Couverture de RJE_203

Article de revue

Le dommage écologique face au juge environnemental au Chili

Pages 455 à 464

Notes

  • [1]
    Mes remerciements aux projets suivants : Center for Climate and Resilience Research (ANID/FONDAP 15110009), Solar Energy Research Center (ANID/FONDAP 15110019).
  • [2]
    V. Delgado, « La responsabilidad civil extracontractual por el daño ambiental causado en la construcción u operación de las carreteras », Revista de Derecho, Universidad Austral de Chile, vol. XXV, n° 1, 2012, p. 47-76 ; J. Tisné Niemann, « Los intereses comprometidos en el daño ambiental. Comentario al nuevo procedimiento por daño ambiental de la ley 20.600 », Revista de Derecho, Universidad Católica del Norte, vol. 21, n° 1, 2014, p. 348.
  • [3]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 283 ; R. Valenzuela, « Responsabilidad civil por Daño Ambiental en la Legislación Chilena », Roma e America, Diritto Romano Comune, Universidad de Roma « Tor Vergata », n° 11, 2001, p. 3-19.
  • [4]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 284.
  • [5]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 20 mars 2015, affaire D-2-2013.
  • [6]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 7 juillet 2017, affaire D- 17-2015.
  • [7]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 20 mars 2015, affaire D-2-2013.
  • [8]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 6 janvier 2017, affaire D-15-2015, Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 24 août 2016, affaire D-3-2014. V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 284.
  • [9]
    J. Bermúdez, Fundamentos de Derecho Ambiental, Valparaíso, Ediciones Universitarias de Valparaíso, 2014, p. 390.
  • [10]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 285.
  • [11]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 286.
  • [12]
    Inversiones J y B Limitada, Sociedad Contractual contre Minera Tambillos, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 24 août 2016, affaire D-14-2014 ; Municipalidad de Maipú, Consejo de Defensa del Estado contre Sociedad Minera La Española Chile Limitada, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago du 29 mars 2018, affaire D-15-2015. V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 287.
  • [13]
    Traduit par l’auteur. Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 29 novembre 2014, affaire D-6-2013.
  • [14]
    D. Peña, Responsabilidad por daño ambiental en Chile: ¿Existe una real protección del medio ambiente? Análisis de las sentencias que ordenaron reparar daño ambiental y su posterior cumplimiento?, Thèse de Master en Droit, Université du Chili, 2017, 134 p.
  • [15]
    D. Peña, Responsabilidad por daño ambiental en Chile: ¿Existe una real protección del medio ambiente? Análisis de las sentencias que ordenaron reparar daño ambiental y su posterior cumplimiento?, Thèse de Master en Droit, Université du Chili, 2017, 134 p.
  • [16]
    S. Luengo, « Responsabilidad por daño ambiental: configuración jurisprudencial de la significancia », Revista de Justicia Ambiental, 2018, p. 50.
  • [17]
    Fisco de Chile contre De la Moi Sierralta Alejandro, Wosniuk Moroz Benjamín, Budge Blanco Alejandro, Cour Suprême, 10 décembre 2015, affaire rol n° 25.720-2014 ; Consejo de Defensa del Estado contre Sociedad San Juan de Krondstand y otros, 5 novembre 2009, affaire rol n° 4462-2008 ; Fisco de Chile con Arzobispado de la Serena, Cour Suprême, 20 novembre 2014, affaire rol n° 21.327-2014 ; Asociación de canalistas Embalse Pitama contre Concesionaria Ruta del Pacífico, Cour Suprême, 1 septembre 2010, affaire Rol n° 369-2009.
  • [18]
    Estado de Chile con Servicios Generales Larenas Ltda, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 29 novembre 2014, affaire D-6-2013.
  • [19]
    Jaque Blu, Juan Carlos y contre Inmobiliaria Quilamapu Ltda., Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 30 mai 2015, affaire D-5-2015 ; I. Municipalidad de Río Negro contre Seimura Carrasco Valdeavellano, Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 21 juin 2016, affaire D-3-2014 ; Junta de Vigilancia de la Tercera Sección del Río Mapocho contre Aguas Andinas S.A, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 27 avril 2017, D-24-2016 ; Ilustre Municipalidad de Maipú contre Minera Española Chile Limitada, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 6 janvier 2017, affaire D-15-2015 ; Inversiones J y B Limitada contre Sociedad Contractual Minera Tambillos, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 24 août 2016, affaire D-14-2014 ; Agrícola Huertos de Catemu S.A. contre Compañía Minera Catemu Ltda., 26 janvier 2015, affaire D-9-2014 ; Rubén Cruz Pérez con Compañía Minera Nevada SpA, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 20 mars 2015, affaire D-2-2013 ; Álvaro Toro Vega contre Ministerio del Medio Ambiente, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 10 avril 2015, affaire Rol n° D-3-2013 ; Estado de Chile con Servicios Generales Larenas Ltda, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 10 avril 2015, affaire D-6-2013 ; Justo Miranda Vera y otro con Ilustre Municipalidad de Puerto Natales, Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 8 juillet 2016, D-13-2015.
  • [20]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 291.
  • [21]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 291.
  • [22]
    Consejo de Defensa del Estado contre Sociedad Contractual Minera Compañía de Salitre y Yodo Soledad, Cour Suprême, 28 octobre 2011, affaire rol n° 5826-2009.
  • [23]
    Inversiones J y B Limitada contre de la Sociedad Contractual Minera Tambillos, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 24 août, affaire D-14-2014.
  • [24]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 6 janvier 2017, affaire D-15-2015.
  • [25]
    S. Luengo, « Responsabilidad por daño ambiental: configuración jurisprudencial de la significancia », Revista de Justicia Ambiental, 2018, p. 43-44.
  • [26]
    Troisième Tribunal Environnemental, 30 mai 2015, affaire D-5-2015.
  • [27]
    Troisième Tribunal Environnemental, 21 juin 2016, affaire D-3-2014.
  • [28]
    S. Luengo, « Responsabilidad por daño ambiental: configuración jurisprudencial de la significancia », Revista de Justicia Ambiental, 2018, p. 50.

Introduction

1Depuis la création des tribunaux de l’environnement en 2012 par la loi 20.600, l’action en réparation pour dommage écologique pur relève de la juridiction spéciale, tandis que l’action en indemnisation pour les pertes matérielles personnelles (dommage patrimonial) est connue par le juge ordinaire.

2En ce qui concerne l’action en réparation, elle peut être intentée par toute personne physique ou morale qui a souffert d’un dommage ; par les mairies, pour les dommages ayant lieu dans leurs circonscriptions et par l’État (article 54 de la Loi-cadre sur l’environnement) lorsque l’environnement ou l’un de ses éléments est touché de façon significative. Il ne s’agit pas d’une responsabilité objective, sauf s’il existe une atteinte à une norme environnementale, auquel cas c’est la présomption de responsabilité consacrée dans l’article 52 de la Loi-cadre sur l’environnement (LCE) qui opère.

3Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur l’Environnement en 1994, on peut identifier cinquante-six demandes en réparation présentées devant le juge ordinaire, dans la plupart des cas par le Conseil de Défense de l’État. Le délai de procédure est similaire à celui d’autres actions en responsabilité extracontractuelle, soit six ans en moyenne. Les demandes en réparation de l’environnement finissent pour la plupart par un accord entre les parties.

4Dans ce contexte, l’objectif de l’action en réparation et l’indemnisation sont noyés dans la procédure judiciaire. Ainsi, une fois que le lien de causalité entre le fait et le dommage est établi et que ce dernier est qualifié de significatif, la décision du tribunal ou l’accord adopté par les parties ordonne le paiement d’une indemnisation supposée être utilisée pour la réparation du dommage environnemental. Or, depuis la création d’une justice spéciale en matière d’environnement, celle-ci a beaucoup développé le contenu de la responsabilité pour dommage écologique pur, ce qui s’est traduit par l’efficacité de l’action en réparation.

5L’analyse jurisprudentielle permet de mettre en valeur l’apport du juge environnemental en matière d’accès à la justice (I.), d’allègement de la charge de la preuve (II.), ainsi que la précision de concepts ambigus (III.).

I – L’apport en matière d’accès à la justice

6Selon l’article 54 de la Loi sur l’Environnement, ceux qui peuvent agir en justice à travers une action en réparation sont les personnes physiques, morales, publiques ou privées, touchées par le dommage ; les mairies, pour les dommages causés dans leurs circonscriptions et l’État, par l’intermédiaire du Conseil de Défense de l’État.

7D’après cet article, les personnes physiques et morales qui agissent en justice à travers une action en réparation doivent être directement touchées. Cette exigence est considérée par la doctrine comme une limitation à l’exercice de cette action, car elle ne serait pas cohérente avec le caractère collectif des intérêts en jeu. En effet, pour certains, cette action devrait promouvoir l’accès à la justice des ONG qui, justement, représentent des intérêts collectifs et diffus [2].

8Quant aux tribunaux ordinaires, ils exigeaient la preuve d’un préjudice patrimonial ou d’une atteinte à la santé de celui qui agit ; et ce malgré le fait que, face à un dommage écologique pur, il n’y ait pas nécessairement une personne touchée, mais un environnement, un écosystème ou un élément de l’environnement affecté [3]. Cette vision aurait été inspirée, selon certains, par la vision « individualiste du droit », ancrée dans nos codes civils, alors que ce sont des intérêts collectifs et diffus qui sont en jeu [4].

9Mais, à la différence de ce qui arrivait dans le cadre de la justice ordinaire avant 2012, où la plupart des demandes étaient présentées par l’État, la plupart des demandeurs pour dommage écologique devant le juge spécialisé sont des personnes physiques. Des trente-deux arrêts prononcés par les tribunaux de l’environnement en matière de réparation de l’environnement, treize ont été des procédures initiées par des personnes physiques et quatre par la société civile organisée.

10Ceci s’explique par l’interprétation du juge de l’environnement qui a développé le concept d’atteinte directe ou intérêt à agir des demandeurs établi par le législateur. À la différence des tribunaux ordinaires attachés à un concept d’atteinte au patrimoine et à la santé, les tribunaux de l’environnement vont élargir ce concept d’atteinte directe dans le cas de personnes physiques ou morales. Dans le premier cas, ils considèrent que les personnes physiques qui ont un intérêt à agir sont celles qui habitent ou développent leur activité principale dans le territoire où le dommage se produit ou se manifeste.

11C’est ce qui s’est passé dans le cas du projet minier de Barrick Gold, Pascua Lama, dans le cadre duquel le Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago n’a pas exigé la preuve du dommage patrimonial ou de l’atteinte à la santé des demandeurs, comme le faisaient auparavant les tribunaux ordinaires. Au contraire, il a défini la capacité à agir en fonction du lieu de domiciliation des demandeurs ou du lieu d’exercice de leur activité principale [5].

12Quant aux personnes morales, la justice spécialisée considère qu’elles ont un intérêt à agir lorsqu’elles sont installées ou exercent leur activité principale sur le territoire où le dommage se produit ou se manifeste. Elle crée, aussi, un nouveau critère selon lequel les personnes morales peuvent justifier leur droit à agir en justice par l’objet social de leurs organisations, tel qu’il est établi dans leurs statuts. Ainsi, si l’objet social d’une association est la protection d’un type d’espèce protégée qui a été touchée par un dommage, celle-ci pourra agir en justice en sollicitant la réparation de l’espèce atteinte, indépendamment du siège social de l’organisation.

13Par exemple, dans le cas d’une usine de traitement des eaux, la communauté, à travers le conseil des voisins, a présenté une demande en réparation pour dommage écologique. Dans ce cas, le Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago a reconnu le droit à agir dudit conseil puisqu’il était « présent sur le territoire » près de l’usine dont l’activité était la cause du dommage, mais aussi parce que la protection de l’environnement était consacrée par ses statuts [6].

14Parallèlement, le juge environnemental a signalé qu’il est nécessaire de définir le concept de territoire au cas par cas, de façon à compter avec une interprétation utile. Dans cette perspective, il assimile parfois le territoire à l’aire d’influence d’un projet d’investissement ou activité, telle qu’elle a été définie dans le cadre du système d’évaluation d’impact [7].

15Outre les personnes physiques ou morales, nous avons mentionné que l’action en réparation pour dommage écologique peut être présentée par les municipalités. À ce propos, la doctrine souligne que celles-ci peuvent agir seulement à la demande d’un citoyen, elles ne peuvent pas le faire d’office, malgré le fait d’être une organisation bien placée pour défendre les intérêts collectifs. De plus, l’on constate d’importantes difficultés pour que leurs demandes aboutissent, faute de capacités technico-juridiques.

16À ce sujet, nous pouvons indiquer que, jusqu’en 2018, les Tribunaux de l’environnement ont reçu soixante-dix-neuf demandes pour dommage écologique, dont dix-sept ont été présentées par les municipalités. Dans deux cas seulement, le Tribunal a retenu la responsabilité pour dommage écologique pur et ordonné la réparation. Dans tous les autres cas, l’action en réparation a échoué [8].

17De l’analyse précédente nous pouvons conclure que le juge environnemental a favorisé l’accès à la justice en matière de réparation du dommage écologique par le changement d’interprétation de l’intérêt à agir. En effet, depuis la création de la justice spécialisée en 2012, les juges n’ont pas exigé la preuve de l’atteinte au patrimoine ou à la santé du demandeur pour justifier d’un tel intérêt. De plus, ils ont élargi le concept de territoire où se trouvent les demandeurs, personnes physiques et morales. Parallèlement, ils ont introduit un nouveau critère pour justifier l’action en justice des personnes morales (l’objet de leurs statuts), ce qui sans aucun doute favorise la situation de la société civile organisée. Toutefois, il est nécessaire de signaler que les municipalités rencontrent encore beaucoup de difficultés pour agir devant le juge environnemental dans ce domaine.

II – L’allégement de la charge de la preuve des demandeurs

18L’action en réparation pour dommage écologique est dirigée contre celui qui a causé un dommage significatif à l’environnement (article 51 LCE). Il s’agit d’une responsabilité subjective, car le demandeur doit prouver la faute ou le dol de l’éventuel responsable, sauf si celui-ci n’a pas respecté une norme environnementale. Dans cette dernière hypothèse, s’applique la présomption consacrée par l’article 52 de la LCE.

19Pour certains [9], cette présomption transforme le système général de responsabilité subjective en une responsabilité objective, ce qui faciliterait la charge de la preuve du demandeur qui serait libéré de l’obligation d’établir la faute ou le dol de celui qui a causé le dommage. C’est pour cette raison que Delgado signale que, bien que le demandeur n’a pas l’obligation de prouver l’illégalité commise par le défendeur, il est conseillé de le faire afin d’éviter de prouver le caractère fautif de son action ou omission [10]. Dans cette perspective, le juge environnemental renforce le champ d’application de la présomption, à travers une compréhension plus large de l’opportunité et du contenu de ladite présomption.

20Quant à l’opportunité, le législateur a inclus une liste de normes dont le non-respect donnerait lieu à l’application de la présomption de l’article 52 : « normes de qualité, normes d’émission, plans de prévention ou de dépollution, réglementations spéciales pour les cas d’urgence environnementale ou de protection de l’environnement, normes de préservation ou de conservation, établies dans la présente loi ou dans d’autres dispositions juridiques ou réglementaires ». Il s’agit d’une définition contestée par la doctrine étant donné l’omission des normes administratives (règlements), des permis environnementaux et décisions administratives, adoptées dans le cadre du système d’impact [11].

21Ce n’est pas l’avis du juge environnemental qui, au contraire, considère nécessaire d’analyser si la norme violée est une norme de caractère environnemental, permettant ainsi une application plus large de la présomption et donc, un allègement de la charge de la preuve [12].

22Par exemple, dans le cas d’extraction d’agrégats de la rivière Duqueco, où le Conseil de Défense de l’État a présenté une demande en réparation pour dommage écologique contre la Société Larenas LTDA, le Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago a présumé la responsabilité de ladite société en raison du non-respect d’une norme du Code des eaux. Pour arriver à cette conclusion, le juge s’est interrogé sur l’existence de la violation d’une norme quelconque, a ensuite constaté le non-respect normatif et, enfin, s’est demandé si la norme examinée pouvait être considérée comme une norme environnementale. À ce propos, il signale qu’« en conformité avec ce qui a été indiqué précédemment, il est raisonnable de supposer qu’en cas de non-respect d’une disposition dont le but est de protéger, préserver ou conserver l’environnement, et dans les circonstances où se produisent les effets que ladite norme a voulu éviter, soit présumé légalement que celui qui n’a pas respecté la norme est le responsable » [13].

23Concernant le contenu de la présomption de l’article 52 de la LCE, le juge environnemental va plus loin que la justice ordinaire en interprétant que la présomption sert à établir la responsabilité du défendeur, mais aussi le lien de causalité entre l’acte qui cause le dommage écologique et celui-ci. Pour arriver à cette conclusion, le juge se fonde sur le deuxième paragraphe de l’article 52 qui signale que l’indemnisation a lieu lorsqu’il a été prouvé le lien de causalité entre l’infraction et le dommage écologique. A contrario sensu, le juge considère que si le législateur a été explicite en signalant que la présomption s’applique au lien de causalité dans le cadre de l’exercice de l’action en indemnisation, c’est parce qu’il entendait que l’action en réparation était incluse.

24Ainsi, l’allègement de la charge de la preuve des demandeurs grâce à l’interprétation large du champ d’application de la présomption de l’article 52 de la part du juge environnemental, favorise aussi l’accès à la justice, étant donné les inégalités matérielles existantes entre les parties dans ce domaine. En effet, depuis la création des tribunaux environnementaux, les demandes en réparation pour dommage écologique sont dirigées, dans la plupart des cas, contre les titulaires de projets miniers. D’autres demandes sont présentées pour les dommages causés par l’extraction illégale d’agrégats, le traitement des eaux usées, les transports publics (ligne de train), mais en tout cas contre des défendeurs ayant une capacité économique et une assistance juridique de qualité. De la part des demandeurs pour dommage écologique, il s’agit dans la plupart des cas de représentants de la société civile organisée, des individus ou des municipalités dotés d’une faible assistance juridique. En effet, l’unique situation dans laquelle demandeur et défendeur se trouvent dans une situation équitable est celle où l’État est demandeur.

III – L’éclaircissement des concepts ambigus : le caractère significatif de l’atteinte à l’environnement

25D’après les termes utilisés par le législateur, il y a dommage écologique lorsque l’on constate l’existence d’une « perte, diminution, détriment, ou déficience significative provoquée à l’environnement ou à un ou plusieurs de ses composants » (article 2 lettre e) de la LCE).

26À ce propos, il est important de signaler que le cadre juridique chilien établit une définition large de l’environnement en considérant, d’une part, des éléments naturels (eau, sol, faune ou flore) et leurs interactions, et d’autre part, des éléments artificiels (culturels) (article 2 lettre II de la LCE).

27Du point de vue des demandes pour dommage écologique, il est possible de distinguer celles présentées devant le juge ordinaire, de celles connues par le juge environnemental. Les premières concernent particulièrement les dommages causés à l’eau, ainsi que les dommages causés aux sols, milieu humain, flore, patrimoine culturel et glaciers [14], tandis que les secondes visent en premier lieu les dommages causés aux écosystèmes. On trouve également des demandes qui cherchent à réparer les dommages causés à la flore, au patrimoine culturel, au sol et à l’eau [15].

28Ainsi, pour déclencher la responsabilité pour dommage écologique, il est nécessaire de prouver que celui-ci a un caractère significatif. Toutefois, et comme il a été mentionné auparavant, le législateur ne précise aucun critère pour déterminer ce caractère. Cette ambigüité peut être considérée comme une opportunité pour le juge environnemental, qui, à son tour, profitera de ce vide juridique pour donner un contenu plus précis à ce concept [16].

29Pour cela le juge environnemental a repris et précisé les critères utilisés jusqu’alors par la justice ordinaire qui concevait le caractère significatif en fonction de : a) La durée du dommage ; b) L’ampleur du dommage ; c) La quantité de ressources affectées et si les ressources sont remplaçables ; d) La qualité ou valeur des ressources touchées ; e) Les conséquences du dommage sur les écosystèmes ; f) La vulnérabilité des écosystèmes touchés ; g) La capacité et le temps de régénération [17].

30Dans ce contexte, il est possible d’affirmer, que le critère le plus utilisé par le juge environnemental pour définir le caractère significatif du dommage écologique continue à être son ampleur, sa durée dans le temps et/ou son extension physique sur le territoire. Toutefois, dorénavant, il incorporera de plus en plus des éléments qualitatifs [18].

31Dans le cas de l’irréversibilité du dommage écologique, le juge environnemental considère le temps nécessaire pour que l’environnement touché soit rétabli naturellement ou par l’action humaine.

32Les tribunaux de l’environnement ont défini la capacité de régénération de l’environnement endommagé sous un angle écologique et humain [19]. Par exemple, dans le cas d’un dommage causé aux sols, le Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia a considéré que tant que des mesures définitives pour enlever les résidus déversés dans les sols n’étaient pas exécutées, le dommage aurait un caractère permanent (plus de six ans) et donc significatif.

33Parallèlement, la justice spécialisée considère de nouveaux éléments pour définir le caractère significatif du dommage, tels que la valeur des services écosystémiques, du paysage ou des zones côtières, la représentativité de l’espèce ou l’élément de l’environnement touché dans leur écosystème [20]. Il a aussi utilisé une méthode comparative entre l’élément de l’environnement touché et un autre élément similaire situé dans un environnement non affecté, comme par exemple le cas de réparation pour dommage écologique d’un glacier situé dans la zone de développement d’un projet minier (Pascual Lama). Dans ce cas, le Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago a comparé le glacier susceptible d’être touché par l’activité minière et un autre glacier ayant des caractéristiques physiques similaires, sans pouvoir constater une différence importante dans la perte de volume qui aurait pu justifier le caractère significatif du dommage écologique provoqué par ladite activité industrielle.

34S’agissant des eaux, le juge environnemental a signalé que le caractère significatif du dommage dépend du degré de pollution causée aux eaux destinées à l’utilisation humaine ou aux cultures. Il y aurait eu aussi un dommage écologique significatif lors de l’extraction illégale d’eaux souterraines qui aurait provoqué une déficience du bassin [21]. Dans cette perspective, le Deuxième Tribunal de l’Environnement s’est prononcé dans un cas de pompage illégal des eaux réalisé dans une zone caractérisée par la désertification. Dans ce cadre, il a renforcé l’incorporation des éléments qualitatifs pour déterminer le caractère significatif du dommage [22].

35Un cas intéressant à analyser est la demande pour dommage écologique présentée dans le cadre de la rupture d’un bassin de résidus toxiques à la suite du tremblement de terre de 2010. Le Deuxième Tribunal de Santiago a considéré qu’il y avait un dommage écologique significatif sur la base de plusieurs critères : (i) le degré de toxicité ; (ii) la haute probabilité que le dommage continue à s’étendre ; (iii) la dimension temporelle du dommage ; (iv) l’irréversibilité ; (v) le niveau d’intervention humaine préexistant au dommage (vi). Parallèlement, le juge environnemental a intégré une notion de risque futur susceptible de provoquer un dommage actuel [23].

36Dans un autre cas, outre l’irréversibilité du dommage et son extension physique, le juge introduit des critères intéressants tels que la perte de capacité d’un élément de l’environnement qui est indispensable pour la survie de la biodiversité et pour des fins récréatives et la perte de terrains de loisirs touchés [24]. Parallèlement, le juge environnemental analyse les caractéristiques de vulnérabilité, par exemple lorsque le dommage se produit dans une zone protégée, touche à une espèce soumise à un système de protection officielle, engendre des pertes de terrains agricoles, diminue leur productivité ou provoque la non-utilisation des terrains [25].

37Quant au Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, il a établi la différence entre la responsabilité civile extracontractuelle, dommage à la propriété et la responsabilité pour dommage écologique [26]. En même temps, il a introduit comme critère pour définir le caractère significatif, la perte des services écosystémiques [27]. Il l’a fait dans le cadre d’une demande en réparation pour dommage écologique causé dans la rivière Chifin, à la suite de l’extraction illégale d’agrégats qui a provoqué des inondations dans la zone.

38Les précisions apportées par le juge environnemental à l’égard de ce concept ambigu duquel dépend l’existence d’un dommage ont élargi les frontières interprétatives développées jusqu’alors par la justice ordinaire. Ceci signifie une possibilité réelle de succès de l’action en réparation pour dommage écologique, grâce au fait que le juge prend en compte dans son examen non seulement chaque élément de l’environnement et ses interactions, mais aussi les conséquences de l’atteinte et le contexte où celle-ci se produit.

Conclusion

39L’apport du juge environnemental dans l’interprétation des éléments pour déclencher la responsabilité environnementale pour dommage écologique et pour exercer l’action en réparation dans un sens plus large que le juge ordinaire, a été expliqué par la doctrine en raison de son niveau de spécialisation juridique et technique – les tribunaux de l’environnement sont en effet composés de deux juges avocats et un juge technique (professionnel du domaine de l’environnement) – ainsi que par la définition du législateur pour favoriser la preuve à travers la saine critique, laquelle permettrait de fonder les décisions sur des raisons juridiques, scientifiques, logiques, techniques et/ou dans leur expérience [28].


Mots-clés éditeurs : juge environnemental, intérêt à agir, dommage écologique, responsabilité environnementale, responsable du dommage

Date de mise en ligne : 14/10/2020

Notes

  • [1]
    Mes remerciements aux projets suivants : Center for Climate and Resilience Research (ANID/FONDAP 15110009), Solar Energy Research Center (ANID/FONDAP 15110019).
  • [2]
    V. Delgado, « La responsabilidad civil extracontractual por el daño ambiental causado en la construcción u operación de las carreteras », Revista de Derecho, Universidad Austral de Chile, vol. XXV, n° 1, 2012, p. 47-76 ; J. Tisné Niemann, « Los intereses comprometidos en el daño ambiental. Comentario al nuevo procedimiento por daño ambiental de la ley 20.600 », Revista de Derecho, Universidad Católica del Norte, vol. 21, n° 1, 2014, p. 348.
  • [3]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 283 ; R. Valenzuela, « Responsabilidad civil por Daño Ambiental en la Legislación Chilena », Roma e America, Diritto Romano Comune, Universidad de Roma « Tor Vergata », n° 11, 2001, p. 3-19.
  • [4]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 284.
  • [5]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 20 mars 2015, affaire D-2-2013.
  • [6]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 7 juillet 2017, affaire D- 17-2015.
  • [7]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 20 mars 2015, affaire D-2-2013.
  • [8]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 6 janvier 2017, affaire D-15-2015, Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 24 août 2016, affaire D-3-2014. V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 284.
  • [9]
    J. Bermúdez, Fundamentos de Derecho Ambiental, Valparaíso, Ediciones Universitarias de Valparaíso, 2014, p. 390.
  • [10]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 285.
  • [11]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 286.
  • [12]
    Inversiones J y B Limitada, Sociedad Contractual contre Minera Tambillos, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 24 août 2016, affaire D-14-2014 ; Municipalidad de Maipú, Consejo de Defensa del Estado contre Sociedad Minera La Española Chile Limitada, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago du 29 mars 2018, affaire D-15-2015. V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 287.
  • [13]
    Traduit par l’auteur. Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 29 novembre 2014, affaire D-6-2013.
  • [14]
    D. Peña, Responsabilidad por daño ambiental en Chile: ¿Existe una real protección del medio ambiente? Análisis de las sentencias que ordenaron reparar daño ambiental y su posterior cumplimiento?, Thèse de Master en Droit, Université du Chili, 2017, 134 p.
  • [15]
    D. Peña, Responsabilidad por daño ambiental en Chile: ¿Existe una real protección del medio ambiente? Análisis de las sentencias que ordenaron reparar daño ambiental y su posterior cumplimiento?, Thèse de Master en Droit, Université du Chili, 2017, 134 p.
  • [16]
    S. Luengo, « Responsabilidad por daño ambiental: configuración jurisprudencial de la significancia », Revista de Justicia Ambiental, 2018, p. 50.
  • [17]
    Fisco de Chile contre De la Moi Sierralta Alejandro, Wosniuk Moroz Benjamín, Budge Blanco Alejandro, Cour Suprême, 10 décembre 2015, affaire rol n° 25.720-2014 ; Consejo de Defensa del Estado contre Sociedad San Juan de Krondstand y otros, 5 novembre 2009, affaire rol n° 4462-2008 ; Fisco de Chile con Arzobispado de la Serena, Cour Suprême, 20 novembre 2014, affaire rol n° 21.327-2014 ; Asociación de canalistas Embalse Pitama contre Concesionaria Ruta del Pacífico, Cour Suprême, 1 septembre 2010, affaire Rol n° 369-2009.
  • [18]
    Estado de Chile con Servicios Generales Larenas Ltda, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 29 novembre 2014, affaire D-6-2013.
  • [19]
    Jaque Blu, Juan Carlos y contre Inmobiliaria Quilamapu Ltda., Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 30 mai 2015, affaire D-5-2015 ; I. Municipalidad de Río Negro contre Seimura Carrasco Valdeavellano, Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 21 juin 2016, affaire D-3-2014 ; Junta de Vigilancia de la Tercera Sección del Río Mapocho contre Aguas Andinas S.A, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 27 avril 2017, D-24-2016 ; Ilustre Municipalidad de Maipú contre Minera Española Chile Limitada, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 6 janvier 2017, affaire D-15-2015 ; Inversiones J y B Limitada contre Sociedad Contractual Minera Tambillos, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 24 août 2016, affaire D-14-2014 ; Agrícola Huertos de Catemu S.A. contre Compañía Minera Catemu Ltda., 26 janvier 2015, affaire D-9-2014 ; Rubén Cruz Pérez con Compañía Minera Nevada SpA, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 20 mars 2015, affaire D-2-2013 ; Álvaro Toro Vega contre Ministerio del Medio Ambiente, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 10 avril 2015, affaire Rol n° D-3-2013 ; Estado de Chile con Servicios Generales Larenas Ltda, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 10 avril 2015, affaire D-6-2013 ; Justo Miranda Vera y otro con Ilustre Municipalidad de Puerto Natales, Troisième Tribunal de l’Environnement de Valdivia, 8 juillet 2016, D-13-2015.
  • [20]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 291.
  • [21]
    V. Delgado, « Reparación del daño ambiental causado a las aguas subterráneas en los Tribunales de Chile », Revista de Derecho Privado, n° 38, 2020, p. 291.
  • [22]
    Consejo de Defensa del Estado contre Sociedad Contractual Minera Compañía de Salitre y Yodo Soledad, Cour Suprême, 28 octobre 2011, affaire rol n° 5826-2009.
  • [23]
    Inversiones J y B Limitada contre de la Sociedad Contractual Minera Tambillos, Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 24 août, affaire D-14-2014.
  • [24]
    Deuxième Tribunal de l’Environnement de Santiago, 6 janvier 2017, affaire D-15-2015.
  • [25]
    S. Luengo, « Responsabilidad por daño ambiental: configuración jurisprudencial de la significancia », Revista de Justicia Ambiental, 2018, p. 43-44.
  • [26]
    Troisième Tribunal Environnemental, 30 mai 2015, affaire D-5-2015.
  • [27]
    Troisième Tribunal Environnemental, 21 juin 2016, affaire D-3-2014.
  • [28]
    S. Luengo, « Responsabilidad por daño ambiental: configuración jurisprudencial de la significancia », Revista de Justicia Ambiental, 2018, p. 50.

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