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Article de revue

Retour sur les négociations internationales du projet de Pacte mondial à Nairobi (janvier-mai 2019)

Pages 309 à 316

Notes

Introduction : les origines du projet de Pacte

1Initié par un réseau international de juristes, le projet de Pacte mondial pour l’environnement [1] a été proposé en juin 2017, sous le patronage de Laurent Fabius, au président de la République française, Emmanuel Macron, qui a décidé de soutenir l’initiative dans le cadre des Nations unies. L’idée de ce projet de Pacte mondial pour l’environnement est d’adopter un nouveau traité international juridiquement contraignant, visant à rassembler et codifier les grands principes du droit international de l’environnement (DIE), ainsi que le droit à un environnement sain et le devoir de prendre soin de l’environnement. Selon ses initiateurs, ce Pacte « irait plus loin puisqu’à la différence des conventions sectorielles, qui ne visent qu’un secteur particulier (le climat, la biodiversité, la pollution, etc.), le Pacte s’appliquerait d’une façon transversale à l’ensemble des politiques environnementales » [2]. Ainsi, ce nouvel instrument aurait un effet unificateur et serait une réponse à l’actuelle fragmentation du DIE. L’hypothèse sous-jacente du projet de Pacte est que cette fragmentation du DIE est un obstacle à sa bonne mise en œuvre, constat qui n’est pas consensuel [3]. Un tel traité universel pourrait reprendre de façon homogène et cohérente ces principes généraux et faciliterait, tel est un des arguments, le travail des législateurs et juges nationaux, des agences chargées de l’administration de l’environnement et des juges régionaux et internationaux.

2Un intense travail diplomatique a permis à la France de porter avec plus d’une centaine de pays la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies 72/277, Vers un pacte mondial pour l’environnement, adoptée le 14 mai 2018. Celle-ci a demandé au Secrétaire Général de lui présenter un rapport technique, fondé sur des données factuelles, dans lequel sont recensées et évaluées les lacunes éventuelles du droit international de l’environnement et des textes relatifs à l’environnement en vue de renforcer leur application. Ce rapport, publié le 5 décembre 2018, a été discuté par les États membres, dans le cadre d’un groupe de travail spécial à composition non limitée qui s’est réuni pour la première fois à Nairobi du 14 au 18 janvier. Ce groupe de travail, créé par la même résolution, s’est réuni une deuxième fois du 18 au 20 mars pour discuter de possibles options pour combler les lacunes identifiées par le Secrétaire Général. À la fin de sa troisième et dernière réunion, qui a eu lieu du 20 au 23 mai, le groupe de travail a adopté des recommandations pour la suite du processus peu enclin cependant à l’adoption d’un nouvel instrument international.

I – Les trois sessions de négociations au sein du groupe de travail

3Lors de la première réunion de janvier 2019, la proposition originale d’un instrument juridiquement contraignant, le Pacte mondial pour l’environnement, n’avait pas été discutée formellement. Cette première réunion s’était surtout penchée sur l’analyse du rapport technique du Secrétaire Général des Nations unies [4], sorti fin novembre 2018, et sur le recensement des lacunes du droit international de l’environnement. Ces discussions n’ont pas permis d’aboutir à un consensus, la notion de lacune dans le DIE étant définie de manière différente par les différents pays : devrait-on mettre le focus sur les lacunes dans la mise en œuvre ? Ou au contraire sur les lacunes strictement liées au DIE ? Est-ce que d’autres domaines tels que les droits humains et le commerce devraient faire partie du débat ?

4Le rapport du Secrétaire Général cite un instrument fédérant les principes comme une réponse à la fragmentation du DIE, considérée par ce rapport comme une des causes de son inefficience. Plusieurs pays ont exprimé, dès cette première réunion, leurs doutes par rapport à ce constat. Leur principal argument étant que cette fragmentation apparaît inévitable compte tenu de la complexité et des spécificités de l’environnement et que cette fragmentation est le résultat de compromis politiques soucieusement négociés. Certains pays, tels que l’Argentine et les États-Unis, soulignaient même que cette fragmentation pourrait en fait être une caractéristique souhaitable du DIE et de la gouvernance mondiale, pour plusieurs raisons : les approches actuelles du DIE et des accords multilatéraux sur l’environnement ont été conçues de manière nuancée et adaptée à des domaines spécifiques ; en outre, les différents régimes de DIE, aussi fragmentés soient-ils, sont dans l’ensemble considérés comme plus flexibles, plus réactifs et plus adaptables, tout en permettant l’innovation. Les États-Unis, soutenus à la dernière minute par l’Union Africaine, ont demandé à la fin de cette première réunion à ce que l’on ne procède pas à une discussion des options à la prochaine réunion sans avoir défini un constat partagé du problème qu’on cherche à résoudre.

5Pendant la deuxième réunion, certaines lacunes ont finalement été relevées plus fréquemment que d’autres : le manque de cohérence, le manque de mise en œuvre effective due à un manque de moyens ou de mécanismes de contrôle, etc. Suivant le constat du rapport du Secrétaire Général, la fragmentation du DIE est identifiée par quelques pays, sympathisants du Pacte (ex. Maroc, Sénégal), comme la première lacune à combler, alors que, pour d’autres, elle ne constitue pas un défaut. Cette question reste donc controversée et les États-Unis s’appuient sur le manque de diagnostic partagé du problème à relever par ce processus.

6Mais la deuxième réunion a finalement permis de sortir de la discussion controversée et peu fructueuse portant sur l’identification des principales lacunes à combler pour commencer à discuter des vraies options qui étaient mises sur la table. Le choix d’un instrument juridiquement contraignant a été discuté, parmi d’autres options possibles et proposées par les représentants des États. Si un consensus général s’est dégagé sur la nécessité de faire plus et mieux pour l’environnement et de rendre plus effectif le DIE, cette deuxième réunion n’a pas permis de trancher sur la question de l’outil permettant d’y parvenir. Plusieurs pays se sont exprimés en faveur d’un instrument contraignant : le Maroc, le Sénégal, la Micronésie, le Costa Rica, le Pérou, l’Uruguay, l’Espagne, le Burkina Faso, le Nigeria, le Cameroun. Par ailleurs, la Chine s’est montrée bienveillante vis-à-vis du processus, tout en affichant explicitement ses lignes rouges : non-intégration des droits de l’Homme, prise en compte des principes de responsabilité commune mais différenciée et du principe de la souveraineté nationale sur les ressources naturelles. Elle a, par ailleurs, exprimé son soutien à ce processus au plus haut niveau politique dans une déclaration franco-chinoise le 25 mars 2019 [5]. Ce contexte finalement bienveillant a permis que des propositions concrètes soient faites.

7Plusieurs options très hétérogènes ont été identifiées pour renforcer la mise en œuvre et la gouvernance du DIE : un instrument juridiquement contraignant, une déclaration politique de haut-niveau et une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies.

8L’Union européenne, pour sa part, s’est prononcée en faveur d’une compilation possible de ces différentes options : une façon de dire que si elle était divisée en interne entre les différentes options, elle était aussi ouverte à la discussion avec les autres délégations. Et la société civile a évoqué la possibilité que ce processus aboutisse en 2022, pour les cinquante ans de la Conférence de Stockholm des Nations unies sur l’environnement (1972).

9Le contenu d’un possible instrument a également fait l’objet de visions assez divergentes. Si une codification des principes (comme un pacte) bénéficie de plusieurs soutiens, elle ne fait pas consensus, en particulier dans les pays qui pratiquent la common law. C’est d’ailleurs dans cette logique que certains pays comme l’Uruguay ont suggéré de travailler sur une « compilation » des principes, voire une simple liste. De nombreux États, en particulier issus des pays en développement, ont insisté pour un accroissement des moyens de mise en œuvre, s’appuyant sur le constat du rapport du Secrétaire Général des Nations unies.

10La dernière réunion était consacrée à la discussion de recommandations que ce groupe de travail allait transmettre à l’Assemblée générale de l’ONU, – un exercice difficile après si peu de temps –, sur des questions si controversées qu’elle n’a pas permis de voir émerger une coalition capable de proposer un compromis pour sortir des blocages. À la fin, alors que nombreux pays disaient soutenir le Pacte en principe, les pays en faveur d’un nouveau traité juridiquement contraignant étaient en minorité. Cette réunion s’est achevée le 22 mai avec l’adoption d’un document très faible mais adopté par consensus. Ce document, qui fait vaguement référence aux principes du droit de l’environnement et ne mentionne pas l’option de l’adoption d’un nouveau traité, peut être considéré comme un échec de l’initiative sans solder pour autant sa mort.

II – Comment expliquer l’échec relatif de ces négociations ?

11On peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles le projet de Pacte mondial pour l’environnement n’a, pour l’instant, pas connu le succès escompté par ses promoteurs lors des travaux du groupe de travail mis en place par l’Assemblée générale des Nations unies et dont la troisième et dernière session de négociation s’est achevée le 23 mai 2019 à Nairobi (Kenya). Plusieurs facteurs liés, d’une part, à la géopolitique actuelle de la gouvernance mondiale de l’environnement et, d’autre part, au contenu même du projet de Pacte, peuvent expliquer l’échec des négociations au sein de ce groupe de travail.

12En premier lieu, le mode de négociation qui a cours aux Nations unies peut être interrogé : caractérisé par la recherche du consensus, il favoriserait les États à orientation nationaliste, ainsi mis en position de faire échec à une majorité virtuelle – une extension en quelque sorte du conflit nationalistes versus progressistes. Pourtant, la recherche du consensus a bien des vertus politiques et elle n’aboutit pas nécessairement à la paralysie. On l’a vu avec l’Accord de Paris sur le climat, et on le voit dans l’actuelle négociation sur la haute mer. La recherche du consensus a en effet l’avantage de créer une atmosphère politique positive : elle évite les syndromes de « passager clandestin », si néfastes à la construction en commun des politiques de gestion durable de la planète.

13Cependant, en réalité, ce n’est pas qu’une poignée minoritaire d’opposants au Pacte qui a mis en échec celui-ci. Le Pacte avait quelques sympathisants, mais au final très peu de défenseurs capables d’adopter une ligne plus dure pour défendre l’idée d’un instrument contraignant. Bien des pays habituellement en faveur de la protection de l’environnement (dits environmentally friendly), tels que la Suisse, la Norvège ou le Canada, ont formulé des réserves et manqué au soutien. En outre, pour beaucoup de pays – notamment africains – sympathisants de l’initiative, le souci qui s’est exprimé portait bien plus sur la nécessité d’accroître les moyens d’appliquer effectivement les accords internationaux en termes de capacités administratives et financières que sur la création d’un nouvel outil juridique.

14Certains pays ont également regretté le déficit de co-construction dès le lancement de l’idée du Pacte et au-delà d’un groupe d’experts, certes international lui-même. Depuis son lancement en septembre 2017, le processus onusien en faveur du Pacte avait été extrêmement rapide. Pour aller aussi vite, la résolution votée recelait des ambiguïtés quant au contenu même de la négociation. Si cela peut avoir certaines vertus, le résultat montre aussi que les États ont besoin de temps pour s’approprier une telle négociation ; par ailleurs, les ambiguïtés initiales n’ont jamais été complétement levées. Les conséquences de ce ressenti en ont été palpables. Du côté de l’Union européenne d’abord, dont les États membres se sont divisés, notamment entre la position française et celle de l’Allemagne beaucoup moins convaincue par la pertinence d’un instrument contraignant. Cela a considérablement affaibli la capacité diplomatique de l’UE et son influence sur les débats, d’autant que ses États membres soutenant le Pacte ne pouvaient s’exprimer en plénière – l’UE parlant d’une seule voix. Or, on sait l’importance d’une posture unie et active de l’Union dans ce genre de négociation. Du côté de plusieurs pays latino-américains ensuite, ayant joué un rôle pivot dans ces négociations : le Mexique ou le Costa Rica, notamment, se sont montrés plutôt favorables à l’idée du projet de Pacte sans forcément soutenir son caractère contraignant, et ont regretté le manque de temps pour un échange d’idées plus approfondi.

15On peut également s’interroger sur la quasi-absence des grandes ONG environnementales, dont la voix est pourtant si importante lors de la négociation des accords multilatéraux sur l’environnement (AME), et qui ne se sont guère manifestées, encore moins mobilisées, faute d’avoir été convaincues de la valeur ajoutée de ce projet pour leurs combats.

16Au final, le projet de Pacte est implicitement écarté, ainsi que tout autre instrument juridique, mais la préparation de la Conférence de Stockholm+50 pourrait bénéficier des orientations adoptées à Nairobi si l’Assemblée générale des Nations unies les retenait.

17Formellement, le texte final [6] adopté a minima ne fait que confirmer une mission déjà confiée à l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (ANUE) : celle de préparer le 50ème anniversaire de la Conférence de Stockholm qui se tiendrait en 2022. Il précise une partie de son agenda et l’invite à préparer un projet de déclaration dans ce contexte. Pour le droit international de l’environnement (DIE) et la gouvernance mondiale de l’environnement au sens institutionnel, cela renvoie donc les discussions à cette échéance de trois ans, dont il faudra faire bon usage pour préparer un résultat ambitieux à cette conférence.

18Outre ce résultat évidemment décevant, comment interpréter ce moment de négociations très intense ? Sommes-nous en présence d’une occasion manquée ou d’un risque évité, et quelles perspectives peut-on esquisser pour la suite ? Deux interprétations sont possibles.

III – Comment interpréter ces négociations ?

19Pour que l’affaire du Pacte puisse être considérée comme une occasion perdue, il faudrait qu’il s’agisse d’une initiative positive qui aurait pu connaître une suite effective, mais qui aurait été manquée pour des raisons seulement anecdotiques ou de circonstances. Or, ce n’est pas le cas.

20En réalité, les négociations à Nairobi ont révélé un important défaut de consensus sur la justification même du Pacte, à savoir : consolider un ensemble de principes encore à l’état de soft law (« droit mou ») pour les rendre juridiquement contraignants et donc invocables devant les juridictions nationales et remédier parallèlement à la fragmentation du DIE.

21De nombreux pays et experts ne partagent pas cette approche, la fragmentation du DIE semblant à beaucoup inhérente à la gouvernance de l’environnement. On pourrait alors y remédier par des moyens empiriques, mais pratiques, tels que le rapprochement des conventions ou le rapportage (reporting) commun. Quant à l’application effective du DIE au niveau national, elle relèverait plus de la mise en place de moyens concrets et de politiques actives que d’un « super accord global » qui chapeauterait les AME.

22On peut aussi voir dans le non-aboutissement du projet de Pacte un risque évité ainsi que l’amorce d’une perspective positive.

23Risque évité, car on peut raisonnablement penser que si le projet de négociation d’un nouveau traité avait été adopté à la courte majorité qu’on pouvait peut-être envisager, bien des pays, et parmi les plus importants, n’auraient pas signé le futur Pacte tout en contribuant pendant la négociation à affaiblir son contenu, notamment la portée des principes déjà acquis. D’autres auraient signé, mais pas ratifié, comme on le voit souvent. Enfin, bien des pays n’auraient pas permis à leurs citoyens ou à leurs ONG d’invoquer le droit international devant les juridictions nationales. Autrement dit, un accord de façade aurait pu, dans les circonstances actuelles, conduire à une fragmentation aggravée du DIE et à un plus grand affaiblissement. C’est ce que redoutaient de nombreux pays attachés à la cause de l’environnement.

IV – Perspectives : prochain rendez-vous en 2022 ?

24Depuis, les recommandations du groupe ont été adoptées par l’Assemblée générale de l’ONU le 31 août 2019 dans la résolution A/RES/73/333. Le PNUE a donc un mandat pour préparer la déclaration politique pendant la célébration du 50ème anniversaire de Stockholm. Si cette déclaration, qui devra aussi contenir des éléments sur la gouvernance, fera suite à l’idée du projet de Pacte initial tel que proposé par la France, il n’est pas garanti et dépendra entre autres du succès de la diplomatie française toujours attachée au projet [7]. Cela dépendra également du fait de savoir si oui ou non elle réussira à créer une coalition plus large de pays. Ces pays devront être non seulement « supporteurs » du projet initial mais aussi riches et forts de propositions complémentaires.

25Mais la voie est peut-être néanmoins ouverte et le temps accordé d’ici 2022 à un travail concerté sur des propositions concrètes pour renforcer la mise en œuvre du DIE fera peut-être son effet. L’approche par les droits pourrait en être aussi un élément intéressant. L’extension des accords régionaux de type Aarhus pour l’Europe ou Escazú pour l’Amérique latine en sont de bons exemples. Au-delà du prochain rendez-vous international en 2022, un travail au niveau régional pourrait être un autre scénario, possiblement plus fructueux.


Mots-clés éditeurs : Assemblée générale des Nations unies, groupe de travail, Pacte mondial pour l’environnement, négociations, droit international de l’environnement

Date de mise en ligne : 06/07/2020

Notes

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