Couverture de RJE_203

Article de revue

Avant-propos

Pages 433 à 436

Notes

  • [1]
    Mireille Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Vers une communauté de valeurs ?, Édition du Seuil, mars 2011.

1Quels procès pour l’environnement ? Quels procès pour le climat ? Par qui ? Pourquoi ? Comment ? Alors que les procès environnementaux se complexifient sans cesse et que les procès climatiques se multiplient aux quatre coins de la planète, ces questions interpellent le juriste à plusieurs égards. Poser la question du rôle du procès, et du juge, c’est entamer une discussion nouvelle, non seulement dans le champ du droit mais aussi dans celui de la lutte contre la dégradation de l’environnement et du climat. C’est à cette discussion inédite que se livrent les auteurs de ce dossier spécial de la Revue juridique de l’environnement, en réfléchissant à l’un des défis les plus importants du droit de l’environnement et des changements climatiques, soit celui de son effectivité.

2Ce dossier spécial de la revue regroupe les réflexions de plusieurs chercheurs qui se sont réunis lors d’un colloque international ayant eu lieu à la Faculté de droit de l’Université Laval, à Québec, au Canada, les 3 et 4 octobre 2019, sous le thème Quelles actions en justice pour l’environnement et le climat ? Regards croisés. Des conférenciers brésiliens, chiliens, français et canadiens ayant participé à ce colloque, ainsi que d’autres auteurs invités, partagent, dans ce numéro, leurs regards sur ce thème, à l’invitation de la Faculté de droit de l’Université Laval, de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement et du Groupe de recherche international (GDRI) sur les procès environnementaux, dont le Centre d’études et de Recherches internationales et communautaires (CERIC) est la cheville ouvrière. Nous en profitons pour remercier le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et la Faculté de droit de l’Université Laval, qui ont contribué au financement de ce colloque et de l’édition du présent numéro.

3Les thèmes retenus par les auteurs des textes de ce numéro éclairent, sous différents angles, les diverses questions que posent ces procès environnementaux et climatiques.

4Le juriste Thomas Deleuil propose une analyse exhaustive et critique de la consécration des droits du fleuve Whanganui par le juge néo-zélandais. Il rappelle que dans le contexte de dégradation environnementale globale, plusieurs États ont choisi de renforcer leur droit de l’environnement en reconnaissant la « Terre nourricière » comme une entité juridique déterminée dotée de droit. À ce sujet, la décision de la Nouvelle-Zélande d’adopter une loi reconnaissant le fleuve Whanganui River comme sujet de droit est un dévelopement sans équivalent, dans la plupart des États occidentaux qui offre au juriste un nouveau modèle législatif pouvant avoir un impact tant sur le plan du contentieux interne néo-zélandais que dans le droit d’autres États, ce que le texte de Thomas Deleuil analyse.

5Les objectifs du procès environnemental devant le juge brésilien sont abordés par la professeure Carina Oliveira et la doctorante Larissa Coutinho. Elles expliquent d’abord que les objectifs de prévention et de réparation recherchés par le procès environnemental devant le juge brésilien répondent à des procédures différentes utilisées par les victimes, dans le cadre d’un procès individuel ou collectif par l’action de groupe. Des actions environnementales spécifiques existent dans le cadre de chaque type de procès : l’outil de l’action civile publique, l’action de groupe brésilienne, et les mesures provisoires qui sont souvent utilisées pour aboutir à la prévention des dommages environnementaux. Chacun de ces mécanismes présente des possibilités mais aussi des limites, que ce texte éclaire.

6La professeure Pilar Moraga propose, quant à elle, une étude du dommage écologique face au juge environnemental au Chili. Son analyse l’amène à examiner le traitement de la responsabilité pour dommage écologique par les tribunaux de l’environnement au Chili. Elle nous offre une analyse critique du cadre juridique de la responsabilité pour dommage écologique et de la procédure de l’action en réparation. Enfin, elle nous propose une réflexion de fond sur les tendances jurisprudentielles du traitement de la responsabilité par la justice environnementale dans ce pays de la côte ouest de l’Amérique du Sud.

7La doctorante Claire Portier nous instruit ensuite sur le contentieux climatique en France, en cherchant quels fondements juridiques peuvent conduire à la responsabilité civile ou administrative, en cette matière. Partant de l’idée que le phénomène de judiciarisation des questions climatiques a participé à l’émergence d’une « responsabilité climatique » qui se présenterait de manière protéiforme, son analyse restreint l’étude du contentieux climatique français aux seules actions en responsabilité extracontractuelle.

8L’analyse que le professeur David Robitaille fait du contentieux constitutionnel sur la tarification du carbone au Canada montre que l’environnement y est l’objet d’un débat constitutionnel, dont la lutte aux changements climatiques n’est que l’un des derniers développements. En matière climatique, le débat oppose le palier législatif fédéral, qui revendique sa compétence constitutionnelle comme assise à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre du 1er janvier 2019. Cette loi, qui impose une tarification du carbone, est contestée devant les tribunaux canadiens par l’Alberta, le Manitoba, l’Ontario et la Saskatchewan. Le professeur Robitaille examine les contours de la doctrine de l’intérêt national dans cette bataille judiciaire qui se poursuivra devant la Cour suprême du Canada.

9Michel Bélanger et Paule Halley présentent, quant à eux, un examen des dynamiques du contentieux climatique canadien, grâce à l’analyse des facteurs qui conditionnent le choix de la procédure dans les recours climatiques. Ils constatent que les recours dits « climatiques » s’en remettent principalement aux principes généraux du droit commun, aux droits fondamentaux ou à des cadres normatifs périphériques, afin de tenter de contrer directement ou indirectement la crise climatique. À l’instar de tous les dossiers environnementaux, la procédure retenue dans les recours climatiques dépend d’un certain nombre de considérations préalables que ces auteurs examinent tour à tour.

10Une réflexion sur l’émergence des procès climatiques au Canada à l’ère de l’Accord de Paris est ensuite présentée par la professeure Sophie Lavallée et le doctorant Ekundayo Agossou, qui rappellent que le contentieux climatique demeure embryonnaire au Canada. Un seul jugement a été rendu par la Cour supérieure, à ce jour, dans une action collective intentée contre le gouvernement du Canada (Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada), que ce texte examine. Comme les auteurs l’expliquent, il y a lieu de s’interroger sur l’avenir potentiel du procès climatique au Canada, dans le contexte où la lutte contre les changements climatiques relève de plusieurs paliers de gouvernement dans le pays, où la Charte canadienne des droits et libertés ne garantit pas expressément le droit de vivre dans un environnement sain, et où la doctrine du Public Trust a encore été peu plaidée dans les litiges environnementaux canadiens.

11Dans une réflexion apparentée, Géraud de Lassus Saint-Geniès présente une analyse de deux fondements juridiques pour le contentieux climatique au Québec, soit le concept de nuisance, et le contrôle de la légalité des décisions des autorités délivrant des autorisations pour des activités polluantes. Partant du constat que les procès climatiques intentés dans une juridiction ont souvent tendance à « s’inspirer » des procès climatiques étrangers, cette contribution s’interroge sur la façon dont ces procès pourraient se révéler pertinents pour alimenter le développement d’un contentieux climatique au Québec.

12L’étudiant Ianis Farcy-Callon nous offre un état des lieux et des perspectives de la doctrine de la fiducie publique en matière climatique. En Common law, la doctrine de la fiducie publique consacre l’obligation pour les pouvoirs publics d’agir en qualité de fiduciaire (trustee), afin de protéger et de maintenir certains éléments naturels (trust). Monsieur Farcy-Callon explique que l’utilisation de la doctrine de la fiducie publique en matière climatique tend à faire reconnaître l’atmosphère comme ressource relevant d’un tel patrimoine commun, afin de contraindre les pouvoirs publics à prendre des mesures de protection atmosphérique. Cette mobilisation a amené la naissance d’un nouveau type de contentieux climatique (atmospheric trust litigation) qui est riche d’enseignement.

13Enfin, le professeur Nitish Monebhurun présente une analyse de la demande reconventionnelle comme procédure permettant d’engager la responsabilité socio-environnementale des entreprises multinationales : l’exemple du droit international des investissements. Il rappelle que la pratique montre que les activités de plusieurs entreprises multinationales protégées par des accords de protection des investissements ont parfois un impact négatif, voire irréversible, sur les composantes environnementales et sociales des pays hôtes, alors que les États d’accueil ne disposent pas toujours de recours contre elles. Bien que les réponses à cette problématique demeurent timides, l’auteur explique comment la demande reconventionnelle de l’État hôte dans le contentieux arbitral peut faire partie de la solution, à l’aide, notamment, de l’illustration que fournit l’affaire Burlington c. Équateur.

14L’ensemble des études présentées dans ce numéro permet de réfléchir aux meilleures stratégies contentieuses en matière environnementale et climatique, et d’en éviter les écueils. À la longue, nous ne pouvons qu’espérer que cette circulation jurisprudentielle et doctrinale permette au « pouvoir imaginant du juge » [1] de faire progresser peu à peu le droit pour faire face aux problèmes environnementaux et climatiques actuels, qui ont besoin que les forces imaginantes du droit soient plus imaginantes que jamais.

15Bonne lecture,


Date de mise en ligne : 14/10/2020

Notes

  • [1]
    Mireille Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Vers une communauté de valeurs ?, Édition du Seuil, mars 2011.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions