Notes
-
[1]
M. Prieur, « Pas de caribous au Palais-Royal », RJE, 2/1985, p. 137. Le professeur Prieur répondait dans cet article à une interview donnée au journal Le Monde par le vice-président Pierre Nicolaÿ, dans laquelle celui-ci illustrait la difficulté à concilier politique énergétique et protection de l’environnement par un exemple tiré de la construction d’un pipeline en Alaska.
-
[2]
CE, 17 décembre 2020, Ligue de protection des oiseaux, n° 433432, aux Tables du Recueil.
-
[3]
CE, 8 juillet 2020, Association de défense des ressources marines, n° 428271, aux tables du Recueil.
-
[4]
CE, 4 février 2021, Association Ferus-Ours, Loup, Lynx et autres, n° 434058.
-
[5]
Voir respectivement CE, 3 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395 aux tables du Recueil ; CE, 3 juillet 2020, SPL Territoire 25, n° 430585 ; CE, 24 juillet 2019, Société PCE et autre, n° 414353, aux tables du Recueil.
-
[6]
CE, 3 juin 2020, Association des amis du banc d’Arguin du Bassin d’Arcachon, n° 414018, aux tables du Recueil.
1La juridiction administrative a récemment connu d’affaires au large retentissement médiatique, relatives à la pollution de l’air et au changement climatique. Les décisions rendues par le Conseil d’État et le Tribunal administratif de Paris et les avancées qu’elles ont permises ont trouvé un large écho, tant dans la presse généraliste que spécialisée.
2La protection de la biodiversité est l’autre grande affaire environnementale du siècle. Le rapport d’évaluation de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques de 2019, fruit de la réflexion de 145 experts provenant de 50 pays pendant trois ans, conclut ainsi à un taux global d’extinction des espèces sans précédent. Tous les indicateurs pointent vers un constat similaire au niveau européen et national, qu’il s’agisse de la biodiversité commune ou des espèces protégées (L. Abadie, « L’effondrement de la biodiversité. Jusqu’où ? », RJE, 2018, p. 455).
3Il y a de cela vingt-cinq ans, sans avoir ni totalement raison, ni entièrement tort, le professeur Prieur signait dans ces colonnes une tribune au titre saisissant : « Pas de caribous au Palais-Royal » [1]. Les caribous n’ont depuis lors pas fait leur apparition dans les jardins du Palais-Royal, mais il est certain que le droit de la biodiversité trouve une place de choix dans les prétoires de la juridiction administrative. Et c’est une ligne exigeante qui se dégage de la jurisprudence récente en cette matière.
4C’est dans le cadre du contentieux des espèces que le juge administratif est le plus souvent conduit à intervenir. On voudrait en donner ici cinq exemples récents.
5Le premier exemple est tiré de la chasse d’espèces en mauvais état de conservation. Saisi d’un arrêté autorisant le prélèvement de 6 000 courlis cendrés, le Conseil d’État a insisté sur l’importance de disposer d’une assise scientifique suffisante pour autoriser de tels prélèvements : les données scientifiques disponibles sur l’espèce et sa conservation doivent en effet permettre de s’assurer que sa chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l’espèce, faute de quoi il appartient au ministre compétent de la suspendre [2]. Cette approche est d’autant plus pertinente que, désormais, la loi pose le principe de gestion adaptative, qui consiste « à ajuster régulièrement les prélèvements de ces espèces en fonction de l’état de conservation de leur population et de leur habitat, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques relatives à ces populations ». Ce n’est donc qu’en se fondant sur un processus d’amélioration continue des connaissances relatives aux espèces que de tels prélèvements pourront être, le cas échéant, autorisés.
6Le deuxième exemple est relatif aux risques que peut faire naître le prélèvement d’individus d’espèces communes. Était en cause en l’espèce le risque d’effondrement brutal dans le Golfe de Gascogne d’un poisson, le maigre, compte tenu du seuil de capture fixé, risque incertain dans sa réalité et sa portée en l’état des connaissances scientifiques. Après avoir constaté qu’aucune des études préconisées plusieurs années auparavant par un organisme spécialisé n’avaient été réalisées et aucune protection spécifique mise en œuvre, il a été jugé qu’en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale de capture à la lumière de ces éléments alors qu’aucune autre mesure adaptée n’était prise, le ministre avait méconnu les obligations découlant du principe de précaution [3].
7Le troisième exemple est relatif à la nécessaire et délicate conciliation entre la préservation d’espèces protégées et la lutte contre les dommages causés par ces espèces. Deux mammifères, le loup et l’ours, sont particulièrement concernés. Le premier nommé est dans un état de conservation favorable, mais tel n’est pas le cas du second, la population n’ayant pas encore atteint le seuil de viabilité. Pour lutter contre les dégâts allégués causés par les ours, il a alors été décidé d’une stratégie expérimentale d’effarouchement. Le Conseil d’État, saisi de celle-ci, a admis la possibilité d’un effarouchement simple, par le biais de dispositifs sonores et lumineux, mais a jugé que le dispositif d’effarouchement renforcé, c’est-à-dire par tirs non létaux, n’était en l’état pas possible. Celui-ci était en effet susceptible de blesser les animaux, son champ d’application était étendu sans exclure, par exemple, les femelles en gestation et suitées et, enfin, ces mesures étaient susceptibles d’être mises en œuvre par des chasseurs ou les bergers titulaires de permis de chasse sans accompagnement d’agents assermentés. Les dispositions en cause ne permettaient donc pas de s’assurer, eu égard aux effets d’un tel effarouchement sur l’espèce, que les dérogations susceptibles d’être accordées sur ce fondement par le préfet ne portaient pas atteinte au maintien des populations dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettaient pas l’amélioration de l’état de l’espèce [4].
8Le quatrième exemple concerne la conciliation entre la protection des espèces protégées et les activités et travaux d’aménagement. La juridiction administrative a ainsi rendu plusieurs décisions pour préciser ce qu’il convient d’entendre par la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur », laquelle peut permettre de déroger à l’interdiction de destruction et de dérangement des espèces protégées. La jurisprudence est exigeante quant à cette condition : l’existence d’une telle raison a, par exemple, été regardée comme établie dans le cas d’une carrière de marbre blanc dont le gisement est unique en Europe ou pour la construction d’un éco-quartier visant à répondre, tout en limitant l’étalement urbain, à des besoins en logements. En revanche, cette condition n’a pas été regardée comme remplie en ce qui concerne la construction d’un centre commercial en périphérie d’une grande agglomération, et ce, en dépit de la circonstance qu’il aurait pu permettre la création de plus de 1 500 emplois [5]. Le Conseil d’État sera prochainement conduit à examiner des hypothèses dans lesquelles la conciliation est d’autant plus délicate que les projets d’aménagement poursuivent également une vocation de développement durable, par exemple des projets d’éoliennes ou de barrages hydroélectriques.
9Enfin, le dernier exemple est tiré du contentieux des aires protégées, dont la raison d’être est la protection de la riche biodiversité qu’elles abritent. Ce contentieux n’est pas d’une grande fréquence, mais il est représentatif de l’acculturation du juge administratif aux concepts écologiques. L’affaire du banc d’Arguin l’illustre [6]. Les travaux scientifiques ont en effet mis en évidence les liens renforcés qui existent entre les réservoirs de biodiversité et d’autres zones qui leur sont fonctionnellement rattachées, notamment les zones dites d’extension, de déplacement des espèces pour des motifs divers, ainsi que les zones tampons, protégeant les réservoirs de biodiversité des processus dommageables liés à la présence d’activités en dehors du réseau. La nécessité de protéger un continuum écologique a conduit le Conseil d’État à considérer que le périmètre d’une réserve naturelle concerne bien entendu les zones abritant ces espèces, mais également « les zones qui contribuent directement à la sauvegarde de ces parties du territoire, en particulier lorsqu’elles en constituent, d’un point de vue écologique, une extension nécessaire ou qu’elles jouent un rôle de transition entre la zone la plus riche en biodiversité et le reste du territoire ».
10Des exemples ne font certes pas une règle et l’acculturation du juge administratif aux enjeux environnementaux est sans doute encore à parfaire, mais ces affaires récentes illustrent qu’il a déjà avancé dans cette voie. La protection de la biodiversité est bien installée dans le prétoire et les décisions de la juridiction administrative.
Date de mise en ligne : 02/07/2021
Notes
-
[1]
M. Prieur, « Pas de caribous au Palais-Royal », RJE, 2/1985, p. 137. Le professeur Prieur répondait dans cet article à une interview donnée au journal Le Monde par le vice-président Pierre Nicolaÿ, dans laquelle celui-ci illustrait la difficulté à concilier politique énergétique et protection de l’environnement par un exemple tiré de la construction d’un pipeline en Alaska.
-
[2]
CE, 17 décembre 2020, Ligue de protection des oiseaux, n° 433432, aux Tables du Recueil.
-
[3]
CE, 8 juillet 2020, Association de défense des ressources marines, n° 428271, aux tables du Recueil.
-
[4]
CE, 4 février 2021, Association Ferus-Ours, Loup, Lynx et autres, n° 434058.
-
[5]
Voir respectivement CE, 3 juin 2020, Société La Provençale, n° 425395 aux tables du Recueil ; CE, 3 juillet 2020, SPL Territoire 25, n° 430585 ; CE, 24 juillet 2019, Société PCE et autre, n° 414353, aux tables du Recueil.
-
[6]
CE, 3 juin 2020, Association des amis du banc d’Arguin du Bassin d’Arcachon, n° 414018, aux tables du Recueil.