« Et posé le cas, qu’au sens literal vous trouvez matieres assez joyeuses et bien correspondentes au nom, toutesfois pas demourer là ne fault, comme au chant des Sirenes : ains à plus hault sens interpreter ce que par adventure cuidiez dict en gayeté de cueur. »
2Embellie du droit climatique à vouer au silence les autres questions ? À juste raison le dérèglement du climat, menace universelle aux effets cataclysmiques, fascine, et de bien loin ; les ravages présents sont terribles, et seront encore terriblement dévastateurs dans les temps à venir – ce que laissent supposer les dernières données de la science (cf. AR6 Climate Change 2021 : The Physical Science Basis, 9 août 2021, The Working Group I contribution to the Sixth Assessment Report, IPCC). Dans la vie en sursis ici se puise la résistance qui ne vient pas assez vite et assez forte. Pourtant, déployé depuis au moins cinq décennies dans les études savantes, et même plus tôt à créditer les travaux pionniers du chimiste suédois Svante Arrhenius, il est saisi par la pensée inquiète, défriché, forgé comme une notion moderne entrelaçant la science et le droit jusqu’au vertige. Stratégie vivace et avisée que celle du coup de force conceptuel suivi de la mise à l’épreuve afin de stabiliser, puis de réduire les émissions de gaz à effet de serre à un seuil tel que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement : Convention-cadre de New York du 9 mai 1992 sur les changements climatiques, et épistémologie prolongée comme l’on sait dans l’Accord de Paris du 12 décembre 2015. De cette alliance qui façonne à pas de loup une certitude, gage d’une vue qui découvre dans les méandres ombreux et louvoyants de l’ordre du savoir une vérité neuve, il est possible d’approcher une théorie de la consubstantialité scientifique du droit de l’environnement (notre thèse, notamment sur l’immixtion des sciences dans le droit : Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement. Contribution à l’étude des rapports de la science et du droit, Bruxelles, Bruylant-VUBPress, 1999, 808 pages).
3Dans ces énoncés de la connaissance une formule s’institue alors : véracité- éclaircie-action ; elle crée une fluidité prescriptive pour définir une normativité acclimatée au plus juste du réel écologique. Sur quoi versent des rapports qui se succèdent et confortent cette éclatante vérité climatique, ligne de partage du vrai et de l’erreur (É. Naim-Gesbert, « La place de l’expertise : du GIEC au Haut Conseil pour le climat. La fabrique d’une vérité climatique », in La fabrique d’un droit climatique au service de la trajectoire « 1,5 », C. Cournil (dir.), Éditions A. Pedone, 2021, p. 425-437). Et des trajectoires s’esquissent avec régularité à l’image du Rapport annuel 2021 – Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation du Haut Conseil pour le climat (30 juin 2021) dont le titre dit l’essentiel. Ou, autrement affirmé, et plus diversement : Faire la paix avec la nature : un plan scientifique pour faire face aux urgences en matière de climat, de biodiversité et de pollution (United Nations Environment Programme, 2021).
4Et de toutes parts les Cours sont prises d’une frénésie de justice climatique qui mène à des obligations de résultat. En France avec les affaires dites « du siècle » (Voir R. Radiguet, « Affaire(s) du siècle ? Ne vendons pas la peau du caribou… », RJE, n° 2, 2021, p. 407-419 ; et prolongement par CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe et a., n° 427301 enjoignant au Premier ministre « de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre » avant le 31 mars 2022) ; et ailleurs aussi : aux Pays-Bas, après l’incroyable affaire Urgenda qui condamne l’État lui-même (Cour suprême, 20 décembre 2019, De Staat der Nederlanden c. Stichting Urgenda, n° 19/00135), celle tout aussi emblématique à l’encontre de l’entreprise pétrolière Royal Dutch Shell (District Court de La Haye, 26 mai 2021, Milieudefensie et al. c. Shell, C/09/571932/HA ZA 19-379) ; en Allemagne où la Cour constitutionnelle apprécie cette trajectoire à l’aune des droits fondamentaux et à l’écoulement du temps irréversible (Cour constitutionnelle fédérale, 24 mars 2021, 1BvR 2656/18, 1BvR 78/20, 1BvR 96/20)… d’autres encore, au midi d’une destruction colossale qui pousse à établir enfin la mesure respective du droit climatique et du reste tout aussi vital du droit de l’environnement.
5Reprise pour dépasser la hantise de nommer vrai. Repousser loin le ressassement des inquisitions sur le dérèglement climatique. On le sait désormais, en science, en droit, et en politique : le monde est en résonance, forte, mutuelle et indissociable. Face à la mise à mal de la terre – altération de l’intégrité de la nature en ses équilibres biologiques, empoisonnement de la santé des hommes, érosion de la biodiversité – les logiques de la science et les mots du droit disent aujourd’hui une certaine vérité sur la biosphère et son état dégradé. Qu’il est bon d’écouter, et de comprendre, et d’infuser. La réaction des sociétés contemporaines est une urgence, une contrainte immédiate impérative. (…) Commencement telle une renaissance. Pour dissocier au grand jour le juste et l’injuste le droit de l’environnement doit être repensé à neuf. C’est précisément un commencement au sens de Saint-Augustin – initium – qui inscrit l’homme dans le temps (homo temporalis), et sa volonté (De Civitate Dei contra paganos, XII, 20, 413-426). En ce commencement se perpétue l’écoulement de l’infini, causalité de sa liberté, qui s’assimile à une renaissance. Tout début est donc à recommencer. Pensée juridique de l’équilibre qui donne vie à l’évidence de la viabilité écologique, ce droit doit se fonder sur l’accord de la norme et du réel. Sinon c’est friction dans la fiction. Trois éléments sont alors à considérer : que le droit est vivant et qu’il s’adapte au réel au plus juste du cap poursuivi ; que son épicentre se situe au cœur de la société ce qui l’inscrit dans un jeu permanent de poussées (politiques, culturelles, économiques…) ; qu’il est fait de diverses forces, y compris l’éthique, l’assimilant à un aiguillon souvent silencieux (É. Naim-Gesbert, « Renaissance du droit de l’environnement. Théorie pour l’affirmation d’un droit causa sui en sa clarté primitive », in D’urbanisme et d’environnement, Liber Amicorum Francis Haumont, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 733-737). Voir aussi : « Accord de Paris sur le climat : commencement d’une mutation de notre temps ? », RJE, n° 2, 2016, p. 210-212 ; « L’accord du nom et de la chose, initium du droit de l’environnement », in « La doctrine en droit de l’environnement », RJE, n° spécial, 2016, p. 15-19.
« Veritas est adaequatio intellectus et rei »
7Des rives héraclitéennes du droit. Elles sont solides et discutées, parfois accidentées et fuyantes, entre elles s’écoule le flux du langage juridique : Le possible, qui s’exprime dans ce nominalisme, accompagne, redouble et conforte le prescriptible. Confluence du valide et du légitime. Une norme ? Du vrai et du juste. L’ordre juridique environnemental est peu sans l’éthique et la métaphysique, chemins alors ouverts en ce territoire. Dans l’Égypte ancienne, si l’idée du droit naît des crues du Nil, dans le limon déposé fleurit le lotus des mots et de la parole. S’inventent cosmos, noms, normes (É. Naim-Gesbert, « La définition nominaliste du droit de l’environnement », in Des petits oiseaux aux grands principes, Mélanges J. Untermaier, Paris, mare & martin, 2018, p. 283-289). De gué à gué, le droit fluctue de la rive axiologique (le droit tel un axiome ou parfois un théorème) à la rive physiologique (le droit circonstancié, situé, en un lieu – topos) et, en droit environnemental, le pont entre les deux qui est la science de nommer vrai pour dire justement ce qu’est la norme acclimatée au plus juste du réel écologique. Une sorte de kairos dans la métaphysique des espaces situés dans le temps.
8L’intense débat doctrinal, médiatique, parlementaire sur l’entrée du climat (entre autres) dans l’article 1er de la Constitution en fut un révélateur : de portée certes surabondante (« superfétatoire » disent les juristes… salut à « nostre amy Bridoye » !) puisque la Charte de l’environnement recèle au mieux les objectifs de valeur constitutionnelle de la protection de l’environnement et de la santé (Conseil constitutionnel, 31 janvier 2020, décision n° 2019-823 QPC, Union des industries de la protection des plantes, points 4, 5 et 10), elle faisait descendre l’éthique dans le fond de la norme suprême et l’y déposer en toute évidence en mots dorés… révision constitutionnelle finalement abandonnée le 6 juillet 2021 par l’exécutif par défaut de concorde sur la rédaction entre les deux assemblées ! Passons outre ces péripéties politiques exaspérantes, alors même que la Commission européenne dévoile son Pacte vert pour l’Europe (14 juillet 2021) qui propose des mesures ambitieuses « en vue de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 », notamment grâce à une loi européenne sur le climat (European Climate Law, Règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique…, JOUE L 243 du 9 juillet 2021) ; et tandis que la Haute juridiction administrative condamne l’État à verser 10 millions d’euros au titre de la liquidation d’une astreinte dans une suite contentieuse pour mesures insuffisamment certaines et sans évaluation des effets en matière de lutte contre la pollution de l’air (CE, 4 août 2021, Association Les Amis de la Terre France et a., n° 428409).
Mais pas assez vite, pas assez fort !
10Oui, c’est ainsi, le miracle du droit est que le signe fasse sens, fictivement et par-delà la fiction ; qu’il fasse sens en cheminant dans la réalité – ce chemin-même ! À cette source magique le vrai y coule, et le droit environnemental, considérablement en sa branche climatique, est une tige qui s’enracine pour défendre le sens sacré de la vie sur la terre. Que ses principes s’imbibent vite et fort de droit naturel, part du juste éternel face à l’instabilité du fait qui passe et remue, comme le soleil donne sa clarté à la lune – pensée et nature entrelacées, vers un absolu nécessaire pour une marée fertile : Pax natura… ainsi que nous le montrons et l’affirmons depuis exactement une décennie dans notre manuel-essai (Droit général de l’environnement, 1ère éd. 2011, 2e éd. 2014, 3e éd. 2019, Paris, LexisNexis) et ailleurs, en particulier dans cette revue.
« Est quidem vera lex, recta ratio, naturae congruens, diffusa in omnes, constans, sempiterna »
Date de mise en ligne : 17/09/2021