance juridique du crime d’écocide
43La tragédie du monde actuel porte un nom : « écocide ». Du préfixe grec « oikos » qui signifie la maison et du suffixe latin « cide » pour caedere c’est-à-dire tuer, l’écocide est le fait de détruire notre maison, entendue comme la planète Terre. Le terme n’est pas nouveau. Il a été démocratisé suite aux ravages de l’« Agent Orange » utilisé par les américains lors de la guerre du Vietnam pour dévaster les forêts et empêcher les insurgés vietnamiens de s’y réfugier. Le recours massif à ce défoliant aurait alors entraîné la destruction de 20 % de la forêt vietnamienne, avec des conséquences sanitaires catastrophiques, caractérisées par des cancers et de graves malformations chez les personnes exposées. Son inventeur, le botaniste Arthur Galston, employant pour la première fois le mot « écocide », le définit comme « la dévastation et la destruction visant à endommager ou détruire l’écologie de zones géographiques au détriment de toute forme de vie, qu’elle soit humaine, animale ou végétale » [41]. Compte tenu du contexte particulier qui a fait émerger ce concept, il est à ce moment-là considéré comme un crime de guerre.
44L’écocide correspond donc à un endommagement grave et étendu d’un ou de plusieurs écosystèmes ou leur destruction, qui peut avoir des conséquences sur plusieurs générations. Il traduit aujourd’hui une réalité inquiétante, car nombre de grandes pollutions et dégradations écologiques causées par les activités économiques, notamment des entreprises transnationales qui délocalisent leurs activités dans les pays en développement, peuvent être qualifiées ainsi. Or, si ces comportements ne sont pas rapidement incriminés tant au niveau international que national, si ces entreprises restent autorisées à poursuivre leurs activités destructrices en toute impunité, il en résultera une destruction massive de l’environnement à l’échelle planétaire.
45Dans sa perception juridique, l’écocide désigne les crimes les plus graves commis contre l’environnement qui, en tout temps, c’est-à-dire aussi bien en temps de paix qu’en temps de conflit armé, portent atteinte à la sûreté de la planète. Il répond à plusieurs qualifications en tant qu’atteintes au droit fondamental à la vie, au droit de l’Homme à un environnement sain, aux droits des peuples autochtones à vivre selon leurs traditions ancestrales, aux droits des générations futures. Mais les législations environnementales existantes, nationales ou supranationales, sont insuffisantes. L’urgence écologique nécessite aujourd’hui la reconnaissance du crime autonome d’écocide, pour les atteintes intentionnelles les plus graves, les atteintes « exceptionnelles » qui relèvent du « tragique ». Le terme « écocide » doit donc être réservé aux dommages les plus graves, aux catastrophes écologiques. Il contient une valeur expressive, symbolique, qui le place au même rang que les crimes internationaux mettant en danger la communauté internationale toute entière, notamment le génocide. L’appellation renvoie donc forcément à une qualification criminelle.
46Sa parenté avec le crime le plus grave qui soit, le génocide, n’a d’ailleurs pas été contestée. Dans les années 1970, à l’occasion des débats portant sur l’efficacité de la Convention des Nations unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, la question d’intégrer de nouveaux éléments en vue d’éviter les génocides fut évoquée. Parmi ces éléments se trouvait justement l’intégration d’un crime d’atteintes à l’environnement. L’idée fut néanmoins rapidement abandonnée, les États considérant que l’écocide devait être traité indépendamment du génocide. L’on aurait alors pu penser que la voie était ouverte à une autonomisation du crime d’écocide. Les deux décennies suivantes furent à ce titre porteuses d’espoirs en termes de réflexion et de propositions. En 1986, le rapporteur spécial de la Commission du droit international chargée par l’Assemblée générale des Nations unies d’élaborer un code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité – l’ancêtre du Statut de Rome de la CPI – avait ainsi suggéré de compléter la liste des crimes contre l’humanité en y incluant « toute atteinte grave à une obligation internationale d’importance essentielle pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement ». En 1991, le texte évolua pour consacrer un crime international autonome, qui serait indépendant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Le projet de code prévoit alors la responsabilité pénale internationale de « tout individu qui cause délibérément ou ordonne que soient causés des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».
47Si un certain nombre d’États se sont prononcés en faveur d’une telle disposition, l’opposition d’autres tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni conduisit le rapporteur spécial à considérer qu’il « faudra attendre qu’une évolution du droit international confirme ou infirme la tendance à considérer ces faits comme des crimes internationaux » [42]. Finalement, le projet de code adopté en 1996 n’a pas retenu de crime international pour les dommages graves causés à l’environnement [43]. L’évolution du droit international évoquée par le rapporteur spécial se fait malheureusement toujours attendre alors que la situation d’urgence écologique ne nous en donne plus guère le temps. Le Traité de Rome portant création de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998 n’a pas inséré dans la compétence matérielle de cette dernière l’écocide aux côtés des quatre crimes les plus graves que sont les crimes contre l’humanité, le génocide, les crimes de guerre et le crime d’agression. Nonobstant en 2016, un espoir est né des déclarations de la Procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda qui, dans son document de politique générale [44], précise qu’il serait désormais accordé une attention prioritaire aux crimes impliquant « la destruction de l’environnement, l’exploitation illégale de ressources naturelles et la dépossession illégale des terres ». Ce faisant, la procureure déclare explicitement que les atteintes à l’environnement et aux droits des peuples peuvent constituer des crimes contre l’humanité que le droit international, par la voie de la CPI, ne peut plus laisser impunis. Un message fort est ainsi lancé aux multinationales et aux investisseurs, qui à ce jour n’ont jamais été inquiétés par la Cour dont la nouvelle politique pourrait s’étendre, par exemple, à des poursuites en matière de responsabilité climatique. Reste que plus de quatre années se sont écoulées depuis cette déclaration d’intention, sans aucun effet concret sur l’activité de la CPI, malgré plusieurs plaintes comme celles contre la spoliation de terres au Cambodge.
48Ainsi, alors qu’il a été débattu à de nombreuses reprises et continue de l’être, que ce soit dans le cadre des Nations unies, à l’échelle européenne (Conseil de l’Europe et Union européenne) ou encore en France, l’écocide n’a jamais réussi à être intégré au droit pénal international. Face à cela, s’élève une pression sociale de plus en plus forte pour promouvoir l’autonomisation du crime d’écocide. Depuis plusieurs années, la société civile se mobilise, relayée en droit par une partie de la doctrine. Pétitions, marches populaires, vagues de recours juridiques visant à mettre États et entreprises devant leurs responsabilités écologiques se multiplient. Dernièrement, la Convention citoyenne pour le climat a fait figurer dans ses propositions la pénalisation du crime d’écocide, relayant une prise de conscience collective et un appel fort des citoyens adressé aux pouvoirs publics.
49Il est donc temps de franchir le cap, de reconnaître et nommer officiellement ce crime commis contre la communauté du vivant par une partie de l’humanité, pour en tirer toutes les conséquences sur le plan pénal. Ce passage ne peut se faire que par le biais d’une autonomisation du crime d’écocide. L’existant, c’est-à-dire les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou encore le génocide dans le Statut de Rome de la CPI, se révèle insuffisant. Ces dispositions du droit pénal international humanitaire sont rarement mobilisées ou difficilement mobilisables pour protéger l’environnement parce qu’elles contiennent trop de limites dans leur champ d’application respectif. Globalement, et c’est là l’obstacle majeur, la protection de l’environnement n’est pas l’objet principal de ces incriminations. Le droit pénal international, par le biais de conventions de protection des droits de l’Homme anthropocentriques, vise principalement à réduire les souffrances des êtres humains en temps de guerre et/ou à garantir la dignité humaine en tout temps. L’environnement, patrimoine commun des êtres vivants, n’y a pas sa place en tant que tel. Fondées sur une vision anthropocentrique, ces infractions n’assureraient la défense de l’environnement qu’en ce qu’il est immédiatement et directement utile aux hommes et non per se, ce qui est bien trop réducteur face aux enjeux actuels.
50L’existant n’est donc pas suffisant. L’innovation s’impose prenant la forme de nouvelles incriminations. On l’a vu pour les atteintes potentielles à l’environnement dans les situations de mise en danger créant des risques graves et systémiques. Cela se vérifie d’autant plus pour les atteintes effectives lorsque, suite à l’échec de la prévention, le dommage se produit. L’urgence écologique nécessite la reconnaissance d’un crime spécial à l’environnement, pour les atteintes intentionnelles les plus graves portées aux écosystèmes. Mais l’une des principales difficultés, là encore, est de trouver une définition juridique du crime d’écocide qui soit conforme aux exigences du principe cardinal de la légalité criminelle. Et partant du modèle proposé pour l’infraction de risque, parce qu’il en est le prolongement direct lorsque la réalisation de ce risque n’a pu être évitée, tout en tenant compte de sa parenté avec le crime de génocide, l’écocide viserait dans son texte d’incrimination les actes intentionnels, commis en tout temps, dans le cadre d’une action généralisée ou systématique, portant atteinte à la sûreté de la planète. Dans un souci de précision et de complétude, il importe de spécifier que ces actes portent une telle atteinte lorsqu’ils causent soit une dégradation substantielle, étendue ou durable de l’air ou de l’atmosphère, des sols, des sous-sols, des eaux, des milieux aquatiques, de la faune et de la flore, et des écosystèmes, soit la mort, des infirmités permanentes ou des maladies incurables graves à une population humaine ou lorsqu’ils dépossèdent durablement cette dernière de ses terres, territoires ou ressources. L’extrême gravité du crime implique que de tels actes soient commis intentionnellement et en connaissance du caractère généralisé et systématique de l’action dans laquelle ils s’inscrivent. Mais, pour tenir compte de la psychologie particulière de certains responsables, notamment les ETN dont l’objectif immédiat est de réaliser un maximum de profits et non de porter atteinte à la sûreté de la planète qui n’est alors qu’une conséquence indirecte de leurs activités, le caractère intentionnel de ces actes se trouvera caractérisé également lorsque leur auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité qu’ils portent atteinte à la sûreté de la planète, sans exiger l’intention de nuire (dol spécial) trop difficile à prouver.
51L’inscription, sous forme d’infractions autonomes, de la prise délibérée d’un risque déraisonnable provoquant ou susceptible de provoquer un dommage portant atteinte à la sûreté de la planète suppose enfin d’en déterminer le fondement légal, c’est-à-dire de préciser la place de ces nouvelles infractions dans l’ordonnancement interne des normes pénales. Ici, le droit pénal de l’environnement combine deux matières, pénale et environnementale, qui présentent chacune leur spécificité. La question du réceptacle légal des infractions proposées renvoie par conséquent à un choix entre deux – voire trois – possibilités : le Code de l’environnement ou (/et ?) le Code pénal. Il existe différents arguments en faveur de l’un ou de l’autre de ces deux codes. L’on pourrait ainsi avancer qu’il y a un risque que l’inscription dans le Code pénal apparaisse comme une mise sous boisseau du droit de l’environnement et de son autonomie. Mais d’un autre côté, le Code pénal étant le code des valeurs sociales essentielles, la force symbolique de l’environnement ne pourrait qu’être renforcée s’il trouvait une nouvelle place dans le Code pénal, où il figure déjà en tant qu’« intérêt fondamental de la nation » à l’article 410-1, mais sans traduction directe en termes de qualification et de sanctions pénales. Son insertion dans le Code de l’environnement lui permettrait, en revanche, de conserver toute sa spécificité et son autonomie. Ce code n’est cependant guère connu des praticiens.
52Au final, il semble plus pertinent de choisir le Code pénal qui est le code exprimant et consacrant les valeurs sociales jugées essentielles. Il a en lui une portée symbolique et expressive unanimement reconnue, aussi bien par les praticiens du droit que par les citoyens. La force symbolique de l’environnement se trouverait ainsi renforcée s’il occupait une nouvelle place dans le Code pénal. En outre, d’un point de vue pragmatique, le Code pénal est l’outil privilégié des magistrats de la répression et autres praticiens du droit. Il est mieux connu que le Code de l’environnement et donc plus facile d’accès et davantage compréhensible dans l’optique d’une application effective des nouvelles incriminations. Ces nouvelles infractions de mise en danger de la sûreté de la planète – délit de risque et crime d’écocide – auraient alors leur place dans le Livre IV « Des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique », Titre Ier « Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ». Après le chapitre III, il serait inséré un chapitre III bis intitulé « Des atteintes à la sûreté de la planète », avec une section 1 « Des risques causés à la sûreté de la planète » et une section 2 « De l’écocide ».
53L’insertion de ces infractions de mise en danger de l’environnement dans le Titre Ier du Livre IV du Code pénal répond directement à l’un des considérants contenu dans le préambule de la Charte de l’environnement qui proclame « [q]ue la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ». Elle permet ainsi de combler l’absence de l’environnement dans le reste du Livre IV du Code pénal, alors pourtant qu’il est reconnu comme une valeur pénalement protégée par l’article 410-1 dudit code. Et si la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts de la Nation, comme prévu par la Charte constitutionnelle et le Code pénal, il relève de la mission du législateur de sanctionner les atteintes respectives de la même manière et les mettre au même niveau.
54En conclusion, la protection de la sûreté de la planète, nouvelle valeur commune émergeant au niveau international et dont le crime d’écocide serait l’expression pénale formalisée, constitue le nouvel enjeu de la communauté mondiale. L’enjeu est d’autant plus important que de cette protection relèvera très certainement la pérennité des autres droits humains que sont la paix, la sécurité, la santé et la dignité de l’humanité, en un mot l’avenir de l’Humanité toute entière.
Mots-clés éditeurs : crime d’écocide, patrimoine commun des êtres vivants, urgence écologique, intérêt général, approche systémique, délit de risque causé à la sûreté de la planète, mise en danger de l’environnement, sûreté de la planète
Date de mise en ligne : 17/09/2021
Notes
-
[1]
Selon le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, 75 % de l’environnement terrestre a été « gravement altéré » par des activités humaines et 66 % de l’environnement marin est également affecté. V. : Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, Perspectives mondiales de la diversité biologique, n° 5, Montréal, 2020.
- [2]
-
[3]
Par exemple, l’article L. 110-1 du Code de l’environnement dispose que sont d’intérêt général la connaissance, la protection, la mise en valeur, la restauration, la remise en état et la gestion des espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, des sites, des paysages diurnes et nocturnes, de la qualité de l’air, des êtres vivants et de la biodiversité, ainsi que la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu’ils fournissent.
-
[4]
Article 410-1 du Code pénal.
-
[5]
Article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.
-
[6]
CIJ, avis consultatif du 8 juillet 1996, « Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires », Recueil CIJ, 1996, p. 241-242, §29.
-
[7]
Déclaration universelle des droits de l’Humanité de 2015 (http://droitshumanite.fr/declaration/), qui reprend la formulation déjà utilisée dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 13 juin 1992.
-
[8]
Environnement et développement durable – L’indispensable mobilisation des acteurs économiques et sociaux, Avis du Conseil économique et social présenté par Martinand, 18 mars 2003, p. 8.
-
[9]
Il est apparu dans un premier temps en droit international général, sous l’expression de patrimoine commun de l’humanité lorsqu’en 1958, le président de la première conférence de Genève sur le droit de la mer, le prince Wan Waithayakorn de Thaïlande, a constaté que « la mer constitue l’héritage commun de toute l’humanité, et il est donc de l’intérêt général de déterminer nettement le droit de la mer et de faire en sorte que celui-ci réglemente équitablement les divers intérêts en jeu et assure la conservation de cet héritage pour le bien de tous ». Dans la même lignée, le représentant permanent de Malte auprès des Nations unies, l’ambassadeur Arvid Pardo, proposa, une décennie plus tard au sein de la première Commission de l’Assemblée générale à New York, en 1967, que l’utilisation des ressources minérales des fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale des États soit réglementée par les Nations unies, tout en proclamant que ces ressources constituaient le patrimoine commun de l’humanité. Aujourd’hui, en application des conventions internationales, le patrimoine commun de l’humanité comprend la lune, ses ressources et les autres corps célestes, ainsi que les fonds marins (appelés « la Zone »).
-
[10]
Respectivement articles L. 110-1 du Code de l’environnement et L. 101-10 du Code de l’urbanisme.
-
[11]
Article 6 c) du Statut du TMI de Nuremberg annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe.
-
[12]
L. Neyret, « Écocide », in Dictionnaire des biens communs, sous la direction de M. Cornu, F. Orsi et J. Rochfeld, Dictionnaires Quadrige, 2017, p. 477-484.
-
[13]
E. Fronza et N. Guillou, « Vers une définition du crime international d’écocide », in Des écocrimes à l’écocide – Le droit pénal au secours de l’environnement, sous la direction de L. Neyret, Bruylant, 2015, chapitre 7, p. 135.
-
[14]
H. Hellio, « De la valeur partagée de la sûreté de la planète à la répression internationale de l’écocide. Une nouvelle quête », in Des écocrimes à l’écocide, op. cit., chapitre 6, p. 111.
-
[15]
L. Weiss, « La mondialisation du concept de droits environnementaux et ses retombées en droit français. Recherche d’une singularité juridique », in Mondialisation et globalisation des concepts juridiques : l’exemple du droit de l’environnement, IRJS éditions, 2010, Bibliothèque de l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne – André Tunc, Tome 22, p. 39.
-
[16]
Déclaration de la Conférence des Nations unies sur l’environnement du 16 juin 1972 : « l’homme a une responsabilité particulière dans la sauvegarde et la sage gestion du patrimoine constitué par la flore et la faune sauvages et leur habitat, qui sont aujourd’hui gravement menacés par un concours de facteurs défavorables ».
-
[17]
L. Neyret, « Écocide » (Point de vue 2), https://lapenseeecologiques.com/ecocide-point-de-vue-2/.
-
[18]
G. Giudicelli-Delage, « Propos conclusifs », RJE, 2014, numéro spécial Droit répressif de l’environnement, p. 245.
-
[19]
V. Sizaire, « Peut-il exister un droit pénal de l’environnement ? », La Découverte, Délibérée, 2019/3, n° 8, p. 42-49.
-
[20]
Selon l’expression du juge Kama lors du prononcé de la sentence contre Jean-Paul Akayesu par le TPI pour le Rwanda le 2 octobre 1998.
-
[21]
A. Bouzon, Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, trad. de l’allemand par L. Bernardi, Questions de communication, 2/2002, mis en ligne le 30 juillet 2012, http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/7281.
-
[22]
Selon Cornu, le risque s’entend comme « un événement dommageable dont la survenance est incertaine quant à sa réalisation ou à la date de sa réalisation ». V. G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 7ème éd., 2005.
-
[23]
C’est bien la définition retenue par la Commission européenne de l’UE qui prend en compte deux éléments : la probabilité que survienne un élément dangereux et la sévérité de ses conséquences.
-
[24]
« La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, et sur le principe du pollueur-payeur. Les exigences en matière de protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques de la Communauté (…) ».
-
[25]
« Le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ».
-
[26]
« Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».
-
[27]
Droit notamment reconnu en France dans la Charte constitutionnelle de l’environnement.
-
[28]
Directive n° 2008/99/CE du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal.
-
[29]
Considérant (5) de la directive, op. cit.
-
[30]
V. sur cette question : J. Tricot, « Écocrimes et écocide : quels responsables ? », in Des écocrimes à l’écocide, op. cit., chapitre 8, p.141-163.
-
[31]
V. sur cette question : I. Rodopoulos, « Les activités criminelles organisées en matière environnementale : quelques réflexions en vue d’une réponse pénale internationale », in Des écocrimes à l’écocide, op. cit., chapitre 9, p. 165-182.
-
[32]
« Alors que l’ensemble des systèmes écologiques de la Terre est plus vulnérable que jamais, nous assistons aussi à la recrudescence d’une criminalité environnementale qui prospère à travers le monde et profite d’une trop grande impunité. Le mépris des règles de prudence, du devoir de vigilance et du principe de précaution peut permettre à certains de dégager des profits économiques considérables au détriment des écosystèmes » : Tribune par un collectif de responsables politiques et d’intellectuels, « Reconnaître l’écocide au même rang que les crimes contre l’humanité », Libération, 10 décembre 2019, https://www.liberation.fr/auteur/20326-un-collectif-de-responsables-politiques-et-d-intellectuels.
-
[33]
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
-
[34]
Dans l’affaire « Stocamine », la chambre criminelle de la Cour de cassation a été ainsi amenée à préciser la valeur protégée par l’article 223-1 du Code pénal, relevant « que l’infraction de "risques causés à autrui" relève de la catégorie des "mises en danger de la personne" dont la sanction est exclusivement destinée à protéger la "personne humaine" » : Cass. Crim., 5 avril 2011, n° 09-83277, Inédit, M. Veron, « Infraction assurant exclusivement la protection de la personne humaine », Droit pénal, juillet 2011, commentaire 88.
-
[35]
Tel est le cas, par exemple, du conducteur d’un poids lourd qui, en connaissance du risque qu’il prend, s’engage avec un chargement de matières hautement toxiques sur un pont limité à 19 tonnes avec un attelage de 38 tonnes et n’encourt qu’une sanction au code de la route. Ou encore, du capitaine d’un cargo transportant des matières dangereuses qui pénètre dans une aire marine protégée, en infraction aux règles de la navigation maritime.
-
[36]
Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (JORF n° 0074 du 28 mars 2017), modifiée par l’ordonnance n° 2017-1162 du 12 juillet 2017 portant diverses mesures de simplification et de clarification des obligations d’information à la charge des sociétés.
-
[37]
V. Lassere, « Le risque », Dalloz 2011, Chronique 1632.
-
[38]
Y. Mayaud, sous Cass. crim., 19 avril 2017, n° 16-80.695, publié au Bulletin, confirmant la décision de condamnation pour mise en danger d’autrui prononcée par la CA Bastia, ch. correct., 6 janvier 2015.
-
[39]
Directive n° 2008/99/CE du 19 novembre 2008, op. cit.
-
[40]
« Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ».
-
[41]
Cette définition a par la suite été reprise nombre de fois, notamment par le premier ministre suédois Olof Palme pour son discours d’ouverture de la Conférence de Stockholm de 1972 sur l’environnement.
-
[42]
M. Doudou Thiam, « 13e rapport sur le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité », Annuaire de la Commission du droit international, vol. II (1), ONU, 1995, 37, §§ 8-10.
-
[43]
Par contre, ce projet a inspiré une dizaine de législateurs nationaux qui ont intégré le crime d’écocide dans leur code pénal : l’Arménie (2003), la Biélorussie (1999), la Géorgie (1999), le Kazakhstan (1997), le Kirghizistan (1997), la Moldavie (2002), la Russie (1996), le Tadjikistan (1998), l’Ukraine (2001) et le Vietnam (1990).
- [44]