Notes
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[1]
Dont les principales îles sont Diego Garcia, banc Great Chagos, îles Salomon, Peros Banhos, îles Egmont.
-
[2]
Accords de Lancaster House du 23 septembre 1965.
-
[3]
La Cour permanente d’arbitrage est constituée en vertu de l’annexe VII de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
-
[4]
CPA, sent. arb. 18 mars 2015, n° 2011-3, Aire marine protégée, Maurice c/RU (pour un commentaire, voir notamment « Sentence de la Cour permanente d’arbitrage du 18 mars 2015, Note José Juste-Ruiz », RJE 2016/1, p. 141).
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[5]
CIJ, avis consultatif, 25 février 2019, rôle général n° 169, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965.
-
[6]
Art. 56 (2), Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer.
-
[7]
CPA, sent. arb. 18 mars 2015, n° 2011-3, Aire marine protégée, Maurice c/RU, §404 et s., §410.
-
[8]
En effet, à peine un mois s’était écoulé entre la fin de la consultation publique (5 mars 2010) et l’annonce de la création de l’AMP le 1er avril 2010.
-
[9]
Territoire Britannique de l’Océan Indien.
-
[10]
CPA, sent. arb. 18 mars 2015, n° 2011-3, Aire marine protégée, Maurice c/RU, §418.
-
[11]
Le BIOT se trouve à égale distance du continent africain, du Golfe arabo-persique et de l’Asie.
-
[12]
De 1967 à 1973 par les britanniques.
- [13]
-
[14]
Résolution 1514 (XV), 947ème séance plénière, 14 décembre 1960, art. 6.
-
[15]
CIJ, avis consultatif, 25 février 2019, rôle général n° 169, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, §166 : « toute tentative de destruction partielle ou totale de l’unité territoriale et à établir des bases et installations militaires dans ces territoires est incompatible avec les buts et principes de la Charte et la résolution 1514.».
-
[16]
Résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965 ; résolution 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 ; résolution 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
-
[17]
CIJ, avis consultatif, 25 février 2019, rôle général n° 169, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, §158 : « La validité du principe d’autodétermination (…) n’est pas diminuée par le fait que dans certains cas l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel territoire. Ces exceptions s’expliquent soit par la considération qu’une certaine population ne constituait pas un ‘peuple’ pouvant prétendre à disposer de lui-même, soit par la conviction qu’une consultation eût été sans nécessité aucune, en raison de circonstances spéciales. » (Sahara occidental, avis consultatif, CIJ Recueil 1975, p. 33, par. 59). Comme ce fut le cas lors du référendum de la Nouvelle-Calédonie en 2018 qui a exclu quelque 17 % des habitants de l’île essentiellement non autochtones. Voir en ce sens : http://www.slate.fr/story/169377/referendum-nouvelle-caledonie-liste-electorale-exclu-zoreille-caldoche-kanak.
-
[18]
Ibid., §172.
-
[19]
Ibid., §177.
-
[20]
« Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ? ».
-
[21]
A/RES/73/295.
-
[22]
À ce jour Londres refuse toujours la rétrocession des Chagos, aussi le gouvernement mauricien envisage de saisir la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité : http://www.ipreunion.com/actualites-reunion/reportage/2020/01/17/maurice-porte-plainte-contre-la-grande-bretagne-chagos,113463.html.
-
[23]
CIJ Recueil 2004, p. 136, §155 : « tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé », ils « sont également dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. ».
- [24]
1L’archipel des Chagos est un ensemble de 55 îles [1] situé au Nord de l’océan Indien à plus de 2000 kms au Nord-Est de Maurice. Cet archipel isolé, inconnu du grand public et du tourisme, est une base militaire américaine stratégique, assurant la surveillance de zones sensibles pour la sécurité internationale. Bien que la présence de l’armée américaine soit acceptée, elle a néanmoins contribué au conflit de souveraineté qui oppose aujourd’hui Maurice et le Royaume-Uni (RU) autour de l’archipel des Chagos. En effet, c’est dans un but militaire, en période de guerre froide, que l’archipel des Chagos fut séparé de Maurice et ses habitants déplacés.
2Mais revenons au commencement, au temps pas si lointain des colonies, où l’archipel des Chagos était une colonie britannique, car faisant partie du territoire de Maurice au même titre que Rodrigues ou Algaléga. Préparant la future indépendance de Maurice (en 1968), le Royaume-Uni et Maurice signèrent des accords dès 1965 [2]. Ces accords de Lancaster House actent le détachement des Chagos de Maurice à des fins militaires et consignent les relations futures entre Maurice et le RU, notamment autour des Chagos. Ainsi, fut organisée la répartition des ressources issues du territoire des îles Chagos (terre, mer, fonds et tréfonds) qu’elles soient minières, pétrolières ou halieutiques et permis à Maurice de détenir un droit de pêche qu’il avait coutume d’utiliser. Mais cela était sans compter la création en 2010 d’une zone de protection marine par le RU, s’étendant jusqu’à la limite de la zone économique exclusive (ZEE) des Chagos, qui interdit toute pêche dans son périmètre. Le conflit en résultant fut suffisamment sérieux pour avoir été exposé devant la Cour permanente d’arbitrage (CPA) [3] et la Cour internationale de Justice (CIJ). Alors que la CPA fut interrogée à propos de la compétence du RU sur les îles Chagos, notamment pour créer une aire marine protégée (AMP), la CIJ dut répondre à la question du statut de cet archipel. Si les questions ne sont pas identiques, elles se rejoignent néanmoins sur le fond : quelle souveraineté pour l’archipel des Chagos ?
3La réponse en demi-teinte rendue par la CPA en 2015 [4], contourne la question de souveraineté mais annule la procédure viciée de création de l’AMP. Son principal apport pour « la saga des Chagos » est la reconnaissance d’une valeur juridique aux accords de Lancaster House, rendant obligatoire la participation de Maurice à la création de l’aire marine protégée. L’avis consultatif rendu le 25 février 2019 [5] à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), s’efforce de mettre en lumière le contexte dans lequel le détachement des Chagos fut organisé et exécuté. Ce faisant, la Cour interroge l’authenticité des accords de Lancaster. Le constat de la CIJ est sans appel : la décolonisation de Maurice est inachevée car l’accord donné par Maurice au démantèlement de son territoire n’est pas authentique.
4Nous le savons, la protection de l’environnement, parce qu’elle porte une réglementation contraignante, met en exergue des conflits d’intérêts. Le cas des Chagos ne fait pas exception car nous verrons que, dans le cas de cet archipel, un droit de pêche contrarié par la création d’une AMP peut réactiver un litige de souveraineté (I), nous amenant à la période de décolonisation de Maurice et de l’effectivité des droits fondamentaux y afférent (II).
I – Un droit de pêche contrarié par la création d’une réserve naturelle réactivant un ancien conflit autour de la séparation des Chagos
5Quels liens peut-il y avoir entre la création d’une aire marine protégée et la souveraineté d’un État ? Partant du constat que la séparation des Chagos de Maurice a permis au RU de saisir l’opportunité de créer une AMP, pour les juges de la mer, comme pour la CIJ, les accords de Lancaster House ont institué cet état de fait. Ils seront donc leur point de départ pour analyser la situation chagossienne. La valeur juridique des accords permettra de mettre en évidence les obligations qui incombent au RU pour la création de cet espace protégé (A) alors que la séparation des Chagos ne constitue pas moins une violation du droit international en matière de décolonisation (B).
A – La valeur en droit international des accords de Lancaster House
6Sans nommer l’État côtier des îles Chagos, donc souverain, les juges de la mer saisis par Maurice s’attacheront à la procédure de création de la réserve au regard de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Ils procèdent alors à une analyse littérale des accords de Lancaster House afin de mettre en évidence les obligations mutuelles de ces États.
7Un droit de pêche créant des obligations. Les accords de Lancaster retirent la souveraineté de Maurice sur les Chagos tout en lui attribuant ses ressources naturelles. En effet, depuis Lancaster les navires battant pavillon mauricien pouvaient obtenir du RU une licence de pêche pour les eaux chagossiennes. Cette pratique fut mise à exécution de façon continue dès 1965, ce qui a permis à la CPA de qualifier ces droits de pêche de coutumiers. Ainsi les accords et la coutume autour de ce droit ont une valeur juridique, en conséquence ils sont créateurs d’obligations, tant pour Maurice que pour le Royaume-Uni. Tandis que Maurice doit accepter la séparation des Chagos et attendre la fin de son utilisation militaire pour un retour dans son giron, le RU doit veiller à ce que Maurice puisse exercer son droit de pêche, notamment. Or, l’AMP modifie substantiellement les accords de Lancaster parce qu’elle pose une réglementation pour la protection des écosystèmes dans son périmètre (soit jusqu’à la limite de sa ZEE) et contrarie ce droit de pêche jusqu’à l’éteindre. Le droit international prône une loyauté et une coopération entre États notamment lorsque leurs décisions risquent de créer des contraintes pour les tiers [6]. Ces principes se traduisent lors de la création d’un espace protégé, par le respect pour l’État créateur des obligations d’information et de participation permettant en amont de désamorcer des conflits.
8Une coopération insuffisante du RU. Les juges ont comparé les échanges qu’entretenait le RU au sujet de la création de l’aire marine avec les USA et avec Maurice. La différence de qualité et de fréquence en matière d’information est flagrante selon que les USA ou Maurice sont l’interlocuteur du Royaume-Uni [7]. Maurice ne fut informé du projet par voie de presse qu’en février 2009 (soit un an avant sa proclamation). Il est vrai que, par la suite, Maurice a refusé toute discussion autour de la réglementation de l’AMP, n’acceptant que des pourparlers relatifs à sa souveraineté sur les Chagos. Nonobstant cette absence et constatant la précipitation du RU pour proclamer la réserve, les juges marins ont estimé que le temps écoulé entre la clôture de la consultation et la publication de la création de l’AMP était insuffisant pour permettre au Royaume-Uni de prendre en compte des observations [8]. Ainsi les obligations procédurales liées à la création de la réserve marine ne furent pas pleinement accomplies car le RU aurait dû permettre à Maurice de véritablement émettre des observations. Notamment en l’informant suffisamment au préalable de la création contraignante et en mettant en place une véritable consultation en amont de la création. Dès lors, la CPA finit par déclarer la procédure de création de l’AMP viciée.
9Toutefois, ce conflit autour de la création d’une aire marine protégée ne fut possible que par un fait, la création du BIOT [9] qui fit croire au Royaume-Uni qu’il était l’État souverain des Chagos.
B – Une excision territoriale de Maurice contraire à une décolonisation complète
10Alors que la CPA relève que les questions de souveraineté ne sont pas de sa compétence [10], les questions posées à la CIJ font plonger les juges dans la période de pré-décolonisation de Maurice pour mettre en évidence qui de Maurice ou du Royaume-Uni est aujourd’hui souverain des Chagos.
11Une séparation nécessaire pour la création du BIOT. En période de guerre froide et sentant la vague d’indépendance souffler sur Maurice, le RU entretenait avec les USA des pourparlers relatifs à la création d’une base militaire dans l’océan Indien. Les USA, insistant sur la nécessité de sanctuariser la zone militaire, voyaient en l’archipel des Chagos le lieu idéal. En effet, du fait de sa position isolée dans l’océan Indien mais permettant une observation de conflits potentiels [11] et de sa faible occupation par des autochtones, les Chagos présentaient d’un point de vue militaire certains avantages. La séparation des Chagos pour la constitution du BIOT fut officialisée en 1965 dans les accords de Lancaster House. Puis suivirent le déplacement des autochtones [12] et la construction de la base militaire. Dès lors, les accords de Lancaster ont placé le Royaume-Uni comme administrateur des Chagos, car élément du BIOT, et comme bailleur des USA.
12Une séparation temporaire. Le BIOT ayant une vocation militaire mais temporaire, confirmée par la promesse d’un retour dans le giron mauricien, permet de voir le RU comme gestionnaire-temporaire des Chagos pour Maurice. Ainsi les accords de Lancaster mettraient en place la gestion des Chagos par le BIOT, Maurice déléguant temporairement au RU son autorité d’administration des Chagos, mais à seule fin militaire. Si le retour des Chagos n’est pas contesté par le RU, le renouvellement du bail d’occupation des Chagos avec les USA en 2016 laisse des doutes quant aux intentions réelles du RU. En effet, le bail renouvelé mis en corrélation avec les révélations concernant les intentions du RU pour la création de l’AMP [13], confirment que le RU ne semble pas disposé à mettre en œuvre le retour des chagossiens sur leur île et à se voir comme « simple » gestionnaire des Chagos.
13Une séparation condamnée par l’ONU. Historiquement Maurice a pu démontrer que les Chagos faisaient partie intégrante de son territoire. Dès 1960, l’ONU condamne toute tentative de désunification, de destruction de l’unité nationale ou territoriale d’un pays non autonome [14], condamnation qu’elle réitère dans cet avis [15]. En effet, Maurice cumule les deux formes de démantèlement de son unité étatique : l’excision territoriale des Chagos et la déportation de ses habitants, auxquelles s’ajoute la présence militaire. Les conditions de la décolonisation de Maurice firent d’ailleurs l’objet de plusieurs résolutions de l’AGNU condamnant cette situation [16]. Mais le cas des Chagos n’est pas isolé car retirer certaines parties de leur territoire aux pays non autonomes avant leur indépendance, avec ou sans installations militaires, est une pratique tentante en ce qu’elle permet aux futurs-anciens colons de conserver certains avantages que leur procuraient ces espaces. Néanmoins la CIJ condamne cette pratique et qualifie le respect de l’unité d’un État, de droit fondamental de l’Homme, corollaire au droit à l’autodétermination. Ce respect d’unité est un droit fondamental car il s’apparente au respect de son intégrité, de son identité, et donc au respect de sa population en lui offrant une égalité de droits. Il est un corollaire à l’autodétermination car il conditionne la libre volonté des peuples sous tutelle, qui peuvent ainsi réellement s’exprimer et permettre leur pleine jouissance de l’indépendance concrétisée par une souveraineté complète. Force est de constater que la présence militaire dans l’archipel des Chagos et sa séparation de Maurice continuent de placer ce dernier dans une situation de dépendance vis-à-vis du RU, tant pour l’exécution de ses droits de pêche autour de l’archipel que pour la mise en œuvre du retour des chagossiens.
14Par conséquent, l’excision des Chagos du territoire mauricien constitue une violation du droit international. Sauf à ce qu’elle soit instituée avec l’approbation du pays sous tutelle, expression de sa libre détermination. Alors, la CIJ va rechercher dans le contexte de la signature des accords de Lancaster House « l’expression de la libre détermination » de Maurice.
II – Un droit à l’autodétermination déterminant pour une décolonisation achevée
15La CIJ, en s’interrogeant sur la valeur juridique des accords de Lancaster actant la séparation des Chagos, va vérifier les conditions de validité de ces accords en recherchant l’approbation authentique de Maurice (A), car celle-ci génère des conséquences pour la communauté internationale (B).
A – La validité des accords de Lancaster dépendant de la juste application du droit à l’autodetermination
16Le principe de libre administration, ou droit à l’autodétermination, peut être assimilé au principe d’information et de participation, appliqué aux pays non autonomes pendant l’organisation de leur indépendance. Soit un droit fondamental d’information et de participation de la population à l’indépendance.
17Le droit à l’autodétermination. Le sujet est la libération du joug d’un État colon, donc touchant les fondements mêmes de la société sous tutelle. Les pays sous tutelle et ceux les administrant peuvent avoir des caractéristiques (culturelles, religieuses, ethniques…) parfois fondamentalement différentes. Aussi, afin que le futur État s’approprie une réelle indépendance, il est primordial que les conditions de sa liberté ne puissent lui être imposées. L’ONU n’impose pas de forme particulière pour appliquer ce droit à l’autodétermination. Il peut être exercé par la voie du référendum national ou local, comme pour la Nouvelle-Calédonie le 4 novembre 2018, ou comme dans le cas de Maurice par la voie des représentants de son peuple. Pour être effectif, ce droit doit pouvoir être exercé par l’ensemble de la population concernée. En l’espèce, les Chagos n’étant pas encore séparés de Maurice, le Premier Sir Seewoosagur Ramgoolam a donné son accord pour l’ensemble de la population mauricienne, y compris les chagossiens.
18Une acceptation libre et authentique. Si « le respect de l’intégrité territoriale d’un territoire non autonome [est] un élément clef de l’exercice du droit à l’autodétermination en droit international », la liberté et l’authenticité de la validité des accords organisant l’exercice du droit à l’autodétermination sont conditionnées par une approbation libre et authentique. Si le droit à l’autodétermination s’est exprimé par voie de référendum, alors l’AGNU analysera la formulation de la question posée et les conditions dans lequelles il a eu lieu [17]. Dans l’accord de Lancaster House, le Premier et d’autres représentants de Maurice ont accepté le détachement de l’archipel des Chagos du territoire mauricien. Mais la Cour relève qu’en 1965 Maurice était toujours sous administration britannique et que les représentants de la population mauricienne n’avaient pas de réels pouvoirs législatif ou exécutif [18] permettant de s’opposer à la volonté du RU. Il en résulte que les représentants ont accepté les accords mais sans approbation authentique, c’est-à-dire sans être l’émanation de leur libre expression. Aussi, la CIJ ne reconnaît pas les conditions permettant de confirmer que Maurice a fait le libre choix d’accepter le démantèlement de son territoire. Par conséquent, la Cour n’accorde pas aux accords de Lancaster une valeur de droit international. Effectivement, au regard de tout ce qui précède, ces accords ne respectent pas les règles du droit international en matière de décolonisation. Le démantèlement de Maurice constitue donc pour la Cour une décolonisation inachevée caractérisée par « un fait illicite à caractère continu qui résulte de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice » [19].
B – Un droit à l’autodétermination s’appliquant erga omnes
19La CIJ, constat fait d’une décolonisation de Maurice inachevée, se doit de déterminer les conséquences pour la communauté internationale (Maurice, RU et les États tiers) afin de répondre à la deuxième question de l’AGNU [20].
20Une obligation erga singulum. La séparation des Chagos de Maurice constitue un fait illicite continu. Pour la CIJ, cette violation engage la responsabilité du RU depuis la constitution de ce fait jusqu’à son extinction qui ne pourra se produire que par le retour des îles Chagos sous administration mauricienne. Elle émet un avis en ce sens mais laisse à l’AGNU la définition des méthodes de sa mise en œuvre. Ainsi la souveraineté mauricienne retrouvée sur les Chagos entrainera une liberté d’administrer ce territoire, notamment de créer ou non une AMP, de devenir bailleur pour le RU et les USA sur Diego Garcia mais surtout d’exécuter le retour, longtemps réclamé, des chagossiens sur leur archipel. Suite à l’avis de la CIJ, l’AGNU a pris une résolution le 22 mai 2019 [21] sommant la rétrocession des Chagos à Maurice dans un délai de six mois [22].
21Un droit erga omnes. Compte tenu de l’importance du droit à l’autodétermination, celui-ci implique que l’État administrateur du pays non autonome est aussi tenu de respecter et de promouvoir ce droit à l’égard des autres États. Dès lors, il implique pour la communauté internationale de ne pas entraver et de favoriser son exécution. Pour un peuple prétendant au respect de ce droit, il est donc opposable à l’égard non seulement de l’État dans lequel il vit, mais aussi des autres États. En conséquence, la CIJ somme la communauté internationale de ne pas soutenir les faits constitutifs d’une violation du droit à l’autodétermination [23], en ne reconnaissant pas la souveraineté du RU sur l’archipel des Chagos.
22Il est certain que le litige autour de la création de la zone marine protégée fait ressortir la complexité de la situation des Chagos. L’annonce par le président de la République française de la création d’une réserve naturelle sur les îles Glorieuses (situées dans le canal du Mozambique) courant 2020 [24] pourrait prochainement ouvrir la boîte de Pandore française.
Mots-clés éditeurs : souveraineté, aire marine protégée, accord libre et authentique, erga omnes, indépendance, décolonisation inachevée, autodétermination, droit fondamental, séparation territoire, loyauté et coopération internationale
Date de mise en ligne : 06/07/2020
Notes
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[1]
Dont les principales îles sont Diego Garcia, banc Great Chagos, îles Salomon, Peros Banhos, îles Egmont.
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[2]
Accords de Lancaster House du 23 septembre 1965.
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[3]
La Cour permanente d’arbitrage est constituée en vertu de l’annexe VII de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
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[4]
CPA, sent. arb. 18 mars 2015, n° 2011-3, Aire marine protégée, Maurice c/RU (pour un commentaire, voir notamment « Sentence de la Cour permanente d’arbitrage du 18 mars 2015, Note José Juste-Ruiz », RJE 2016/1, p. 141).
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[5]
CIJ, avis consultatif, 25 février 2019, rôle général n° 169, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965.
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[6]
Art. 56 (2), Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer.
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[7]
CPA, sent. arb. 18 mars 2015, n° 2011-3, Aire marine protégée, Maurice c/RU, §404 et s., §410.
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[8]
En effet, à peine un mois s’était écoulé entre la fin de la consultation publique (5 mars 2010) et l’annonce de la création de l’AMP le 1er avril 2010.
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[9]
Territoire Britannique de l’Océan Indien.
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[10]
CPA, sent. arb. 18 mars 2015, n° 2011-3, Aire marine protégée, Maurice c/RU, §418.
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[11]
Le BIOT se trouve à égale distance du continent africain, du Golfe arabo-persique et de l’Asie.
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[12]
De 1967 à 1973 par les britanniques.
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[14]
Résolution 1514 (XV), 947ème séance plénière, 14 décembre 1960, art. 6.
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[15]
CIJ, avis consultatif, 25 février 2019, rôle général n° 169, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, §166 : « toute tentative de destruction partielle ou totale de l’unité territoriale et à établir des bases et installations militaires dans ces territoires est incompatible avec les buts et principes de la Charte et la résolution 1514.».
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[16]
Résolution 2066 (XX) du 16 décembre 1965 ; résolution 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 ; résolution 2357 (XXII) du 19 décembre 1967.
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[17]
CIJ, avis consultatif, 25 février 2019, rôle général n° 169, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, §158 : « La validité du principe d’autodétermination (…) n’est pas diminuée par le fait que dans certains cas l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel territoire. Ces exceptions s’expliquent soit par la considération qu’une certaine population ne constituait pas un ‘peuple’ pouvant prétendre à disposer de lui-même, soit par la conviction qu’une consultation eût été sans nécessité aucune, en raison de circonstances spéciales. » (Sahara occidental, avis consultatif, CIJ Recueil 1975, p. 33, par. 59). Comme ce fut le cas lors du référendum de la Nouvelle-Calédonie en 2018 qui a exclu quelque 17 % des habitants de l’île essentiellement non autochtones. Voir en ce sens : http://www.slate.fr/story/169377/referendum-nouvelle-caledonie-liste-electorale-exclu-zoreille-caldoche-kanak.
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[18]
Ibid., §172.
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[19]
Ibid., §177.
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[20]
« Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ? ».
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[21]
A/RES/73/295.
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[22]
À ce jour Londres refuse toujours la rétrocession des Chagos, aussi le gouvernement mauricien envisage de saisir la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité : http://www.ipreunion.com/actualites-reunion/reportage/2020/01/17/maurice-porte-plainte-contre-la-grande-bretagne-chagos,113463.html.
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[23]
CIJ Recueil 2004, p. 136, §155 : « tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé », ils « sont également dans l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. ».
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