Notes
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[1]
CE, 15 avril 2021, Association France Nature Environnement, n° 425424.
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[2]
V. sur ce point les conclusions du Rapporteur public Stéphane Hoynck : « Etymologiquement, la nomenclature renvoie à l’idée de nommer les choses, idéalement sans mal le faire pour ne pas ajouter au malheur du monde, pour paraphraser Camus ». Conclusions disponibles sur Ariane (https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/arianeweb).
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[3]
V. « Le seuil en droit de l’environnement », in D’urbanisme et d’environnement, Liber amicorum Francis Haumont, Bruylant, 2015, p. 695.
-
[4]
Francis Caballero, Essai sur la notion juridique de nuisance, LGDJ, 1981, p. 79.
-
[5]
Mise en demeure du 7 mars 2019 : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_19_1472
-
[6]
Voir les critères mentionnés à l’annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, JOUE n° L 26 du 28 janvier 2012. V. CJUE, 20 novembre 2008, Commission c/ Irlande, C-66/06, §64 ; 15 octobre 2009, Commission c/ Pays-Bas, C-255/08, §32-39 ; 24 mars 2011, Commission c/Belgique, C-435/09, §50 et s., affaires citées par le Rapporteur public, conclusions précitées.
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[7]
Décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale, JO du 5 juin 2018.
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[8]
V. notamment « Installations classées pour la protection de l’environnement : que disent les « chiffres-clefs » ? », RJE 2/2019, p. 223 ; « Lubrizol brûle. Et nous regardons ailleurs », RJE 4/2019, p. 661.
1Le 15 avril 2021, le Conseil d’État a rendu un arrêt [1] qui sera sans doute largement commenté. Tel n’est pas l’objet de ces propos, qui se contenteront de rendre compte des principaux apports de la décision. C’est ainsi le mécanisme de l’évaluation environnementale « à la française » qui semble largement remis en cause par la Haute juridiction et, partant, le processus de participation du public susceptible d’en découler. Instrument central de la prévention des atteintes à l’environnement, l’étude d’impact des projets repose en France sur un système de nomenclature dont l’avantage, comme son étymologie l’indique (nomen « nom » et classis « classe ») est de répertorier le plus précisément possible les projets soumis à évaluation environnementale soit de manière systématique, soit à l’issue d’un examen au cas par cas [2]. Héritier du décret 77-1141 sans que soit repensée sa conception après l’avènement de la directive 85/377/CE, le tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement contient ainsi 48 rubriques et se compose de plusieurs colonnes, permettant de fixer le régime de l’évaluation applicable, en fonction de critères (comme la nature d’un équipement) ou de seuils (souvent chiffrés). Comme nous l’avions expliqué ailleurs [3], le droit de l’environnement repose largement sur de tels seuils, dont l’avantage est a priori l’objectivité (superficie, volume, puissance …) mais dont l’inconvénient majeur est de dispenser, pour le sujet qui nous intéresse ici, un grand nombre de projets de l’obligation de réaliser une évaluation environnementale. Il suffit en effet qu’un projet se situe en-dessous du seuil fixé par la nomenclature pour qu’il échappe au processus d’évaluation. Là où le seuil chiffré peut présenter l’avantage de la simplicité, de la sécurité juridique et de la lisibilité, il perd toute cohérence d’un point de vue écologique, la réalité des impacts sur l’environnement ne pouvant par exemple justifier que l’assèchement d’une zone humide de 10 000 m2 soit potentiellement soumis à étude d’impact (à l’issue d’un examen au cas par cas) tandis que le même assèchement portant sur 9 990 m2 en soit dispensé. L’automaticité du seuil peut être, en outre, toute relative. « Dans la frange d’incertitude laissée par la science, des considérations totalement étrangères aux impératifs écologiques entrent en ligne de compte (…) » [4], qu’elles soient technologiques, politiques ou économiques. Chaque modification de la nomenclature (par exemple celle relative aux installations classées) témoigne, depuis plusieurs années, de la volonté de soustraire un certain nombre d’exploitations d’un régime juridique qui prévoit une étude d’impact, à savoir l’autorisation environnementale.
2C’est la raison pour laquelle la Commission européenne a demandé à la France, dès 2019, d’améliorer ses règles relatives à l’évaluation environnementale des projets [5]. À cet égard, la jurisprudence de la Cour de Justice exige qu’une évaluation soit conduite chaque fois qu’un projet est susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement, condamnant par exemple les États dont les seuils ne prendraient en compte que la dimension des projets, sans considération d’autres critères (tels que la vulnérabilité de la zone, la conception d’ensemble du projet, la réversibilité des atteintes, les effets cumulés du projet avec d’autres installations…) [6].
3La promulgation du décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 [7] a été l’occasion pour France Nature Environnement de contester ces lacunes, notamment s’agissant de la rubrique 44 de la nomenclature relative aux équipements sportifs ou de loisirs. La demande d’annulation du décret était également fondée sur le fait qu’il n’introduit pas en droit français un mécanisme dit de « clause filet » ayant pour effet de soumettre à évaluation environnementale les projets ayant une incidence sur l’environnement mais ne figurant pas dans la nomenclature. Enfin, France Nature Environnement demandait l’annulation du refus implicite du ministre de la Transition écologique de modifier le décret pour y apporter les modifications nécessaires.
4La réponse du Conseil d’État est, sur ces trois éléments, sans appel. « En vertu des seuils fixés au d) de la rubrique 44 du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement (…), la construction d’équipements sportifs ou de loisirs (…) susceptibles d’accueillir un nombre de personnes égal ou inférieur à 1 000 est exemptée systématiquement de toute évaluation environnementale (…). Ainsi, en ce qu’il exempte de toute évaluation environnementale ces projets à raison seulement de leur dimension, alors que, eu égard notamment à leur localisation, ces projets peuvent avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine, le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive du 13 décembre 2011 ». Au-delà de cette rubrique, c’est ensuite la logique même des seuils qui se trouve ébranlée par la décision du juge. En effet, « il ressort du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement que les seuils en-deçà desquels les projets sont dispensés de toute évaluation environnementale sont principalement fondés sur un critère relatif à leur dimension, telles que la taille ou la capacité de l’installation projetée (…). Aussi, en ne prévoyant pas de soumettre à une évaluation environnementale, lorsque cela apparaît nécessaire, des projets qui, bien que se trouvant en-deçà des seuils qu’il fixe, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine en raison notamment de leur localisation, le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive du 13 décembre 2011 ». Enfin, le Conseil d’État enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de 9 mois, les dispositions réglementaires permettant qu’un projet, lorsqu’il est susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine pour d’autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale.
5À contre-courant des évolutions récentes du droit de l’environnement, dont nous avons déjà souligné le caractère régressif [8], la nomenclature doit être revue verticalement – liste des projets concernés – et horizontalement – critères faisant entrer un projet dans le champ de l’étude d’impact. Le juge appelle donc le gouvernement à resserrer les mailles du filet en matière d’évaluation environnementale, peut-être en créant… une clause-filet.
Date de mise en ligne : 02/07/2021
Notes
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[1]
CE, 15 avril 2021, Association France Nature Environnement, n° 425424.
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[2]
V. sur ce point les conclusions du Rapporteur public Stéphane Hoynck : « Etymologiquement, la nomenclature renvoie à l’idée de nommer les choses, idéalement sans mal le faire pour ne pas ajouter au malheur du monde, pour paraphraser Camus ». Conclusions disponibles sur Ariane (https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/arianeweb).
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[3]
V. « Le seuil en droit de l’environnement », in D’urbanisme et d’environnement, Liber amicorum Francis Haumont, Bruylant, 2015, p. 695.
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[4]
Francis Caballero, Essai sur la notion juridique de nuisance, LGDJ, 1981, p. 79.
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[5]
Mise en demeure du 7 mars 2019 : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_19_1472
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[6]
Voir les critères mentionnés à l’annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, JOUE n° L 26 du 28 janvier 2012. V. CJUE, 20 novembre 2008, Commission c/ Irlande, C-66/06, §64 ; 15 octobre 2009, Commission c/ Pays-Bas, C-255/08, §32-39 ; 24 mars 2011, Commission c/Belgique, C-435/09, §50 et s., affaires citées par le Rapporteur public, conclusions précitées.
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[7]
Décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale, JO du 5 juin 2018.
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[8]
V. notamment « Installations classées pour la protection de l’environnement : que disent les « chiffres-clefs » ? », RJE 2/2019, p. 223 ; « Lubrizol brûle. Et nous regardons ailleurs », RJE 4/2019, p. 661.