Gonzalo SOZZO, Derecho Privado Ambiental: el giro ecológico del derecho privado, Santa Fe, editorial Rubinzal – Culzoni, 2019, 696 pages
1Il n’est pas simple d’essayer de faire une synthèse cohérente et structurée du développement récent du droit de l’environnement et encore moins du point de vue du droit privé. Le professeur argentin, vice-doyen de la Faculté de Droit de l’Université Nationale du Littoral, Gonzalo Sozzo a réussi à relever le défi avec brio dans son livre en espagnol intitulé Derecho Privado Ambiental.
2L’ouvrage se structure en deux grandes parties : la première partie développe la notion écologique du droit privé. Cette partie est divisée en quatre chapitres dont chacun aborde respectivement, la manière de voir le monde dans les codes civils du XIXème siècle ; la notion écologique du droit privé et son interaction avec la constitutionnalisation du droit privé ; la découverte des biens communs à travers les droits collectifs ; et le paradigme environnemental sud-américain. La deuxième partie traite de la naissance du droit privé pour la protection des écosystèmes. Cette partie est elle-même divisée en quatre chapitres dont le premier traite du code écologique ; le deuxième, de la théorie des biens environnementaux et des nouveaux sujets de droit privé ; le troisième, de la théorie des droits et le quatrième, de la fonction écologique de la propriété.
3L’auteur nous propose, déjà dans l’introduction, un sujet très intéressant. La naissance du droit privé de la durabilité, ce qui nous conduit directement au principe environnemental du développement durable. De fait, ce principe et l’idée plus générale de la durabilité sont un sujet qui traverse tout le livre. De la même façon, l’ouvrage met en évidence l’idée du besoin de l’adéquation du droit et de son évolution, surtout du droit privé, à l’époque de l’anthropocène. Si le concept même d’anthropocène est controversé, sa connexion avec le droit privé l’est encore plus. Ici se trouve justement l’une des contributions importantes de cet ouvrage. Le texte s’efforce avec succès tout le long de ses pages de démontrer et même de montrer l’existence et le développement d’un droit privé moderne adéquat et actualisé pour la protection des écosystèmes.
4Il est courant que le droit de l’environnement soit accaparé par le droit public, et plus particulièrement par le droit administratif et le droit constitutionnel. Mais c’est oublier qu’il existe une doctrine de droit privé grandissante en Amérique du Sud qui, depuis longtemps, travaille sur l’écologie et le droit de l’environnement. L’approche a d’abord concerné le droit des biens et le droit à la propriété. Ensuite, cette approche s’est élargie grâce à deux phénomènes particuliers à la région. D’un côté, la constitutionnalisation du droit privé et de l’autre, son humanisation. La vision écologique du droit privé est due à ces deux phénomènes. Dans tous les cas, cette sorte d’empreinte écologique du droit n’est pas réservée au droit privé seul, il en va de même pour le droit public. Aujourd’hui, il serait possible d’aller au-delà et même de parler d’une empreinte écologique, environnementale, climatique, assez profonde à caractère objectif, ce qui entraîne le dépassement de la démarche humaniste, dite d’humanisation du droit. Le sujet des droits collectifs ou même des droits procéduraux sur l’environnement sont des manifestations de la vision de l’humanisation du droit, qui fait référence à la place de l’écologie dans le domaine du droit, tant privé que public. En revanche, l’empreinte environnementale et climatique actuelle introduit dans le droit un sens d’urgence objective. En conséquence, les droits de la nature, en tant que tels, revêtent une importance croissante. Le modèle ou les modèles latino-américains se construisent à partir de ce sens de l’urgence. Il n’y a pas de temps à perdre. Le droit doit passer du paradigme de l’humanisation au paradigme du bien-vivre (el buen vivir), dont les fondements reposent sur la relation étroite entre la communauté et la nature, voire sur la cosmogonie traditionnelle des peuples sud-américains. L’ouvrage se révèle être une excellente source d’information, d’analyse et de réflexion sur ce sujet, une réelle contribution des pays du sud au débat actuel en matière d’environnement et d’écologie.
5Gonzalo AGUILAR CAVALLO
J. JARIA-MANZANO, S. BORRÀS eds., Research Handbook Global Climate Constitutionalism, Edward Elgar, 2019, 342 pages
6Cet ouvrage collectif dirigé par Jordi Jaria-Manzano et Susanna Borràs, tous deux de l’Université Rovira i Virgili en Espagne, explore la voie du constitutionnalisme global comme base conceptuelle pour construire une gouvernance globale à l’ère de l’anthropocène. En tant que research handbook, il donne à travers une série de contributions écrites par des auteurs venant de disciplines et d’horizons différents, du Nord au Sud, un excellent aperçu des recherches en cours sur le constitutionnalisme environnemental global, prenant les changements climatiques comme un laboratoire pertinent pour l’étude des transformations en cours. Pour Jordi Jaria-Manzano et Susanna Borràs, il convenait de mettre en évidence le lien entre les changements climatiques et le constitutionnalisme global dans un contexte où les humains modifient le système climatique et où une réponse politique – un cadre constitutionnel – est nécessaire (p. 3-4). Pour eux, la « crise de la soutenabilité » se double aujourd’hui d’une « crise de la justice ». Si une gouvernance du système Terre doit être mise en place, le constitutionnalisme global est une approche pertinente, ou tout au moins qui mérite d’être explorée. Au prisme des changements climatiques, l’ouvrage se veut alors une contribution à la réflexion sur le constitutionnalisme global, en essayant d’identifier son contenu, ses principes fondamentaux et d’éventuelles solutions institutionnelles. Articulée autour de l’état de droit, des droits de l’homme et de la démocratie, la « constitution globale » est ici entendue comme un point de référence pour les valeurs sociales fondamentales de la communauté internationale, mais aussi un ensemble de principes organisant la vie politique et sociale. Il s’agit donc davantage d’une définition matérielle – un ensemble de principes, normes et règles – que formelle – un texte ou des institutions précis. Le soubassement axiologique fournit alors une nouvelle base pour les processus de prise de décision. Dans un monde pluriel, un pluriverse (Von Bogdandy), la construction de cette constitution est forcément complexe puisque les sources de droit sont multiples, de même que les acteurs. Dès lors, une telle constitution ne peut être qu’ouverte, évolutive et pluraliste (an « open, evolving, pluralistic constitution », p. 49).
7Engagés, les auteurs mettent en évidence la responsabilité du droit et des institutions juridiques dans l’anthropisation du monde, le développement du capitalisme et du consumérisme. Critiques, ils décortiquent les réponses institutionnelles et juridiques apportées depuis trente ans à la crise environnementale systémique que représente l’entrée dans l’Anthropocène, pour montrer leur inadéquation. Constructifs, ils explorent les voies d’un possible renouvellement juridique pour une transition qui serait juste et soutenable, qu’il s’agisse d’un projet de Pacte mondial pour l’environnement à leurs yeux insuffisamment ambitieux et disruptif, de l’idée de réanimer la Charte mondiale de la nature ou du potentiel des objectifs mondiaux de développement durable comme constitution globale de l’Anthropocène (p. 73, p. 100). Lucides, les auteurs soulignent les résistances fortes des États à ce mouvement de constitutionnalisation (p. 58) et illustrent les pièges tendus par cette notion ambiguë de constitutionnalisme global qui pourrait aussi bien justifier les hégémonies existantes sans s’attaquer aux réels enjeux. L’approche est « kaléidoscopique », l’objet étant décomposé et analysé à travers ses différentes facettes (les droits de l’Homme, la vulnérabilité, le genre, la transition énergétique, les global commons, la justice et le rôle du juge…). L’ensemble est par définition très (parfois trop ?) théorique et la construction est imparfaite, avec de nombreuses redites entre les contributions. Néanmoins, sans prétendre à l’exhaustivité ni à clore le débat, cet ouvrage riche atteint son but puisqu’il ouvre de multiples questionnements de recherche et apporte ainsi sa pierre à la réflexion sur le droit d’un « monde d’après » qui serait à la fois plus soutenable et plus juste.
8Sandrine MALJEAN-DUBOIS
9Directrice de recherche au CNRS (UMR DICE, Aix-Marseille Université)
Lorenzo SOTO OYARZÚN, Derecho de la biodiversidad y los recursos naturales, Valencia, Tirant lo Blanch, 2019, 514 pages
10Il n’y a pas de doute qu’une grande partie des préoccupations environnementales aujourd’hui est la protection de la biodiversité et la conservation des ressources naturelles. L’ouvrage de ce professeur nous fournit en sept chapitres une vision panoramique du droit de la biodiversité et des ressources naturelles. L’auteur est un avocat chilien, docteur en droit, plaideur et consultant en matière d’environnement. Le livre est le résultat de sa thèse doctorale. Le premier chapitre aborde ce que l’auteur appelle le droit de la protection de l’environnement. Le deuxième chapitre définit le cadre international de la biodiversité, alors que le troisième analyse le régime juridique général de la protection des espaces naturels. Le quatrième aborde le régime juridique des zones forestières protégées et le cinquième traite de la protection des écosystèmes et des espèces sauvages. Le sixième chapitre examine la biodiversité comme composante environnementale autonome. Et, en dernier lieu, l’auteur nous propose un statut juridique de base pour la protection de la biodiversité.
11Même si l’auteur se concentre sur les développements récents du système juridique chilien, le texte est une contribution à la discipline du droit de l’environnement valide pour tous celles et ceux qui sont passionnés par la préservation de la nature ou tout au moins portent un intérêt à la protection de l’environnement. La solution au problème environnemental est collective parce que le problème est global. La question relève véritablement de la conservation de l’habitat planétaire. C’est tout l’écosystème qui est impliqué, même la biosphère de la planète. Il a été démontré que les États à eux seuls ne pourront pas relever ce défi majeur : la conservation de la diversité biologique. En la matière, il est nécessaire de s’accorder sur une nouvelle éthique environnementale globale qui nous relie à la nature. De fait, le droit de l’environnement est un des domaines les plus fertiles pour la transdisciplinarité. Pourtant, il est absolument nécessaire, à ce niveau, de faire appel à la philosophie du développement durable. Le développement durable est un principe général du droit de l’environnement mais il n’est pas suffisant, en tant que tel, pour protéger la diversité biologique de la Terre. En fait, le droit de l’environnement ne suffit pas à protéger la biodiversité ni même à préserver les ressources naturelles. Il est nécessaire de créer un régime juridique spécifique pour la conservation de la diversité biologique et des ressources naturelles. Il en va de même pour la préservation des ressources naturelles. Il s’est développé toute une branche du droit de l’environnement qui se spécialise en droit de la conservation de l’environnement et des ressources naturelles. Une technique juridique a été mise en place pour conserver la diversité biologique et les ressources naturelles. La protection de l’eau dans les pays sud-américains apparaît également comme une priorité. La technique de la création de zones protégées et de zones sauvages est un des moyens privilégiés pour la conservation de la biodiversité et des ressources naturelles, les États-Unis étant leader en ce domaine. La perte progressive de la biodiversité représente une crise tant sociale et environnementale qu’universelle. Les défis auxquels fait face la diversité génétique au niveau, par exemple, de l’usage médicinal ou pharmaceutique, exige aujourd’hui de renforcer la portée juridique du principe de maintien de l’intégralité de la biodiversité. Il est évident que les risques environnementaux et les atteintes à la biodiversité sont de plus en plus présents, tels que les espèces migratoires exotiques, les espèces envahissantes, l‘utilisation des organismes génétiquement modifiés, l’utilisation des pesticides ou autres produits chimiques similaires, ou bien encore, l’élimination des écosystèmes en raison de l’action des êtres humains.
12Le recours aux nouveaux instruments pour l’aménagement du territoire et la préservation de l’environnement, tels que l’insertion d’une nouvelle génération de réserves de biosphère, peuvent contribuer à la protection du patrimoine environnemental. La mise en place d’instruments de planification du développement et d’aménagement du territoire peut s’avérer une technique adéquate pour contrôler la perte de la biodiversité. Toutefois, l’action individuelle d’un seul État est insuffisante et requiert une collaboration au niveau international, national et régional, tout en considérant que les menaces sur la diversité biologique et les ressources naturelles ont généralement un caractère transfrontalier. Confronter la perte de la biodiversité et impulser la conservation du patrimoine environnemental et la protection des ressources naturelles peut s’avérer crucial dans le combat pour le changement climatique. Ce combat ne peut être gagné que si sont possibles l’accès à l’information, la participation et la justice environnementale. L’adoption récente du Traité de Escazú en 2018 est un premier pas qui a été franchi dans la bonne direction. Le moment est arrivé pour les gouvernements d’Amérique latine de mettre en place un instrument régional consacré à la protection de la biodiversité et des ressources naturelles. L’ouvrage peut nous donner une illustration sur le contenu et la mise en place de cet instrument.
13Gonzalo AGUILAR CAVALLO
Date de mise en ligne : 06/07/2020