Notes
-
[1]
É. Bertrand, M.-X. Catto, A.-D. Mornington (dir.), Les limites du marché, The limits of the market, Paris, Mare & Martin, 2020, Quatrième de couverture.
-
[2]
Alliant des chercheurs en philosophie, économie et droit.
-
[3]
Mêlant les mondes anglophones et français.
-
[4]
M. J. Radin, Contested Commodities, Harvard University Presse, 1996.
-
[5]
Op. cit., p. 15.
-
[6]
C. Hermon et M. Poumarède, « Ce qu’on appelle marchandisation de la nature. Observations sur un biais sémantique », in op. cit., p. 197-220.
-
[7]
I. Michallet, « Nature et droit : vers un droit du capital naturel ? », in op. cit., p. 265-281.
-
[8]
F. Girard et C. Noiville, « Figures juridiques de la marchandisation des semences : leviers et résistances », in op. cit., p. 283-316.
-
[9]
Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
-
[10]
Accessible sur : http://www.fao.org/3/ca8248en/CA8248EN.pdf.
-
[11]
Exemples : Le droit des eaux dans certains pays européens (1977) ; La législation des eaux dans les pays d’Amérique du Sud (1980) ; Le droit des eaux dans certains pays africains (1981) ; Le régime juridique des ressources en eau internationales (1981) ; Le statut des eaux souterraines en droit international (1987) ; Anthropologie du droit coutumier de l’eau en Afrique (1996) ; Política y Legislación de Aguas en el Istmo Centroamericano (1998) ; Élaboration des réglementations nationales de gestion des ressources en eau (1999) ; Modern water rights (2006) ; Water rights administration (2009) ; Law for water management (2009).
-
[12]
Résolutions 68/157 (2014), 70/169 (2016), 72/128 (2018) et 74/128 (2020) de l’Assemblée générale des Nations unies.
-
[13]
Résolutions 15/9 (2010), 16/2 (2011), 18/1 (2011), 21/2 (2012), 24/18 (2013), 27/7 (2014), 33/10 (2016), 39/8 (2018), 42/5 (2019) et 45/8 (2020) du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
-
[14]
A/HRC/46/28, 19 janvier 2021, paragraphe 89-n).
É. BERTRAND, M.-X. CATTO et A.-D. MORNINGTON (dir.), Les limites du marché, The limits of the market, Paris, Mare & Martin, 2020, 321 pages
1La question paraît simple : « Peut-on échapper à certaines formes de marchandisation ? » [1]. Les arguments divergent mais le ton est donné : la marchandisation présente des limites. Dès lors, cet ouvrage polyphonique, pluridisciplinaire [2] et multiculturel [3] réinterroge et remet à l’ordre du jour le débat, soulevé dans les années 1980, puis par M. J. Radin [4], sur les Commodification Studies, en se concentrant sur deux marchés particuliers : celui du corps ainsi que celui de la nature. Dépassant le raisonnement binaire marchand / non-marchand pour mieux s’intéresser à une certaine régulation de ces marchés, les contributions de cet ouvrage font ainsi face aux questions d’éthique et de morale.
2Alors que le monde libéral s’attache à reconnaître de nouveaux droits pour soi, leur reconnaissance ainsi que leur marchandisation induisent indubitablement tant des effets internes qu’externes (Première Partie). Cette volonté « du plus » [5] peut influer voire porter atteinte, sciemment ou non, à d’autres droits que nous-même possédons ou à ceux d’autrui, jusqu’à compromettre le principe d’égalité.
3Mais, la marchandisation, plus particulièrement celle de la nature, se révèle en elle-même, « un concept contesté » (Deuxième Partie).
4D’une part, la doctrine exerce une véritable dénonciation de cette marchandisation [6]. Tant en droit civil qu’en droit de l’environnement, les choses naturelles exclues du commerce le demeurent, faute de pouvoir matériellement appartenir à un propriétaire. Même si une multiplication d’outils environnementaux tels les titres environnementaux, développée dans une logique de marché, voit le jour, elle ne saurait être analysée comme un processus de marchandisation mais bien comme le reflet d’un réel désengagement de l’État au profit d’acteurs privés.
5Ce désengagement étatique se perçoit notamment dans l’idéal d’un marché autorégulateur des semences [7]. L’avènement de la propriété intellectuelle permet la protection par brevet de nouveaux objets, devenant appropriables. Or, cet excès de brevetabilité entraîne une captation du marché par les grandes multinationales nuisant, de fait, à la recherche, à l’autorégulation du marché lui-même et imposant un système agroalimentaire préconçu. Mais de nouvelles voix s’opposent à une telle concentration et proposent des alternatives au marché cristallisées dans les communs, à travers des expériences plus durables, collectives et éthiques, basées sur l’échange des semences et le partage des savoir-faire.
6D’autre part, le vocabulaire économique fait toujours l’objet d’une certaine fascination. Alors qu’une appropriation de ce dernier tant par le droit international qu’européen est louée, l’émergence d’une approche par le capital naturel [8] connaît une timide consécration [9] en France, justifiant principalement les mesures de compensation des dégradations de l’environnement. Même si la monétarisation des enjeux environnementaux se conçoit, tout comme le développement d’instruments financiers et de marché telles les unités de biodiversité, elle ne doit pourtant pas occulter les autres valeurs de la nature.
7Ainsi, cet ouvrage, au cœur des méandres de la théorie libérale, nous interroge sur ce qui est économiquement, philosophiquement et juridiquement acceptable au sein de ces marchés. Alors ne marchandez pas, lisez-le !
8Margaux FRAYSSINET
9Doctorante contractuelle à Université Toulouse 1 Capitole
10Institut Maurice Hauriou (EA 4657)
C. HERMON, I. DOUSSAN, B. GRIMONPREZ, Production agricole et droit de l’environnement, Paris, LexisNexis, coll. Droit & Professionnels, 2e éd., 2020, 523 pages
11Agriculture et environnement, duel épique sinon duo fertile.
12Cette deuxième édition est la bienvenue à l’heure où le Conseil constitutionnel (Décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021, Association Générations futures et autres, JO du 20 mars) prononce la non-conformité totale – comme contraire à l’article 7 de la Charte de l’environnement – des modalités contenues dans la loi pour l’élaboration des chartes d’engagements départementales relatives à l’utilisation des produits pharmaceutiques.
13L’ouvrage, dense et riche de 523 pages, est coordonné par Carole Hermon (Professeure de droit à l’université Toulouse 1 Capitole – IEJUC EA 1919, directrice du master Droit et gestion des entreprises agricoles et agroalimentaires) et rédigé avec Isabelle Doussan (Directrice de recherche INRAE, GREDEG/CREDECO UMR 7321 CNRS et université Côte d’Azur) et Benoît Grimonprez (Professeur de droit à l’université de Poitiers, directeur de l’Institut de droit rural et du master Droit de l’activité agricole et de l’espace rural).
14D’abord, et c’est essentiel, les auteurs mettent en perspective la rencontre entre l’agriculture et la dimension environnementale – ce qui est élémentaire : « La révolution verte s’est construite en affranchissant la production agricole des contraintes environnementales. (…) Cependant, cette réussite [d’accroissement de la productivité agricole] présente une autre face ; au développement agricole ont correspondu des dégradations de l’environnement » (p. 1).
15Ensuite, le livre étudie « les contraintes environnementales pesant sur la production agricole » (partie 1) par une dialectique équilibrée : d’une part, variation des polices applicables, aux confins des polices de nuisance : installations classées, eau, produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes, organismes génétiquement modifiés (titre 1) ; d’autre part, modulation autour des territoires protégés contre les pollutions agricoles et du fait de leurs ressources naturelles (titre 2). Les incitations au respect de l’environnement sont étudiées dans la partie 2, la fiscalité comme les mécanismes de l’agriculture biologique et des certifications environnementales, aussi les exigences concurrentielles et celles du dérèglement climatique. La troisième partie est justement consacrée aux sanctions administratives et pénales, ainsi qu’à la réparation.
16Enfin, il convient de préciser que ces analyses, dans leur ensemble, et au-delà des parties spécifiques, forment un tout cohérent, clairement intelligible et utile au public visé par le nom de la collection (Droit & Professionnels) tout comme, par leur qualité intrinsèque et leur hauteur de vue, à une plus large audience. Car le sujet, en sa dualité dynamique, donne une étude organiciste de l’économie agricole ouverte à l’environnement.
17Éric NAIM-GESBERT
18Directeur scientifique de la revue
19Professeur de droit de l’environnement à l’université Toulouse 1 Capitole – Faculté de droit (IMH, EA 4657)
FAO, The right to water for food and agriculture, Legislative Study 113, Rome, 2020, xii+132 pages [10]
20Après avoir dédié de multiples publications au droit de l’eau [11], la FAO a consacré pour la première fois une étude approfondie au droit à l’eau, sous un angle de vue cantonné à son propre mandat : celui de l’alimentation et l’agriculture. Il est vrai que le droit à l’eau n’a été explicitement reconnu comme droit humain fondamental qu’à une date relativement récente par l’Assemblée générale des Nations unies, à travers sa résolution 64/292 du 18 juillet 2010. Du reste, il a été proclamé singulièrement eu égard à l’accès à l’eau potable et aux services d’assainissement, soit essentiellement au titre de la satisfaction des besoins personnels et domestiques en eau saine pour la boisson, l’hygiène, la salubrité et la cuisine.
21En revanche, les usages agro-alimentaires de l’eau n’ont guère été explicitement évoqués ni par la résolution 64/292 de 2010, ni par celles qui l’ont entérinée au cours de la décennie subséquente, qu’il s’agisse de celles adoptées par l’Assemblée générale elle-même [12] ou par le Conseil des droits de l’homme [13]. Dès lors, la question centrale sous-jacente à la présente étude de la FAO est de savoir si le droit à l’eau, appréhendé sous le prisme agro-alimentaire, en ce qu’il emporte forcément une mobilisation continue des ressources en eau, devrait être rattaché au droit à l’eau ou au droit à la nourriture, sachant que l’un et l’autre tirent partiellement leur lointaine origine du « droit à un niveau de vie suffisant », d’abord énoncé par la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 (art. 25), ensuite affirmé par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en 1966 (art. 11-1).
22Partant de l’ancrage commun de ces deux droits humains dans celui de jouir d’un niveau de vie suffisant, l’étude explore le contenu normatif du droit à l’eau, spécifiquement en relation avec l’alimentation et l’agriculture. Relevant que celle-ci capte en moyenne près de 70 % des prélèvements annuels mondiaux d’eau douce, elle montre qu’à l’évidence la réalisation du droit à l’eau est très fortement liée à celle du droit à l’alimentation. Leur jouissance effective est, partant, pleinement interdépendante. Tous deux sont par ailleurs inhérents non seulement au droit à un niveau de vie suffisant, mais encore aux droits à la vie et à la santé. Analysant dans cette optique la teneur substantielle du droit à l’eau pour l’alimentation et l’agriculture, l’étude conclut qu’elle englobe les ressources destinées au secteur agro-alimentaire. Ainsi, même si le droit à l’eau, dans son acception onusienne actuelle, demeure axé sur l’accès à l’eau potable, aux services d’assainissement et à d’autres usages personnels et domestiques, il ne s’étend pas moins aux ressources aquatiques nécessaires à la production alimentaire et au développement agricole.
23La reconnaissance d’un tel droit à l’eau conciliant les besoins domestiques et les usages agro-alimentaires implique logiquement l’établissement de préséances en termes d’allocation des ressources, ainsi que la fixation de limites à leur utilisation. Dans ce sens, après la satisfaction des besoins d’eau à des fins de boisson, d’assainissement, d’hygiène et de cuisine, l’étude préconise les trois priorités suivantes dans l’affectation des ressources : (i) l’eau destinée à la production agricole visant à éviter la famine ; (ii) l’eau destinée à la production agricole nécessaire à la survie des peuples autochtones ; et (iii) l’eau requise pour l’agriculture de subsistance. Ce souci de priorisation a trouvé écho dans la dernière publication de David Boyd, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement, intitulée : Les droits de l’homme et la crise mondiale de l’eau : la pollution de l’eau, la pénurie d’eau et les catastrophes liées à l’eau. Il y recommande de définir par voie législative « les priorités en matière d’accès à l’eau, la priorité absolue étant accordée à la réalisation des droits de l’homme à l’eau, à l’assainissement, aux moyens de subsistance (y compris la production alimentaire à petite échelle) et à un environnement sain » [14].
24Quel que soit l’ordre des priorités retenues par le législateur, l’étude de la FAO estime que la durabilité environnementale devrait, suivant une approche écosystémique de la gestion de l’eau, être considérée comme une condition préalable à la réalisation du droit à l’eau. Cette exhortation reflète distinctement l’objectif 6 du Programme de développement durable à l’horizon 2030, à savoir : « Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable ».
25Mohamed Ali MEKOUAR
26Associé au CRIDEAU
Date de mise en ligne : 02/07/2021
Notes
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[1]
É. Bertrand, M.-X. Catto, A.-D. Mornington (dir.), Les limites du marché, The limits of the market, Paris, Mare & Martin, 2020, Quatrième de couverture.
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[2]
Alliant des chercheurs en philosophie, économie et droit.
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[3]
Mêlant les mondes anglophones et français.
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[4]
M. J. Radin, Contested Commodities, Harvard University Presse, 1996.
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[5]
Op. cit., p. 15.
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[6]
C. Hermon et M. Poumarède, « Ce qu’on appelle marchandisation de la nature. Observations sur un biais sémantique », in op. cit., p. 197-220.
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[7]
I. Michallet, « Nature et droit : vers un droit du capital naturel ? », in op. cit., p. 265-281.
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[8]
F. Girard et C. Noiville, « Figures juridiques de la marchandisation des semences : leviers et résistances », in op. cit., p. 283-316.
-
[9]
Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
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[10]
Accessible sur : http://www.fao.org/3/ca8248en/CA8248EN.pdf.
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[11]
Exemples : Le droit des eaux dans certains pays européens (1977) ; La législation des eaux dans les pays d’Amérique du Sud (1980) ; Le droit des eaux dans certains pays africains (1981) ; Le régime juridique des ressources en eau internationales (1981) ; Le statut des eaux souterraines en droit international (1987) ; Anthropologie du droit coutumier de l’eau en Afrique (1996) ; Política y Legislación de Aguas en el Istmo Centroamericano (1998) ; Élaboration des réglementations nationales de gestion des ressources en eau (1999) ; Modern water rights (2006) ; Water rights administration (2009) ; Law for water management (2009).
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[12]
Résolutions 68/157 (2014), 70/169 (2016), 72/128 (2018) et 74/128 (2020) de l’Assemblée générale des Nations unies.
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[13]
Résolutions 15/9 (2010), 16/2 (2011), 18/1 (2011), 21/2 (2012), 24/18 (2013), 27/7 (2014), 33/10 (2016), 39/8 (2018), 42/5 (2019) et 45/8 (2020) du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
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[14]
A/HRC/46/28, 19 janvier 2021, paragraphe 89-n).