Couverture de RJE_203

Article de revue

Une révolution citoyenne pour la justice et l’écologie : vers un juge de la protection environnementale

Pages 425 à 429

Notes

1Dans une démonstration éclatante de sérieux, de pertinence et d’efficacité, 150 citoyens français, tirés au sort, un jury populaire, sont parvenus, durant neuf mois de travail et d’acculturation aux enjeux environnementaux, à la rédaction et au vote historique d’une convention citoyenne pour le climat dont l’objectif est immense : opérer la transition vers un nouvel État de droit, vers une révolution verte, où le droit fondamental à vivre dans un environnement sain, s’immisce enfin au-dessus des droits politiques, économiques et sociaux [1].

2S’agissant du rôle que doit jouer la justice française pour accompagner cette révolution, la convention citoyenne pour le climat dégage des mesures phares qui renversent certaines conceptions de notre droit et de notre organisation judiciaire et administrative [2]. Pourtant, dans le même temps, ces propositions « font système », elles sont cohérentes et complètes, car elles prennent la mesure du périmètre et de la temporalité si spécifiques imposées par la protection de l’environnement. Une action publique efficace doit en effet s’exercer au niveau territorial et mondial, à la fois dans l’urgence et dans la perspective d’un long terme, dans l’intérêt des générations futures, et celui des citoyens, ici et maintenant. Le dossier n’est pas simple mais il est la grande affaire de notre humanité, et sans doute le plus grand défi de la justice du XXIème siècle.

3En introduisant la notion de « limites planétaires », la convention citoyenne révolutionne le droit français de l’environnement. Le critère juridique de « limite planétaire » oblige ainsi le juriste à un pas de côté, un changement de paradigme dans sa représentation de l’ordre public, acceptant l’émergence de droits nouveaux, alternatifs aux droits subjectifs des individus, et fondés sur des frontières que l’espèce humaine s’applique à elle-même, pour son bien et celui des générations humaines futures. Les droits individuels et économiques ne sont pas extensibles à l’infini, et ce au nom du respect d’autres droits, ceux de la Biosphère. La notion de limite planétaire consacrée par la convention citoyenne, rappelle en creux et implicitement, celle de biens communs planétaires. Elle dit l’interdépendance entre l’espace des droits des individus et les territoires réservés au monde animal et végétal.

4Outre un droit de l’environnement s’ouvrant à des droits nouveaux, les propositions de la convention citoyenne portent également les germes susceptibles de permettre à la justice institutionnelle d’effectuer sa révolution verte.

5Pour y parvenir, les citoyens s’appuient sur trois piliers : d’abord, l’autorité judiciaire, avec la création de procureurs et de juridictions spécialisées dans « les affaires environnementales », ensuite l’autorité administrative, avec la création d’une Haute autorité des limites planétaires (HALP) et, enfin, la société civile, qui a vocation à participer directement aux missions de ces autorités. C’est ainsi la répartition du poids sur ces forces en présence qui assurera la solidité de l’édifice, la clé de voûte de la protection de l’environnement résidant alors dans la manière dont citoyennes et citoyens pourront s’intégrer à l’œuvre de justice. Une forme de révision du « check and balance », un nouvel équilibre des pouvoirs, dans lequel se glisse un ferment vert.

6La première pierre de cette construction avait été posée avec le rapport public Une justice pour l’environnement[3] remis en octobre 2019 aux ministres de la Justice et de l’Écologie et rendu public en janvier 2020. Issu d’un travail participatif associant chercheurs, rédacteurs et praticiens du droit de l’environnement, ce rapport préfigure une nouvelle justice pour l’environnement dont les 21 recommandations forment un tout susceptible de promouvoir de manière opérationnelle et rapide, un traitement plus satisfaisant des atteintes à l’environnement par l’autorité judiciaire, prenant en compte l’urgence, la complexité et la spécificité de ces contentieux.

7On y retrouve les trois piliers proposés par la convention citoyenne : un accès citoyen renforcé à la justice avec la création de points d’accès à la justice environnementale et la promotion de la médiation environnementale, la création d’une autorité indépendante ad hoc garante de la protection de l’environnement, de l’intérêt des générations futures, de la fiabilité de l’information environnementale et enfin, une nouvelle juridiction judiciaire dédiée à la protection de l’environnement, constituant la pierre angulaire du système de protection, renforcé et alimenté en amont par la création d’un service national d’enquête judiciaire spécialisé.

8Car plus qu’un « juge aux affaires environnementales » comme proposé par la convention citoyenne, c’est d’un véritable « juge pour l’environnement », un juge gardien de la protection environnementale dont la planète a besoin de manière urgente.

9Pour être à la hauteur des enjeux, cette juridiction doit être conçue à l’image de cet environnement, multidimensionnelle quant à son périmètre, son droit et sa temporalité.

10Pour l’imaginer, il suffit de calquer ses compétences sur une autre juridiction spécialisée existante : la juridiction pour mineurs. La juridiction pour la protection de l’environnement devrait ainsi disposer de compétences civiles, comme le juge des mineurs officiant dans le cadre de la protection de l’enfance en danger, en lien avec des services d’enquête et administrations territoriales spécialisées. Elle devrait, dans le même temps, disposer de compétences pénales pour traiter la délinquance environnementale en privilégiant, la prévention et la réparation à travers notamment un arsenal de mesures de justice réparatrice. La juridiction pour la protection de l’environnement pourrait s’adjoindre lors des audiences collégiales spécialisées, la présence et l’expertise d’assesseurs citoyens, comme la juridiction pour mineurs, et en tout cas, des assistants techniques spécialisés. Mais la nouvelle juridiction pour l’environnement devra également disposer d’un arsenal répressif dissuasif. Pour cela, elle doit s’appuyer sur un service national de police judiciaire spécialisé, et un ministère public spécialisé. Enfin, comme la juridiction des mineurs, la juridiction pour l’environnement pourrait statuer sur les crimes comme le fait la cour d’assise des mineurs composée de trois juges des enfants et de neuf jurés et notamment connaître de l’infraction d’écocide proposée au législateur par les citoyens de la convention pour le climat.

11Et surtout, la juridiction pour l’environnement devrait impérativement disposer d’une compétence universelle lui donnant la capacité, comme par exemple pour les crimes contre l’Humanité, de juger en France des infractions commises hors du territoire national, y compris par des non nationaux en raison d’une atteinte portée à une valeur supérieure, la préservation de la biosphère.

12Aujourd’hui, les constats dressés dans le rapport public Une justice pour l’environnent restent alarmants s’agissant de l’action publique en faveur de la protection de l’environnement. Le litige environnemental est invisible et sans nomenclature commune du point de vue de l’organisation de la justice. Son traitement est éclaté, fragmenté entre les autorités administratives et judiciaires, tant au stade de la constatation des infractions par les services de polices administratives spécialisées qu’au moment de leur traitement par les préfets, les procureurs et les juridictions administratives ou judiciaires.

13La justice civile environnementale, celle de la réparation quand elle est possible, n’est pas investie par la société civile, pas plus que par les procureurs qui, dans l’exercice de leur action publique en matière civile, pourraient être demandeurs à l’action et suivre l’effectivité des mesures de réparation prononcées. Ces procédures civiles restent rarissimes alors que le droit positif français admet pourtant devant les tribunaux l’action de groupe écologique, la réparation judiciaire du préjudice écologique, la mise en cause de la responsabilité environnementale des entreprises.

14Face à ces constats, la convention citoyenne propose des mesures radicales pour reconsidérer l’organisation des administrations publiques en charge de la protection de l’environnement qui n’ont pas jusqu’ici démontré leur efficacité. Mais au-delà, elle place résolument la protection de l’environnement sous l’office de deux institutions nouvelles dans l’ordre juridique français, deux pièces manquantes dans l’organisation judiciaire et administrative, une juridiction judiciaire et une autorité indépendante dédiée à la protection de l’environnement, toutes deux susceptibles de se consulter et de se saisir mutuellement.

15Ce que portent en outre les propositions du rapport Une justice pour l’environnement, c’est la nécessité de rendre visible le litige environnemental pour ensuite mieux le réguler. Plusieurs mécanismes procéduraux vont dans ce sens. La convention judiciaire d’intérêt public environnemental sera une nouvelle voie de régulation des poursuites, négociée par le ministère public, au nom du principe d’opportunité des poursuites. Voie très prometteuse, elle est de nature à assurer la rapidité de la réponse judiciaire et l’effectivité de la réparation des préjudices causés par les personnes morales. Elle fera l’objet d’une publicité.

16Quant à la création d’une autorité indépendante, un défenseur constitutionnel de l’environnement, une Ombudspersonne chargée en surplomb de sa défense tous azimuts, la convention citoyenne propose une large participation de la société civile à cette instance, nécessité hautement justifiée par l’impériosité de sa mission future qui consistera à sécuriser l’expertise environnementale et délivrer ainsi une information environnementale fiable au citoyen, un propos indépendant et donc légitime. Ce n’est pas rien, quoiqu’on en dise.

17La crise sanitaire récente a pu montrer, à propos de notre système de santé, combien la parole scientifique pouvait être multiple, contestée, mouvante et souvent absconse. Le juge administratif, comme le juge judiciaire, doit pouvoir compter sur une autorité publique indépendante garante de l’accès incontesté à l’information environnementale.

18La protection de l’environnement est d’abord une action de terrain, une affaire de territoire, celle du citoyen. En convergence avec le rapport des inspections ministérielles, la convention citoyenne pour le climat relève ainsi la nécessité d’une coordination régionale entre autorité administrative et judiciaire (création de Hautes autorités régionales des limites planétaires, création de juridictions pour l’environnement au sein de chaque cour d’appel judiciaire, création de comités départementaux de défense de l’environnement associant procureur et préfet).

19C’est au futur juge dédié à la protection de l’environnement que reviendra le rôle premier de régulation des conflits environnementaux. Compétent en référé et jusque dans le suivi des mesures de réparation qu’il ordonnera, il devrait être en mesure de prescrire des mesures de médiation environnementale. Cette mesure de justice alternative, admise tant par les juridictions administratives que les juridictions civiles et commerciales, peut en effet être déclenchée à toutes les phases de la procédure contentieuse. Exercée par des professionnels formés, la médiation environnementale est généralement prononcée au regard de la durabilité du litige face à un dommage écologiquement irréparable ou face à des parties condamnées à s’entendre pour des raisons géographiques, économiques ou juridiques. Le périmètre du conflit, pris en compte dans le processus de médiation, dépasse celui du litige : il permet de considérer le conflit environnemental dans sa globalité et sa temporalité particulière, de faire circuler et donner ainsi accès à une information environnementale réclamée par le citoyen. La médiation environnementale pourrait même, sous sa forme institutionnelle, se substituer aux lourdes procédures de consultations et d’enquêtes publiques et devenir vectrice de pacification et de résolution des tensions sociales que l’entrée dans une démocratie ouvertement écologique ne manquera pas de créer.

20De même qu’à la sortie de la seconde guerre mondiale, la France a su instituer une justice dédiée à la protection de l’enfance, le législateur et le peuple souverain ont l’opportunité en 2020, à la sortie d’une déflagration sanitaire mondiale, elle-même directement liée à la dévastation de la biodiversité, d’instituer une véritable justice protectrice de l’environnement en danger, capable de décliner pleinement son action qu’elle soit préventive ou réparatrice, alternative ou sanctionnatrice. Pour reprendre une notion chère à Bruno Latour [4], ce serait une belle manière d’atterrir.


Date de mise en ligne : 14/10/2020

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions