1Ce dossier spécial de la Revue Juridique de l’Environnement regroupe quelques réflexions issues du Colloque international « Dynamique du droit et activisme des juges » organisé les 18 et 19 septembre 2019 à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel sous la présidence d’honneur du juge Ledi Bianku (ancien juge à la Cour européenne des droits de l’Homme au nom de l’Albanie). Je voudrais profiter de ces propos pour remercier le décanat de la faculté de droit de l’Université de Neuchâtel (UniNE) qui a contribué au financement de ce colloque et de l’édition du présent dossier spécial. Je souhaite également adresser mes remerciements au Service « Égalité des chances » de l’UniNE et à la Conférence Universitaire de Suisse Occidentale (CUSO) pour avoir soutenu financièrement l’organisation de cet événement.
2Des chercheuses et chercheurs suisses, français, tunisiens et belges ont participé à ce colloque. La dialectique « dynamique du droit » et « activisme des juges » a été analysée dans des domaines juridiques différents : le droit de l’environnement et de la biodiversité, le droit international public, le droit européen et les relations UE et Suisse et le droit constitutionnel suisse et comparé. Plusieurs questions ont été posées : Qu’est-ce qu’on entend par dynamique du droit ? Comment se mesure la vitesse de chaque dynamique normative : critères quantitatifs ou critères qualitatifs ? Le processus de production des normes peut-il avoir un impact sur la fonction de juger (interprétation et/ou application de la règle de droit, création d’une nouvelle norme juridique ou de nouveaux droits) ? Comment réagissent les juges face à un droit à dynamique « faible » ou « constante » ? Entre « improvisation », « routine », « activisme » et « retenue » judiciaires, quelle solution choisir ? Où réside la force du droit : dans le potentiel normatif ou dans le pouvoir créatif des juges ?
3Les auteurs des textes de ce dossier spécial abordent ces deux aspects – dynamique du droit et activisme des juges – via notamment le processus de production des normes juridiques et l’interprétation de la règle de droit par les juges nationaux et internationaux. Ces éléments sont présentés tantôt dans le cadre d’une approche purement comparatiste des droits nationaux (y compris le droit français) tantôt dans une approche plus large et globale qui est celle du droit international de l’environnement.
4Daniel Kraus présente dans sa préface le cadre général de ce colloque et en particulier de ce dossier spécial. Il s’interroge sur le chemin à suivre par nos institutions pour réaliser un juste équilibre entre la « dynamique du droit » et la « sécurité juridique ». Il appelle à une compréhension plus profonde des enjeux globaux et sociétaux de la planète dans un monde, selon ses expressions, « plus compliqué, imbriqué, international, technologique, instable ».
5Adélie Pomade, quant à elle, propose une lecture de l’activisme des juges compris comme la capacité des juges à prendre des initiatives dans le contexte de l’urgence écologique ou de l’urgence climatique. Elle inscrit l’activisme dans une autre tendance qui est loin des rapports de force ou de concurrence. La chercheuse s’intéresse aux capacités créatrices, d’impulsion et d’initiative du juge français pour préserver la biodiversité. Elle analyse avec beaucoup de pertinence le principe de non-régression et le préjudice écologique. Adélie Pomade montre les étapes et processus d’intégration en droit, par l’action des juges français, de ces deux notions tout en se référant à d’autres cultures juridiques pour mettre en exergue leur portée, notamment la pratique des juges belges, espagnols ou péruviens.
6Sous l’angle de la judiciarisation de la lutte contre le réchauffement planétaire, Sabine Lavorel analyse la question de l’activisme via le rôle des juges, en particulier les juges nationaux, dans l’émergence de la responsabilité climatique des États. Elle opte pour une méthode purement comparative qui regroupe des décisions relevant d’ordres juridiques très différents mais qui permet d’évaluer le degré d’activisme des juges dans la construction d’un régime de responsabilité climatique des États. Sabine Lavorel nous offre un examen minutieux et critique de l’activisme judiciaire dans ce domaine. À la lumière de la théorie conséquentialiste, elle s’interroge également sur les enjeux ainsi que l’intérêt de ce comportement activiste qui peut cacher plusieurs insuffisances de cette approche contentieuse de la responsabilité climatique des États.
7Dans une réflexion apparentée sur le thème Le juge administratif et le contentieux de l’environnement : classicisme justifié ; classicisme injustifié !, Wahid Ferchichi nous présente une lecture critique du contentieux environnemental en droit tunisien, plus précisément le rôle timide et peu créatif du juge administratif tunisien dans l’identification du dommage environnemental et la réparation du préjudice écologique. Il propose une appréhension de ces notions, par la justice administrative, plus souple et plus adéquate en pratique avec la nature du contentieux environnemental. Wahid Ferchichi appelle à une justice administrative tunisienne plus active et moins classique devant le développement du droit national et international de l’environnement ; une justice qui est plus en harmonie avec les caractéristiques inhérentes aux litiges environnementaux notamment l’urgence des affaires environnementales et la réparation pour les victimes des dommages écologiques.
8Enfin, une réflexion sur l’activisme des juges internationaux et la dynamique du droit international de l’environnement est présentée par Mar Campins qui étudie, à travers un examen détaillé de la jurisprudence internationale « maritime », l’appréhension jurisprudentielle du principe de précaution par le Tribunal international du droit de la mer (TIDM). L’auteure souligne l’interprétation dynamique et évolutive du principe de précaution par les juges du TIDM, et ce en dépit de la complexité des affaires portées devant cette juridiction. Cette attitude, qualifiée par l’auteure d’« audacieuse », a non seulement permis de consolider la place des « principes » en droit international de l’environnement mais également de renforcer leur intégration en droit international coutumier. Mar Campins arrive à la conclusion que l’activisme judiciaire, tel qu’il se manifeste dans la jurisprudence du TIDM, crée une dynamique normative au sein du droit international de l’environnement y compris le droit coutumier.
9Les auteurs de ce dossier spécial nous invitent à repenser le rôle du droit et la fonction de juger dans une perspective plus ouverte loin de la routine et de la prudence. C’est à l’improvisation, à la dynamique et à l’activisme qu’il va falloir, aujourd’hui, céder la place dans une société en mutation et une planète pleine de défis environnementaux globaux…
10Très bonne lecture.
Date de mise en ligne : 26/04/2021