Couverture de RJE_202

Article de revue

Les projets de Pacte mondial sur le droit à l’environnement : des dynamiques complémentaires et nécessaires

Pages 231 à 240

Notes

1Les propos introductifs qui suivent ont vocation à servir de préambule à la publication des actes de la Conférence organisée à l’Université Paris 1, le 4 avril 2019, dans le cadre du séminaire Mobilisation du droit, société civile et environnement et du GDR ClimaLex avec la collaboration de l’ISJPS UMR 8103 de l’Université Paris 1. Cette conférence, organisée par moi-même et Catherine Le Bris, a eu pour vocation, dans la continuité de l’esprit du séminaire, d’ouvrir un espace de réflexion collective autour des différentes propositions de Pactes pour l’environnement et l’humanité qui ont émergé au sein de la société civile et de la communauté universitaire depuis quelques années. La Conférence, dont les actes sont ici recueillis, avait pour objectif de favoriser les rencontres entre les membres de la société civile porteurs de ces Pactes ainsi que des académiques ayant participé soit à leur rédaction, soit à leur inscription dans l’ordre international au sein des Nations unies ou autres arènes. La circulation des savoirs entre les acteurs de la société civile et le monde de la recherche, favorisant ainsi un dialogue croisé, était au centre de la Conférence.

2La question posée lors de la Conférence était : quelles dynamiques font émerger ces pactes ayant une incidence à la fois sur le système juridique et la protection de l’environnement ?

3Rappelons que ces différents pactes s’inscrivent dans une démarche créative montrant les possibilités et le foisonnement des initiatives venant de la société civile.

4Ce phénomène n’est toutefois pas nouveau. En effet, depuis les années 1990, on compte de nombreuses propositions comme par exemple la Charte des entreprises pour l’environnement et le développement durable [1], les Résolutions pour l’environnement [2], les institutions et le droit international [3], la Charte de la Terre de l’année 2000 [4], les principes de Johannesburg pour le droit et le développement durable de l’année 2002 [5] et d’autres initiatives, pour certaines peu connues et pour d’autres ayant eu une incidence certaine dans la suite des débats autour de la question environnementale au sein de la communauté internationale.

5Citons ainsi comme témoignage remarqué de ces initiatives ayant impacté sur les évolutions du droit de l’environnement :

6- La Déclaration de la Terre Mère de l’année 2010 [6], présentée à la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère, lors du Sommet Rio+20. À l’initiative des peuples amérindiens sera inscrite une référence explicite à la Pacha Mama (Terre Mère) qui sera ensuite reprise dans le Préambule de l’Accord de Paris sur les changements climatiques en 2015, lors de la Conférence des Parties (COP 21).

7- Également, élaborés en 2011, les Principes de Nansen émanant du Haut-Commissariat pour les réfugiés afin d’établir un consensus entre les États autour des déplacements suite aux catastrophes naturelles. Ils permettront d’enclencher des négociations vers un Traité sur les réfugiés environnementaux [7].

8- Puis les Principes d’Oslo [8] datant de 2015, rédigés par un groupe d’experts légaux et universitaires sur le changement climatique, ont servi principalement d’inspiration mais aussi de base argumentative au recours judiciaire porté par l’ONG Urgenda devant les juges néerlandais dans ce que l’on peut considérer désormais comme le contentieux climatique le plus emblématique de l’histoire [9] (décision du Tribunal de première instance de la Haye du 24 juin 2015 et décision d’appel de la Cour d’appel de la Haye du 9 octobre 2018). Ces principes ont ainsi été conçus par un groupe d’experts réunissant professeurs de droit, magistrats et avocats.

9Qu’en est-il en France ?

10La Déclaration des droits de l’humanité [10] portée par Madame Corinne Lepage et un groupe d’experts a connu un grand succès auprès de la société civile, des villes et des communes, ainsi que de nombreuses universités et institutions publiques en France et à l’étranger.

11Le projet de Pacte sur les droits de l’Homme [11], proposant des droits pour les êtres humains à l’environnement, porté par le Professeur Michel Prieur et un groupe d’universitaires et académiques en lien avec l’ONG Centre International de Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE) contient sans doute l’inventaire le plus riche, complet et inspirant des droits de l’Homme et de l’humanité en lien avec la protection de l’environnement et de la planète.

12Enfin, en novembre 2015, un mois avant la COP 21 qui s’est tenue à Paris sur les changements climatiques, un groupe d’experts juridiques, le Club des Juristes, a publié un rapport de sa Commission environnement présidée par Yann Aguila sur la question de « Comment renforcer l’effectivité du droit international de l’environnement ». À la fin de ses vingt et une recommandations, le texte propose l’adoption d’un Pacte International pour l’Environnement. Depuis lors, ce projet a évolué et le groupe d’experts a été élargi faisant naître un projet de Pacte Global pour l’Environnement [12]. Ce projet a fait l’objet des discussions à Nairobi au printemps 2019 au sein de la Commission Environnement des Nations unies. La Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 10 mai 2018, « Vers un Pacte Global pour l’Environnement », avait d’ailleurs déjà établi un groupe de travail ad hoc, ouvert aux États membres, aux membres des institutions spécialisées et aux ONG ayant le statut consultatif auprès du Conseil Économique et Social.

13Une première session de discussion de ce projet de Pacte Global a été ouverte en janvier 2019 en diluant sa discussion dans un dialogue plus général autour des « lacunes du droit international de l’environnement » (Gaps on International Environmental Law[13]), ce qui a déplacé la discussion vers le droit international déjà existant et ses insuffisances, plutôt que sur un nouveau texte ou Pacte Global. À peine quelques semaines avant la tenue de notre Conférence ici publiée, une deuxième session de discussion autour du projet de Pacte Global a eu lieu à Nairobi en réunissant à côté des États également des ONG et des agences spécialisées dans la protection de l’environnement lato sensu. La discussion s’est de nouveau concentrée sur les différentes manières d’améliorer l’effectivité du droit international de l’environnement. Si un consensus a émergé autour d’un souhait commun de construire un instrument international permettant de mettre dans un même texte les principes fondamentaux de la protection de l’environnement, aucun accord n’a pu être trouvé autour de la forme que cet instrument devrait prendre ni sur les liens entre cet instrument et le droit constant qui existe déjà.

14Ces différentes initiatives partagent un certain nombre de points communs tout en présentant des différences.

I – Des similitudes qui les rapprochent

15Le premier point commun de toutes les initiatives proposant des Pactes ou Déclarations est sans doute celui qui se trouve dans la source même de ces propositions : la société civile. Des praticiens, des universitaires, mais aussi parfois des militants, sont à l’origine de ces différentes initiatives.

16La deuxième similitude tient au contenu même de ces textes. Ces propositions contiennent toutes des principes, des droits et des devoirs assortis faisant de ces initiatives de véritables ancrages normatifs pour un futur meilleur droit de l’environnement.

17Également, ces différents Pactes proposent tous une vision du futur, veillent au long terme en avertissant des dangers d’une vision « courtermiste » du droit, en insistant bien sur la nécessité d’inscrire « les générations futures » comme nouvelle catégorie juridique incontournable.

18De la même manière, les textes proposent des principes communs comme celui de la « responsabilité » intra et intergénérationnelles, celui de « l’équité » et celui de la « solidarité » entre les humains et la Planète.

19Ils consacrent tous un « droit à l’environnement sain » dont on ne saurait aujourd’hui se passer en tant que fondement même du droit de l’environnement.

20Si elles partagent une vision générale sur ce qui doit être « l’essence » même d’un droit pour l’environnement plus respectueux et mieux adapté à la crise écologique et humanitaire actuelle, ces différentes propositions présentent cependant certaines différences, ce qui les rend finalement très complémentaires, voire indissociables.

II – Des différences complémentaires et enrichissantes

21Les textes contenant des propositions de Pactes pour l’environnement sont riches en propositions et en possibilités offertes à l’avancement du droit de l’environnement. Deux différences fondamentales les rendent à la fois complémentaires et, par conséquent, non-concurrents.

22Notons en premier lieu que la Déclaration portée par Madame Lepage n’a aucune vocation contraignante alors que les autres projets en ont une, renforcée d’ailleurs par les organes de contrôle et de suivi qui leur seront affectés s’ils venaient à être adoptés.

23Le Pacte sur les Droits de l’Homme se soumettrait au contrôle et suivi du Comité des droits économiques et sociaux et du Conseil économique et social, alors que le Pacte Global pour l’Environnement, lui, se soumettrait au secrétariat des Nations unies ou à celui du PNUE.

24Plus concrètement encore, la Déclaration évoque l’humanité alors que le projet de Pacte pour les droits de l’Homme, lui, se réfère à ces derniers de manière concrète en se définissant lui-même comme un « Troisième Pacte » des droits de l’Homme.

25Malgré ces différences, l’intérêt pour nous ne se situe pas tant dans ces points dissemblables mais, au contraire, sur le fait que, finalement, ces différents contenus se recoupent. En effet, en regardant de plus près ces textes, on peut penser que les trois propositions poursuivent la même finalité : celle de protéger l’environnement tout en soulignant l’importance des principes, des droits et des devoirs qui sont rattachés à cette ambitieuse tâche.

26Le Pacte Global, s’il n’invente pas de nouveaux droits ou principes, a pour nécessaire ambition d’unifier ceux qui existent déjà et de les recueillir dans un seul texte. Le projet de Pacte sur les Droits de l’Homme propose certains nouveaux droits, et principes dont on retiendra notamment celui de la non-régression, invoqué déjà depuis plus d’une dizaine d’années par Michel Prieur dans ses nombreux écrits en la matière [14]. Les deux textes ne sont donc aucunement concurrents mais hautement complémentaires.

27La question qui intéresse dès lors ici est celle de savoir s’ils sont invocables et utilisables en tant que textes de ce qu’on pourrait qualifier de Soft Law, puisqu’émanant des sociétés savantes et de la société civile experte en la matière [15].

28Arrivées à ce stade de nos réflexions, on peut également s’autoriser à s’interroger sur la manière dont ces différents Pactes peuvent faire avancer à la fois la protection de l’humanité tout entière, – en tant que porteuse d’un destin commun [16] –, les droits individuels et collectifs, et la protection de l’environnement. Inévitablement, la question qui semble s’imposer est celle de savoir si, au final, ces Pactes ont besoin d’être contraignants au sens le plus classique du terme pour avoir une influence progressiste et salutaire sur le droit positif de l’environnement.

29Nous posons la question ici car il est dans l’air du temps que, au sein de certains pays, des principes constitutionnels érigeant l’environnement comme un « intérêt universel » ou comme « un intérêt de l’humanité » au nom du « patrimoine commun de l’humanité », voient le jour. C’est ainsi le cas en France où, en effet, par une récente décision du Conseil Constitutionnel datant du 31 janvier 2020, – rendue à l’occasion d’une QPC – le Conseil a conclu que « la protection de l’environnement est un intérêt de la Nation qui doit, au nom du “patrimoine commun de l’humanité”, prévaloir sur les autres intérêts – en l’espèce sur l’intérêt de la liberté de commerce » [17]. On voit bien, dès lors, qu’au sein de certaines juridictions nationales la question de « l’universalité » de la protection de l’environnement et de son rattachement à un intérêt supérieur (le patrimoine commun de l’humanité) est une tendance. Elle peut soit renforcer l’idée de la nécessité d’un Pacte mondial soit, au contraire, affaiblir cette idée car, sur le plan national, des progrès sont déjà visibles qui ne nécessiteraient donc pas un instrument international contraignant en la matière.

30Dans ce contexte évolutif, la question de la pertinence d’un Pacte mondial, par exemple, reste ainsi ouverte. Il est certain que cette décision du Conseil Constitutionnel français aura des conséquences sur le plan international, en ce qui concerne notamment la portée de la protection de l’environnement au-delà du territoire national.

31Afin de ne pas fragiliser le processus amorcé à Nairobi sur le projet d’un Pacte mondial ni les autres propositions de Pacte et Déclarations, il est évident qu’il devient nécessaire de poursuivre la discussion dans l’arène internationale. Produire un texte de Pacte permettant de mieux protéger l’humanité tout en soulignant les liens indissolubles avec la protection de la Planète et de l’environnement est plus nécessaire que jamais et fera ainsi écho avec la tendance observée au niveau interne des États.

32Par ailleurs, dans l’idéal, ce texte potentiel devrait être contraignant afin de permettre de stipuler des principes légaux pour tous les domaines de l’environnement. Actuellement certains aspects de la protection de l’environnement sont encore insuffisants, trop succincts voire trop « mous ». Il existe bien des lacunes qui nécessitent une réponse globale et juridiquement forte face à la fragmentation du droit international de l’environnement. Ainsi, par exemple, les forêts, on ne le dira pas assez, nécessitent de manière urgente un traité général et global, les mers et les océans aussi, d’autant que leur rôle à tous trois (forêts, mers et océans [18]) est aujourd’hui indispensable dans la régulation du système climatique et donc dans la lutte contre la pire menace qui se précise aujourd’hui contre nous qui est celle du changement climatique.

33On rappellera juste ici, et ce sera notre mot de la fin, que les scientifiques, experts mondiaux en la matière, ont lancé un cri d’alarme avec la publication du dernier rapport spécial du GIEC en septembre 2019, afin d’alerter sur la nécessité absolue de relier tous les aspects environnementaux (biodiversité, océans, forêts, écosystèmes) à la question climatique de sorte que plus que jamais une vision « globale » et « holistique » de la protection de l’environnement est nécessaire pour la survie de l’humanité tout entière [19]. Dans cette perspective, le 23 janvier 2020, une nouvelle déclaration a été lancée : La Déclaration de Rennes 2020 Pour un droit du système Terre[20]. Cette Déclaration a été adoptée à l’issue d’un séminaire de droit international qui s’est tenu à l’Université de Rennes (IODE) intitulé : « Intégrer les nouveaux paradigmes de l’Anthropocène : du droit international de l’environnement au droit du système Terre » et a été rédigée par des universitaires et des chercheurs. Le texte contient six points qui résument bien l’état actuel d’imperfection et d’inadéquation du droit international de l’environnement aux défis posés par la protection de la planète, tout en ouvrant des nouvelles perspectives. Ces dernières se résument en deux points : d’abord, il est nécessaire d’adopter une vision globale de la protection en privilégiant une vision systémique des écosystèmes de la Terre, interconnectés et indivisibles. Ensuite, il convient de renforcer le principe de précaution afin de mieux tenir compte des avancées de la science (avec ses incertitudes) dans le but de protéger le système Terre dans son ensemble. Il en ressort deux points communs avec les textes de Pactes et Déclarations précédents. La société civile et la doctrine juridique se mobilisent pour une meilleure protection de l’environnement. D’où il en découle la nécessité de repenser et adapter le système de droit international actuel afin d’appréhender notre planète à la fois comme un système global et comme le foyer de l’humanité [21].


Mots-clés éditeurs : patrimoine commun, Pacte sur l’environnement, droit à l’environnement, société civile

Date de mise en ligne : 06/07/2020

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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