Notes
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[1]
JORF n° 0290 du 14 décembre 2019, texte n° 6.
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[3]
CJUE, 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a. contre Premier ministre et Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, ECLI:EU:C:2018:583. On citera à plusieurs reprises les conclusions de l’Avocat général Michal Bobek rendues le 18 janvier 2018 dans cette affaire, ECLI:EU:C:2018:20.
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[4]
CE, 3e et 8e ch. réunies, 3 octobre 2016, n° 388649 : JurisData n° 2016-020957.
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[5]
La « directive ne s’applique pas aux organismes obtenus par certaines techniques de modification génétique (article 3-1 de la directive 2001/18), celles énumérées à l’annexe I B, notamment « la mutagénèse », « à condition qu’elles n’impliquent pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres ».
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[6]
Pt 51 de l’arrêt de la CJUE.
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[7]
Considérant 8 et article 1er de la directive.
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[8]
Conseil d’État, 7 février 2020, Confédération paysanne et a., n° 388649.
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[9]
E. Brosset et C. Noiville, « OGM et mutagénèse. L’arrêt du Conseil d’État comme vrai-faux épilogue », Cahier Droit, Science et Technologies, n° 10, 2020, https://journals.openedition.org/cdst/1786.
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[10]
Cons. 6 de l’arrêt.
-
[11]
Cons. 12.
-
[12]
Sont évoqués des risques de dissémination du matériel génétique, d’apparition de mauvaises herbes ayant elles-mêmes acquis un gène de résistance à l’herbicide, d’augmentation en conséquence des quantités et de variation des types d’herbicides utilisés, de pollution des eaux et de l’environnement en résultant et d’accumulation de molécules cancérigènes ou de perturbateurs endocriniens dans des plantes cultivées destinées à l’alimentation humaine ou animale.
-
[13]
Décret n° [] du [] relatif à la modification de la liste des techniques d’obtention d’organismes génétiquement modifiés ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement.
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[14]
Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 241 du 17 septembre 2015, p. 15).
-
[15]
À partir de la date de notification du projet (6 mai), une période de statu quo de trois mois débute – au cours de laquelle l’État membre, auteur de la notification, ne peut pas adopter la règle technique en question – permettant à la Commission et aux autres États membres d’examiner le texte notifié et de répondre de façon appropriée.
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[16]
Pt 29 de l’arrêt.
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[17]
Décision (UE) 2019/1904 du Conseil du 8 novembre 2019 invitant la Commission à soumettre une étude à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire C-528/16 concernant le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union, et une proposition, le cas échéant pour tenir compte des résultats de l’étude, JO, L 293, 14 novembre 2019, p. 103-104.
-
[18]
Parmi ces questions figure celle de savoir comment assurer la conformité avec la directive 2001/18/CE lorsque les méthodes actuelles ne permettent pas de distinguer les produits obtenus à partir de nouvelles techniques de mutagénèse de ceux nés d’une mutation naturelle et comment assurer, dans pareille situation, l’égalité de traitement entre les produits importés et les produits originaires de l’Union.
-
[19]
Pour le premier par exemple, si certes, les techniques/méthodes apparues postérieurement à 2001 peuvent être considérées aujourd’hui comme nouvelles, elles vont, toutefois, pour certaines, devenir dans quelques années « traditionnelles » dans leurs utilisations. À partir de quel moment, le jeu du considérant 17 et donc de l’exemption pourra-t-elle jouer ? Comment et qui devra définir qu’une utilisation est devenue « traditionnelle » ?
-
[20]
Elle est nécessaire également pour que les États puissent appliquer leur possibilité de réglementer, au niveau national et dans le respect du droit de l’Union européenne, les organismes génétiquement modifiés obtenus au moyen de techniques exemptées. Point 82 de l’arrêt : « Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18, lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de celle-ci, dans la mesure où il exclut du champ d’application de cette directive les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, doit être interprété en ce sens qu’il n’a pas pour effet de priver les États membres de la faculté de soumettre de tels organismes, dans le respect du droit de l’Union, en particulier des règles relatives à la libre circulation des marchandises édictées aux articles 34 à 36 TFUE, aux obligations prévues par ladite directive ou à d’autres obligations. ».
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[21]
On y apprend que la mutagenèse désigne un ensemble de techniques destinées à provoquer des mutations génétiques internes chez un organisme vivant, contrairement à la transgénèse, qui insère dans le génome d’un organisme un gène d’une autre espèce ; que la mutagenèse aléatoire vise à accroître la fréquence des mutations génétiques spontanées des organismes vivants et qu’elle peut être réalisée in vivo (les agents mutagènes sont employés sur la plante entière ou des parties de plantes), ou in vitro (les agents mutagènes sont employés sur des cellules de la plante, la plante entière étant ensuite reconstituée artificiellement).
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[22]
En France, il s’agit uniquement de variétés de colzas. Dans le message accompagnant la notification de l’arrêté listant toutes ces variétés, le gouvernement précise bien qu’il s’agit de « variétés de colza tolérantes aux herbicides, commercialisées sous le nom de colza Clearfield » pour lesquelles « la méthode d’obtention décrite dans la bibliographie correspond à cette technique ».
1L’année 2019 semble être une année d’entre-deux en matière de droit des biotechnologies. On a compris que beaucoup devrait changer, mais, c’est assez logique, ces changements nécessitent du temps pour voir concrètement le jour. La flambée du Covid-19 a d’ailleurs allongé, de quelques mois supplémentaires, ce moment intermédiaire car la lutte contre cette pandémie a mécaniquement supplanté tout autre sujet, dont celui-là. Toutefois, ce moment d’entre deux ne signifie pas une complète absence d’actualité juridique. D’abord, il a fallu organiser cet « entre-deux » ce qui a nécessité le recours au droit : on pense notamment au décret n° 2019-1353 du 12 décembre 2019 prolongeant le mandat des membres du Haut Conseil des biotechnologies [1] qui a vocation précisément à gérer les conséquences de l’attente d’un changement (?) dans la structuration de l’expertise en France en matière de biotechnologie. Ensuite, si le droit est dans un entre-deux, les activités de biotechnologies ne connaissent pas un tel entre-deux : elles se sont au contraire poursuivies et sont, elles, à l’origine, mécaniquement, de toute une série de textes. Pour exemple, un nombre conséquent de demandes de commercialisation d’OGM sur le territoire de l’Union européenne avait été déposé et elles ont abouti à plusieurs autorisations en 2019 (70 contre 32 en 2018 !) qui ont impliqué l’adoption par la Commission de décisions d’autorisation [2]. D’ailleurs, la délivrance de ces autorisations explique aussi certaines jurisprudences comme l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 12 septembre 2019, TestBiotech relatif à une demande (refusée) de plusieurs ONG à la Commission de réexaminer l’une de ses décisions d’autorisation et plus précisément l’évaluation préalable des risques.
2Enfin et surtout (car c’est là-dessus qu’on s’attardera), pendant cette période, les jalons d’une future évolution du droit ont clairement été posés dans un contexte d’apparition et de développement de nouvelles techniques de modification génétique. L’année 2018 avait déjà fixé un jalon important (voir notre précédente chronique) puisque la CJUE avait rendu, cette année-là, un important arrêt préjudiciel les concernant [3] en réponse à quatre questions posées par le Conseil d’État français [4] dans le cadre d’un litige opposant la Confédération paysanne et d’autres associations au Premier ministre à propos de la directive 2001/18 relative à la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. Pour rappel, la CJUE avait interprété l’exemption prévue par la directive en faveur de la mutagénèse [5] et, pour cela, s’était fondée principalement sur le considérant 17 de ce texte qui énonce qu’elle « ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Or selon la Cour, cela ne pouvait être le cas des organismes obtenus au moyen de techniques nouvelles de mutagenèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de ladite directive. Retenir une autre interprétation « conduirait à méconnaître l’intention du législateur de l’Union » [6], intention du reste confortée par le principe de précaution dont il doit être tenu compte « dans la mise en œuvre de la directive » [7].
3L’année 2019 (et les premiers jours de 2020) a aussi été une année particulière car d’autres jalons se sont ajoutés. Et, particulièrement, en France le 7 février 2020, juste avant le confinement, le Conseil d’État rendait sa décision suite à ce même arrêt. Clairement, le sort réglementaire de ces techniques, en France et dans l’Union européenne, est en train de se préciser, même si l’on voit déjà apparaître les termes du débat à venir. L’entre-deux est ainsi, comme bien souvent, annonciateur, de ce qui devrait advenir en droit des biotechnologies (I.) tout autant de ce qui devrait être discuté (II.).
I – Un entre-deux annonciateur des évolutions en cours
4À la suite de cet arrêt de la Cour, on attendait la décision du Conseil d’État en 2019. Elle a toutefois quelque peu tardé et n’est intervenue que tout début 2020, le 7 février [8]. Dans son arrêt, nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire [9], le Conseil d’État applique en l’espèce avec discipline la solution luxembourgeoise. En effet, il juge que seuls les organismes obtenus au moyen de techniques traditionnelles de mutagénèse, dont la sécurité est avérée depuis longtemps, sont exemptées de l’application des obligations imposées par la directive 2001/18/CE. En revanche, les organismes obtenus au moyen des techniques de mutagenèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de cette directive doivent, eux, y être soumis. Cette réponse est sans surprise et finalement pourrait, si l’on en restait ici, n’apporter pas grand-chose de nouveau.
5Toutefois, loin de ne prendre qu’acte de la décision de Luxembourg, les juges du Palais Royal apportent des précisions, à propos de l’exemption, d’une part, mais aussi à propos du principe de précaution et de son application aux variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides (VrTH), d’autre part. En premier lieu, s’agissant de l’exemption, le Conseil d’Etat apporte une précision importante en considérant que « tant les techniques ou méthodes dites « dirigées ou « d’édition du génome » que les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques […] doivent être regardées comme étant soumises aux obligations imposées aux organismes génétiquement modifiés par cette directive » [10]. Bien plus, sur la base de ce constat, le Conseil d’État enjoint au Gouvernement de modifier, qui plus est rapidement (6 mois), le Code de l’environnement en ce sens. Il aura également à identifier, dans un délai de 9 mois, au sein du catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, celles de ces variétés (en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides) qui y auraient été inscrites « sans que ne soit conduite l’évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises compte tenu de la technique ayant permis de les obtenir » [11]. Cela pourra amener en pratique à retirer les variétés concernées du catalogue et à en suspendre la culture. En second lieu, l’arrêt du Conseil d’État consacre une grande partie de ses développements à l’interprétation du principe de précaution eu égard aux risques suspectés de la culture des VrTH [12]. Selon le juge, en dépit des incertitudes subsistant quant à la réalité et à la portée de ces risques en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution, en vertu de l’article 5 de la Charte de l’environnement, imposait au gouvernement de mettre en œuvre des procédures d’évaluation appropriées de ces risques, ce qui n’a pas été le cas. Le Conseil d’État demande dès lors au gouvernement de prendre, dans un délai de 6 mois, les mesures nécessaires en matière d’évaluation des risques liés aux VrTH et de recueil des données liées à leur culture. Il enjoint également au Gouvernement de prescrire des conditions de culture appropriées pour les VrTH issues de la mutagenèse et cultivées en France.
6Ces deux précisions sont importantes. En effet, à leur lecture, il est possible d’anticiper ce que sera le statut réglementaire des nouvelles techniques en France. Cela est d’autant plus simple que le Conseil d’État a fait usage de son pouvoir d’injonction en enjoignant le gouvernement de modifier le droit français et de le compléter dans des délais très rapides. On rappellera que, en application de la directive 2001/18, l’article L. 531-2 du Code de l’environnement prévoit que « ne sont pas soumis » aux dispositions du présent titre « les organismes génétiquement modifiés obtenus par des techniques qui […] ont fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement » et ajoute que « la liste de ces techniques est fixée par décret après avis du Haut Conseil des biotechnologies ». L’article actuel D. 531-2 dudit Code liste ces techniques dont « 2° À condition qu’elles n’impliquent pas l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés en tant qu’organismes récepteurs ou parentaux : « a) La mutagenèse ». Or, suite à l’arrêt, un projet de décret venant modifier cet article D. 531-2 et reprenant de façon très littérale l’arrêt, a été notifié par le gouvernement à la Commission. Il précise notamment que les techniques mentionnées à l’article L. 531-2 sont les techniques de mutagenèse aléatoire, à l’exception de la mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques. » [13]. Le projet de décret s’accompagne de deux arrêtés qui listent les variétés enregistrées au catalogue européen (par d’autres pays que la France ou par la France) et qui sont « issues de mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques ». Pour ces variétés, le gouvernement indique qu’elles seront interdites à la commercialisation et à la mise en culture en France, faute d’avoir été évaluées et autorisées au titre de la réglementation relative aux OGM. L’article 2 du projet de décret prévoit uniquement que « les cultures de végétaux obtenus par une technique de mutagénèse aléatoire in vitro […] qui ont été semées ou implantées avant la date de leur inscription sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’agriculture, énumérant les variétés dont l’inscription au catalogue a été annulée ou qui satisfont aux conditions d’une telle annulation, peuvent être menées à terme ».
7Certes, ces projets ne sont pas encore adoptés. Dans le cadre de la procédure de notification européenne dont l’objectif est de « prévenir la création d’obstacles au commerce » [14], la Commission et les autres États peuvent [15] émettre des avis circonstanciés, observations ou objections à l’égard de ces projets. Toutefois, il faut rappeler que l’arrêt de la CJUE a été certes rendu en réponse au Conseil d’État français, mais revêt l’autorité de la chose interprétée pour tous les États ainsi que pour la Commission. Il faut également souligner que les précisions données par le Conseil d’État sont en germe dans l’arrêt de la CJUE qui avait considéré qu’une altération du génome d’une espèce vivante peut conduire à qualifier l’organisme de « génétiquement modifié » dès lors qu’elle ne s’effectue pas naturellement ce qui est le cas pour les techniques visées qui impliquent « pour certaines le recours à des agents mutagènes chimiques ou physiques, et, pour d’autres, le recours au génie génétique » [16]. Le sort en droit français et en droit de l’Union des nouvelles techniques de modification génétique n’est pas loin d’être scellé. En effet, l’arrêt de la CJUE n’interdit pas une révision de la directive, le législateur peut en effet « reprendre la main » au juge. D’ailleurs, le 8 novembre dernier [17], le Conseil de l’Union européenne invitait la Commission « à soumettre, pour le 30 avril 2021 au plus tard, une étude à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice […] concernant le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union » car, si l’arrêt de la CJUE a « apporté de la clarté », il a également soulevé des questions pratiques qui ne sont pas sans « conséquences pour les autorités nationales compétentes, l’industrie de l’Union, en particulier le secteur phytogénétique, la recherche et au-delà » [18]. Toutefois, ce travail n’impliquera pas nécessairement une révision de la directive puisque le Conseil évoque la possibilité d’une proposition le cas échéant. Surtout, pour l’heure il ne semble pas y avoir un accord majoritaire, loin s’en faut, des États, autour de l’idée d’une telle révision. Et, dans tous les cas, un tel processus n’interfère pas aujourd’hui avec les obligations imposées par le Conseil d’État au gouvernement.
II – Un entre-deux annonciateur des discussions à venir
8Si les évolutions du droit des biotechnologies au contact des nouvelles techniques de mutagénèse s’annoncent désormais assez clairement, les discussions qui vont l’accompagner peuvent être tout autant anticipées. Il faut en effet d’abord rappeler que, pas plus que celui de la CJUE, l’arrêt du Conseil d’État ne lève certaines indéterminations déjà évoquées. C’est le cas de plusieurs expressions issues du considérant 17 de la directive et de son interprétation par la CJUE puis par le Conseil d’État : celles de techniques dites « traditionnelles » ; de techniques dont la « sécurité » est « avérée » « depuis longtemps » ou encore de techniques « qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive 2001/18 ». Ces expressions ne sont en effet pas plus avant définies alors même qu’elles sont susceptibles d’interprétations hétérogènes. Certes, en intégrant la mutagénèse aléatoire in vitro avec utilisation d’agents mutagènes chimiques ou physiques, le Conseil d’État apporte, en creux, une précision car les premières méthodes de ce type ont été expérimentées dès les années 1980 et les cultures en plein champ se sont développées dans la deuxième moitié des années 1990. Puis, elles se sont « principalement » développées dans les années 2000. Ainsi manifestement, la date de 2001 n’est pas une date-couperet. Manifestement encore, quelques années d’utilisation ne suffisent pas à établir le caractère traditionnel d’une technique, ni, pour montrer que sa sécurité est avérée « depuis longtemps». Toutefois, cette précision ne règle pas tout, loin s’en faut, en particulier, rien n’est dit de plus sur le second critère de l’exemption, celui relatif à la « sécurité avérée » [19] des techniques et ce alors même que, du fait de la souplesse du critère temporel, il est déterminant.
9Le libellé même de la décision du Conseil d’État nourrit également la discussion. Il fait en effet apparaître des nouvelles catégories sans en donner de définition. C’est le cas de la catégorie « mutagenèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques ». Or, d’abord, la mutagénèse aléatoire n’est pas plus définie que la mutagénèse auparavant alors même qu’elle est nécessaire pour une bonne application de l’exemption [20]. Certes, le communiqué de presse accompagnant l’arrêt donne quelques repères, selon ses propres termes [21]. Mais, il ne s’agit que d’un communiqué de presse. Ensuite, la référence aux techniques utilisant des « agents mutagènes chimiques ou physiques » peut également aboutir à des positions contradictoires. Par exemple, certaines techniques de mutagénèse in vitro induisent des mutations par la mise en culture in vitro de cellules dans un milieu : celles qui consistent en la variation somaclonale. Ces techniques entrent-elles dans le champ d’application de la directive ? Les éléments chimiques utilisés dans le milieu de culture in vitro sont-ils des agents mutagènes ou non ? On voit déjà poindre les questions.
10La décision du Conseil d’État nourrit également la discussion par ce qu’elle ne dit pas. Le Conseil d’État ne présente pas une liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse exemptées (et, donc, par déduction, de celles donc non exemptées), mais précise uniquement les types de techniques qui ne doivent pas être incluses dans la liste. Il considère qu’il revient au gouvernement de fixer, par décret pris après avis du Haut Conseil des biotechnologies, ladite liste. D’ailleurs, par le biais de deux projets d’arrêtés, le gouvernement suggère une liste énumérant les variétés obtenues par une technique de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques et dont l’inscription au catalogue devrait être, pour cette raison, annulée [22]. Or, les réactions à propos de cette liste, des critères comme des motifs de l’inscription sur ladite liste, sont déjà audibles. Il faut dire qu’il n’existe pas d’obligation de transparence sur le mode d’obtention des variétés inscrites au catalogue en France. En conséquence, il est logique que la discussion soit vive sur l’exhaustivité d’une telle liste. Cela l’est d’autant plus que cette discussion rejoint un autre débat plus large, le débat sur les modalités pour identifier la technique utilisée (pour obtenir une même mutation génétique). La traçabilité biologique est-elle possible ? Les méthodes disponibles (identifiants génétiques, moléculaires ou épigénétiques ; marqueurs moléculaires insérés dans le patrimoine génétique…) peuvent-elles être efficaces ? Si l’option est celle de la traçabilité documentaire, doit-il s’agir d’une démarche volontaire des opérateurs économiques ou d’une démarche obligatoire imposée par les pouvoirs publics ?
11Ainsi, les discussions devraient encore être nourries. Il n’en demeure pas moins que le statut réglementaire des nouvelles techniques de mutagénèse en France devrait être d’ici peu scellé et dans un sens particulièrement protecteur de l’environnement.
Mots-clés éditeurs : principe de précaution, OGM, variétés tolérantes aux herbicides, mise sur le marché d’OGM, Directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, cultures d’OGM, nouvelles techniques de sélection
Date de mise en ligne : 14/10/2020
Notes
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[1]
JORF n° 0290 du 14 décembre 2019, texte n° 6.
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CJUE, 25 juillet 2018, Confédération paysanne e.a. contre Premier ministre et Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, ECLI:EU:C:2018:583. On citera à plusieurs reprises les conclusions de l’Avocat général Michal Bobek rendues le 18 janvier 2018 dans cette affaire, ECLI:EU:C:2018:20.
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CE, 3e et 8e ch. réunies, 3 octobre 2016, n° 388649 : JurisData n° 2016-020957.
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La « directive ne s’applique pas aux organismes obtenus par certaines techniques de modification génétique (article 3-1 de la directive 2001/18), celles énumérées à l’annexe I B, notamment « la mutagénèse », « à condition qu’elles n’impliquent pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres ».
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Pt 51 de l’arrêt de la CJUE.
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Considérant 8 et article 1er de la directive.
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Conseil d’État, 7 février 2020, Confédération paysanne et a., n° 388649.
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E. Brosset et C. Noiville, « OGM et mutagénèse. L’arrêt du Conseil d’État comme vrai-faux épilogue », Cahier Droit, Science et Technologies, n° 10, 2020, https://journals.openedition.org/cdst/1786.
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Cons. 6 de l’arrêt.
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Cons. 12.
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Sont évoqués des risques de dissémination du matériel génétique, d’apparition de mauvaises herbes ayant elles-mêmes acquis un gène de résistance à l’herbicide, d’augmentation en conséquence des quantités et de variation des types d’herbicides utilisés, de pollution des eaux et de l’environnement en résultant et d’accumulation de molécules cancérigènes ou de perturbateurs endocriniens dans des plantes cultivées destinées à l’alimentation humaine ou animale.
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Décret n° [] du [] relatif à la modification de la liste des techniques d’obtention d’organismes génétiquement modifiés ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement.
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Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 241 du 17 septembre 2015, p. 15).
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À partir de la date de notification du projet (6 mai), une période de statu quo de trois mois débute – au cours de laquelle l’État membre, auteur de la notification, ne peut pas adopter la règle technique en question – permettant à la Commission et aux autres États membres d’examiner le texte notifié et de répondre de façon appropriée.
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Pt 29 de l’arrêt.
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Décision (UE) 2019/1904 du Conseil du 8 novembre 2019 invitant la Commission à soumettre une étude à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire C-528/16 concernant le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union, et une proposition, le cas échéant pour tenir compte des résultats de l’étude, JO, L 293, 14 novembre 2019, p. 103-104.
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Parmi ces questions figure celle de savoir comment assurer la conformité avec la directive 2001/18/CE lorsque les méthodes actuelles ne permettent pas de distinguer les produits obtenus à partir de nouvelles techniques de mutagénèse de ceux nés d’une mutation naturelle et comment assurer, dans pareille situation, l’égalité de traitement entre les produits importés et les produits originaires de l’Union.
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[19]
Pour le premier par exemple, si certes, les techniques/méthodes apparues postérieurement à 2001 peuvent être considérées aujourd’hui comme nouvelles, elles vont, toutefois, pour certaines, devenir dans quelques années « traditionnelles » dans leurs utilisations. À partir de quel moment, le jeu du considérant 17 et donc de l’exemption pourra-t-elle jouer ? Comment et qui devra définir qu’une utilisation est devenue « traditionnelle » ?
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Elle est nécessaire également pour que les États puissent appliquer leur possibilité de réglementer, au niveau national et dans le respect du droit de l’Union européenne, les organismes génétiquement modifiés obtenus au moyen de techniques exemptées. Point 82 de l’arrêt : « Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18, lu conjointement avec l’annexe I B, point 1, de celle-ci, dans la mesure où il exclut du champ d’application de cette directive les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, doit être interprété en ce sens qu’il n’a pas pour effet de priver les États membres de la faculté de soumettre de tels organismes, dans le respect du droit de l’Union, en particulier des règles relatives à la libre circulation des marchandises édictées aux articles 34 à 36 TFUE, aux obligations prévues par ladite directive ou à d’autres obligations. ».
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[21]
On y apprend que la mutagenèse désigne un ensemble de techniques destinées à provoquer des mutations génétiques internes chez un organisme vivant, contrairement à la transgénèse, qui insère dans le génome d’un organisme un gène d’une autre espèce ; que la mutagenèse aléatoire vise à accroître la fréquence des mutations génétiques spontanées des organismes vivants et qu’elle peut être réalisée in vivo (les agents mutagènes sont employés sur la plante entière ou des parties de plantes), ou in vitro (les agents mutagènes sont employés sur des cellules de la plante, la plante entière étant ensuite reconstituée artificiellement).
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[22]
En France, il s’agit uniquement de variétés de colzas. Dans le message accompagnant la notification de l’arrêté listant toutes ces variétés, le gouvernement précise bien qu’il s’agit de « variétés de colza tolérantes aux herbicides, commercialisées sous le nom de colza Clearfield » pour lesquelles « la méthode d’obtention décrite dans la bibliographie correspond à cette technique ».