Notes
-
[1]
Décision 2005/370/CE du Conseil du 17 février 2005 relative à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO L 124 du 17 mai 2005, p. 1-3).
-
[2]
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Le pacte vert pour l’Europe, COM/2019/640 final.
-
[3]
Eric Carpano (dir.), Le revirement de jurisprudence en droit européen et droit comparé, Bruylant, 2012.
-
[4]
V. notamment Nicolas de Sadeleer et Charles Poncelet, « La contestation des actes des institutions de l’Union à incidences environnementales à l’épreuve de la Convention d’Aarhus », RTD. eur., 2014, p. 7-34 ; Hendrik Schoukens, « Access to Justice in Environmental Cases after the Rulings of the Court of Justice of 13 January 2015: Kafka Revisited? », Utrecht Journal of International and European Law, 31(81), 2015, p. 46–67.
-
[5]
Matthijs van Wolferen et Mariolina Eliantonio, « Access to Justice in Environmental Matters: The EU’s Difficult Road Towards Non-Compliance With the Aarhus Convention », in M. Peeters & M. Eliantonio (Eds.), Research Handbook on EU Environmental Law, Edward Elgar, p. 148-163.
-
[6]
TPI, 3 mai 2002, Jégo-Quéré & Cie SA c. Commission européenne, T-177/01, Rec. p. II-2365.
-
[7]
CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores (UPA) c. Conseil de l’Union européenne, C-50/00 P, Rec. p. I-6677.
-
[8]
Conclusions de l’Avocat général Jacobs, présentées le 21 mars 2002, sous CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil de l’Union européenne, C-50/00 P, Rec. p. I-6677.
-
[9]
Il faut préciser toutefois qu’en l’espèce le Tribunal avait déjà conclu à l’irrecevabilité (Trib. UE, ord., 28 février 2019, T-178/18).
-
[10]
Règlement d’exécution (UE) 2017/2324 de la Commission, du 12 décembre 2017, renouvelant l’approbation de la substance active « glyphosate », conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 de la Commission C/2017/8419 (JO L 333 du 15 décembre 2017, p. 10-16).
-
[11]
« Pesticides : l’UE doit-elle interdire le glyphosate ? », disponible sur https://www.touteleurope.eu/societe/pesticides-l-ue-doit-elle-interdire-le-glyphosate/.
-
[12]
CJCE, 2 avril 1998, Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a. c. Commission, C-321/95 P, Rec. p. I-1651 ; TPI, 2 juin 2008, WWF-UK c. Commission, T-91/07 ; plus récemment CJUE, 14 janvier 2021, Peter Sabo e. a. c. Parlement et Conseil, C-297/20 P.
-
[13]
CJCE, 5 juillet 1963, Plaumann c. Commission, 25/62, Rec. p. 197.
-
[14]
Estelle Brosset et Eve Truilhé-Marengo, « L’accès au juge dans le domaine de l’environnement : le hiatus du droit de l’Union européenne », RDLF 2018, chron. n° 7, disponible sur : http://www.revuedlf.com/droit-ue/lacces-au-juge-dans-le-domaine-de-lenvironnement-le-hiatus-du-droit-de-lunion-europeenne/.
-
[15]
Conclusions de l’Avocat général Bobek rendues sous l’arrêt CJUE, 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale c. Commission, C-352/19 P, 16 juillet 2020, point 57.
-
[16]
CJCE, 5 mai 1998, Glencore Grain c. Commission, C-404/96 P, Rec. p. I-2435.
-
[17]
CJUE, 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori et autres c. Commission, C-622/16 P à C-624/16 P ; TPI, 24 mars 1994, Air France c. Commission, T-3/93, Rec. p. II-121.
-
[18]
Trib. UE, 30 avril 2015, Hitachi Chemical Europe e.a. c. ECHA, T-135/13.
-
[19]
TPI, 30 avril 1998, Vlaamse Gewest c. Commission, T-214/95, Rec. p. II-717.
-
[20]
Trib. UE, 13 décembre 2018, Ville de Paris, Ville de Bruxelles et Ayuntamiento de Madrid c. Commission, Aff. jtes T-339/16, T-352/16 et T-391/16, point 50.
-
[21]
Le critère « Vlaams Gewest » est alors le seul critère mobilisé pour apprécier l’intérêt à agir d’une collectivité infra-étatique, se substituant aux critères cumulatifs classiques applicables aux requérants individuels, à savoir l’affectation individuelle et l’affectation directe.
-
[22]
Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO L 309 du 24 novembre 2009, p. 1-50).
-
[23]
Art. 291 TFUE.
-
[24]
Art. 78 du Règlement n° 1107/2009 notamment.
-
[25]
Art. 28 et s. du Règlement n° 1107/2009.
-
[26]
En vertu de cette disposition, l’autorité fédérale est compétente pour « l’établissement des normes de produits ».
-
[27]
Point 41 de l’arrêt.
-
[28]
Art. 36 §3 du Règlement 1107/2009 : « Lorsque la mise en place de mesures nationales d’atténuation des risques visées au premier alinéa ne permettent pas de répondre aux préoccupations d’un État membre liées à la santé humaine ou animale ou à l’environnement, un État membre peut refuser l’autorisation du produit phytopharmaceutique sur son territoire si, en raison de ses caractéristiques environnementales ou agricoles particulières, il est fondé à considérer que le produit en question présente toujours un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale ou l’environnement. ».
-
[29]
L’article 1er de l’arrêté énonce que « [l]’utilisation de tout pesticide contenant du glyphosate sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale est interdite ». Cet arrêté avait été pris sur le fondement de l’article 1er, troisième alinéa, de l’ordonnance du 20 juin 2013, qui prévoyait que l’entité fédérée « peut déterminer les pesticides dont l’utilisation est interdite en raison des risques qu’ils représentent pour la santé humaine ou pour l’environnement ».
-
[30]
Selon l’article 6, paragraphe 4, [premier alinéa], de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, les régions sont toutefois associées à l’exercice de cette compétence.
-
[31]
Point 53 des conclusions, préc.
-
[32]
Estelle Brosset et Eve Truilhé-Marengo, op. cit.
-
[33]
Point 26 de l’arrêt.
-
[34]
CJUE, 12 mai 2011, Trianel, C-115/09, Rec. p. I-3673 ; CJCE, 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening, C-263/08, Rec. p. I-99/67 ; CJUE, 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie, C-240/09, Rec. p. 1255
-
[35]
Art. 2.2 de la Convention d’Aarhus.
-
[36]
V. Convention d’Aarhus – Guide d’application, 2000.
-
[37]
Préambule de la Convention d’Aarhus : « Reconnaissant en outre le rôle important que les citoyens, les organisations non gouvernementales et le secteur privé peuvent jouer dans le domaine de la protection de l’environnement ; ».
-
[38]
Art. 2.2 b) et c) de la Convention d’Aarhus.
-
[39]
Point 124 des Conclusions, préc. : « Ainsi, bien qu’il ne fasse aucun doute que les auteurs de la convention d’Aarhus avaient effectivement en vue la participation la plus large dans le processus décisionnel environnemental et dans l’accès à la justice dans les matières environnementales, je ne pense pas qu’ils envisageaient aussi dans cet objectif que les autorités publiques se fassent des procès les unes aux autres ou même à elles-mêmes. ».
-
[40]
CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil de l’Union européenne, préc., point 45 : « Si un système de contrôle de la légalité des actes communautaires de portée générale autre que celui mis en place par le traité originaire et jamais modifié dans ses principes est certes envisageable, il appartient, le cas échéant, aux États membres, conformément à l’article 48 UE, de réformer le système actuellement en vigueur. ».
-
[41]
Marta Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique, Rapport final de recherche, 2019, disponible : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2020/01/17.05-RF-contentieux-climatiques.pdf.
-
[42]
Ivano Alogna, Eleanor Clifford, Climate Change Litigation: Comparative and International Perspectives, British Institute of International and Comparative Law, 2021, disponible sur https://www.biicl.org/documents/88_climate_change_litigation_comparative_and_international_report.pdf ; v. notamment CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n° 427301.
-
[43]
Préambule de la Convention d’Aarhus : « (…) Cherchant par là à favoriser le respect du principe de l’obligation redditionnelle et la transparence du processus décisionnel (…) ».
-
[44]
UN Report, Environmental Rule of Law – First Global Report, UNEP, 2019.
-
[45]
Jonas Ebbesson, « L’accès à la justice en matière d’environnement en droit international : pourquoi et comment ? », in Julien Bétaille (dir.), Le droit d’accès à la justice en matière d’environnement, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, p. 64 ; Jerzy Jendroska, « Accès à la justice : remarques sur le statut juridique et le champ des obligations de la convention d’Aarhus dans le contexte de l’Union Européenne », RJE numéro spécial 2009.
-
[46]
Article 47 de la Charte des droits fondamentaux ; CJCE 13 mars 2007, Unibet (London) Ltd and Unibet (International) Ltd c/ Justitiekanslern, C-432/05, Rec. I-2271.
-
[47]
Julien Bétaille, « Accès à la justice de l’Union européenne, le Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus s’immisce dans le dialogue des juges européens : à propos de la décision n° ACCC/C/2008/32 du 14 avril 2011 », RJE, 2011, p. 547-562. V. pour une nouvelle constatation du manquement de l’Union européenne : Commission économique des Nations Unies pour l’Europe, Findings and recommendations of the Compliance committee with regard to communication ACC/C/2008/32 (Part II) concerning compliance by the European Union, 17 mars 2017.
-
[48]
CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil de l’Union européenne, préc., point 40.
-
[49]
Point 26 des conclusions, préc.
-
[50]
Article 19 TUE.
-
[51]
Conclusions de l’Avocat général Cosmas présentées le 23 septembre 1997 sous CJCE, 2 avril 1998, Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a. c. Commission, préc., point 117 : l’assouplissement des conditions de recevabilité au profit des associations « peut être utilisé de façon abusive et conduire à des résultats extrêmes. Les personnes physiques qui n’ont pas qualité pour agir au titre de l’article 173, quatrième alinéa, du traité pourront contourner cet obstacle procédural en constituant une organisation pour la protection de l’environnement. De plus, alors que le nombre de personnes physiques, c’est-à-dire de citoyens de l’Union européenne, aussi élevé qu’il puisse être, demeure toutefois limité, le nombre d’associations pour la protection de l’environnement susceptibles d’être créées est, théoriquement du moins, infini ».
-
[52]
CE, 23 octobre 2015, Janin, n° 392550.
-
[53]
Alexandra Aragao, Ana Celeste Carvalho, « Taking access to justice seriously: diffuse interest and actio popularis. Why not? », ELNI, 2/2017, p. 42-48 ; François-Guy Trébulle, « Synthèse », in Julien Bétaille (dir.), Le droit d’accès à la justice en matière d’environnement, op. cit. ; Carol Harlow, « Public Law and Popular Justice », (2002) 65 MLR 1.
-
[54]
Romain Melot, Hai Vu Pham, « Protection de l’environnement et stratégies contentieuses. Une étude du recours à la justice administrative », Droit et société, 2012/3 (n° 82), p. 621-641.
-
[55]
CJCE, 24 avril 1994, Roquette Frères, C-228/92, Rec. I-1445. V. Laurent Coutron, Droit de l’Union européenne, Dalloz, 2015, p. 181 et s.
Renouvellement de l’approbation de la substance active « glyphosate ».
Qualité pour agir d’une entité régionale.
Affectation directe.
CJUE, 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale c. Commission, C-352/19 P.
Note : Réflexions sur un non-évènement
1L’arrêt rendu par la Cour de justice le 3 décembre 2020 pouvait passer relativement inaperçu, tant il s’inscrit dans la désormais longue lignée des arrêts, voire des ordonnances, rendus par le juge de l’Union concluant à l’irrecevabilité du recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE, y compris dans le domaine de l’environnement. En effet, ce constat n’a rien de nouveau, tant l’on sait qu’en dépit de la ratification de la Convention d’Aarhus par l’Union européenne [1], le niveau de l’Union, et spécialement la Cour de justice, est resté imperméable aux revendications visant à garantir l’effectivité, au sein du prétoire européen dans le cadre des recours directs, des exigences fondées sur le troisième pilier de la Convention. Toutefois, ce que montre cet arrêt est sans doute l’inadéquation des conditions de l’intérêt à agir face aux enjeux de la protection de l’environnement. En effet, on peut s’interroger sur le sens du maintien d’une conception restrictive de l’accès au prétoire européen, alors même que l’enjeu de la protection de l’environnement occupe désormais une place centrale dans les politiques publiques européennes [2].
2Les faits et le contexte à la base de l’arrêt pouvaient laisser penser que les planètes seraient en passe d’être alignées afin de provoquer, si ce n’est le revirement, au moins l’assouplissement jurisprudentiel attendu, tendant à ouvrir plus largement le prétoire du juge de l’Union pour contester la légalité des actes de l’Union. Les conditions d’un revirement de jurisprudence sont toujours délicates à déterminer [3], et sont tributaires d’un environnement juridique, comme de juges plus enclins à entendre les voix des requérants et de la doctrine l’incitant à évoluer [4], notamment afin de se mettre en conformité avec les exigences de la Convention d’Aarhus [5], sans craindre d’ouvrir ce qui est parfois considéré comme la boîte de Pandore risquant de mener à un encombrement du prétoire luxembourgeois. L’arrêt de la Cour du 3 décembre 2020 présente un air de déjà vu aux lecteurs de la jurisprudence de l’Union. Son cheminement invite à dresser un parallèle avec la saga des arrêts Jego-Quéré [6] et UPA [7], lesquels dans les années 2000 avaient, pour le premier, ouvert la voie à un assouplissement de l’appréciation des conditions de l’intérêt à agir pour les requérants individuels, et, pour le second, refermé tout espoir à cet égard, alors même que l’Avocat général Jacobs avait plaidé pour un tel assouplissement [8]. L’arrêt commenté a été l’occasion pour différents acteurs de la Cour de justice de s’exprimer sur la façon d’aborder les conditions de l’intérêt à agir, et surtout pour l’Avocat général Bobek d’exprimer son désaccord avec la jurisprudence classique de la Cour en matière d’appréciation de l’intérêt à agir [9]. Néanmoins, la solution développée au final a été la même, confirmant que même en matière environnementale, l’assouplissement des conditions de l’intérêt à agir n’était pas encore d’actualité.
3L’originalité du recours tient notamment au fait, qu’en l’espèce, le recours a été introduit par une collectivité infra-étatique, la Région de Bruxelles-Capitale, entité fédérée de l’État belge, en vue d’annuler le Règlement d’exécution (UE) 2017/2324 de la Commission, du 12 décembre 2017, renouvelant l’approbation de la substance active « glyphosate » [10]. Il faut rappeler d’emblée que le contexte du renouvellement de l’autorisation a été tendu, la Commission ayant prorogé à plusieurs reprises l’autorisation, avant de la renouveler, du fait notamment des revendications de certains États membres à suspendre la mise sur le marché du glyphosate [11]. Le recours formé a donc une dimension politique indéniable, le juge pouvant apparaître comme l’un des derniers remparts pour empêcher l’autorisation du glyphosate sur le marché européen. La décision européenne d’autorisation du glyphosate s’inscrit donc dans un contexte politique sensible, et il était intéressant que le juge puisse exercer un contrôle sur une telle décision. Pour autant, le dispositif de l’arrêt s’est révélé sans surprise, concluant à l’irrecevabilité du pourvoi, confirmant donc le défaut d’intérêt à agir des requérants. L’arrêt conserve toutefois un intérêt. Il confirme les limites de la jurisprudence actuelle de la Cour, limites qui ne semblent plus en phase avec l’accroissement constant des enjeux environnementaux, comme avec la montée en puissance de requérants plus originaux, tels que les collectivités infra-étatiques. En effet, l’approche retenue par la Cour quant à l’appréciation de l’affectation directe est trop stricte et conduit à occulter l’imbrication réelle de l’exercice des pouvoirs au niveau interne en matière environnementale (I.). C’est pourquoi l’arrêt invite à réfléchir au renouvellement des fondements du droit d’accès à la justice en matière environnementale, et spécialement au sein de l’ordre juridique de l’Union (II.).
I – La portée limitative d’une appréciation de l’intérêt à agir fondée sur les compétences de la collectivité infra-étatique
4Dans cet arrêt, à l’instar de nombreux autres arrêts rendus en matière environnementale, l’irrecevabilité du recours contre un acte à portée générale tient au défaut d’intérêt à agir du requérant [12]. L’appréciation du critère de l’affectation directe fondée sur les compétences de la collectivité infra-étatique apparaît trop restrictive pour rendre compte des modalités d’exécution du droit de l’Union au sein de l’espace administratif européen, car elle occulte la réalité des possibilités d’action au niveau local, ici, sur la question précise des produits phytopharmaceutiques.
A – L’appréciation spécifique de l’intérêt à agir des collectivités infra-étatiques
5En dépit de sa nature infra-étatique, la Région Bruxelles-Métropole ne peut pas se prévaloir de la qualité de requérant privilégié. La recevabilité de son recours en annulation est donc conditionnée à la preuve de son intérêt à agir, fondé sur l’article 263 §4 TFUE [13]. À la différence de la situation des ONG, qui sont souvent dans l’impossibilité de prouver une affectation individuelle [14], l’enjeu pour une collectivité infra-étatique est de parvenir à prouver son affectation directe par l’acte contesté. Or, cette condition fait l’objet d’une appréciation particulière car, reprenant les termes de l’Avocat général, « de par leur nature, dans leur capacité de requérantes non privilégiées, les entités fédérées des États membres ne sont pas tout simplement n’importe quelle personne physique ou morale (de droit privé) » [15].
6Selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, requiert que deux critères soient cumulativement réunis. D’une part, la mesure contestée doit produire directement des effets sur la situation juridique du requérant. D’autre part, la mesure contestée ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires [16]. Classiquement, afin d’apprécier les effets de l’acte sur la situation juridique du requérant, le juge prend en compte les effets concrets de l’acte sur sa position juridique, notamment sur ses droits [17], ou sur ses obligations [18]. S’agissant des collectivités infra-étatiques, les conséquences de l’acte sur leur situation juridique sont appréciées au regard de leurs compétences. Afin d’apprécier l’intérêt à agir de ces dernières, la Cour de justice a développé le critère dit « Vlaams Gewest » selon lequel « une entité régionale ou locale est concernée par un acte de l’Union lorsqu’elle est investie de compétences qui sont exercées de manière autonome dans les limites du système constitutionnel national de l’État membre concerné et que l’acte de l’Union l’empêche d’exercer ces compétences comme elle l’entend » [19]. La collectivité est donc considérée comme affectée directement si l’acte de l’Union interfère dans l’exercice d’une de ses compétences, par exemple si des mesures adoptées par la collectivité seraient limitées par les prescriptions d’une norme de l’Union [20], ce qui est donc plus précis que l’affectation de ses intérêts [21]. Or, une telle conception demeure restrictive pour accéder au juge de l’Union.
B – Une approche détachée de la réalite de l’exercice de la compétence d’exécution en matière de produits phytopharmaceutiques
7En l’espèce, l’appréciation du critère de l’affectation directe implique d’appréhender la complexité des rapports entre autorités au sein de l’espace administratif européen. Il est nécessaire de se référer à la fois au droit dérivé de l’Union et au droit constitutionnel belge, qui fondent la répartition des compétences entre les différents niveaux, et la marge d’appréciation, le cas échéant, qui leur est impartie.
8La décision de renouvellement de l’approbation du glyphosate relève de l’exécution du droit de l’Union, le Règlement d’exécution 2017/2324 étant adopté pour exécuter le Règlement 1107/2009 [22]. Si, s’agissant de l’exécution du droit de l’Union, le principe est la compétence nationale [23] et le principe d’administration indirecte, la compétence d’exécution a été ici transférée à la Commission par le Règlement 1107/2009 [24]. Par conséquent, la répartition des compétences entre le niveau européen et le niveau national découle d’abord du droit dérivé de l’Union. Pour comprendre cette répartition, il est important de distinguer ici entre l’autorisation des substances et l’autorisation des produits phytopharmaceutiques qui contiennent ces substances. S’agissant de la première, comme indiqué, en vertu de l’article 78 du Règlement 1107/2009, c’est la Commission qui est compétente, compétence qui s’est donc manifestée par l’adoption du Règlement contesté. S’agissant de la seconde hypothèse, elles sont accordées au niveau national [25]. Logiquement, ces compétences sont largement imbriquées, l’autorisation des produits phytopharmaceutiques au niveau national étant conditionnée par l’autorisation préalable des substances. Comme le requérant est en l’espèce une collectivité infra-étatique, l’analyse des compétences doit se poursuivre en analysant la répartition des compétences au niveau interne. La répartition des compétences entre le niveau central et le niveau fédéré est organisée sur le fondement de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. En vertu de l’article 6, paragraphe 1, point II, premier alinéa, de cette loi, l’entité fédérée est compétente pour réglementer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur son territoire [26]. C’est donc l’autorité fédérale qui procède à l’examen des demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et qui délivre de telles autorisations en Belgique, conformément au Règlement n° 1107/2009. Au vu de l’ensemble de ces normes, la Cour considère que, dans ce cadre, c’est le niveau fédéral qui demeure compétent [27]. De plus, afin de conclure à l’absence d’affectation directe au profit de la Région Bruxelles-Capitale, la Cour estime également que l’intervention d’un acte au niveau de l’Union n’a pas eu pour effet de remettre en cause toute autonomie de la part des autorités nationales compétentes. L’intervention de la Commission n’épuise pas toute marge de manœuvre nationale et régionale. Certes, cette marge de manœuvre est encadrée et conditionnée par le droit de l’UE, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle. En vertu de ce principe, dès lors qu’un produit phytopharmaceutique a été autorisé par un État membre, il peut être commercialisé dans un autre État membre. Toutefois, en vertu de l’article 36 du Règlement 1107/2009, les autorités nationales peuvent refuser d’accorder cette autorisation [28]. Ainsi, le Règlement d’exécution 2017/2324, renouvelant l’approbation de la substance active « glyphosate » et qui fait l’objet du recours en annulation, ne peut être considéré comme affectant directement l’entité fédérée.
9Une telle interprétation s’inscrit certes dans une approche classique de la Cour de justice. Il n’en demeure pas moins qu’elle conduit à ne pas prendre en compte les conditions de l’exercice effectif des pouvoirs au niveau interne. En effet, sur le fondement du droit national, la Région Bruxelles-Capitale demeure compétente pour réglementer l’usage des pesticides sur son territoire, ce qu’elle a fait par l’arrêté du 10 novembre 2016, interdisant l’utilisation de pesticides contenant du glyphosate [29]. En outre, il était souligné que l’entité fédérée était associée, sur le fondement d’une procédure interne, de manière consultative [30]. L’approche de la Cour de justice se fonde sur une approche cloisonnée des compétences, sans prendre en compte la réalité de l’implication d’entités infra-étatiques, telles que la requérante, dans la défense de l’environnement. Or, comme la Commission est compétente pour délivrer les autorisations portant sur les substances, d’autres niveaux ne peuvent se prévaloir d’une telle compétence, et donc ne peuvent pas être affectés directement par un règlement d’autorisation. Pourtant, il est clair que cet acte a un impact direct sur les décisions nationales d’autorisation de produits phytopharmaceutiques en contenant. La grille de lecture de l’appréciation de l’intérêt à agir fondée sur les compétences peut se justifier si l’on considère que l’affectation de la situation juridique d’une collectivité infra-étatique doit être analysée d’abord dans une logique défensive, suivant l’idée selon laquelle le recours juridictionnel exercé par ces entités se limite à une logique constitutionnelle de protection de leurs propres compétences. De plus, c’est une approche essentiellement littérale qui prévaut, puisque, et le cas d’espèce le démontre, l’intervention d’une entité fédérée dans un domaine ne se définit pas exclusivement par référence aux règles de répartition des compétences, qu’elles soient européenne ou interne. Et ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on traite de questions environnementales, qui doivent être intégrées à l’ensemble des politiques publiques. Ainsi, la décision de la Commission n’est pas sans influence sur l’exercice de la sphère de compétences de l’entité fédérée et conditionne clairement son exercice. Ce critère de recevabilité aboutit donc à fermer l’accès au prétoire à des collectivités qui ont agi dans le sens de la protection de l’environnement. Paradoxalement, dans le cas où la Commission aurait refusé de renouveler l’autorisation du glyphosate, l’entité requérante aurait pu être alors considérée comme étant affectée directement, puisque dépossédée de l’exercice d’un aspect de sa compétence. En effet, c’est l’absence de renouvellement de l’autorisation qui aurait eu l’impact le plus radical, empêchant les autorisations nationales ultérieures de produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate. Et donc la collectivité aurait eu accès au juge pour contester une décision en faveur de la protection de l’environnement…
10Appliqué aux collectivités infra-étatiques, le critère de l’affectation directe implique de se référer à la fois à l’articulation des compétences entre le niveau européen et les niveaux nationaux, comme à la marge d’appréciation revenant à chacun. Cette approche oblige à comprendre l’articulation interne. L’appréciation du critère d’affectation directe doit alors être affinée, afin de prendre en compte les interactions entre les niveaux. Il est vrai que, classiquement, l’Union européenne est indifférente à la structure constitutionnelle interne. Pourtant, ici, il serait nécessaire de s’y référer pour appréhender l’ampleur de l’affectation. Le poids accordé à ce critère pour définir l’intérêt à agir constitue un obstacle radical pour la promotion de l’accès à la justice, et à l’intervention du juge en la matière. Cette mise à l’écart, consentie par la Cour elle-même et pour elle-même, semble à rebours des enjeux environnementaux.
II – Une lecture de l’intérêt à agir à rebours de l’ampleur des enjeux environnementaux
11L’appréciation du critère de l’affectation directe tend à traduire les limites d’une approche institutionnelle pour répondre à un enjeu matériel global. La conception retenue de l’intérêt à agir a vocation à filtrer les recours en fonction, in fine, d’intérêt localisé d’un point de vue territorial. Or, une telle approche ne semble pas en adéquation avec l’enjeu environnemental. Il n’apparaît plus pertinent de cantonner les possibilités d’actions contentieuses en matière environnementale à la défense de prérogatives locales, alors que la protection de l’environnement relève de l’intérêt général. L’Avocat général Bobek a indiqué que l’appréciation de l’affectation directe devait faire l’objet d’une « dose de réalisme » [31]. L’approche prétorienne peut permettre cette appréciation dynamique. C’est la finalité du recours juridictionnel face aux enjeux de protection de l’environnement, qui devrait guider la détermination des conditions de l’accès au juge. L’évolution à apporter semble profonde, et doit s’inscrire dans une réflexion, qui va peut-être au-delà de la Convention d’Aarhus, dont l’invocation devant la Cour, dans le cadre des recours directs, demeure toujours sans effet pour conduire à une évolution jurisprudentielle. L’invocation de l’impératif de promotion de la légalité environnementale, ou Rule of Law environnementale, devrait inciter à une conception renouvelée de l’intérêt à agir pour contester les actes de l’Union qui ont un impact sur l’environnement.
A – L’absence de mobilisation possible de la Convention d’Aarhus
12Comme dans de nombreux recours en annulation fondés sur l’article 263 TFUE, depuis deux décennies, la Convention d’Aarhus a été invoquée par les requérants afin de conforter leur intérêt à agir et de tenter d’obtenir une interprétation plus indulgente des conditions de l’intérêt à agir de la part du juge de l’Union [32]. Cette invocation, en l’espèce, a, une fois de plus, été vaine, la Cour réitérant sa jurisprudence classique selon laquelle l’article 9 de la Convention n’est pas d’effet direct, et ne crée pas une obligation d’interprétation conforme [33], pourtant opposée aux juridictions nationales [34]. Néanmoins, l’espèce présentait ici une spécificité. Outre la question de l’effet direct, c’était d’abord celle de l’applicabilité de la Convention qui posait difficulté. En effet, selon l’article 2 de la Convention, le public, dont les membres doivent bénéficier d’un accès facilité au juge, désigne « une ou plusieurs personnes physiques ou morales et, conformément à la législation ou à la coutume du pays, les associations, organisations ou groupes constitués par ces personnes. ». Les collectivités infra-étatiques ne relèvent donc pas du champ d’application personnel de la Convention. Elles ne sont visées que dans la définition de son champ d’application organique, qui inclut notamment « l’administration publique à l’échelon national ou régional ou à un autre niveau », relevant de la notion d’« autorité publique » [35]. Ainsi, si les entités fédérées ou autres collectivités infra-étatiques sont visées par la Convention, ce n’est pas en tant que bénéficiaires de la protection conventionnelle, mais en tant que débitrices des obligations découlant de la Convention.
13Il était difficilement envisageable de retenir ici une interprétation extensive du champ d’application personnel de la Convention. En dépit d’une notion large en apparence, la notion de public, au sens de la Convention d’Aarhus comprend les personnes privées, physiques ou morales, et les ONG [36], en tant qu’acteurs essentiels de la protection de l’environnement [37]. Si des personnes privées peuvent relever à la fois du public et de la catégorie d’autorité publique [38], l’inverse n’est pas vrai. La notion de « public » a été dessinée en vue de combler ou d’effacer les obstacles qui pouvaient exister pour identifier l’intérêt à agir de ces acteurs particuliers. À cet égard, les collectivités infra-étatiques peuvent difficilement être regardées comme des membres du public, sauf à en avoir une acception très large. De plus, il existe une hostilité à étendre de manière inconsidérée la catégorie du public, il y aurait un risque de détournement de l’esprit de la Convention d’Aarhus par des requérants qui bénéficieraient de ce large accès au juge, dans un but contraire à la protection de l’environnement. Comme on ne peut sonder les reins et les cœurs, il est difficile de déceler les intentions des requérants, sans virer dans les clichés et les préjugés excessifs. Plus globalement, il paraît peu envisageable de mobiliser la Convention d’Aarhus afin de garantir des droits au profit des collectivités publiques, dans la mesure où, théoriquement, il ne tiendrait qu’à la puissance publique elle-même de s’accorder de telles garanties [39]. Ce constat peut aussi être fait dans le cadre de l’ordre juridique de l’Union européenne, la modification des termes de l’article 263 TFUE étant entre les mains des Maîtres du Traité [40].
14La Convention d’Aarhus n’a donc pas été dessinée de façon à voir les collectivités infra-étatiques autrement que comme des débitrices des garanties offertes par la Convention. Une lecture dynamique de la Convention pourrait toutefois être envisageable, afin de leur faire une place parmi les membres du public, qui peuvent être porteurs de recours visant à renforcer la protection de l’environnement et l’effectivité du droit de l’environnement. En effet, le contexte du contentieux environnemental a évolué depuis une dizaine d’années. Sous l’influence de la montée en puissance des enjeux de lutte contre le changement climatique, les requérants qui ont porté des actions au sein des prétoires se sont diversifiés, dépassant la démarcation classique entre individus et ONG [41]. Dans le cadre de tels litiges, ou sur des questions relativement proches, des actions ont été portées par des collectivités infra-étatiques, notamment des villes, à l’encontre de l’État [42]. Ainsi, les collectivités locales tendent à jouer un rôle croissant dans la pratique contentieuse afin de rappeler les autorités publiques responsables à leurs obligations et leur responsabilité, s’inscrivant dans la logique de la Convention d’Aarhus [43]. Elles peuvent ainsi contribuer à l’effectivité du droit de l’environnement, car ces actions contentieuses dépassent le plus souvent le seul enjeu constitutionnel de répartition des compétences, et comportent une dimension d’intérêt général.
15Les collectivités infra-étatiques ne sont donc pas des membres du public, dont l’accès à la justice est garanti sur le fondement de la Convention d’Aarhus. Toutefois, le type d’actions portées par ces acteurs revêt un réel intérêt dans l’optique du renforcement de l’effectivité de la protection de l’environnement. Les limites de leur accès au prétoire deviennent alors largement discutables, tant l’argument de la promotion de la Rule of Law environnementale devrait l’emporter.
B – L’impératif d’une définition de l’intérêt à agir en cohérence avec la promotion de la légalité environnementale
16Le concept de légalité environnementale, connu également sous son appellation anglaise d’Environmental Rule of Law [44], n’est pas nouveau. Il fait référence à la promotion du droit de l’environnement et à l’importance d’assurer le respect de l’ensemble des normes imposées aux acteurs publics et privés qui ont pour finalité la protection de l’environnement. Le juge est un acteur essentiel pour assurer le respect de la Rule of Law environnementale, idée qui a présidé à l’adoption de la Convention d’Aarhus [45]. C’est pourquoi les difficultés persistantes d’accès direct au juge de l’Union sont contestables par rapport à la promotion de l’État de droit, lequel, au contraire, invite à assurer l’accès le plus large au juge.
17Dans la conception du contentieux de l’Union européenne, c’est l’approche subjective qui tend à prévaloir, en dépit du fait que la construction du recours en annulation ait été inspirée du contentieux administratif français. Cette approche, protectrice des droits individuels, tend à fonder le droit au recours sur le droit à une protection juridictionnelle effective, garantie à tout individu, afin de préserver les droits découlant de l’ordre juridique de l’Union [46]. Cette conception n’est pas suffisante pour garantir un recours effectif direct devant le juge de l’Union, comme le montre le cas d’espèce, et n’est pas en conformité avec les exigences de la Convention d’Aarhus [47]. Néanmoins, elle justifie l’approche de la Cour de justice, développée dans l’arrêt UPA, fondée sur la systémique des voies de recours. Selon la Cour, le droit à une protection juridictionnelle effective est garanti dès lors que l’individu a accès à un juge, et donc au moins au juge national, pour contester la légalité de la norme de l’Union, indirectement via le renvoi préjudiciel en validité le cas échéant [48]. Les limites de cette approche sont connues, en ce qu’elle tend à obliger parfois les individus à se mettre en situation de violation du droit de l’Union ou du droit national, pour avoir accès au juge national. C’est le cas, comme potentiellement en l’espèce, lorsque l’acte de l’Union contesté n’implique pas l’adoption de mesures d’exécution, européenne ou nationale. Cette conception subjective justifie donc l’approche restrictive de l’intérêt à agir dans le prétoire européen, laquelle, en théorie, n’affecte pas le droit à une protection juridictionnelle effective. À l’évidence, elle est inadéquate en matière environnementale, tant les enjeux de la protection de l’environnement ne se résument ni se limitent à un enjeu de protection de droits ou de prérogatives, telles que des compétences, dans le cas des collectivités infra-étatiques. Il s’agit d’abord d’un intérêt à défendre, intérêt qui relève de l’intérêt général, et donc du principe de légalité. Or, la définition de l’intérêt à agir apparaît finalement étroitement reliée à la place du juge à l’égard des intérêts environnementaux. Le juge n’est pas cantonné à un rôle, néanmoins primordial, de protection des droits individuels, il est aussi garant de l’intérêt général. Le cas d’espèce démontre précisément la pertinence de l’intervention du juge pour assurer la légalité environnementale. Les questions posées qui soutenaient le fond du recours étaient pertinentes, et conduisaient notamment à interroger la cohérence de l’action des autorités européennes [49].
18Les craintes traditionnellement formulées à l’égard d’une appréciation trop souple de l’intérêt à agir, spécialement devant la Cour de justice, peuvent être de deux ordres. D’une part, le risque de voir le juge, saisi trop régulièrement, virer vers un rôle politique. D’emblée, il faut relever que le développement de l’arsenal des principes juridiques au niveau de l’Union européenne permet de ne pas tomber dans ce mythe du juge qui s’immiscerait trop souvent dans les choix de politiques publiques. Au contraire, s’assurer que le Règlement d’exécution 2017/2324 respecte la légalité environnementale européenne très approfondie ne peut aller que dans le sens de la promotion de l’État de droit et ce, en conformité avec les objectifs de l’Union et la mission de la Cour de justice [50]. D’autre part, l’argument avancé le plus souvent est celui du risque d’engorgement du prétoire, spécialement en matière d’environnement [51]. Généralement, le juge est prudent à l’égard d’une conception trop souple de l’intérêt à agir en matière environnementale, y compris dans le système français, pourtant présenté comme très ouvert en termes d’accès au juge administratif [52]. Les systèmes dans lesquels une actio popularis a été introduite ne semblent pourtant pas faire état de telles difficultés [53]. Néanmoins, le degré d’ouverture du recours est un point délicat. Parfois l’invocation de principes et de normes protecteurs de l’environnement peuvent aboutir à un effet contre-productif pour la protection de l’environnement, notamment en neutralisant la possibilité de recours ultérieurs. La multiplication des recours n’est donc pas une garantie absolue d’une effectivité renforcée de la protection de l’environnement [54]. Pour faire face au risque d’engorgement, il pourrait alors être pertinent de réfléchir aux voies pour filtrer les recours, qui permettraient de procéder à une première appréciation du bien-fondé du recours. En outre, un accès facilité au juge de l’Union, dans le cadre des recours directs, permettrait également de satisfaire à l’exigence de sécurité juridique. En effet, au vu des conséquences d’une déclaration d’invalidité prononcée dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en validité, qui aboutissent le plus souvent à la disparition rétroactive de l’acte [55], il apparaît nettement préférable qu’un acte illégal qui intervient en matière environnementale soit mis à l’écart rapidement, et ce d’autant plus qu’il peut être à l’origine de dommages irréversibles pour l’environnement.
19Alors même que l’issue du recours exercé dans cette affaire pouvait apparaître certaine, au vu de la jurisprudence classique de la Cour de justice, en ce qu’elle a confirmé l’irrecevabilité du recours en annulation formé par la Région Bruxelles-Capitale, l’arrêt démontre une nouvelle fois l’inadéquation de l’appréciation de l’intérêt à agir dans le cadre du recours en annulation en matière environnementale. L’implication croissante de nouveaux acteurs dans le champ contentieux éprouve le schéma classique de l’accès au juge. Certes, à la différence des requérants individuels, les collectivités infra-étatiques peuvent avoir accès peut-être plus facilement au prétoire du juge de l’Union, mais l’appréciation du critère de l’affectation directe demeure une étape ardue à franchir. Il devient nécessaire de renouveler le cadre de lecture des critères de l’intérêt à agir. Le fondement de la protection juridictionnelle effective a prouvé tout son intérêt pour la garantie des droits individuels, mais il montre ses limites en matière environnementale. Les collectivités infra-étatiques ne sont sans doute pas des requérants comme les autres, ce qui peut justifier d’apprécier spécifiquement leur intérêt à agir. Toutefois, elles peuvent, à l’instar des autres requérants, avoir un intérêt à la protection de l’environnement, et à œuvrer en ce sens, non seulement par l’adoption de normes locales mais aussi d’un point de vue contentieux. De telles actions devraient faire l’objet d’un préjugé positif, tant elles peuvent aussi contribuer à l’effectivité du droit de l’environnement, plutôt qu’à un encombrement inutile du prétoire. Surtout, elles confortent le rôle fondamental du juge en tant que garant de la légalité environnementale, qui apparaît comme l’ultime recours. Le juge devient un acteur central de la protection de l’environnement, pourquoi pas la Cour de Justice ?
Date de mise en ligne : 02/07/2021
Notes
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[1]
Décision 2005/370/CE du Conseil du 17 février 2005 relative à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO L 124 du 17 mai 2005, p. 1-3).
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[2]
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Le pacte vert pour l’Europe, COM/2019/640 final.
-
[3]
Eric Carpano (dir.), Le revirement de jurisprudence en droit européen et droit comparé, Bruylant, 2012.
-
[4]
V. notamment Nicolas de Sadeleer et Charles Poncelet, « La contestation des actes des institutions de l’Union à incidences environnementales à l’épreuve de la Convention d’Aarhus », RTD. eur., 2014, p. 7-34 ; Hendrik Schoukens, « Access to Justice in Environmental Cases after the Rulings of the Court of Justice of 13 January 2015: Kafka Revisited? », Utrecht Journal of International and European Law, 31(81), 2015, p. 46–67.
-
[5]
Matthijs van Wolferen et Mariolina Eliantonio, « Access to Justice in Environmental Matters: The EU’s Difficult Road Towards Non-Compliance With the Aarhus Convention », in M. Peeters & M. Eliantonio (Eds.), Research Handbook on EU Environmental Law, Edward Elgar, p. 148-163.
-
[6]
TPI, 3 mai 2002, Jégo-Quéré & Cie SA c. Commission européenne, T-177/01, Rec. p. II-2365.
-
[7]
CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores (UPA) c. Conseil de l’Union européenne, C-50/00 P, Rec. p. I-6677.
-
[8]
Conclusions de l’Avocat général Jacobs, présentées le 21 mars 2002, sous CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil de l’Union européenne, C-50/00 P, Rec. p. I-6677.
-
[9]
Il faut préciser toutefois qu’en l’espèce le Tribunal avait déjà conclu à l’irrecevabilité (Trib. UE, ord., 28 février 2019, T-178/18).
-
[10]
Règlement d’exécution (UE) 2017/2324 de la Commission, du 12 décembre 2017, renouvelant l’approbation de la substance active « glyphosate », conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et modifiant l’annexe du règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 de la Commission C/2017/8419 (JO L 333 du 15 décembre 2017, p. 10-16).
-
[11]
« Pesticides : l’UE doit-elle interdire le glyphosate ? », disponible sur https://www.touteleurope.eu/societe/pesticides-l-ue-doit-elle-interdire-le-glyphosate/.
-
[12]
CJCE, 2 avril 1998, Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a. c. Commission, C-321/95 P, Rec. p. I-1651 ; TPI, 2 juin 2008, WWF-UK c. Commission, T-91/07 ; plus récemment CJUE, 14 janvier 2021, Peter Sabo e. a. c. Parlement et Conseil, C-297/20 P.
-
[13]
CJCE, 5 juillet 1963, Plaumann c. Commission, 25/62, Rec. p. 197.
-
[14]
Estelle Brosset et Eve Truilhé-Marengo, « L’accès au juge dans le domaine de l’environnement : le hiatus du droit de l’Union européenne », RDLF 2018, chron. n° 7, disponible sur : http://www.revuedlf.com/droit-ue/lacces-au-juge-dans-le-domaine-de-lenvironnement-le-hiatus-du-droit-de-lunion-europeenne/.
-
[15]
Conclusions de l’Avocat général Bobek rendues sous l’arrêt CJUE, 3 décembre 2020, Région de Bruxelles-Capitale c. Commission, C-352/19 P, 16 juillet 2020, point 57.
-
[16]
CJCE, 5 mai 1998, Glencore Grain c. Commission, C-404/96 P, Rec. p. I-2435.
-
[17]
CJUE, 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori et autres c. Commission, C-622/16 P à C-624/16 P ; TPI, 24 mars 1994, Air France c. Commission, T-3/93, Rec. p. II-121.
-
[18]
Trib. UE, 30 avril 2015, Hitachi Chemical Europe e.a. c. ECHA, T-135/13.
-
[19]
TPI, 30 avril 1998, Vlaamse Gewest c. Commission, T-214/95, Rec. p. II-717.
-
[20]
Trib. UE, 13 décembre 2018, Ville de Paris, Ville de Bruxelles et Ayuntamiento de Madrid c. Commission, Aff. jtes T-339/16, T-352/16 et T-391/16, point 50.
-
[21]
Le critère « Vlaams Gewest » est alors le seul critère mobilisé pour apprécier l’intérêt à agir d’une collectivité infra-étatique, se substituant aux critères cumulatifs classiques applicables aux requérants individuels, à savoir l’affectation individuelle et l’affectation directe.
-
[22]
Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO L 309 du 24 novembre 2009, p. 1-50).
-
[23]
Art. 291 TFUE.
-
[24]
Art. 78 du Règlement n° 1107/2009 notamment.
-
[25]
Art. 28 et s. du Règlement n° 1107/2009.
-
[26]
En vertu de cette disposition, l’autorité fédérale est compétente pour « l’établissement des normes de produits ».
-
[27]
Point 41 de l’arrêt.
-
[28]
Art. 36 §3 du Règlement 1107/2009 : « Lorsque la mise en place de mesures nationales d’atténuation des risques visées au premier alinéa ne permettent pas de répondre aux préoccupations d’un État membre liées à la santé humaine ou animale ou à l’environnement, un État membre peut refuser l’autorisation du produit phytopharmaceutique sur son territoire si, en raison de ses caractéristiques environnementales ou agricoles particulières, il est fondé à considérer que le produit en question présente toujours un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale ou l’environnement. ».
-
[29]
L’article 1er de l’arrêté énonce que « [l]’utilisation de tout pesticide contenant du glyphosate sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale est interdite ». Cet arrêté avait été pris sur le fondement de l’article 1er, troisième alinéa, de l’ordonnance du 20 juin 2013, qui prévoyait que l’entité fédérée « peut déterminer les pesticides dont l’utilisation est interdite en raison des risques qu’ils représentent pour la santé humaine ou pour l’environnement ».
-
[30]
Selon l’article 6, paragraphe 4, [premier alinéa], de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, les régions sont toutefois associées à l’exercice de cette compétence.
-
[31]
Point 53 des conclusions, préc.
-
[32]
Estelle Brosset et Eve Truilhé-Marengo, op. cit.
-
[33]
Point 26 de l’arrêt.
-
[34]
CJUE, 12 mai 2011, Trianel, C-115/09, Rec. p. I-3673 ; CJCE, 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening, C-263/08, Rec. p. I-99/67 ; CJUE, 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie, C-240/09, Rec. p. 1255
-
[35]
Art. 2.2 de la Convention d’Aarhus.
-
[36]
V. Convention d’Aarhus – Guide d’application, 2000.
-
[37]
Préambule de la Convention d’Aarhus : « Reconnaissant en outre le rôle important que les citoyens, les organisations non gouvernementales et le secteur privé peuvent jouer dans le domaine de la protection de l’environnement ; ».
-
[38]
Art. 2.2 b) et c) de la Convention d’Aarhus.
-
[39]
Point 124 des Conclusions, préc. : « Ainsi, bien qu’il ne fasse aucun doute que les auteurs de la convention d’Aarhus avaient effectivement en vue la participation la plus large dans le processus décisionnel environnemental et dans l’accès à la justice dans les matières environnementales, je ne pense pas qu’ils envisageaient aussi dans cet objectif que les autorités publiques se fassent des procès les unes aux autres ou même à elles-mêmes. ».
-
[40]
CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil de l’Union européenne, préc., point 45 : « Si un système de contrôle de la légalité des actes communautaires de portée générale autre que celui mis en place par le traité originaire et jamais modifié dans ses principes est certes envisageable, il appartient, le cas échéant, aux États membres, conformément à l’article 48 UE, de réformer le système actuellement en vigueur. ».
-
[41]
Marta Torre-Schaub (dir.), Les dynamiques du contentieux climatique, Rapport final de recherche, 2019, disponible : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2020/01/17.05-RF-contentieux-climatiques.pdf.
-
[42]
Ivano Alogna, Eleanor Clifford, Climate Change Litigation: Comparative and International Perspectives, British Institute of International and Comparative Law, 2021, disponible sur https://www.biicl.org/documents/88_climate_change_litigation_comparative_and_international_report.pdf ; v. notamment CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n° 427301.
-
[43]
Préambule de la Convention d’Aarhus : « (…) Cherchant par là à favoriser le respect du principe de l’obligation redditionnelle et la transparence du processus décisionnel (…) ».
-
[44]
UN Report, Environmental Rule of Law – First Global Report, UNEP, 2019.
-
[45]
Jonas Ebbesson, « L’accès à la justice en matière d’environnement en droit international : pourquoi et comment ? », in Julien Bétaille (dir.), Le droit d’accès à la justice en matière d’environnement, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, p. 64 ; Jerzy Jendroska, « Accès à la justice : remarques sur le statut juridique et le champ des obligations de la convention d’Aarhus dans le contexte de l’Union Européenne », RJE numéro spécial 2009.
-
[46]
Article 47 de la Charte des droits fondamentaux ; CJCE 13 mars 2007, Unibet (London) Ltd and Unibet (International) Ltd c/ Justitiekanslern, C-432/05, Rec. I-2271.
-
[47]
Julien Bétaille, « Accès à la justice de l’Union européenne, le Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus s’immisce dans le dialogue des juges européens : à propos de la décision n° ACCC/C/2008/32 du 14 avril 2011 », RJE, 2011, p. 547-562. V. pour une nouvelle constatation du manquement de l’Union européenne : Commission économique des Nations Unies pour l’Europe, Findings and recommendations of the Compliance committee with regard to communication ACC/C/2008/32 (Part II) concerning compliance by the European Union, 17 mars 2017.
-
[48]
CJCE, 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil de l’Union européenne, préc., point 40.
-
[49]
Point 26 des conclusions, préc.
-
[50]
Article 19 TUE.
-
[51]
Conclusions de l’Avocat général Cosmas présentées le 23 septembre 1997 sous CJCE, 2 avril 1998, Stichting Greenpeace Council (Greenpeace International) e.a. c. Commission, préc., point 117 : l’assouplissement des conditions de recevabilité au profit des associations « peut être utilisé de façon abusive et conduire à des résultats extrêmes. Les personnes physiques qui n’ont pas qualité pour agir au titre de l’article 173, quatrième alinéa, du traité pourront contourner cet obstacle procédural en constituant une organisation pour la protection de l’environnement. De plus, alors que le nombre de personnes physiques, c’est-à-dire de citoyens de l’Union européenne, aussi élevé qu’il puisse être, demeure toutefois limité, le nombre d’associations pour la protection de l’environnement susceptibles d’être créées est, théoriquement du moins, infini ».
-
[52]
CE, 23 octobre 2015, Janin, n° 392550.
-
[53]
Alexandra Aragao, Ana Celeste Carvalho, « Taking access to justice seriously: diffuse interest and actio popularis. Why not? », ELNI, 2/2017, p. 42-48 ; François-Guy Trébulle, « Synthèse », in Julien Bétaille (dir.), Le droit d’accès à la justice en matière d’environnement, op. cit. ; Carol Harlow, « Public Law and Popular Justice », (2002) 65 MLR 1.
-
[54]
Romain Melot, Hai Vu Pham, « Protection de l’environnement et stratégies contentieuses. Une étude du recours à la justice administrative », Droit et société, 2012/3 (n° 82), p. 621-641.
-
[55]
CJCE, 24 avril 1994, Roquette Frères, C-228/92, Rec. I-1445. V. Laurent Coutron, Droit de l’Union européenne, Dalloz, 2015, p. 181 et s.