Couverture de RJE_212

Article de revue

Police de l’eau

Pages 383 à 400

Notes

  • [1]
    « En vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique, désormais codifiées à l’article L. 511-9 du code de l’énergie, les installations hydrauliques autorisées à la date du 18 octobre 1919, dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts, demeurent autorisées conformément à leur titre et sans autre limitation de durée que celle résultant de la possibilité de leur suppression dans les conditions prévues par les lois en vigueur sur le régime des eaux et désormais fixées au titre Ier du livre II du code de l’environnement ».
Exploitation d’une centrale hydroélectrique alimentée par les eaux de la Creuse.
Installation constituant un obstacle à la continuité écologique.
Légalité de l’arrêté préfectoral fixant des prescriptions supplémentaires à l’autorisation d’exploiter l’énergie hydroélectrique.
Appréciation du seuil de 150 kW de l’article L. 511-9 du Code de l’énergie / Droits fondés en titre.
Notion d’ouvrage régulièrement installé au sens de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement.

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 4ème chambre, 9 juillet 2020, SARL Centrale Moulin Neuf, n° 18BX02572

1Considérant ce qui suit :

21. La SARL Centrale Moulin Neuf exploite une centrale hydroélectrique alimentée par les eaux de la Creuse dans la commune du Menoux (Indre). Le 21 janvier 2013, l’office national de l’eau et des milieux aquatiques a émis un procès-verbal de constatation dont il ressort que l’installation du Moulin Neuf constitue un obstacle à la continuité écologique dès lors qu’il est dépourvu de dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs, qu’il ne maintient pas un débit minimum dans le cours d’eau prévu par la loi et fixé par le règlement d’eau, qu’enfin il utilise la force motrice de l’eau de la Creuse à des fins de production hydroélectrique sans détenir l’autorisation administrative adéquate car la puissance utilisée est supérieure à la consistance du droit fondé en titre reconnu par l’autorité administrative. Par un arrêté du 11 décembre 2015, le préfet de l’Indre a fixé des prescriptions supplémentaires à l’autorisation d’exploiter l’énergie hydroélectrique sur le barrage de Moulin Neuf dont est titulaire la SARL Centrale Moulin Neuf. Cette société relève appel du jugement en date du 26 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande en annulation de cet arrêté. Elle demande également que la cour lui donne acte de ce que les ouvrages de la centrale hydroélectrique du Moulin Neuf sont en situation administrative régulière pour une puissance de 184 kilowatts (kW) par ordonnance royale du 11 mars 1842.

3Sur la recevabilité des conclusions :

42. Les conclusions tendant à ce que la cour donne acte à la société de ce que les ouvrages de la centrale hydroélectrique qu’elle exploite sont en situation administrative régulière pour une puissance de 184 kW, sont nouvelles en appel et par conséquent irrecevables. En tout état de cause, il n’appartient pas à la cour d’y faire droit.

5Au fond :

63. Il appartient au juge du plein contentieux de la police de l’eau d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation, parmi lesquelles figurent celles relatives au contenu du dossier de demande d’autorisation, au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation. En revanche, le respect des règles de fond qui s’imposent à l’autorisation s’apprécie en fonction des considérations de droit et de fait en vigueur à la date de la présente décision.

7En ce qui concerne la procédure d’adoption de l’arrêté litigieux :

84. Aux termes de l’article R. 214-17 du code de l’environnement, en vigueur à la date de l’arrêté litigieux : « À la demande du bénéficiaire de l’autorisation ou à sa propre initiative, le préfet peut prendre des arrêtés complémentaires après avis du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques. Ces arrêtés peuvent fixer toutes les prescriptions additionnelles que la protection des éléments mentionnés à l’article L. 211-1 rend nécessaires, ou atténuer celles des prescriptions primitives dont le maintien n’est plus justifié. Ils peuvent prescrire en particulier la fourniture des informations prévues à l’article R. 214-6 ou leur mise à jour. / Le bénéficiaire de l’autorisation peut se faire entendre et présenter ses observations dans les conditions prévues au second alinéa de l’article R. 214-11 et au premier alinéa de l’article R. 214-12. (…) ». Aux termes du second alinéa de l’article R. 214-11 du même code, alors en vigueur : « Le pétitionnaire a la faculté de se faire entendre par ce conseil ou de désigner à cet effet un mandataire. Il est informé, par le préfet, au moins huit jours à l’avance, de la date et du lieu de la réunion du conseil et reçoit simultanément un exemplaire des propositions mentionnées à l’alinéa précédent ». En vertu du premier alinéa de l’article R. 214-12 de ce code, alors en vigueur : « Le projet d’arrêté statuant sur la demande est porté, par le préfet, à la connaissance du pétitionnaire, auquel un délai de quinze jours est accordé pour présenter éventuellement ses observations, par écrit, au préfet, directement ou par mandataire ».

95. Au soutien du moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire, la société requérante ne se prévaut devant la cour d’aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l’argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse qui lui a été apportée par le tribunal administratif. Il y a lieu d’écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.

10En ce qui concerne la régularité de l’exploitation :

116. D’une part, en vertu des dispositions de l’article 29 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique aujourd’hui codifiées à l’article L. 511-4 du code de l’énergie, les usines ayant une existence légale ne sont pas soumises aux dispositions du livre V du code de l’énergie. D’autre part, en vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 aujourd’hui codifiées à l’article L. 511-9 du code de l’énergie, les installations hydrauliques autorisées à la date du 18 octobre 1919 et dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts demeurent autorisées conformément à leur titre et sans autre limitation de durée que celle résultant de la possibilité de leur suppression dans les conditions prévues par les lois en vigueur sur le régime des eaux et désormais fixées au titre Ier du livre II du code de l’environnement. Les autorisations délivrées avant le 18 octobre 1919 réglementaient des droits à l’usage de l’eau qui avaient la nature de droits réels immobiliers antérieurement acquis par les propriétaires des installations hydrauliques et distincts des droits fondés en titre. La société requérante est donc fondée à soutenir que, pour l’appréciation du seuil de 150 kW prévu par les dispositions de l’article L. 511-9 du code de l’énergie, l’administration ne peut prendre en compte que la seule puissance de l’installation autorisée préalablement au 18 octobre 1919 à l’exclusion de la puissance résultant de droits fondés en titre.

127. Il n’est pas contesté que la SARL Centrale du Moulin Neuf bénéficie d’un droit fondé en titre à hauteur de 48 kW. Il résulte par ailleurs de l’instruction, et n’est pas non plus contesté, que l’installation concernée a également bénéficié, par ordonnance royale du 11 mars 1842, d’une autorisation d’exploiter une installation hydraulique dont la puissance a été évaluée, par un arrêté du préfet de l’Indre en date du 12 novembre 1973, à 136 kW. Cette autorisation, qui concernait une installation ayant une puissance inférieure à 150 kW, est toujours en vigueur en application des dispositions de l’article L. 511-9 du code de l’énergie. La société requérante est donc fondée à soutenir qu’elle est régulièrement autorisée à exploiter, sans limitation de durée, une installation d’une puissance de 184 kW. Par suite, c’est à tort que le préfet a estimé qu’elle fonctionnait sans autorisation.

13En ce qui concerne les prescriptions relatives à la montaison et la dévalaison :

148. En vertu du II de l’article L. 211-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable en l’espèce, la gestion équilibrée de la ressource en eau « doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux les exigences : / 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole (…) 3° (…) de l’industrie, de la production d’énergie (…) ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées ». En vertu du III du même article : « La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme ». Aux termes de l’article L. 214-3 du même code, également dans sa rédaction applicable : « I. Sont soumis à autorisation de l’autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. / Les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1, les moyens de surveillance, les modalités des contrôles techniques et les moyens d’intervention en cas d’incident ou d’accident sont fixés par l’arrêté d’autorisation et, éventuellement, par des actes complémentaires pris postérieurement. / (…) ». En vertu du II de l’article L. 214-4 du code de l’environnement dans sa rédaction applicable, une autorisation délivrée à une installation entraînant notamment des prélèvements sur des eaux superficielles ou une modification du niveau ou du mode d’écoulement des eaux « peut être abrogée ou modifiée, sans indemnité de la part de l’État exerçant ses pouvoirs de police, dans les cas suivants : / 1° Dans l’intérêt de la salubrité publique, et notamment lorsque cette abrogation ou cette modification est nécessaire à l’alimentation en eau potable des populations ; / 2° Pour prévenir ou faire cesser les inondations ou en cas de menace pour la sécurité publique ; / 3° En cas de menace majeure pour le milieu aquatique, et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation (…) ». Enfin, aux termes du II de l’article L. 214-6 du même code : « Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d’une législation ou réglementation relative à l’eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre. ».

159. Il résulte des dispositions citées ci-dessus que les installations et ouvrages fondés en titre et ceux qui, autorisés à la date du 18 octobre 1919 et dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts, demeurent, en vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique, aujourd’hui codifiées à l’article L. 511-9 du code de l’énergie, autorisés conformément à leur titre sont soumis, en vertu du VI de l’article L. 214-6 du code de l’environnement, aux dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-11 du code de l’environnement, qui définissent le régime de la police de l’eau, notamment à celles qui définissent les conditions dans lesquelles, en vertu de l’article L. 214-4, l’autorisation peut être abrogée ou modifiée sans indemnisation.

1610. En premier lieu, la société requérante soutient qu’entre le 1er janvier 2014, date d’abrogation de l’article L. 432-6 du code de l’environnement, et la date à compter de laquelle les obligations découlant du 2° du I de l’article L. 214-17 du même code sont devenues applicables en vertu du III de cet article, soit à l’issue du délai de cinq ans après la publication de la liste annexée à l’arrêté du 10 juillet 2012 du préfet coordonnateur du bassin Loire Bretagne, aucune obligation de franchissement piscicole du moulin ne lui était opposable. Toutefois, les obligations découlant du 2° du I de l’article L. 214-17 du même code sont devenues applicables le 22 juillet 2017 et le sont toujours à la date du présent arrêt. Le moyen tiré de ce que la société Centrale Moulin Neuf n’avait, à la date de l’arrêté litigieux, aucune obligation légale d’assurer le franchissement piscicole de ses ouvrages doit ainsi être écarté.

1711. En deuxième lieu, d’une part, avant son abrogation par l’ordonnance du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l’environnement, l’article L. 232-6 du code rural, introduit par le décret du 27 octobre 1989 portant révision du code rural en ce qui concerne les dispositions législatives relatives à la protection de la nature, disposait que : « Dans les cours d’eau ou parties de cours d’eau et canaux dont la liste est fixée par décret, après avis des conseils généraux rendus dans un délai de six mois, tout ouvrage doit comporter des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs. L’exploitant de l’ouvrage est tenu d’assurer le fonctionnement et l’entretien de ces dispositifs. Les ouvrages existants doivent être mis en conformité, sans indemnité, avec les dispositions du présent article dans un délai de cinq ans à compter de la publication d’une liste d’espèces migratrices par bassin ou sous-bassin fixée par le ministre chargé de la pêche en eau douce et, le cas échéant, par le ministre chargé de la mer ». À compter de l’ordonnance du 18 septembre 2000 précitée, ces dispositions ont été reprises à l’identique à l’article L. 432-6 du code de l’environnement. La Creuse est une rivière classée pour la protection des poissons migrateurs par décret modifié du 1er avril 1905 et un arrêté du 18 avril 1997, publié au Journal officiel du 16 mai 1997, a établi la liste des espèces migratrices de poissons. Il résulte de la combinaison de ces textes que, sauf dispositions particulières, à compter du 17 mai 2002, tous les ouvrages implantés sur la Creuse devaient avoir mis en place un dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs et notamment des anguilles.

1812. D’autre part, la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques a introduit dans le code de l’environnement un nouvel article L. 214-17 aux termes duquel : « I. - Après avis des conseils généraux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l’Assemblée de Corse, l’autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : (…) / 2° Une liste de cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l’exploitant. / III. - Les obligations résultant du I s’appliquent à la date de publication des listes. Celles découlant du 2° du I s’appliquent, à l’issue d’un délai de cinq ans après la publication des listes, aux ouvrages existants régulièrement installés. / Le cinquième alinéa de l’article 2 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique et l’article L. 432-6 du présent code demeurent applicables jusqu’à ce que ces obligations y soient substituées, dans le délai prévu à l’alinéa précédent. À l’expiration du délai précité, et au plus tard le 1er janvier 2014, le cinquième alinéa de l’article 2 de la loi du 16 octobre 1919 précitée est supprimé et l’article L. 432-6 précité est abrogé. / Les obligations résultant du I du présent article n’ouvrent droit à indemnité que si elles font peser sur le propriétaire ou l’exploitant de l’ouvrage une charge spéciale et exorbitante ». En application de ces dispositions, la partie de la Creuse sur laquelle est situé l’ouvrage en litige a été classée, par l’arrêté du 10 juillet 2012 susvisé, sur la liste 2 des cours d’eau, tronçons de cours d’eau ou canaux classés au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement.

1913. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, et notamment de celles du III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, telles qu’éclairées par les travaux parlementaires, que si un délai de cinq ans après la publication des listes prévues au 2° du I du même article L. 214-17 est accordé aux exploitants d’« ouvrages existants régulièrement installés » pour mettre en œuvre les obligations qu’il instaure, ce délai n’est pas ouvert aux exploitants d’ouvrages antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l’article L. 232-6 du code rural, devenu l’article L. 432-6 du code de l’environnement, qui n’auraient pas respecté le délai de cinq ans qui leur avait été octroyé par ces dispositions pour mettre en œuvre cette obligation. Ces ouvrages existants ne peuvent être regardés comme « régulièrement installés », au sens du III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, et sont donc soumis aux obligations résultant du I de cet article dès la publication des listes qu’il prévoit.

2014. Il n’est pas contesté que la société requérante n’a mis en place aucun dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs dans sa centrale en méconnaissance des exigences de la législation antérieure. Son installation ne constituait donc pas, à la date du 1er janvier 2013, un ouvrage existant régulièrement installé, au sens du III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, de sorte que les obligations posées par le I de ce même article lui étaient immédiatement applicables à compter de la publication de la liste prévue à son 2°. Par suite, la société centrale Moulin Neuf ne peut utilement invoquer le délai supplémentaire de cinq ans prévu au point III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement pour contester la régularité des mesures relatives à la montaison et la dévalaison prévues par l’arrêté litigieux.

2115. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement créé par l’article 15 de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 : « Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°. / Le présent article ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables ».

2216. Il résulte de ces dispositions, telles qu’éclairées par les travaux parlementaires à l’adoption de la loi du 24 février 2017, que seuls les moulins répondant aux conditions prévues par ces dispositions dont les installations sont exploitées dans le respect des obligations de mise en conformité prévues par les dispositions antérieurement applicables, à savoir l’article L. 232-6 du code rural, devenu l’article L. 432-6 du code de l’environnement, sont exonérés du respect des prescriptions définies par l’autorité administrative en exécution des dispositions du point 2° du I de l’article 214-17 du code de l’environnement.

2317. Pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 14, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que l’usine hydroélectrique qu’elle exploite peut être regardée comme un ouvrage « régulièrement installé » au sens des dispositions précitées de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement. Elle n’est pas fondée à se prévaloir des dispositions dérogatoires de cet article et le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu ces dernières doit être écarté.

2418. En quatrième lieu, il résulte de l’instruction que, pour établir les mesures temporaires relatives à la montaison et la dévalaison, le préfet a retenu que l’installation en litige est un moulin avec bief en dérivation à partir d’un seuil qui n’a pas été équipé de dispositifs de franchissement alors qu’il devait l’être depuis plusieurs années. Il a constaté que cet ouvrage en barrage n’est pas franchissable en montaison par plusieurs espèces migratrices, la grande alose, la lamproie marine, la lamproie fluviatile, la truite fario, l’anguille et le brochet et présente un risque avéré, notamment pour les anguilles, en retenant un taux de mortalité théorique de 22 %, alors que tout le cours de la Creuse en aval du complexe hydro-électrique d’Eguzon (retenues d’Eguzon, de Roche Au Moine et de Roche Bât l’Aigue) est inclus dans une zone d’action prioritaire pour la mise en conformité des ouvrages représentant un obstacle à la libre circulation des anguilles, espèce reconnue en danger critique d’extinction et visée par le règlement (CE) n° 1100/2007 du conseil du 18 septembre 2007 susvisé. Il a alors, après avoir pris en compte les objectifs du règlement (CE) n° 1100/2007 du conseil du 18 septembre 2007, de la politique de l’eau et de la politique de développement des énergies renouvelables, retenu que compte tenu des effets d’impact cumulé le long de l’axe de la Creuse, il était nécessaire de limiter l’impact de l’ouvrage sur les éléments mentionnés au L. 211-1 du code de l’environnement. Pour ce faire, il a prescrit à l’exploitant, dans l’attente de la mise en place des dispositifs permanents destinés à remplir les obligations relatives à l’article L. 214-17 du code de l’environnement et pour une durée de deux ans, de ne faire usage de la force motrice de l’eau pendant les mois de mai et juin qu’à la condition expresse de laisser se déverser sur le seuil une lame d’eau d’une épaisseur minimale de 20 cm et de mettre la turbine à l’arrêt entre les 1er septembre et 1er mars pendant 5 nuits consécutives (heures de coucher à heure de lever légal du soleil) et cela à 8 reprises maximum dont au maximum 4 fois entre le 1er novembre et le 1er mars.

2519. La société requérante soutient que l’administration n’établit pas le caractère nécessaire de ces mesures par la production d’une étude fondée sur un échantillon d’une soixantaine de turbines souffrant d’une sous-représentation des petites turbines de puissances inférieures à 500 kW fonctionnant sous très basses chutes (<3-4 m) et turbinant des débits relativement faibles (<15-20 m3/s). Toutefois, il résulte de cette même étude que les turbines comportant 4 pales, telles que celles qui équipent l’ouvrage, sont bien représentées dans l’échantillon, de sorte qu’elle est pertinente en l’espèce. De plus, contrairement à ce que soutient la société, le taux de 22 % de mortalité des anguilles au franchissement de l’ouvrage n’est pas fondé sur une hypothèse où la totalité des poissons dévalant le cours d’eau transiteraient dans la turbine mais repose sur un taux de mortalité théorique de 50 % des anguilles qui passent dans la turbine. S’il est vrai qu’aucune étude sur site n’a été réalisée, le préfet n’en était pas moins fondé à imposer que l’installation soit mise en conformité pour préserver la continuité écologique, particulièrement la circulation piscicole des espèces migratrices et le transit sédimentaire, dès lors que celle-ci a un impact significatif sur la migration vers l’amont des poissons et que l’ouvrage ne comporte aucun dispositif d’évitement à l’aspiration des poissons dans les turbines de type « pseudo Kaplan à pales variables », créant un risque avéré pour les poissons dévalants et notamment les anguilles. Enfin, les mesures imposées à la société sont réversibles et ont pour objet de minimiser l’impact de l’ouvrage sur la migration des poissons dans l’attente de la réalisation des dispositifs de franchissement obligatoires, ne peuvent pas être regardées comme disproportionnées eu égard aux objectifs poursuivis.

2620. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l’Indre a pu à bon droit prescrire à la société les mesures relatives à la montaison et à la dévalaison prévues par les articles 1, 2 et 8 de l’arrêté du 11 décembre 2015.

27En ce qui concerne les prescriptions relatives au débit minimum biologique :

2821. Aux termes de l’article L. 214-18 du code de l’environnement : « I.- Tout ouvrage à construire dans le lit d’un cours d’eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d’amenée et de fuite. / Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d’eau en aval immédiat ou au droit de l’ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l’amont immédiat de l’ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d’eau ou parties de cours d’eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ou pour les ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d’électricité en période de pointe de consommation et dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État pris après avis du Conseil supérieur de l’énergie, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d’eau en aval immédiat ou au droit de l’ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l’amont immédiat de l’ouvrage, si celui-ci est inférieur. Toutefois, pour les cours d’eau ou sections de cours d’eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d’un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure. / II.- Les actes d’autorisation ou de concession peuvent fixer des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l’année, sous réserve que la moyenne annuelle de ces valeurs ne soit pas inférieure aux débits minimaux fixés en application du I. En outre, le débit le plus bas doit rester supérieur à la moitié des débits minimaux précités. / (…) III.- L’exploitant de l’ouvrage est tenu d’assurer le fonctionnement et l’entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d’eau les débits minimaux définis aux alinéas précédents. IV. - Pour les ouvrages existant à la date de promulgation de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, les obligations qu’elle institue sont substituées, dès le renouvellement de leur concession ou autorisation et au plus tard le 1er janvier 2014, aux obligations qui leur étaient précédemment faites. Cette substitution ne donne lieu à indemnité que dans les conditions prévues au III de l’article L. 214-17. (…) ».

2922. Il résulte de l’instruction que pour établir les mesures temporaires relatives au débit minimum biologique, à savoir l’augmentation du débit minimal biologique, d’une valeur de 3,25 m3/s à 5 m3/s entre le 1er décembre et le 30 juin, le préfet s’est fondé sur l’étude menée conjointement par Électricité de France et la Fédération Départementale de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques de l’Indre sur l’impact des éclusées sur la Creuse en aval du complexe hydro-électrique d’Eguzon (retenues d’Eguzon, de Roche Au Moine et de Roche Bât l’Aigue) concluant à un débit de base inter-éclusées de 8 m3/s de l’automne à la fin du printemps, ou à défaut à un débit de base inter-éclusée de 5 m3/s de la mi-novembre à la fin du printemps et sur les conclusions du comité technique, institué par l’article 11 de l’arrêté n° 2013169-0008 portant règlement d’eau de la chute hydroélectrique concédée d’Eguzon/Roche-au-moine, du 21 janvier a retenu à titre provisoire un débit minimal de 5 m3/s en aval de Roche-aux-Moines entre le 1er décembre et le 30 juin destiné à protéger les frayères des exondations.

3023. La société requérante, qui ne conteste pas le seuil minimal imposé par les dispositions citées au point 3 de l’article L. 214-18 du code de l’environnement, à savoir 3,25 m3/s, soutient que les éléments retenus ne sont pas suffisants pour établir la nécessité de porter le débit minimal à 5 m3/s entre le 1er décembre et le 30 juin alors que l’impact économique d’une telle augmentation du débit réservé équivaut à une baisse de production de presque 20 %. Toutefois, et alors que la société n’apporte aucun élément justifiant du taux de 20 % évoqué, il demeure que les éléments retenus par le préfet couvrent l’impact environnemental du complexe hydro-électrique d’Eguzon sur tout le cours de la Creuse en aval de cet ouvrage, où se situe l’installation en litige. En l’absence d’élément permettant d’en contester la pertinence, la société n’est pas fondée à soutenir que les prescriptions critiquées sont irrégulières.

3124. Il résulte de ce qui précède que la société centrale Moulin Neuf n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes. Par suite, les conclusions de la société fondées sur les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

32Décide :

33Article 1er : La requête de la SARL Centrale Moulin Neuf est rejetée.

34Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Centrale Moulin Neuf et au ministre de la transition écologique.

Conclusions

351. La SARL Centrale Moulin Neuf exploite une centrale hydroélectrique alimentée par les eaux de la Creuse, sur la commune du Menoux (Indre).

36Le 21 janvier 2013, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques a émis un procès-verbal de constatation dont il ressort que l’installation du Moulin Neuf constitue un obstacle à la continuité écologique dès lors qu’il est dépourvu de dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs, qu’il ne maintient pas un débit minimal dans le cours d’eau et qu’enfin, il utilise la force motrice de l’eau de la Creuse à des fins de production hydroélectrique sans détenir l’autorisation administrative adéquate, la puissance utilisée étant supérieure à la consistance du droit fondé en titre reconnu par l’autorité administrative.

37Par un arrêté du 11 décembre 2015, le préfet de l’Indre a fixé des prescriptions supplémentaires à l’autorisation d’exploiter l’énergie hydroélectrique sur le barrage de Moulin Neuf dont est titulaire la SARL Centrale Moulin Neuf.

38Par un jugement du 26 avril 2019, le Tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande qui tendait à l’annulation de cet arrêté.

39La société Centrale Moulin Neuf relève appel de ce jugement et sollicite également, par la voie du recours en interprétation, que la Cour lui donne acte de ce que les ouvrages de sa centrale hydroélectrique sont en situation administrative régulière pour une puissance de 184 kilowatts (kW), sur le fondement d’une ordonnance royale du 11 mars 1842.

402. Vous relèverez tout d’abord, que les conclusions en interprétation de la société sont nouvelles en appel et donc irrecevables, ne serait-ce que pour ce motif.

413. Intéressons-nous à présent au bien-fondé du jugement, concernant la légalité de l’arrêté préfectoral du 11 décembre 2015.

42À titre liminaire, rappelons qu’il appartient au juge du plein contentieux de la police de l’eau d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la délivrance de l’autorisation. En revanche, le respect des règles de fond s’apprécie en fonction des considérations de droit et de fait en vigueur à la date de votre décision (CE, n° 250378, 31 mars 2004, Époux Gaston).

433.1 En premier lieu, la société requérante soutient que cet arrêté n’aurait pas été adopté à l’issue d’une procédure contradictoire.

44Toutefois, elle n’évoque, à l’appui de ce moyen, aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à son argumentation de première instance. Nous vous proposons donc de l’écarter en adoptant les motifs pertinemment retenus par le tribunal au point 6 du jugement.

453.2 En deuxième lieu, la société fait valoir que contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges et le préfet dans l’arrêté attaqué, la centrale hydroélectrique qu’elle exploite est un « ouvrage régulièrement » installé au sens de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, de sorte qu’elle se trouvait nécessairement dispensée du respect des obligations relatives au franchissement piscicole visées par l’article L. 214-17 I 2° de ce code. Elle critique ainsi les mesures figurant dans l’arrêté litigieux, concernant la montaison et dévalaison (articles 1er et 2 de l’arrêté).

46En vertu de ces dispositions : « (…) l’autorité administrative établit, pour chaque bassin : 2° Une liste de cours d’eau (…) dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l’exploitant. ». Sur le fondement de ces dispositions, l’arrêté du 10 juillet 2012 a intégré une partie de la Creuse sur la liste de ces cours d’eau.

47Cependant, l’article L. 214-18-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017, dispose que : « Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires (…) pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau (…) mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°. Le présent article ne s’applique [toutefois] qu’aux moulins existants à la date de publication de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 (…) ».

48La question est donc la suivante : la centrale du Moulin neuf existant à la date de publication de la loi du 24 février 2017 était-elle « régulièrement installée » au sens de ces dispositions ?

49Le ministre le conteste pour plusieurs motifs :

  • Il soutient tout d’abord, que sa situation n’est régulière que dans la limite d’une puissance de 48 kW correspondant aux droits fondés en titre de ce moulin ;
  • Il précise ensuite que cette société n’a pas respecté ses précédentes obligations de mise en conformité de son installation avec les dispositions de l’article L. 232-6 du Code rural devenu l’article L. 432-6 du Code de l’environnement, de sorte qu’elle ne saurait être regardée comme étant en « situation régulière », au sens des dispositions de l’article L. 214-18-1 de ce code.

50Il vous faudra donc apprécier le bien-fondé de ces deux motifs.

513.2.1 Intéressons-nous, dans un premier temps, à la régularité de la situation de la société au regard de la puissance de son installation.

52À cet égard, la requérante se prévaut d’une puissante totale de 183 kW résultant de la consistance légale du droit fondé en titre à hauteur de 48 kW, à laquelle s’ajoute une augmentation de puissance de 136 kW autorisée par une ordonnance royale de 1842.

53La société prétend ainsi disposer de droits fondés en titre (nés avant l’abolition des droits féodaux i.e antérieurement à l’édit de Moulins du 15 février 1566) et de droits acquis (nés au XIXème siècle).

54Dans la décision en litige, le préfet a au contraire considéré que la situation administrative de l’intéressée n’était régulière que dans la limite de sa puissance fondée en titre qui est de 48 kW.

55Le ministre soutient, dans son mémoire en défense, que l’autorisation de 1842 ayant porté la puissance de ce moulin à plus 150 kW, elle bénéficiait d’une durée limitée à 75 ans et était donc devenue caduque au jour de l’arrêté attaqué. Il précise, à ce titre, que l’ordonnance royale du 11 mars 1842, prorogée en 1973 puis 2007, se serait ainsi éteinte le 12 février 2009.

56Fort logiquement, la société le conteste, en soutenant que la puissance fondée en titre devait être déduite de la puissance totale de sa centrale.

57► En l’occurrence, et d’une part, il est constant que la société bénéficie d’un droit fondé en titre à hauteur de 48 kW.

58À cet égard, relevons que l’interruption de l’usage, même pendant une longue période « n’est pas de nature à remettre en cause ce droit » (17 avril 1992, Mmes Azema et Souli, concernant un moulin qui n’était plus utilisé depuis 1920), ni même la destruction partielle de l’installation. En l’occurrence, il n’est d’ailleurs pas établi ni même allégué que le moulin serait en état de ruine (CE, n° 420764, 24 avril 2019, Ministre de la transition écologique c/commune de Berdoues, fiché en B sur ce point).

59La société bénéficiait donc indéniablement d’un droit fondé en titre pour une puissance de 48 kW.

60► Vous devez à présent déterminer si l’autorisation qui lui a été délivrée par l’ordonnance royale du 11 mars 1842, lui permettant d’exploiter une installation hydraulique d’une puissance de 136 kW, était toujours valable.

61Rappelons que, si l’article L. 531-2 du Code de l’énergie limite à 75 ans les autorisations relatives aux installations hydroélectriques, cette limitation ne s’applique pas, selon l’article L. 511-9 du même code, aux installations hydrauliques autorisées à la date du 18 octobre 1919, et dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts, lesquelles demeurent autorisées conformément à leur titre et sans autre limitation de durée que celle résultant de la possibilité de leur suppression dans les conditions fixées au titre Ier du livre II du Code de l’environnement.

62Ainsi, les installations autorisées avant 1919, dont la puissance est inférieure à 150 kW, bénéficient d’un régime d’autorisation sans limitation de durée, sous réserve, bien entendu, de leur abrogation ou de leur retrait, ou en raison de la perte de ce droit lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau (cf. CE, n° 356321, 13 décembre 2013, Société Énergie Verte de Teyssode, A [1]).

63Vous l’aurez compris, reste à déterminer si, pour l’appréciation du seuil de 150 kW, l’administration devait prendre en compte la seule puissance de l’installation autorisée par l’ordonnance royale du 11 mai 1842 ou si, comme le soutient le ministre, elle devait cumuler cette dernière avec la puissance d’exploitation résultant des droits fondés en titre attachés à ce moulin ?

64Malheureusement, les dispositions dont nous faisons application, à savoir l’article L. 511-9 du Code de l’énergie, sont issues de l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011, de sorte que nous ne pouvons sonder la volonté du législateur.

65Rappelons que ce principe était auparavant énoncé à l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919, modifié par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 qui, dans son dernier alinéa, précisait que le délai de 75 ans n’était pas applicable « aux entreprises dont la puissance maximum ne dépasse pas 150 kW, ces entreprises demeurant autorisées conformément à leur titre actuel et sans autre limitation de durée que celle résultant de la possibilité de leur suppression dans les conditions prévues par les lois en vigueur sur le régime des eaux. ».

66Sur ces rappels, commençons par étudier les conséquences de l’augmentation de puissance réalisée sur un droit fondé en titre.

67À cet égard, le Conseil d’État a jugé qu’un droit fondé en titre conserve la consistance qui était la sienne à l’origine. Dans le cas où des modifications de l’ouvrage auquel ce droit est attaché ont pour effet d’accroître la force motrice théoriquement disponible, appréciée au regard de la hauteur de la chute d’eau et du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée, ces transformations n’ont pas pour conséquence de faire disparaître le droit fondé en titre, mais seulement de soumettre l’installation au droit commun de l’autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice supérieure à la puissance fondée en titre (cf. CE, n° 246929, 5 juillet 2004, SA Laprade Énergie, A).

68Le Conseil d’État a également jugé que, pour l’appréciation du seuil de 150 kW prévu par les dispositions de l’article L. 511-9 du Code de l’énergie, seule devait être prise en compte la puissance de l’installation autorisée préalablement au 18 octobre 1919, à l’exclusion de la puissance résultant des droits fondés en titre (anciennement article 2 de la loi du 16 octobre 1919 ; CE, n° 75965, 18 février 1972, Société Hydro Électrique de la Vallée de Salles la Source, lequel n’a pas été abjuré).

69Enfin, il a réaffirmé, dans sa décision n° 356321, du 13 décembre 2013, Société Énergie Verte de Teyssode, A, que les autorisations délivrées avant le 18 octobre 1919 réglementaient des droits à l’usage de l’eau qui avaient la nature de droits réels immobiliers antérieurement acquis par les propriétaires des installations hydrauliques et distincts des ouvrages fondés en titre, dont les droits ont été constitués sous l’Ancien Régime.

70Dans ses conclusions sur cette décision, Xavier de Lesquen rappelle d’ailleurs que « la loi de 1919, en vertu de son article 29, n’est pas applicable aux ouvrages fondés en titre dont les droits ont été constitués sous l’Ancien Régime ». Il précise que c’est l’article 18 de cette loi, qui organise un régime de droits acquis au profit des entreprises dont la puissance ne dépasse pas 150 kW, et qui demeurent autorisées sans limitation de durée, qui a été codifié à l’article L. 511-9 du Code de l’environnement que nous devons appliquer.

71À notre sens, cette précision conforte le fait que ces dispositions n’englobent pas les droits fondés en titre.

72Plaident également en ce sens, les dispositions en vigueur du 1° de l’article L. 511-4 du Code de l’énergie, selon lesquelles, ne sont pas soumises au présent livre, les usines ayant une existence légale. Ainsi, l’article L. 511-9 du Code de l’énergie, qui fixe le seuil de 150 kW, ne saurait concerner les droits fondés en titre.

73Il nous semble donc que, pour l’appréciation du seuil de 150 kW énoncé par l’article L. 511-9 du Code de l’énergie, l’administration ne pouvait cumuler la puissance découlant des droits acquis avec celle résultant des droits fondés en titre acquise avant 1566.

74En l’occurrence, l’installation exploitée par la société Centrale Moulin Neuf a bénéficié, par ordonnance royale du 11 mars 1842, d’une autorisation d’exploiter une installation hydraulique dont la puissance a été évaluée, par un arrêté du préfet de l’Indre en date du 12 novembre 1973, à 136 kW. Ainsi, et dès lors que la puissance est inférieure à 150 kW, cette autorisation était illimitée dans le temps.

75L’arrêté préfectoral délivré nominativement le 12 novembre 1973 à Mme Bretault s’est d’ailleurs borné à autoriser la remise en activité des ouvrages pour une durée de 30 ans, dans les conditions prévues par l’Ordonnance royale du 11 mars 1842, mais n’a pas abrogé cette ordonnance.

76Par suite, et contrairement à ce qu’a estimé le ministre, la requérante pouvait se prévaloir des droits d’exploitation qu’elle tenait de cette ordonnance royale.

77Il en résulte, selon nous, que la société était autorisée à exploiter, sans limitation de durée une installation de 184 kW.

783.2.2 Pour autant, pouvait-elle, de ce seul fait, être regardée comme un « ouvrage régulièrement installé » au sens de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, ce qui lui permettait d’être dispensée du respect des obligations relatives au franchissement piscicole énoncées par les dispositions du 2° du I de l’article L. 214-17 de ce code ?

79À cet égard, la société soutient que la centrale qu’elle exploite étant régulièrement installée sur un cours d’eau mentionné au 2° du 1 de l’article L. 214-17, elle est dispensée des obligations prévues au titre du classement du cours d’eau, conformément aux dispositions de l’article L. 214-18-1, sans que puisse lui être opposé le fait qu’elle ne se soit pas conformée aux obligations qui lui incombaient précédemment d’installer des dispositifs permettant le franchissement piscicole conformément aux exigences de l’article 332-6 du Code rural devenu l’article L. 432-6 du Code de l’environnement.

80À l’inverse, le ministre fait valoir que ces dispositions n’exonèrent du respect des prescriptions administratives tendant à assurer la circulation des poissons migrateurs, prévues par le 2° du I de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement, que les seuls moulins à eau ayant procédé à la mise en conformité de leur installation avec les dispositions que nous venons de citer.

81À cet égard, il se prévaut de la décision n° 402480, 22 octobre 2018, SARL Saint-Léon, B, par laquelle le Conseil d’État a jugé qu’il résulte de la combinaison de l’article L. 232-6 du Code rural (introduit par le décret n° 89-804 du 27 octobre 1989, devenu L. 432-6), avec le III de l’article L. 214-17 du même code, tel qu’éclairé par les travaux parlementaires (ayant précédé le vote de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006), que si un délai de cinq ans après la publication des listes prévues au 2° du I du même article L. 214-17 est accordé aux exploitants d’« ouvrages existants régulièrement installés » pour mettre en œuvre les obligations qu’il instaure, ce délai n’est pas ouvert aux exploitants d’ouvrages antérieurement soumis à une obligation de mise en conformité en application de l’article L. 232-6 du Code rural (devenu l’article L. 432-6 du Code de l’environnement) qui n’auraient pas respecté le délai de cinq ans octroyé par ces dispositions pour mettre en œuvre cette obligation, comme c’est le cas de la requérante.

82Dans cette décision, le Conseil d’État a ainsi estimé que ces « ouvrages existants » ne peuvent être regardés comme « régulièrement installés », au sens du III de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement, issu de la loi du 30 décembre 2006, et qu’ils sont donc soumis aux obligations résultant du I de cet article dès la publication des listes qu’il prévoit (d’où leur impossibilité de bénéficier du nouveau délai de cinq ans pour se mettre en conformité).

83Dans le dernier état de ses écritures, la requérante fait cependant valoir que la notion d’« ouvrage régulièrement installé » de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, issu de la loi du 24 février 2017, est différente de celle énoncée par l’article L. 214-17 du même code, adopté onze ans plus tôt, et sur laquelle s’est prononcé le CE dans la décision précitée SARL Saint-Léon.

84À cet égard, elle se prévaut des débats parlementaires ayant précédé l’adoption de l’article 3 bis (petite loi) de la loi du 24 février 2017, à l’origine de L. 214-18-1 du Code de l’environnement, et vous renvoie notamment aux échanges au sein de la commission mixte paritaire (CMP).

85Elle souligne que les parlementaires, à l’occasion du vote de cet article, n’ont jamais évoqué la situation des moulins qui n’auraient pas, dans le passé, respecté les obligations liées au rétablissement du franchissement piscicole, et souligne qu’à la date d’adoption de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, le 24 février 2017, l’essentiel des classements en liste 2 au titre de l’article L. 214-17 I 2° du Code de l’environnement étaient déjà entrés en vigueur, de sorte qu’il serait difficilement concevable que la volonté du législateur, lors du vote de ce texte, eût été d’exonérer de l’obligation de construire des dispositifs de franchissement piscicole les seuls ouvrages qui en disposaient déjà.

86Nous avouons avoir longuement hésité sur cette question. Et nous sommes d’autant plus ennuyés que le ministre de l’Écologie n’a pas répondu à cet argument.

87Initialement, nous étions réticents à aller dans le sens de la société pour deux motifs.

88Le premier tient au fait, comme nous l’avons indiqué précédemment, que les travaux parlementaires n’abordent pas expressément la question des moulins qui n’auraient pas respecté leurs précédentes obligations de mise en place de dispositifs de franchissement piscicole (sur le fondement de l’article 232-6 du Code rural devenu L. 432-6 du Code de l’environnement), de sorte qu’il nous semblait risqué d’en inférer la volonté certaine du législateur de permettre à ces installations d’être exonérées de la mise en place de dispositifs de franchissement piscicole.

89Le second, qui, à notre sens, était déterminant, tient au fait qu’une même notion, celle d’« ouvrage régulièrement installé » recouvrirait ainsi deux réalités différentes suivant les dispositions dont il est fait application, ce qui ne nous semble pas souhaitable en termes de sécurité juridique et d’intelligibilité du droit.

90Pour autant, la lecture des débats concernant l’article 3 bis issu des travaux de la CMP concernant la loi n° 2017-227 du 24 février 2017, à l’origine de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, nous a finalement convaincus.

91Ces débats soulignent, lors de la séance du 9 février 2017, que la disposition initiale du Sénat permettait aux moulins produisant de l’électricité de s’affranchir de toute règle administrative, ce qui remettait en cause le maintien de la continuité écologique et la défense de la biodiversité. Ainsi, il a été décidé d’adopter, en commission mixte paritaire, une mesure limitant la dispense de règle aux moulins situés sur certains cours d’eaux, ceux figurant sur la liste 2. Les débats révèlent donc clairement la volonté de ne continuer à imposer des règles administratives qu’aux moulins situés sur les cours d’eau de la liste 1, qui présentent une qualité écologique et une richesse biologique particulièrement importantes.

92À ce stade, il nous semble utile de citer les propos de M. Ladislas Poniatowski, rapporteur, lors de la séance du 15 février 2017 : « La dispense de règles produira son plein effet pour les 5 800 ouvrages situés en liste 2, qui étaient jusqu’à présent tenus de réduire leur impact sur la continuité écologique dans les cinq ans, les mesures correctrices requises par l’administration pouvant aller jusqu’à l’arasement des seuils. Désormais, ces règles ne s’appliqueront plus pour tous les ouvrages existants qui sont équipés aujourd’hui, ou qui le seraient demain, pour produire de l’électricité ; mes chers collègues, vous aurez compris qu’il ne s’agit plus seulement des ouvrages situés en zone de montagne. Or c’était bien le sujet que nous entendions traiter : éviter qu’au nom de la restauration de la continuité, l’administration n’impose l’effacement et n’empêche la valorisation énergétique de ce patrimoine. ».

93Il nous semble donc, à la lecture des débats parlementaires, que le législateur a entendu, par les dispositions de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, exonérer du respect des prescriptions énoncées par le 2° du I de l’article L. 214-17 de ce code, tous les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité sur les cours d’eau relevant de la liste 2 à la date de la publication de la loi du 24 février 2017, et dont l’exploitation était régulièrement autorisée.

94Ces dispositions, contrairement à ce que soutient le ministre, ne subordonnent pas donc le bénéfice de cette exonération au fait que ces moulins aient respecté antérieurement les obligations qui leur incombaient (en vertu de l’article L. 432-6 du Code de l’environnement) pour permettre le franchissement piscicole.

95Ainsi, et selon notre analyse, dès lors que la société Centrale du Moulin Neuf exploite « un ouvrage régulièrement installé » au sens de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, elle est fondée à soutenir que le préfet de l’Indre ne pouvait lui prescrire les mesures de fonctionnement critiquées sur le fondement des dispositions du 2° du I de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement.

96Elle est par suite fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

97Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement n° 1600212 du 26 avril 2018 du Tribunal administratif de Limoges et de l’arrêté du 11 décembre 2015 du préfet de l’Indre.


Date de mise en ligne : 02/07/2021

Notes

  • [1]
    « En vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique, désormais codifiées à l’article L. 511-9 du code de l’énergie, les installations hydrauliques autorisées à la date du 18 octobre 1919, dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts, demeurent autorisées conformément à leur titre et sans autre limitation de durée que celle résultant de la possibilité de leur suppression dans les conditions prévues par les lois en vigueur sur le régime des eaux et désormais fixées au titre Ier du livre II du code de l’environnement ».

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