Couverture de RJE_211

Article de revue

Chronique – Démocratie environnementale

Pages 143 à 159

Notes

  • [1]
    Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 5 février 2020 (in Dossier législatif – loi n° 2020-125 du 7 décembre 2020).
  • [2]
    M. Panot (AN, Débat, CR, 29 septembre 2020, p. 6551).
  • [3]
    CNDP, Décision n° 2019/169, Projet éolien flottant au sud de la Bretagne.
  • [4]
    Ces documents identifient, pour les quatre grandes façades maritimes françaises, des zones à vocation de développement des énergies renouvelables en mer.
  • [5]
    Exposé sommaire de l’amendement présenté par le Gouvernement en vue de compléter l’article L. 121-8-1 du Code de l’environnement (AN, 11 septembre 2020, Amendement n° 628).
  • [6]
    Art. L. 121-8-1, al. 2, C. env.
  • [7]
    Sur cette théorie, v. R. Hostiou, Procédure et formes de l’acte administratif unilatéral en droit français, LGDJ 1975, p. 129 ; G. Isaac, La procédure administrative non contentieuse, LGDJ 1968, p. 351 ; J.-M. Auby, « L’influence du changement de circonstances sur les actes administratifs », RDP 1959, p. 431 ; V. aussi, J.-Cl. Hélin et R. Hostiou, Traité de droit des enquêtes publiques, Éditions Le Moniteur, 2ème éd., 2014, p. 330 et s.
  • [8]
    Art. L. 121-8-1, al. 3, C. env.
  • [9]
    Exposé sommaire de l’amendement présenté par le Gouvernement en vue de compléter l’article L. 121-8-1 du Code de l’environnement, précité.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Lettre de mission à la Commission particulière du débat public sur le Projet de parc éolien en mer de Bretagne au large du Morbihan et son raccordement électrique, 4 février 2020.
  • [12]
    Article 55 (II).
  • [13]
    R. Hostiou et J.-F. Struillou, « La participation du public aux décisions de l’administration en matière d’aménagement et d’environnement », Les Cahiers du GRIDAUH, 2007, n° 17, p. 9 et s.
  • [14]
    Sur cette ordonnance, v. J.-F. Struillou et N. Huten, « Démocratie environnementale. Chronique », RJE, 2017/1, p. 111 et s. ; « Démocratie environnementale. Chronique », RJE 2018, p. 147 et s.
  • [15]
    Exposé sommaire de l’amendement présenté par le Gouvernement en vue de modifier l’article L. 103-2 (Amendement n° 620, AN, 11 septembre 2020).
  • [16]
    Art. L. 121-17-1 C. env.
  • [17]
    Lequel est désormais fixé à deux au lieu de quatre mois (V. infra).
  • [18]
    Art. L. 212-19 (I) C. env. Ce délai court à compter de la publication de la déclaration d’intention du projet.
  • [19]
    Propos rapportés à l’Assemblée nationale par Mme Delphine Batho (AN, 29 septembre 2020, Compte rendu intégral, JO, 29 septembre, p. 6552).
  • [20]
    Art. L. 103-2 C. urb.
  • [21]
    Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.
  • [22]
    Cette expression nouvelle figure dans l’arrêt CE, 17 décembre 2020, Société Smurfit Kappa Papier Recycle France, n° 430592, Lebon T.
  • [23]
    Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 ; Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19 ; Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire
  • [24]
    V. Pierre Soler-Couteaux et Michaël Revert, « L’urbanisme au temps du confinement », RDI 2020, p. 350. V. aussi Adrien de Prémerol, « Les enquêtes publiques à l’épreuve du Covid-19 », BDEI 2020, n° 87, p. 3-7.
  • [25]
    V. CE, Ass., 16 décembre 2020, Fédération CFDT des finances, n° 440258, Lebon.
  • [26]
    À condition de respecter les mesures d’hygiène et de règles de distances définies à l’annexe 1 du décret.
  • [27]
    C’est ce que l’on peut déduire a contrario de la décision CE, 25 février 2019, Association le Peuple des Dunes des Pays de la Loire, n° 410170, Lebon T.
  • [28]
    Les codes de l’environnement, de la défense nationale, de l’expropriation ainsi que des relations entre le public et l’administration.
  • [29]
    Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-7 du 6 janvier 2020, JORF n° 0005 du 7 janvier 2020.
  • [30]
    Cons. const., décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020, § 21.
  • [31]
    V. Christophe Testard, « Pour une sanctuarisation du traitement contentieux de la participation du public », Droit Administratif, 2020, n° 7, étude 8.
  • [32]
    CE, 11 mars 2020, M. BZ et autres, n° 423164, Lebon.
  • [33]
    V. J.-F. Struillou et N. Huten, « Démocratie environnementale », RJE 2018/1, p. 147 et s.
  • [34]
    CE, 29 juillet 2020, SCI L’Harmas, n° 428158, Lebon, AJDA 2020, p. 1576, note J.-P. Strebler.
  • [35]
    TC, 7 décembre 2020, Mme D. C., n° 4199.

1S’agissant du débat public et de la concertation, l’évènement majeur de l’année écoulée est indubitablement la publication de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique. L’un des grands objectifs poursuivis par ce texte – qui, nous dit-on, « constitue une nouvelle étape de la transformation de l’action publique engagée à la suite du grand débat » – vise à simplifier et à accélérer les procédures administratives dans le but de favoriser « les installations industrielles et développer l’activité et l’emploi sur les territoires » [1]. Pour atteindre cet objectif, le Parlement n’a pas hésité, une fois de plus, à revenir sur les dispositions qui régissent le débat public et la concertation, la réforme ayant consisté cette fois à mieux articuler les procédures participatives entre elles ou avec d’autres procédures, ou encore à réduire les délais dans lesquels celles-ci sont mises en œuvre. Reste que l’accélération du calendrier administratif n’est que très difficilement conciliable avec les impératifs de la participation du public laquelle requiert du temps pour débattre et aboutir à des projets d’intérêt général, pensés et construits. Aussi, comme en témoignent plusieurs dispositions de la loi, la volonté de favoriser la rapidité d’exécution des projets a-t-elle parfois conduit le législateur « à mettre encore un peu plus sous le tapis » [2] la participation garantie par la Convention d’Aarhus et la Charte de l’environnement, et ce malgré les discours gouvernementaux sur la nécessité d’une démocratie plus citoyenne.

2Il en est de même en ce qui concerne l’enquête publique : dans le cadre de l’autorisation environnementale, la loi précitée offre au préfet la possibilité de remplacer l’enquête publique par une consultation électronique sans que le Conseil constitutionnel n’y trouve rien à redire. En outre, cette même loi autorise le ministre de l’Intérieur à dispenser d’enquête publique les « opérations sensibles intéressant la sécurité nationale » sans définir précisément les caractéristiques de ces opérations. Ce faisant le législateur a élargi le dispositif prévu par l’ordonnance n° 2020-7 du 6 janvier 2020 qui a autorisé le ministre de la Défense à en faire autant en ce qui concerne les « opérations sensibles intéressant la défense nationale ». Ces évolutions législatives et réglementaires, qui participent toutes à un rétrécissement du champ d’application de l’enquête publique sont d’autant plus paradoxales que dans le même temps, l’État semble être contraint de démultiplier les dispositifs d’information et de participation du public afin de redonner la parole aux citoyens sur les questions environnementales.

I – Débat public et concertation préalable

A – Participation du public aux projets éoliens en mer

3La loi apporte plusieurs modifications à l’article L. 121-8-1 du Code de l’environnement, qui régit la participation du public à l’élaboration des projets éoliens en mer. L’expérience a révélé que les premiers projets devraient mettre plus de dix ans pour « sortir de mer », alors que cette énergie renouvelable apparaît comme « cruciale pour atteindre nos objectifs environnementaux ». La réforme vise par conséquent à réduire les délais d’instruction de ces projets ainsi que la durée des procédures contentieuses engagées contre les décisions autorisant l’implantation de ces installations.

1 – Mise en place d’une participation unique sur plusieurs projets

4Rappelons que pour satisfaire aux exigences relatives à la participation du public aux décisions en matière d’environnement, le ministre chargé de l’énergie est tenu de saisir la Commission nationale du débat public lorsqu’il souhaite lancer une procédure de mise en concurrence pour la construction et l’exploitation d’éoliennes offshore. Il appartient alors à la Commission de déterminer si le projet doit être soumis à débat public ou à concertation préalable en fonction de l’ampleur et des enjeux du projet, mais aussi de déterminer les modalités de la participation. La CNDP a ainsi décidé récemment qu’il y avait lieu d’organiser un débat public sur le projet éolien flottant au sud de la Bretagne dès lors que les enjeux et impacts sociaux-économiques et environnementaux attachés à cette opération sont majeurs et d’intérêt national [3].

5L’article susvisé a été complété par la loi en vue de ne pas multiplier inutilement le nombre de procédures participatives auxquelles sont soumis les projets éoliens en mer, ces mesures étant de nature à simplifier et à accélérer des processus jugés par trop contraignants. À cette fin, la Commission nationale du débat public peut désormais être saisie par le ministre chargé de l’énergie lorsque celui-ci souhaite lancer non plus seulement une procédure mais plusieurs procédures de mise en concurrence pour la construction et l’exploitation d’éoliennes. Le ministre peut alors demander à la Commission d’étendre l’objet de la participation aux fins que celle-ci porte sur les différentes procédures de mise en concurrence qu’il envisage de lancer sur une même façade maritime pour la construction et l’exploitation de ces installations.

6Cette mutualisation a été justifiée par la volonté « de consulter le public sur une échelle de territoire plus appropriée, avec une vision géographique cohérente, en miroir des concertations qui ont été conduites par les documents stratégiques de façade » [4]. L’idée sous-jacente à ce dispositif est donc d’écarter « l’approche "en taches de léopard" qui fragmente la participation du public et fait obstacle à une vision d’ensemble des projets envisagés pour une même façade maritime » [5]. C’est ainsi reconnaître que les différents projets éoliens, susceptibles d’être réalisés sur une même façade maritime, constituent dans leur globalité une seule et même opération susceptible de relever d’une participation unique et commune, l’intérêt de cette approche étant également de réduire les délais d’instruction.

7Ce dispositif recèle néanmoins certains dangers qui ne peuvent être sous-estimés. En effet, l’organisation d’une participation commune à différents projets présente le risque d’entretenir la confusion au sein du public quant à l’objet du processus participatif, et ce quand bien même les modalités du débat tiendraient compte de la spécificité de chacune des opérations envisagées. Il sera ici d’autant plus difficile d’éclairer le public sur le but précis de la participation que les procédures de mise en concurrence porteront sur des projets qui répondent à des enjeux socio-économiques, environnementaux et territoriaux fort différents. Quant au délai du débat public – au cas où celui-ci serait requis – il n’a pas pour autant été rallongé puisque les nouvelles dispositions prévoient qu’il ne peut excéder la durée de droit commun de quatre mois, laquelle peut toutefois être prolongée de deux mois par une décision motivée de la Commission nationale du débat public [6].

8La loi du 7 décembre 2020 prévoit, par ailleurs, qu’une fois clos le débat public ou la concertation préalable, ces processus n’ont de valeur que pour une période limitée, laquelle a été fixée à sept ans à compter de la publication du bilan de la participation. Les procédures de mise en concurrence ne peuvent donc être lancées que dans ce délai de sept ans. Il s’agit là de donner à l’administration le temps nécessaire pour lui permettre d’échelonner la sélection des futurs porteurs de projet, en lien avec le calendrier de développement des énergies renouvelables en mer, fixé par la programmation pluriannuelle de l’énergie.

9On relèvera que ces limites « ratione temporis » quant à la validité du processus participatif ne se substituent pas – semble-t-il – à la théorie jurisprudentielle du changement de circonstances [7]. Selon toute vraisemblance, celle-ci s’opposerait à ce que l’autorité compétente lance les procédures de mise en concurrence dans le délai de sept ans lorsque le projet soumis à débat ou à concertation a fait l’objet, au cours de cette période, de modifications substantielles de telle manière que le public aurait pu se méprendre sur la portée du projet et n’aurait pu par conséquent débattre de l’opération en toute connaissance de cause.

10Les nouvelles dispositions de l’article L. 121-8-1, alinéa dernier, prévoient enfin que si les procédures de mise en concurrence dont s’agit n’ont pas été lancées dans ce délai de sept ans, le ministre chargé de l’énergie est tenu de saisir à nouveau la Commission nationale du débat public afin que celle-ci détermine si l’organisation d’une nouvelle procédure de participation du public est nécessaire.

2 – Organisation simultanée de la participation et des procédures de mise en concurrence

11Toujours dans le but de raccourcir les délais d’instruction, la loi autorise le ministre chargé de l’énergie à lancer les procédures de mise en concurrence, relatives aux projets éoliens en mer, avant même la fin du débat public ou de la concertation préalable [8]. Toutefois, l’organisation simultanée de ces deux procédures – dont l’objet est, on le sait, totalement différent – est soumise à certaines conditions afin que l’accélération de la procédure administrative ne soit pas de nature à retirer toute crédibilité à la participation. Ainsi la phase dite de « dialogue concurrentiel » ne peut-elle commencer avant la communication du bilan de la participation. Le ministre de l’Énergie est donc seulement habilité à préparer la procédure de mise en concurrence, et ce en accomplissant les étapes générales de cette procédure – telles que la sélection des candidats admis à participer au dialogue concurrentiel – parallèlement au déroulement de la participation. Ce n’est qu’après la communication du bilan du débat ou de la concertation que l’autorité compétente pourra décider du principe et des conditions de la poursuite de la ou des procédures de mise en concurrence.

12Il a été avancé que ce dispositif respecterait les exigences de la participation fixées à l’article L. 120-1 du Code de l’environnement dès lors que « le ministre devra attendre la fin de cette participation pour fixer la localisation exacte des parcs éoliens et donc pour dérouler les étapes de la procédure de mise en concurrence qui nécessitent de connaître cette localisation » [9]. Il s’agirait donc là d’un simple « gain d’efficacité, permettant à l’administration d’accomplir certaines étapes en temps masqué, sans préempter la décision du ministre, qui aura lieu après le bilan de la participation du public » [10]. Le ministre de l’énergie ne peut en effet identifier les zones potentielles d’implantation des éoliennes et de leurs ouvrages de raccordement qu’après la publication du bilan de la participation, le ministre devant en outre tenir compte dudit bilan.

13Force est néanmoins de constater qu’il n’est pas sans inconvénients que d’autoriser le lancement de la procédure de mise en concurrence avant même la fin du débat public ou de la concertation. Cette « façon de faire » pourrait laisser entendre au public, à une date à laquelle la participation est en cours, que l’Administration est décidée « coûte que coûte » à réaliser le projet, et ce alors même qu’à cette date le public est censé débattre de l’opportunité même du projet, des solutions alternatives, y compris son absence de mise en œuvre. Comme le souligne à juste titre la Commission nationale du débat public, « l’objectif de la participation n’est pas seulement de confirmer la faisabilité du projet ou d’en préciser les contours mais aussi de questionner l’opportunité même de sa réalisation, voire de la politique publique qui justifie sa conception » [11]. Lancer une procédure de mise en concurrence au moment même du débat présente dès lors le danger de décrédibiliser ce processus en donnant à voir que le débat porte sur un projet qui paraît déjà « acté ».

3 – Entrée en vigueur

14La loi du 7 décembre 2020 prévoit par ailleurs que les nouvelles dispositions de l’article L. 121-8-1 sont applicables aux procédures de participation du public pour lesquelles le ministre chargé de l’énergie a déjà saisi la Commission nationale du débat public à la date de la publication de la loi [12]. Ce dispositif est par conséquent applicable aux procédures en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, ce qui devrait permettre aux autorités administratives compétentes de mettre en œuvre sans délai ces dispositions.

4 – « Compétence directe » du Conseil d’État

15On relèvera enfin que la loi fixe des dispositions en vue de réduire les délais de la procédure contentieuse dans le domaine considéré. Codifiées à l’article L. 311-13 du Code de justice administrative, ces règles confient la compétence en premier et dernier ressort au Conseil d’État pour connaître des litiges relatifs aux projets éoliens en mer. La Haute juridiction administrative est ainsi seule compétente pour connaître des recours juridictionnels formés contre les décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable en mer ainsi qu’à leurs ouvrages connexes, aux ouvrages des réseaux publics d’électricité afférents et aux infrastructures portuaires rendues nécessaires pour la construction, le stockage, le pré-assemblage, l’exploitation et la maintenance de ces installations et ouvrages, la liste précise de ces décisions devant être fixée par décret en Conseil d’État.

16Cette réforme n’est pas dénuée de sens au regard de l’intérêt public qui s’attache à la construction d’éoliennes en mer, eu égard à l’activité économique qu’elles génèrent et, surtout, à la nature du besoin auquel elles répondent pour atteindre les objectifs énergétiques de la France. Il s’agit là de confier au Conseil d’État des litiges qui doivent être réglés aussi rapidement que possible, sans retard dû à la saisine des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Il n’empêche que cette « accélération » du contentieux a pour inconvénient majeur de réduire les garanties résultant de l’existence d’un double degré de juridiction dans des affaires qui font place à des questions d’appréciation. Ces limitations s’ajoutent ainsi à celles qui visent, parallèlement au développement des procédures de participation du public, à priver ces dernières de leur « venin contentieux » potentiel, et ceci, en s’efforçant de limiter les possibilités pour les requérants d’invoquer dans le cadre du recours pour excès de pouvoir d’éventuelles irrégularités entachant ce processus [13].

B – Concertation préalable en matière d’environnement

1 – Mise en place d’une concertation unique

17Différentes réformes – dont la plus importante est issue de l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016 [14] – ont conduit récemment à un élargissement du champ de la concertation organisée en amont de l’enquête publique. Il en est résulté certains effets négatifs dans la mesure où un même projet peut être soumis à deux concertations différentes, l’une, au titre des articles L. 121-16 et L. 121-16-1 du Code de l’environnement et, l’autre, au titre de l’article L. 103-2 du Code de l’urbanisme. Une telle situation est, bien sûr, de nature à entretenir la confusion et à susciter la lassitude du public, à alourdir le coût du projet et à retarder sa réalisation. Aussi, l’ordonnance susvisée – laquelle a été modifiée sur ce point par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 – a-t-elle cherché à remédier à ces difficultés en prévoyant que ne peuvent faire l’objet d’une concertation préalable au titre du Code de l’environnement les projets et les documents d’urbanisme soumis à une concertation obligatoire au titre de l’article L. 103-2 du Code de l’urbanisme. Il en va de même des projets ayant fait l’objet d’une concertation au titre de l’article L. 300-2 du même code dès lors que celle-ci est organisée dans le respect des droits mentionnés aux 1°, 3° et 4° du II de l’article L. 120-1 du Code de l’environnement.

18Ces règles sont malgré tout insuffisantes en elles-mêmes pour assurer une articulation satisfaisante entre les deux processus dans l’hypothèse où, pour un même projet, le périmètre des deux concertations est sensiblement différent. Il en va ainsi lorsque le projet soumis à la concertation du Code de l’environnement a un champ territorial plus large que le projet soumis à la concertation du Code de l’urbanisme, le deuxième projet ne constituant qu’une composante du premier. Par exemple, « un investissement routier en partie urbanisée d’une commune peut être soumis à concertation obligatoire du code de l’urbanisme et constituer une composante d’un projet routier plus large soumis à évaluation environnementale qui entrera, de ce fait, dans le champ de la concertation du code de l’environnement » [15]. Cette différence de périmètre peut ainsi imposer au porteur du projet d’organiser deux concertations au titre de ces deux codes.

19La loi du 7 décembre 2020 vise à lever ces difficultés en ajoutant à l’article L. 121-15-1 du Code de l’environnement un aliéna dont les dispositions prévoient que lorsque le projet est soumis en partie à concertation obligatoire au titre des 2°, 3° ou 4° de l’article L. 103-2 du Code de l’urbanisme et qu’il peut également être soumis en partie à concertation au titre du Code de l’environnement, le maître d’ouvrage peut faire le choix de soumettre l’ensemble du projet à concertation au titre des articles L. 121-16 et L. 121-16-1 du Code de l’environnement. Le choix d’organiser cette concertation, qui tient lieu de concertation obligatoire au titre de l’article L. 103-2 du Code de l’urbanisme, est soumis à l’accord de l’autorité compétente. Dans la mesure où ce dispositif est de nature à éviter la multiplication des processus participatifs ainsi qu’un découpage artificiel d’une opération qui tend à un même objectif, il ne peut qu’être favorablement accueilli, sauf à considérer que la complexité du droit est telle dans le domaine considéré qu’il conviendrait d’envisager à terme la « fusion » des deux procédures en une seule, laquelle serait régie par un seul et même code.

2 – Droit d’initiative

20La loi modifie également les conditions dans lesquelles peut être mis en œuvre le droit d’initiative, instauré par l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016. Rappelons que les titulaires de ce droit sont autorisés à réclamer auprès du préfet l’organisation d’une concertation préalable sur certains projets entrant dans le champ de cette procédure. Le public, les collectivités territoriales et les associations agréées de protection de l’environnement sont ainsi en droit de demander la mise en œuvre d’une concertation – notamment lorsque le projet paraît porter atteinte à l’environnement, est susceptible de susciter des oppositions marquées, ou soulève des interrogations spécifiques sur ses risques écologiques – ce qui peut, dans certains cas, vaincre l’inertie du porteur du projet à organiser une concertation. Ce dispositif a été modifié sur deux points.

a – Déclaration d’intention de projet

21On sait que la déclaration d’intention de projet vise à informer les bénéficiaires du droit d’initiative de l’existence d’un projet, d’un plan ou d’un programme susceptible de donner lieu à concertation [16]. S’il s’agit d’un projet d’aménagement, le porteur de l’opération est de la sorte tenu de publier sur un site internet avant le dépôt de la demande d’autorisation une déclaration comportant différents éléments : les motivations et raisons d’être du projet ainsi que le cas échéant le plan ou le programme dont il découle ; la liste des communes susceptibles d’être affectées par ledit projet ; un aperçu des incidences potentielles sur l’environnement ; une mention, le cas échéant, des solutions alternatives envisagées ; les modalités déjà envisagées, s’il y a lieu, de concertation préalable du public. Cette déclaration est transmise par le maître d’ouvrage à l’autorité compétente pour autoriser le projet.

22Les nouvelles dispositions de l’article L. 121-18 (IV), alinéa 2, du Code de l’environnement, qui apparaissent comme une contrepartie à la réduction du délai d’exercice du droit d’initiative [17], vise à conforter l’information des personnes publiques et privées quant à l’existence d’une déclaration d’intention de projet, et ce afin de permettre à ces dernières de demander au préfet l’organisation d’une concertation. D’une part, l’autorité compétente pour autoriser le projet est tenue de faire connaître la déclaration aux régions, aux départements et aux communes dans lesquels se trouve tout ou partie du territoire mentionné dans ladite déclaration. D’autre part, cette même autorité peut en informer d’autres collectivités territoriales ainsi que leurs groupements, ou encore des associations ou fédérations d’associations agréées. L’inconvénient de ces dernières dispositions est que l’autorité chargée d’autoriser le projet n’est pas tenue d’informer les personnes concernées, l’information étant laissée à son appréciation. Aussi, le risque est-il ici que ces personnes n’aient pas connaissance de la déclaration d’intention par le biais de ce dispositif.

b – Délai d’exercice du droit d’initiative

23La loi a par ailleurs réduit de quatre à deux mois le délai dans lequel les collectivités locales, les associations agréées de protection de l’environnement et les habitants peuvent demander au préfet l’organisation d’une concertation sur un projet ayant des incidences environnementales [18]. Si le Parlement a ainsi entendu accélérer l’instruction des projets d’aménagement, la solution retenue n’est pas sans inconvénients dès lors qu’elle a pour effet de restreindre les garanties qui étaient jusqu’ici conférées aux bénéficiaires du droit d’initiative. En effet, ce nouveau délai de deux mois ne paraît pas suffisant pour respecter les conditions légales auxquelles est soumis l’exercice du droit d’initiative, c’est-à-dire pour réunir les signatures de 20 % de la population recensée dans les communes du périmètre mentionné dans la déclaration d’intention de projet ou de 10 % de la population recensée dans le département ou la région où se trouve tout ou partie du territoire mentionné dans cette déclaration. Comme l’a souligné la présidente de la Commission nationale du débat public, ce nouveau délai « revient à priver de fait le droit d’initiative de son effectivité ». « L’adoption de ces dispositions, alors que le public aspire à une information plus transparente et à plus de participation aux décisions qui le concerne » apparaît ainsi comme « un recul du droit car la participation n’est pas une procédure optionnelle pour améliorer les décisions, elle constitue un droit dont chaque citoyen et chaque citoyenne peut se prévaloir si un projet impacte son environnement » [19].

C – Élargissement du champ de la concertation en matière d’urbanisme

24Jusqu’ici seules les procédures d’élaboration et de révision des Scot et des PLU étaient soumises à la concertation obligatoire de l’article L. 103-2 du Code de l’urbanisme. La loi du 7 décembre 2020 étend le champ de cette concertation à la modification du Scot et du PLU ou encore à la mise en compatibilité du Scot et du PLU lorsque l’une ou l’autre de ces procédures est soumise à évaluation environnementale [20]. De même, l’élaboration ou la révision de la carte communale relève dorénavant de la concertation au titre de l’article L. 103-2 dans l’hypothèse où ces procédures imposent aux planificateurs de réaliser une évaluation environnementale. Ces règles sont intéressantes dans la mesure où elles permettent de soumettre à la concertation régie par le Code de l’urbanisme l’ensemble des procédures d’élaboration, de révision et de modification des documents d’urbanisme lorsque celles-ci impliquent la réalisation d’une évaluation environnementale, celles-ci étant ainsi exclues à tout coup de la concertation préalable en matière d’environnement.

25Jean-François STRUILLOU

II – Enquête publique

26En 2020, l’enquête publique n’a pas échappé aux bouleversements résultant de la crise sanitaire. En effet, comme de nombreuses autres procédures, ses modalités ont été adaptées par ordonnance pendant la période du premier confinement, certaines restrictions étant toujours en vigueur (A.). Auparavant, le Gouvernement avait eu le temps de parachever la réforme des procédures participatives applicables aux opérations impliquant la défense nationale (B.). Enfin, comme chaque année, la jurisprudence a apporté plusieurs précisions, tant dans le cadre de l’autorisation environnementale unique, que dans celui des documents d’urbanisme ainsi que de l’expropriation (C.).

A – L’adaptation de l’enquête publique à la crise sanitaire

27L’enquête publique est une procédure participative qui implique, par définition, des contacts entre l’administration et la population. Elle suppose notamment que le public puisse consulter des documents dans les lieux d’enquête, qu’il y dépose ses observations et éventuellement qu’il participe à des réunions publiques. La dématérialisation de l’enquête publique, initiée en 2016, a permis de mettre en place des alternatives numériques à ces formalités, mais elle ne les a pas pour autant rendues facultatives. À compter du 17 mars 2020, ces exigences procédurales sont devenues impossibles à mettre en œuvre dans la mesure où la participation aux enquêtes publiques en cours ne faisait pas partie des exceptions à l’interdiction des déplacements prévue tant par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 [21] que par les textes qui l’ont suivi. Il n’était donc pas envisageable de poursuivre les enquêtes publiques en cours non plus que de commencer de nouvelles enquêtes, à moins de prendre un gros risque contentieux : dans l’hypothèse d’un recours à l’encontre d’une décision prise à la suite de ces enquêtes, le juge pourrait considérer que l’impossibilité de consulter le dossier dans un lieu d’enquête a empêché « l’information complète de la population » [22].

28C’est pourquoi le Gouvernement est intervenu par une série d’ordonnances afin de prévoir des mesures transitoires [23]. Ces dispositions figurent aujourd’hui aux articles 7 et 12 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. Leur application étant restreinte à la période du premier confinement, c’est-à-dire entre le 12 mars et le 30 mai 2020 inclus, elles ne sont plus applicables aujourd’hui. Cependant, leur analyse présente un certain intérêt dans la mesure où les dispositions de cette ordonnance sont applicables aux décisions prises à l’issue des enquêtes suspendues, interrompues ou maintenues durant cette période.

29Schématiquement, le dispositif prévu par l’ordonnance du 25 mars 2020 revient à opérer une distinction entre deux types d’enquêtes publiques : d’une part, les enquêtes ordinaires qui pouvaient être suspendues sans trop de difficulté jusqu’au 30 mai 2020 (art. 7), et d’autre part, les enquêtes plus extraordinaires dont l’organisation ou la poursuite ne pouvait être décalée sans éviter « des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent » (art. 12).

30Pour la première catégorie d’enquête, le texte prévoit simplement que « les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu’au 30 mai 2020 inclus ». Il en est de même pour toutes les procédures de consultation ou de participation du public. Cela signifie que les délais applicables aux procédures en cours à la date du 17 mars 2020 ont été suspendus et qu’ils n’ont recommencé à courir qu’à compter du 30 mai 2020. Quant aux enquêtes qui devaient avoir lieu entre le 17 mars et le 30 mai, l’ordonnance n’a pas précisé explicitement leur sort, mais on peut penser qu’elles ont tout simplement été reportées à la fin de cette période [24].

31En ce qui concerne la seconde catégorie d’enquêtes (celles qui concernent des projets présentant un intérêt national et un caractère urgent), l’ordonnance a habilité l’autorité organisatrice à en adapter les modalités en distinguant les enquêtes en cours des enquêtes à conduire. En ce qui concerne une enquête déjà commencée le 17 mars, l’autorité pouvait prévoir de la poursuivre « en recourant uniquement à des moyens électroniques dématérialisés », autrement dit, en distanciel. Dans cette hypothèse, la durée de l’enquête pouvait être allongée, notamment pour tenir compte « de l’interruption due à l’état d’urgence sanitaire », le commissaire enquêteur étant tenu de prendre en compte l’ensemble des observations recueillies. En ce qui concerne les enquêtes devant être organisées entre le 17 mars et le 30 mai, l’ordonnance a permis à l’autorité organisatrice de les conduire « uniquement par des moyens électroniques dématérialisés ». Mais dans l’hypothèse où la durée de la consultation s’étendait au-delà du 30 mai, il était possible de revenir aux modalités habituelles pour la durée de l’enquête restant à courir.

32Durant le premier confinement, c’est donc l’adage « nécessité fait loi » qui s’est appliqué au droit des enquêtes publiques : toutes les enquêtes ont été suspendues ou reportées, sauf celles relatives à des projets urgents d’intérêt national. Pour ces dernières, le recours au « tout distanciel » est susceptible d’avoir nui à la bonne information de la population. Mais on peut considérer que le juge administratif ou le conseil constitutionnel – dans le cadre de leurs champs de compétences respectifs pour apprécier la légalité de l’ordonnance du 25 mars 2020 en l’absence de sa ratification [25] – n’y verraient pas un motif d’illégalité eu égard à la théorie « circonstances exceptionnelles » qui a pu servir de fondement au décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 en attendant que la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 instaure l’état d’urgence sanitaire.

33En dépit du maintien de l’état d’urgence sanitaire, ce dispositif exceptionnel n’a pas été réitéré depuis le 30 mai 2020, y compris dans le cadre du second confinement (30 octobre – 14 décembre 2020). Pour autant, les contraintes sanitaires édictées par le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ne manquent pas de perturber le bon déroulement des procédures participatives, y compris des enquêtes publiques. En effet, si l’accueil du public dans les lieux d’enquête n’est pas interdit [26], les réunions publiques ne font pas partie des « rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public » bénéficiant d’une dérogation. Elles sont donc interdites.

34Cette interdiction est problématique dans la mesure où les réunions publiques peuvent présenter un grand intérêt pour l’information et la participation du public. Théoriquement, leur absence pourrait entraîner l’annulation de la décision dès lors qu’il est démontré une information insuffisante de la population sur les conséquences d’un projet [27]. Là encore, on peut penser que la théorie des circonstances exceptionnelles pourrait conduire le juge à ne pas se montrer trop regardant. Cependant, eu égard à la durée importante de la crise sanitaire, il paraît difficile d’envisager que la participation du public se poursuive indéfiniment dans des conditions aussi dégradées. Et dans la mesure où les réunions telles que les manifestations sur la voie publique ou les célébrations religieuses sont autorisées moyennant le respect d’un certain nombre de précautions sanitaires, on pourrait raisonnablement envisager d’ajouter les réunions publiques indispensables à la bonne information du public à la liste des exceptions prévues à l’article 3 du décret du 29 octobre 2020. L’exigence d’une demande du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête examinée par le Préfet présente suffisamment de garanties pour éviter les abus.

B – La réforme des enquêtes publiques intéressant la défense nationale

35La loi de programmation militaire n° 2018-607 du 13 juillet 2018 avait habilité le Gouvernement à intervenir par ordonnance dans un triple objectif : harmoniser, clarifier et compléter les procédures d’information et de participation intéressant la défense nationale ; dispenser d’enquête publique l’institution de certaines servitudes liées à la défense nationale ; habiliter l’autorité administrative à identifier au cas par cas les projets et plans dont il est nécessaire de protéger la confidentialité afin de les faire bénéficier de certaines dérogations aux obligations procédurales en matière d’information et de participation du public.

36Ces mesures ont été prévues par l’ordonnance n° 2020-7 du 6 janvier 2020 relative à la prise en compte des besoins de la défense nationale en matière de participation et de consultation du public, d’accès à l’information et d’urbanisme, complétée par le décret n° 2020-133 du 18 février 2020 portant diverses dispositions en matière de protection des intérêts de la défense nationale. Il en a résulté la modification d’un nombre important de dispositions législatives et réglementaires relatives à l’enquête publique dans plusieurs codes [28]. Une section nouvelle intitulée « opérations sensibles intéressant la sécurité nationale » a été créée dans le Code de l’environnement.

37Une partie de ces modifications a seulement eu pour objet d’« harmoniser les différentes législations dérogatoires en vigueur au titre des intérêts de la défense nationale et d’en simplifier l’utilisation sans modifier les règles de fond applicables » [29]. Il existe ainsi toujours des opérations intéressant la défense nationale qui donnent lieu à enquête publique à condition de soustraire du dossier les « éléments soumis à des règles de protection du secret de la défense nationale » ainsi que les « éléments nécessaires à la sauvegarde des intérêts de la défense nationale ou de la sécurité nationale » (art. L. 123-19-9 C. env.). Pareillement les opérations dont « tout ou partie des informations qui s’y rapportent sont soumises à des règles de protection du secret de la défense nationale » sont toujours exclues du champ d’application de l’enquête publique (art. L. 123-19-8, al. 3, C. env.).

38La principale innovation de l’ordonnance est d’avoir créé une nouvelle catégorie intitulée « opération sensible intéressant la défense nationale » qui échappe aux procédures d’information et de participation du public prévues par le Code de l’expropriation, le Code de l’environnement et le Code des relations entre le public et l’administration (art. L. 2391-3 C. de la défense). Il en est de même en ce qui concerne « l’approbation, la modification, la révision ou la mise en compatibilité d’un document d’urbanisme » dont l’objet exclusif est de permettre la réalisation d’une telle opération (art. L. 123-19- 8, al. 4, C. env.). La particularité de ce nouveau dispositif est qu’il laisse un large pouvoir d’appréciation au ministre de la Défense : il peut attribuer cette qualification lorsqu’il estime que « la sauvegarde des intérêts de la défense nationale justifie de préserver la confidentialité de tout ou partie des informations qui s’y rapportent et que ces informations sont essentielles à la compréhension du dossier » (art. L. 2391-1 C. de la défense).

39Ce dispositif a depuis été étendu à une nouvelle catégorie intitulée « opérations sensibles intéressant la sécurité nationale » créée par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (ci-après loi Asap). Là encore, l’autorité administrative dispose d’un large pouvoir d’appréciation puisque le ministre de l’Intérieur peut qualifier comme telle toute opération « lorsque la sauvegarde des intérêts de la sécurité nationale justifie de préserver la confidentialité de tout ou partie des informations qui s’y rapportent et que ces informations sont essentielles à la compréhension du dossier » (art. L. 112-3 C. de la sécurité intérieure).

40Si l’on comprend bien les raisons qui, dans un contexte de crise sanitaire, de tensions internationales et de menace terroriste, incitent le jurislateur à donner au Gouvernement des moyens d’action rapides et efficaces, on peut néanmoins s’interroger sur les risques d’abus qui pourraient résulter d’une attribution trop large de la qualification d’« opération sensible » par les ministres concernés : de nombreuses opérations intéressant tant l’environnement que les libertés publiques pourraient être menées à bien par l’administration sans que le public ne puisse exercer son droit constitutionnel d’accéder aux informations relatives à l’environnement et de participer à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement.

41Jusqu’à présent, la constitutionnalité des dispositions précitées n’a pas été contestée devant le juge. Toutefois, la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi Asap laisse à penser qu’un tel recours serait voué à l’échec. En effet, en matière d’autorisation environnementale, l’article 44 de la loi autorise le préfet à remplacer l’enquête publique par une procédure de mise à disposition électronique lorsqu’il estime que les « impacts sur l’environnement ainsi que les enjeux socio-économiques qui s’y attachent » ou encore les « impacts sur l’aménagement du territoire » d’un projet ne nécessitent pas l’organisation d’une enquête publique (art. L. 181-9 et 10 C. env.). Là encore, les critères posés par la loi étant particulièrement vagues, l’autorité administrative dispose d’un large pouvoir quant au choix de la procédure d’information et de participation du public. D’éventuels abus ne peuvent pas être exclus a priori. Pourtant le Conseil constitutionnel a estimé que ce dispositif n’est pas inconstitutionnel en considérant qu’au regard des critères précités, « le législateur a suffisamment défini les conditions d’exercice du droit protégé par l’article 7 de la Charte de l’environnement » [30]. Il paraît donc assez probable qu’il en jugerait tout autant en ce qui concerne les dispositions relatives à l’enquête publique prévues par l’ordonnance du 6 janvier 2020 et la loi Asap du 7 décembre 2020.

42Ces évolutions législatives et réglementaires, qui participent toutes à un rétrécissement du champ d’application de l’enquête publique confirment une évolution générale vers la réduction de l’information et de la participation du public au nom de l’accélération et de la simplification de l’action publique [31]. Cette évolution est d’autant plus paradoxale que dans le même temps, l’État semble être contraint de démultiplier les dispositifs afin de redonner la parole aux citoyens sur les questions environnementales. En effet, il est difficile de ne pas faire le lien entre l’insuffisance des procédures « ordinaires » d’information et de participation du public, et la nécessité d’organiser des procédures « extraordinaires » telles que la consultation sur le transfert de l’Aéroport de Nantes-Atlantique ou encore la convention citoyenne sur le climat.

C – Les apports de la jurisprudence

43À l’instar du processus législatif et réglementaire de rétrécissement du champ d’application de l’enquête publique, le processus jurisprudentiel de « danthonysation » de cette même procédure se poursuit également. En effet, le Conseil d’État a d’abord apporté des précisions quant à l’office du juge en matière de régularisation des autorisations environnementales [32]. Saisie d’un pourvoi invoquant comme souvent l’insuffisance des informations relatives aux capacités techniques et financières de l’exploitant dans le dossier d’enquête publique, la Haute Assemblée a précisé que le juge n’est pas toujours tenu de permettre à l’administration de reprendre la procédure de manière à régulariser l’autorisation lorsque celle-ci est possible. En effet, s’il n’est pas saisi de conclusions en ce sens, le juge « peut toujours mettre en œuvre cette faculté, mais il n’y est pas tenu, son choix relevant d’une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation ». En revanche, « lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, le juge est tenu » de permettre la régularisation de l’autorisation, dans les conditions prévues à l’article L. 181-18 I 2 du Code de l’environnement. Par cet arrêt, le Conseil d’État conforte donc la grande latitude dont dispose déjà le juge en matière de régularisation des autorisations environnementales [33]. On peut toutefois s’interroger sur les raisons qui peuvent conduire le juge du fond à ne pas permettre la régularisation d’une autorisation environnementale lorsque celle-ci est possible.

44Le Conseil d’État a par ailleurs précisé les possibilités de régularisation d’un document d’urbanisme lorsque l’enquête publique qui a précédé son adoption est entachée d’un vice de forme [34]. Il a considéré que même si le maire s’est abstenu de saisir le président du Tribunal administratif afin qu’il demande à la commission d’enquête de compléter ses conclusions en application de l’article R. 123-20 du Code de l’environnement, le juge peut ultérieurement surseoir à statuer afin de permettre la régularisation de ce vice de forme conformément à ce que prévoit l’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme. Ces deux procédures « ne sont pas exclusives l’une de l’autre » ce qui contribue à la sécurité juridique des documents d’urbanisme.

45Enfin, le Tribunal des conflits a précisé que la faute de l’État résultant des irrégularités de l’enquête préalable à une déclaration d’utilité publique ne relève pas du juge de l’expropriation mais du juge administratif. Ainsi, lorsque cette faute a causé à l’exproprié « un dommage indépendant de ceux qui trouvent leur origine dans le transfert irrégulier de propriété », il peut en obtenir la réparation devant le juge administratif [35]. En l’occurrence, l’irrégularité de l’enquête préalable était due à l’insuffisance de la motivation de l’avis du commissaire enquêteur. Si l’on peut comprendre qu’il s’agit bien d’une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’État, on peut toutefois s’interroger sur l’indépendance du dommage résultant de cette faute par rapport au dommage résultant du transfert irrégulier de propriété : l’infortuné propriétaire a pu sans doute éprouver le sentiment d’être confronté à une procédure arbitraire en étant confronté au laconisme de l’avis. Il peut en résulter un certain préjudice moral. Mais ce préjudice paraît assez secondaire en comparaison avec celui qui résulte de la privation fautive de sa propriété. Le jugement du Tribunal administratif de Poitiers à qui l’affaire a été renvoyée apportera sans doute des précisions intéressantes à ce sujet.

46Nicolas HUTEN


Mots-clés éditeurs : opérations sensibles intéressant la défense et la sécurité nationales, débat public, consultation locale, parcs éoliens en mer, concertation en matière d’environnement, crise sanitaire, participation, enquête publique

Date de mise en ligne : 26/04/2021

Notes

  • [1]
    Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 5 février 2020 (in Dossier législatif – loi n° 2020-125 du 7 décembre 2020).
  • [2]
    M. Panot (AN, Débat, CR, 29 septembre 2020, p. 6551).
  • [3]
    CNDP, Décision n° 2019/169, Projet éolien flottant au sud de la Bretagne.
  • [4]
    Ces documents identifient, pour les quatre grandes façades maritimes françaises, des zones à vocation de développement des énergies renouvelables en mer.
  • [5]
    Exposé sommaire de l’amendement présenté par le Gouvernement en vue de compléter l’article L. 121-8-1 du Code de l’environnement (AN, 11 septembre 2020, Amendement n° 628).
  • [6]
    Art. L. 121-8-1, al. 2, C. env.
  • [7]
    Sur cette théorie, v. R. Hostiou, Procédure et formes de l’acte administratif unilatéral en droit français, LGDJ 1975, p. 129 ; G. Isaac, La procédure administrative non contentieuse, LGDJ 1968, p. 351 ; J.-M. Auby, « L’influence du changement de circonstances sur les actes administratifs », RDP 1959, p. 431 ; V. aussi, J.-Cl. Hélin et R. Hostiou, Traité de droit des enquêtes publiques, Éditions Le Moniteur, 2ème éd., 2014, p. 330 et s.
  • [8]
    Art. L. 121-8-1, al. 3, C. env.
  • [9]
    Exposé sommaire de l’amendement présenté par le Gouvernement en vue de compléter l’article L. 121-8-1 du Code de l’environnement, précité.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Lettre de mission à la Commission particulière du débat public sur le Projet de parc éolien en mer de Bretagne au large du Morbihan et son raccordement électrique, 4 février 2020.
  • [12]
    Article 55 (II).
  • [13]
    R. Hostiou et J.-F. Struillou, « La participation du public aux décisions de l’administration en matière d’aménagement et d’environnement », Les Cahiers du GRIDAUH, 2007, n° 17, p. 9 et s.
  • [14]
    Sur cette ordonnance, v. J.-F. Struillou et N. Huten, « Démocratie environnementale. Chronique », RJE, 2017/1, p. 111 et s. ; « Démocratie environnementale. Chronique », RJE 2018, p. 147 et s.
  • [15]
    Exposé sommaire de l’amendement présenté par le Gouvernement en vue de modifier l’article L. 103-2 (Amendement n° 620, AN, 11 septembre 2020).
  • [16]
    Art. L. 121-17-1 C. env.
  • [17]
    Lequel est désormais fixé à deux au lieu de quatre mois (V. infra).
  • [18]
    Art. L. 212-19 (I) C. env. Ce délai court à compter de la publication de la déclaration d’intention du projet.
  • [19]
    Propos rapportés à l’Assemblée nationale par Mme Delphine Batho (AN, 29 septembre 2020, Compte rendu intégral, JO, 29 septembre, p. 6552).
  • [20]
    Art. L. 103-2 C. urb.
  • [21]
    Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.
  • [22]
    Cette expression nouvelle figure dans l’arrêt CE, 17 décembre 2020, Société Smurfit Kappa Papier Recycle France, n° 430592, Lebon T.
  • [23]
    Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 ; Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19 ; Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire
  • [24]
    V. Pierre Soler-Couteaux et Michaël Revert, « L’urbanisme au temps du confinement », RDI 2020, p. 350. V. aussi Adrien de Prémerol, « Les enquêtes publiques à l’épreuve du Covid-19 », BDEI 2020, n° 87, p. 3-7.
  • [25]
    V. CE, Ass., 16 décembre 2020, Fédération CFDT des finances, n° 440258, Lebon.
  • [26]
    À condition de respecter les mesures d’hygiène et de règles de distances définies à l’annexe 1 du décret.
  • [27]
    C’est ce que l’on peut déduire a contrario de la décision CE, 25 février 2019, Association le Peuple des Dunes des Pays de la Loire, n° 410170, Lebon T.
  • [28]
    Les codes de l’environnement, de la défense nationale, de l’expropriation ainsi que des relations entre le public et l’administration.
  • [29]
    Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-7 du 6 janvier 2020, JORF n° 0005 du 7 janvier 2020.
  • [30]
    Cons. const., décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020, § 21.
  • [31]
    V. Christophe Testard, « Pour une sanctuarisation du traitement contentieux de la participation du public », Droit Administratif, 2020, n° 7, étude 8.
  • [32]
    CE, 11 mars 2020, M. BZ et autres, n° 423164, Lebon.
  • [33]
    V. J.-F. Struillou et N. Huten, « Démocratie environnementale », RJE 2018/1, p. 147 et s.
  • [34]
    CE, 29 juillet 2020, SCI L’Harmas, n° 428158, Lebon, AJDA 2020, p. 1576, note J.-P. Strebler.
  • [35]
    TC, 7 décembre 2020, Mme D. C., n° 4199.

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