Couverture de RJE_194

Article de revue

Chronique d’un rendez-vous manqué…

Pages 787 à 805

Notes

  • [1]
    Discours de Jacques Chirac, campagne électorale pour l’élection présidentielle, Avranches, le 18 mars 2002.
  • [2]
    M. Hautereau-Boutonnet, E. Truilhe-Marengo, Le procès environnemental : du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement, rapport du GIP Droit et Justice, 2019, en ligne (http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/le-proces-environnemental-du-proces-sur-lenvironnement-au-proces-pour-lenvironnement/).
  • [3]
    Ibid.
  • [4]
    Cons. const., n° 2018-768 DC, 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires ; Cons. const., n° 2018-772 DC, 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN ; Cons. const., n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; Cons. const., n° 2019-781 DC, 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE.
  • [5]
    Cons. const., n° 2018-768 DC, 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires.
  • [6]
    Sur la période du 1er octobre 2018 au 23 septembre 2019, ces quatre mobilisations représentent toutefois un tiers du contentieux de constitutionnalité de la loi ordinaire a priori. En effet, au titre du contrôle de constitutionnalité de la loi, le Conseil a certes rendu 82 décisions mais seules 12 d’entre elles concernent le contrôle de constitutionnalité a priori des lois ordinaires : https://www.conseil-constitutionnel.fr/bilan-statistique.
  • [7]
    Cons. const., n° 2019-808 QPC, 11 octobre 2019, Société Total raffinage France ; TA Lyon, 26 septembre 2019, n° 180036 ; Cons. const., n° 2019-791 DC du 7 novembre 2019, Loi relative à l’énergie et au climat.
  • [8]
    Cf. D. Boyd, The Environmental Rights Revolution. A global study of Constitutions, Human Rights, and the Environment, Law and Society Series, UBCPress, Vancouver, Toronto, 2012 ; J. May et E. Daly, Global environmental constitutionalism, Cambridge University Press, June 2016.
  • [9]
    M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, précis Dalloz 9ème éd., 2019 et M.-A. Cohendet, Droit constitutionnel, coll. Cours, LGDJ-Lextenso, 4ème éd., 2019.
  • [10]
    G. Vedel, « Excès de pouvoir législatif, excès de pouvoir administratif », Cahiers du Conseil Constitutionnel, 1997, n° 2, en ligne.
  • [11]
    Sur les quatre décisions examinées, seuls deux commentaires évoquent l’examen des motifs tirés de la violation de la Charte : celui relatif au contrôle de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises et celui ayant trait à la loi relative à la protection du secret des affaires.
  • [12]
    F. Malhière, La brièveté des décisions de justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation), Contribution à l’étude des représentations de la justice, Dalloz, 2013, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », vol. 125, 666 p.
  • [13]
    B. Genevois, « L’enrichissement des techniques de contrôle », Colloque du Cinquantenaire du Conseil constitutionnel, 3 novembre 2008, en ligne, https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/Colloques/genevois_031108.pdf.
  • [14]
    Cons. const., n° 2018-772 DC, 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN.
  • [15]
    Cons. const., n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
  • [16]
    Cons. const., n° 2019-781 DC, 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE.
  • [17]
    Cons. const., n° 2018-772 DC, 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN.
  • [18]
    Article L. 120-8 du Code de l’urbanisme qualifié de « règle fondamentale de la loi Littoral », in L. Bordereaux et C. Roche, « Littoral et milieux marins », RJE, 2019/2, p. 379. Cette réécriture de la loi littoral n’était pas une première. V. Ph. Zavoli, « Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », RJE, 2019/1, p. 187.
  • [19]
    Auparavant, ce principe limitait l’extension de l’urbanisation « en continuité avec les agglomérations et villages existants ou en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».
  • [20]
    V. les motifs de la loi.
  • [21]
    Cette plus-value tenait à l’intervention d’un garant nommé par la Commission Nationale du Débat Public qui, à l’issue de la procédure, rédigeait la synthèse des observations et propositions du public, synthèse qui pourrait mentionner les réponses et éventuellement les évolutions proposées par le maître d’ouvrage ou la personne responsable pour tenir compte des observations ou propositions.
  • [22]
    Cons. const., n° 2019-781 DC, 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE.
  • [23]
    Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
  • [24]
    P. Rrappi, « Face au bulldozer "ELAN", le Conseil constitutionnel reste de béton. À propos de la décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », RDH, janvier 2009, en ligne http://journals.openedition.org/revdh/5702 ; DOI : 10.4000/revdh.5702.
  • [25]
    Cons. const., n° 2019-781 DC, cons. 85.
  • [26]
    Cons. const. n° 2018-772 DC, préc.
  • [27]
    V. l’acte de saisine déposé par les députés au greffe du Conseil constitutionnel le 23 octobre 2018 (en ligne).
  • [28]
    Notons également que le gouvernement s’était engagé dans cette voie en requalifiant les écritures des requérants.
  • [29]
    Valérie Goesel-Le Bihan, « Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel : défense et illustration d’une théorie générale », Revue française de droit constitutionnel, 2001, vol. 1, n° 45, p. 67-83.
  • [30]
    Article L. 123-16 du Code de l’environnement.
  • [31]
    R. Hostiou, J.-F. Struillou, Expropriation et préemption, LexisNexis, coll. « urbanisme et construction », 2016, spéc. p. 136 et s.
  • [32]
    J.-B. Duclercq, Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ-Lextenso, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », 2015, t. 146, 537 p.
  • [33]
    Par exemple, Cons. const., n° 2016-737 DC, 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
  • [34]
    Article 45 de la Constitution.
  • [35]
    V. les motifs de l’amendement n° 944 déposé au Sénat par MM. Cardoux et Chatillon, Mmes Lavarde et Puissat, M. Jean-Marc Boyer et Mme Berthet.
  • [36]
    Cons. const., n° 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.
  • [37]
    V. article L. 151-8 du Code de commerce.
  • [38]
    Cons. const., n° 2018-768 DC, 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires, cons. 27.
  • [39]
    V. en ligne le commentaire de la décision, p. 9.
  • [40]
    Cons. const. n° 94-345 DC, 29 juillet 1994, Loi relative à l’emploi de la langue française, cons. 22.
  • [41]
    Cons. Const., n° 2019-794 QPC, 28 juin 2019, Union syndicale des magistrats administratifs et autre.
  • [42]
    Article 54 de la loi ESSOC.
  • [43]
    V. article 9.2 de la Convention qui énonce que toute personne ayant un intérêt « pour contester la légalité quant au fond et à la procédure de toute décision, tout acte ou toute omission entrant dans le champ du droit de participer aux "décisions relatives à des activités particulières" ». Dans le même sens, v. article 11 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
  • [44]
    Cons. Const., n° 93-335 DC, 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction.
  • [45]
    K. Foucher, « La consécration du droit de participer par la Charte de l’environnement. Quelle portée juridique ? », AJDA, 2006, p. 2316.
  • [46]
    N. Kosciusko-Morizet, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 922) relatif à la Charte de l’environnement, 12 mai 2004.
  • [47]
    Cons. const. n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, Association Vivraviry. J. Bétaille, « Le paradoxe du droit d’accès à la justice en matière environnementale », in J. Bétaille (dir.), L’accès à la justice en matière d’environnement, 2016, Presses Universitaires de Toulouse Capitole, 2016, p. 11.
  • [48]
    P. Rrapi, « Face au bulldozer "ELAN", le Conseil constitutionnel reste de béton (…) », art. cit., en ligne : http://journals.openedition.org/revdh/5702 ; DOI : 10.4000/revdh.5702.
  • [49]
    Sent. C-035/16, 8 février 2016. V. L. Gay et M. Fatin-Rouge Stefanini, « L’utilisation de la Constitution dans les contentieux climatiques en Europe et en Amérique du Sud », in C. Cournil (dir.), La Constitution face aux changements climatiques, Énergie, Environnement, Infrastructures, dossier spécial, n° 12, 2018, p. 43.
  • [50]
    TGI Lyon, 16 septembre 2019, n°19168000015.
  • [51]
    R. Denoix de Saint Marc, « Le Conseil constitutionnel et la charte de l’environnement », Environnement et développement durable, n° 12, décembre 2012, p. 37 ; C. Huglo, « La QPC : quelle utilisation en droit de l’environnement ? », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 43, avril 2014 ; T. Perroud, « La neutralité procédurale du Conseil constitutionnel », La Revue des droits de l’homme, vol. 15, 2018.
  • [52]
    Cons. const., n° 2019-808 QPC, du 11 octobre 2019, préc. cons. 8.
  • [53]
    Cons. const., n° 2013-346 QPC, 11 octobre 2013, Société Schuepbach Energy LLC, cons. 12.
  • [54]
    Cons. const., n° 2018-768 QPC, 21 mars 2019, M. Adama S. : « En l’état des connaissances scientifiques, il est établi que les résultats de ce type d’examen peuvent comporter une marge d’erreur significative ».
  • [55]
    M. Fatin-Rouge Stefanini, « La place des sciences dans les Constitutions et la jurisprudence », in M. Fatin-Rouge Stefanini, L. Gay, La perméabilité du droit constitutionnel aux autres sciences, PUAM, 2017, coll. « Cahiers de l’ILF », p. 5.
  • [56]
    Cons. const., n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, cons. 10.
  • [57]
    Cons. const., n° 2018-771 DC, 25 octobre 2018, Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, cons. 17 et 18.
  • [58]
    Ibid.
  • [59]
    C. Cournil, « "Verdissement" des systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme : circulation et standardisation des normes », Journal européen des droits de l’homme, 2016, vol. 1, p. 3-31.
  • [60]
    Jean-Christophe Martin, Sandrine Maljean-Dubois, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à un environnement sain », in Prévention des risques et responsabilité environnementale, UNITAR, p. 37-53, 2011 (halshs-00734256) et M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, préc.
  • [61]
    C. Cournil, « "Verdissement" des systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme : circulation et standardisation des normes », préc.
  • [62]
    Haute Cour irlandaise, Friends of the irish environment / Conseil municipal de Fingal, 2017.
  • [63]
    Cf. M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, préc.
  • [64]
    Il est pour le moins surprenant de constater que le Conseil d’État semble ici déterminé non pas à assurer la protection des droits de l’Homme mais au contraire à la réduire. Certains de ses membres illustres d’antan doivent se retourner dans leur tombe. Par ailleurs, contrairement à ce que certains commentateurs avaient cru pouvoir affirmer, cette révision de la Constitution aurait été tout à fait utile pour compléter les dispositions de la Charte, notamment pour réaffirmer la volonté du peuple, la protéger plus fortement contre des changements de majorité (surtout en cas d’accès du RN au pouvoir puisqu’ils ont envisagé dans leur programme de 2002 que « le Conseil constitutionnel vérifie la conformité des lois aux (seuls) articles de la Constitution »), mais encore pour que ces dispositions puissent ouvrir plus largement la voie de la QPC aux questions environnementales (puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel exclut pour l’instant les considérants et l’article 6 de la Charte du domaine de la QPC et dès lors qu’aucune restriction de ce type n’aurait lieu d’être ici). Cf. M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, préc.
  • [65]
    Cons. Const., n° 2012-282 QPC, 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et autres.
  • [66]
    V. supra.
  • [67]
    Cons. const., n° 2016-737 DC, 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Notons qu’elle est, non paradoxalement, citée au dossier documentaire de la décision ELAN.
  • [68]
    Cons. Const., n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998D., 1999, p. 234, note Favoreu ; AJDA, 1998, p. 127, note Schoettl.
  • [69]
    G. Mollion, « Les garanties légales des exigences constitutionnelles », Revue française de droit constitutionnel, 2005/2 (n° 62), p. 257-289.
  • [70]
    Cons. Const., n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.
  • [71]
    V. Champeil Desplat, « Analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les droits fondamentaux », Jan. 2008, Sendai, Japon (hal-01667059).
  • [72]
    Cons. Const. n° 83-165 DC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur.
  • [73]
    Cons. Const., n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité.
  • [74]
    M. Prieur, « La constitutionnalisation du principe de non régression face à l’enjeu climatique », in La Constitution face au changement climatique, op. cit., p. 45.
  • [75]
    En ce sens Patricia Rrapi, « Le Conseil Constitutionnel face à la charte de l’environnement : vous avez dit hésitant ? », in M.-A. Cohendet (dir.), Constitution et environnement : regards croisés, Mare et Martin, coll. « ISJPS » à paraître 2020.
« Le prix d’éloquence sera donné au laconisme »
Fragments sur les institutions républicaines, Saint-Just

1

« Le législateur, le Conseil constitutionnel et les plus hautes juridictions, ainsi que toutes les autorités publiques, deviendront les garants de l’impératif écologique » [1].

2Tel était l’espoir de Jacques Chirac à l’aube de la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement. Quinze années plus tard, peut-on effectivement considérer que le juge constitutionnel est devenu le garant sinon de l’impératif écologique du moins des droits et obligations énoncés par la Charte ?

3La question est loin d’être anodine. Ces dernières années ont été marquées par un essor de procès environnementaux dont « les procès climatiques » ne constituent que l’espèce la plus médiatique [2]. Ces nouveaux procès conduisent à s’interroger sur la capacité de rendre justice à l’environnement. Désormais, il ne s’agit pas seulement de faire « un procès sur l’environnement », mais un « procès pour l’environnement ». Cette mutation s’accompagne d’un ensemble de travaux, de réflexions qui évaluent le droit, et notamment, le droit du procès, au regard de cette finalité [3]. Dans cette optique, le droit est tout à la fois perçu comme un recours et un obstacle. Un obstacle lorsqu’il s’agit de s’interroger sur l’adaptation des cadres actuels de la responsabilité, du droit processuel ou de la capacité des juges à se saisir de ces nouveaux cas. Un recours lorsqu’il est question de proposer de nouvelles institutions et/ou une adaptation de l’interprétation des règles de droit afin de mieux protéger l’environnement.

4La chronique d’une année de contentieux constitutionnel de la Charte est l’occasion d’inscrire nos analyses au cœur de ces questionnements. Nos précédentes chroniques se sont attachées à analyser les effets de la Charte à l’aune de son interprétation par le Conseil constitutionnel. Ce point de vue est d’ailleurs celui que retiennent de nombreux autres travaux, qui s’attachent à décrire soit généralement le régime d’invocabilité de la Charte soit, plus spécialement, celui de certaines de ses dispositions. La connotation optimiste des premiers bilans a progressivement cédé la place à des analyses plus circonspectes, mettant en doute la capacité (et/ou la volonté) des pouvoirs publics et des juges à assurer l’effectivité de la volonté du Peuple exprimée par ses représentants dans la Charte de l’environnement.

5Cette année de mobilisation de la Charte de l’environnement ne bouleverse pas ce constat. Du 1er octobre 2018 au 23 septembre 2019, seules quatre décisions ont été rendues sur le fondement de la Charte. Toutes l’ont été dans le cadre du contentieux a priori, et toutes portaient sur des lois ordinaires [4]. Certes, la palette des dispositions invoquées s’est étendue à une nouvelle disposition – l’article 9 de la Charte [5] – mais pour le reste, l’interprétation des articles 1, 2, 3, 5, 6 et 7 n’a pas évolué d’un iota.

6Ce bilan peut sembler bien maigre. Il convient de relativiser cette impression. En effet, sur la période du 1er octobre 2018 au 23 septembre 2019, ces quatre mobilisations représentent un tiers du contentieux de constitutionnalité de la loi ordinaire a priori[6]. Ce sont d’abord l’absence de saisine du Conseil par les justiciables en QPC et la superficialité du contrôle du juge constitutionnel qui contrastent fortement avec les mobilisations de la société civile dans la lutte contre le changement climatique. Mais c’est surtout l’absence d’invocation de la Charte qui est stupéfiante dans plusieurs contentieux dans lesquels elle aurait dû être mobilisée [7]. Est-ce à dire qu’il n’y aurait désormais rien à attendre de plus de la protection de « l’impératif écologique » par le Conseil constitutionnel ? Les justiciables se désintéresseraient-il de la Charte ? La Charte aurait-elle fini de déployer ses effets sur le droit de l’environnement ? Alors que des manifestations croissantes dans le monde entier exigent une action immédiate en faveur de la protection de l’environnement et tandis que la société civile s’empare du procès pour protéger la Nature, comment comprendre le peu d’intérêt contentieux porté à la Charte devant le juge constitutionnel ?

7La réponse du juriste à cette question est évidemment parcellaire. Elle peut toutefois prendre appui sur deux hypothèses. Selon la première, cette carence serait imputable à la Charte : ses dispositions seraient jugées trop floues, imprécises, incomplètes. Selon la seconde, cette insuffisance viendrait des défauts du procès constitutionnel, car ses règles ne lui permettraient pas de déployer ses effets. La première hypothèse doit être écartée. En France, comme dans tous les pays où des dispositions constitutionnelles environnementales ont été adoptées [8], quelques auteurs ont lourdement insisté sur le caractère trop flou, général, imprécis, de ces normes, qui ferait obstacle à leur invocabilité ou pour le moins à leur application. Cependant ces normes ne sont pas plus imprécises, floues ou générales que la liberté, l’égalité ou la dignité, et elles sont (ou devraient être) évidemment tout aussi directement applicables et invocables, devant tous les juges, comme toutes les autres normes constitutionnelles [9]. La mise au ban du droit processuel face à la cause environnementale nous invite à affronter cette seconde hypothèse. Et si le peu de succès de la Charte trouvait son origine non pas dans la Charte elle-même, mais dans l’inadaptation des règles par lesquelles le juge traite le cas qui lui est soumis ?

8L’examen d’une année de contentieux constitutionnel de la Charte ne permettra pas de répondre de manière définitive à cette question pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’objet de cette chronique nous conduit à affronter cette hypothèse dans un cadre peu propice à une étude générale du droit processuel constitutionnel. Ce premier obstacle peut toutefois être surmonté en posant le regard sur l’office du juge constitutionnel. Plus spécialement, il s’agira d’identifier ses techniques de contrôle, c’est-à-dire les modes de raisonnement que mobilise le juge « pour assure[r] la confrontation des normes contrôlées aux normes de référence » [10]. Mais le bilan de cette analyse sera aussi nécessairement parcellaire. Le maigre échantillon que constitue cette année de contentieux constitutionnel de la Charte ne permettra pas de donner une portée générale à nos analyses. Nous pourrons seulement soulever quelques pistes, des indices propres à mesurer l’adaptation du procès constitutionnel à la question environnementale.

9Les résultats de cette enquête semblent plutôt négatifs. Les décisions rendues n’illustrent aucune adaptation du procès constitutionnel aux questions environnementales. Le Conseil n’a pas adapté son office à l’appréciation de la constitutionnalité de la loi au regard de la Charte. Il applique au contentieux constitutionnel de la Charte ses techniques habituelles de contrôle, et même, plus spécialement, ses techniques les moins exigeantes. Ce constat révèle l’insoutenable légèreté du « procès environnemental » devant le Conseil constitutionnel (I). Toutefois, cette inadaptation pourrait n’être que provisoire (II).

I – Le constat : l’insoutenable légèreté du « procès environnemental » devant le Conseil constitutionnel

10Le constat est implacable. L’office du juge constitutionnel ne témoigne d’aucune adaptation à la spécificité de l’objet protégé par la Charte : le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Aucun traitement de faveur donc. Les motivations du juge constitutionnel sont toutes caractérisées par un laconisme certain. Cette indigence argumentative se prolonge d’ailleurs dans les commentaires officiels des décisions qui rechignent à examiner, ne serait-ce que pour les répéter, les termes de l’argumentation expéditive de la décision [11]. Si les critiques de la qualité des motivations du Conseil sont légion [12], s’agissant de la Charte, elles reflètent le choix répété du juge de n’utiliser que ses techniques de contrôle les moins exigeantes, comme en témoignent trois parmi les quatre décisions de la période (A) et de ne pas verdir les droits et libertés constitutionnels, comme en atteste notamment la quatrième décision étudiée (B).

A – Contrôle restreint et argument d’autorité

11« L’enrichissement des techniques de contrôle » [13] du juge constitutionnel n’a manifestement pas pénétré le raisonnement du juge constitutionnel à l’occasion des décisions rendues le 15 novembre 2018 [14], le 21 mars [15] et le 16 mai 2019 [16]. Dans ces affaires, les requérants invoquaient la violation de plusieurs dispositions de la Charte – les articles 1, 2, et 5 dans la première ; l’article 7 pour la deuxième ; les articles 1, 2, 3, 5 et 6 pour la dernière. Dans les trois cas, ces motifs ne convainquent pas le juge qui ne retient aucune violation des dispositions de la Charte par la loi.

12Dans la première affaire, étaient en cause plusieurs dispositions de la loi ELAN modifiant le Code de l’urbanisme et le Code général des collectivités territoriales en vue d’accroître l’urbanisation dans les zones littorales [17]. Ces modifications législatives opèrent une réécriture du principe législatif d’extension en continuité de l’urbanisation introduit par la loi Littoral [18] et donc une remise en cause de l’interdiction d’extension en discontinuité de l’urbanisation qui en découlait. Désormais, dans les communes littorales, l’urbanisation peut être autorisée en dehors des agglomérations et des villages existants, dans des zones déjà urbanisées identifiées dans le schéma de cohérence territoriale et délimitées par les plans locaux d’urbanisme [19]. De même, certaines constructions – nécessaires aux activités agricoles ou forestières ou aux cultures marines – seront autorisées en discontinuité avec l’urbanisation. Ensuite, dans les espaces remarquables ou caractéristiques et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques, des aménagements légers pourront être autorisés. Enfin, en Corse, le plan d’aménagement et de développement durable pourra identifier, pour les communes soumises aux dispositions relatives aux zones montagneuses et littorales, lesquelles pourront déroger au principe d’urbanisation en continuité tel que réécrit par la loi.

13Dans la deuxième affaire, relative à la loi pour la programmation de la justice, le juge constitutionnel s’est prononcé sur les modalités de mise en œuvre de la participation du public par l’article 90 de la loi. Son ambition est de « simplifier les procédures administratives » [20] en substituant à l’enquête publique environnementale, une consultation en ligne renforcée pour les opérations d’extension ou de construction d’établissements pénitentiaires entrées en phase d’étude avant le 31 décembre 2022. Désormais, la participation est soumise à la procédure électronique de l’article L. 123-19 du Code de l’environnement, renforcée par un ensemble de dispositions visant à garantir les modalités de prise en considération des observations du public [21].

14Dans la dernière, du 16 mai 2019 portant sur la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) [22], étaient contestées plusieurs dispositions de la loi PACTE au regard de la Charte. Tout d’abord, les députés-requérants critiquaient le renvoi par le législateur à la future société Aéroports de Paris (ci-après ADP) de la définition des modalités selon lesquelles elle « exercera ses missions en tenant compte des effets environnementaux de son activité » dans son cahier des charges. De leur côté, les sénateurs mettaient également en cause les articles 17 et 18 de la loi. Ces dispositions revenaient sur les interdictions de mise à disposition de certains ustensiles plastiques, et de fabrication sur le territoire national des pesticides contenant des substances actives interdites sur le territoire de l’Union. Ces normes protectrices de l’environnement venaient pourtant d’être adoptées, quelques mois auparavant, par la loi dite EGALIM [23].

15Dans la première et la dernière décision, il est d’abord frappant de constater que la motivation du Conseil se drape de toute son autorité pour écarter les demandes exprimées par les auteurs des saisines. C’est le cas, dans le premier recours, pour l’examen des griefs tirés de la violation de l’obligation de préserver l’environnement (article 2) et du principe de précaution (article 5) et, dans le deuxième recours, pour l’examen du moyen tiré de la violation du principe de conciliation (article 6). Les motifs du juge s’épuisent dans le premier cas dans un considérant-type qui affirme au lieu de démontrer que « ces dispositions, qui ne méconnaissent ni les articles 2 et 5 de la Charte de l’environnement ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution ». Dans ce cas, « il faut donc croire le Conseil constitutionnel sur parole » [24], une parole expéditive et non justifiée. De manière plus énigmatique, dans la seconde décision, il feint l’examen du moyen tiré de la violation de l’article 6 en déclarant « qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative, ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées » [25]. Pourtant, à y regarder de plus près, l’observateur ne voit pas très bien à quel moment la conciliation entre les objectifs économiques, sociétaux et environnementaux poursuivis est examinée par le juge. Ici, le principe de conciliation est examiné au regard du contrôle de l’obligation de vigilance environnementale. Autrement dit, à suivre la lettre de motivation, l’équilibre entre les objectifs sociaux, économiques et environnementaux tient à la non-soustraction d’ADP au droit commun des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et au droit commun de la responsabilité. Il convient donc de supposer que ces législations constituent une modalité législative de mise en œuvre du principe de conciliation dont on suppose plus qu’on nous démontre la conformité à la Charte.

16Ces techniques argumentatives sèches donnent le sentiment que le Conseil botte souvent en touche lorsqu’il est saisi de la Charte. Ce sentiment se trouve d’ailleurs conforté à l’heure d’examiner comment, dans l’affaire relative à la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique [26], il examine le moyen tiré de la violation du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé (article 1er).

17Pour rappel, les dispositions législatives contestées amoindrissaient la portée de l’interdiction de bâtir en continuité de l’urbanisme existant en dehors des agglomérations et des villages. Pour le dire simplement, la loi vient fragiliser la lutte contre le mitage des zones littorales, c’est-à-dire la transformation d’espaces dévolus aux activités agricoles ou sauvages en zones urbanisées. L’équilibre de l’environnement littoral et même, plus généralement, l’équilibre de l’environnement était en jeu. En effet, les requérants relevaient, d’une part, que la lutte contre l’artificialisation des sols est un élément majeur de l’action contre le changement climatique et, d’autre part, que dans les zones littorales, cette question est d’une particulière acuité en raison des risques liés à l’érosion notamment sur la façade atlantique [27].

18Leur argumentation se fondait à titre principal sur « la théorie des garanties légales des exigences constitutionnelles ». Ils soutenaient que ces nouvelles dispositions, prises ensemble ou séparément, constituaient des régressions juridiques. Ces régressions étaient de deux ordres. D’abord, elles étaient déduites de l’objet même de la loi en tant qu’il permettait l’accroissement mécanique de l’artificialisation des sols permis par la loi. Ensuite, cette régression venait des effets de la loi, dès lors que l’extension de l’urbanisation accroissait le risque de réalisation du changement climatique, qui constitue lui-même une menace sur le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré.

19La réponse apportée par le juge constitutionnel révèle qu’en la matière, le Conseil a refusé d’opter pour la technique de contrôle envisagée par les requérants : la théorie des garanties légales des exigences constitutionnelles [28]. En effet, l’argumentation se déroule en deux temps. D’abord, il reproduit l’objet de la disposition. Ensuite, il énumère les limites mises en place par le législateur – délimitation du champ d’application de la dérogation, procédure de contrôle, condition de légalité de l’autorisation – afin de conclure à la conformité à l’article 1er des dispositions contestées. Alors quelle technique a-t-il mobilisé ? Deux hypothèses peuvent être avancées.

20La première est que le Conseil constitutionnel reconnaît, sans la nommer, une restriction apportée au droit à l’environnement sain et examine l’intensité de cette restriction. Toutefois, ce contrôle se produirait alors sans que le juge applique une « règle constitutionnelle d’origine jurisprudentielle en vertu de laquelle toute dérogation à un droit ou à une liberté de valeur constitutionnelle doit au minimum être justifiée par la poursuite d’un intérêt général » [29].

21Dans ce cas, le juge opèrerait un contrôle de proportionnalité incomplet ou de l’erreur manifeste d’appréciation.

22La seconde hypothèse est qu’il ne s’attache qu’à vérifier l’existence de modalités législatives d’application du droit à l’environnement sain. Dans ce cas, il s’agirait d’un contrôle de la compétence du législateur. L’hésitation est permise en raison de la frugalité de la motivation : jamais le juge n’explique en quoi les limites qu’il relève constitueraient une atteinte non disproportionnée à l’article 1er… Cet entre-deux laisse planer de nombreux doutes : ni les mobiles du législateur – quel motif d’intérêt général justifiait d’étendre l’urbanisation sur le littoral ? – ni les garanties légales du droit de vivre dans un environnement équilibré ne sont relevés.

23D’ailleurs, il est frappant de constater que l’absence d’examen de la violation de la Charte au titre des garanties légales des exigences constitutionnelles caractérise également la décision rendue sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. En effet, alors que la substitution de la procédure de participation électronique ad hoc emportait la disparition de garanties légales associées à l’enquête publique – accès favorisé à la justice des référés [30], contrôle étroit du contenu de la synthèse des observations du commissaire enquêteur [31] –, le juge ne se prononce pas sur ce point.

24En toute hypothèse, il est certain que le juge choisit de ne pas mobiliser un contrôle de « proportionnalité interne » [32]. Par cette expression, il s’agit de désigner une technique par laquelle le Conseil vérifie non seulement l’intensité des restrictions à l’aune de la norme de référence mais aussi que les restrictions apportées sont propres à réaliser l’intérêt général qui les justifie. Cette retenue n’est toutefois pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence antérieure. Face à la Charte de l’environnement, et, plus largement, pour les lois poursuivant un objectif de préservation de l’environnement, le Conseil rappelle à loisir qu’il ne peut substituer son appréciation à celle du législateur quant au choix des moyens et des motifs qui encadrent les articles 1er et 6 de la Charte [33].

25Paradoxalement, une censure a bénéficié à la protection de l’environnement à l’occasion de la loi PACTE. Toutefois, elle n’a pas été acquise sur le fondement de la Charte mais sur celui de la procédure législative. En effet, le sort des articles 17 et 18 de la loi PACTE s’est joué sur le fondement de l’article 45 de la Constitution.

26Cette disposition interdit les « cavaliers législatifs » c’est-à-dire les amendements dépourvus « de lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » à l’assemblée saisie en première lecture [34]. Dans ce cadre, le juge contrôle sinon l’adéquation entre l’objet de la loi et de l’amendement du moins l’absence d’incohérence entre ces objets. En l’espèce, il a implicitement estimé que les amendements déposés au Sénat n’avaient aucun objet économique, en dépit de la finalité économique qui les animait [35].

B – Pas de verdissement des droits et libertés constitutionnels

27Le second enseignement de cette année de contentieux constitutionnel est l’absence d’interprétation systémique des droits et libertés constitutionnels. Cette position ressort avec éclat de la décision du 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires.

28En effet, la Charte de l’environnement s’était invitée à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de cette loi. Cette dernière visait à transposer la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. Le contrôle de la conformité de la loi à la Constitution était donc limité. Dans le cadre de l’examen des lois de transposition des directives, le juge censure seulement les dispositions contraires à une « règle ou [à] un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » [36]. Le cadre de la saisine commandait donc que les requérants démontrent que la loi était contraire à une norme constitutionnelle d’une part, et d’autre part, que cette norme constitutionnelle est inhérente à l’identité constitutionnelle de la France.

29Les requérants se sont essayés à cette démonstration sur le fondement de l’article 9 de la Charte. Ce dernier dispose que « la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement ». Les requérants soutenaient que cette disposition fondait une liberté de la recherche propre à l’environnement, inhérente à l’identité constitutionnelle française. Ils arguaient que le champ d’application de l’inopposabilité du secret des affaires dans le cadre de procédures juridictionnelles était insuffisant en tant qu’il n’excluait pas les divulgations opérées à titre scientifique. En effet, l’article 1er de la loi instituait trois séries d’exceptions permettant aux requérants d’échapper à une condamnation civile au titre de la violation du secret des affaires : lorsque l’utilisation ou la divulgation du secret est intervenue pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris la liberté d’information [37] ; lorsque la divulgation vise à révéler dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible y compris dans l’exercice du droit d’alerte ; lorsque la divulgation sert à protéger un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national.

30La réponse du juge est lapidaire. Selon le Conseil, « les exceptions apportées au secret des affaires (…) ne mettent pas en cause les dispositions de l’article 9 » [38] ou autrement dit « elles ne méconnaissaient pas ces principes » [39]. Ce laconisme trouve sans doute une explication dans la jurisprudence antérieure. Si le Conseil ne s’est jamais référé explicitement à une « liberté de la recherche », il protège la « liberté d’expression et de communication dans l’enseignement et la recherche » qui trouve son fondement dans la liberté d’expression [40]. Dès lors, l’inclusion de la liberté de communication parmi les motifs d’inopposabilité du secret des affaires explique sans doute qu’au regard des exceptions apportées par le législateur, l’article 9 n’ait pas été violé.

31Toutefois, le laconisme du juge lui permet de ne pas se prononcer sur l’existence d’une liberté de la recherche renforcée bénéficiant aux chercheurs divulguant une alerte environnementale. À supposer que notre compréhension de la décision soit exacte, il faudrait en conclure que « les principes » attachés à l’article 9 de la Charte sont identiques à ceux protégés par « la liberté d’expression et de communication dans l’enseignement et la recherche ». Les dispositions de la Charte ne sont donc pas mobilisées comme des ressources interprétatives permettant de « verdir » le régime général des droits et libertés constitutionnels.

32L’absence de verdissement des droits et libertés constitutionnels s’est d’ailleurs confirmée cette année dans la décision du 28 juin 2019, Union syndicale des magistrats administratifs et autre[41]. Dans cette affaire, était en cause une procédure expérimentale de « rescrit environnemental » [42]. Dans le cadre de certaines opérations complexes, la loi ESSOC permet au bénéficiaire ou à l’auteur d’une décision administrative non réglementaire de saisir le tribunal administratif d’une demande tendant à en apprécier la régularité externe. Alors, le brevet de conformité délivré par le tribunal interdira aux tiers de contester la décision finale sur le fondement de ces vices. L’objet de cette procédure est de neutraliser l’examen des vices nés de la méconnaissance des procédures concrétisant le droit d’être informé et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement protégés à l’article 7 de la Charte. Pour le dire autrement, cette procédure met en cause une garantie légale autrefois apportée au droit de participer : celle de pouvoir obtenir en justice la censure de la décision publique au motif des manquements apportés à l’exercice desdits droits.

33Il est vrai que la Charte de l’environnement n’établit pas, contrairement aux droits européen et international de l’environnement [43], dans sa lettre de lien explicite entre les droits de l’article 7 et le droit au recours effectif [44]. Ce silence ne signifie pas, pour autant, que le constituant ait entendu nier l’existence de ce lien. Au contraire, le refus du constituant était justifié par l’idée du caractère superfétatoire d’une telle affirmation. Convaincus que la protection du droit au recours juridictionnel permettrait à chacun et aux associations de protection de l’environnement d’accéder à la justice pour protéger le droit de participer, il avait semblé inutile de le répéter dans la Charte [45]. En effet, dans le rapport de Nathalie Kosciusko-Morizet, il est signalé que « l’affirmation d’un accès spécifique en matière d’environnement faute d’effet juridique, aurait seulement une portée "pédagogique" » [46]. La force de cette conviction aurait pu justifier un verdissement de l’appréciation de la constitutionnalité des restrictions apportées au droit au recours en matière environnementale. Pourtant, le juge ne s’est jamais saisi de cette possibilité [47]. Dans cette affaire, bien que la loi n’ait pas identifié, parmi les titulaires de l’action d’appréciation en régularité, les membres du public ou, à défaut, les associations agréées pour la protection de l’environnement, elle est déclarée conforme à la Constitution. D’ailleurs, la Charte n’est mentionnée nulle part : ni dans le dossier commentaire, ni dans le corps de la décision, ni dans son commentaire. Ce silence est incompréhensible alors que les vices examinés seront ceux tirés de la méconnaissance des procédures concrétisant le droit d’être informé et de participer à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement protégé à l’article 7 de la Charte.

34Techniques de contrôle limitées, absence de verdissement des normes constitutionnelles : tel est le bilan de cette année de contentieux constitutionnel de la Charte. Toutefois, puisque les techniques de contrôle relèvent d’un choix du juge constitutionnel, interrogeons-nous sur les raisons qui pourraient justifier un verdissement du contentieux constitutionnel.

II – Le dépassement : la possibilité d’un verdissement du contentieux constitutionnel

35« Moins on en dit, mieux on se protège de la potentialité contraignante de la Charte de l’environnement en général » [48]. Tel serait, pour Patricia Rrapi, la raison pour laquelle le juge constitutionnel s’échine à ne mobiliser que des techniques de contrôle lui permettant de faire une interprétation lacunaire du texte. L’explication est séduisante. Ses conséquences sont palpables. En dépit de la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement, l’impératif écologique ne pèse pas fortement sur le législateur. Au contraire, dès lors que le Conseil constitutionnel s’évertue à donner toute sa portée à la Charte, la politique environnementale reste très librement fixée par le législateur et l’effectivité de la Charte reste assez chimérique. Pourrait-il en être autrement ? Sans doute. En portant son regard ailleurs (A) et en ravivant la théorie des garanties légales des exigences constitutionnelles (B), le Conseil pourrait, sans prendre le risque du gouvernement des juges, établir un équilibre entre la protection de la Charte et le maintien d’une marge de discrétion au Parlement.

A – Regarder ailleurs

36L’examen des décisions rendues par d’autres juridictions permet de mesurer un certain décalage avec les techniques de contrôle du juge constitutionnel.

37Le premier élément de ce décalage tient à la mobilisation de l’expertise scientifique à l’étranger. Une illustration éclatante de ce recours peut être identifiée dans la décision rendue par la Cour constitutionnelle de Colombie le 8 février 2016 [49]. Dans cette affaire, étaient en cause les garanties que le Parlement avait souhaité apporter aux titulaires d’autorisations d’exploitation minière et d’hydrocarbures délivrées avant leur interdiction en 2010 dans les páramos. En effet, la loi introduisait une exception en leur permettant de continuer à jouir de leur autorisation en dépit de l’interdiction. Ces autorisations étaient contestées au regard du droit à l’environnement sain et du droit à l’eau.

38Pour procéder au contrôle, le juge apprécie l’exception législative en prenant en considération outre son régime juridique, la littérature scientifique relative aux páramos. Autrement dit, le droit à l’environnement sain est perçu comme une norme substantielle et concrète dont le respect s’examine à la lumière des services environnementaux rendus par l’écosystème affecté par l’objet de la loi. Le recours à l’expertise scientifique aide ici le juge à donner corps à la notion d’environnement. Ce préalable lui permet ensuite d’apprécier les modalités de sa protection et/ou l’intensité des atteintes qui lui sont portées. Plus près de nous, dans un tout autre registre, dans l’affaire des décrocheurs d’un portrait d’Emmanuel Macron, le Tribunal correctionnel de Lyon [50] a mobilisé des évaluations scientifiques pour apprécier l’insuffisance des politiques publiques en matière de lutte contre le changement climatique.

39Le recours à l’expertise scientifique est donc un recours sur lequel le juge pourrait s’appuyer pour approfondir son contrôle. Pour l’heure, la mobilisation de l’expertise scientifique fait l’objet de certaines incertitudes devant la juridiction constitutionnelle. En effet, s’il est établi que le juge recourt à l’expertise scientifique [51], la place qu’il lui confère dans ses décisions (et au demeurant dans leurs commentaires dépourvus de valeur juridique notamment du fait qu’ils ne sont pas l’œuvre du Conseil constitutionnel dans son ensemble) est incertaine. Certes, à plusieurs reprises, le juge s’est référé « à l’état des connaissances scientifiques et des techniques » pour apprécier le caractère proportionné de la restriction au regard de l’objectif poursuivi [52]. Cette référence est notamment apparue dans la décision relative à l’interdiction de la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste [53] ou plus récemment à propos de la détermination de l’âge de migrants par voie radiographique [54]. Toutefois, dans d’autres affaires, le juge a mis en avant sa réserve de compétence afin de ne pas apprécier à l’appui d’expertises scientifiques l’adéquation des restrictions vis-à-vis de l’objectif poursuivi [55]. Tel a été le cas dans le contentieux des vaccinations [56] ou, plus récemment, à l’occasion de l’examen de l’interdiction des plastiques à usage unique [57]. Dans ce cas, le juge a estimé qu’il ne lui appartenait pas « de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances, l’appréciation par le législateur des conséquences susceptibles de résulter pour l’environnement et pour la santé publique de l’utilisation de ces produits » puisqu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » [58].

40Une autre piste pourrait être le recours à une interprétation plus systémique des dispositions de la Constitution. Ce phénomène s’illustre notamment dans les systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme [59]. Cette démonstration a déjà été faite à la lumière de l’évolution de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après Cour EDH). La préoccupation environnementale a emporté une double relecture du système de protection des droits-libertés par la Cour EDH : la préservation de l’environnement s’est imposée parmi les motifs d’intérêt général justifiant des restrictions aux droits individuels puis comme un élément à part entière de certains droits garantis par la Convention, le droit à la vie privée et familiale (article 8 de la Conv. EDH), le droit à la vie (article 2 de la Conv. EDH), le droit à la protection des biens, imposant par conséquent des obligations positives aux États [60]. Plus spécialement, la comparaison entre les systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme a permis de démontrer les « "fertilisations croisées" entre les juridictions conduisant à une forme de standardisation d’obligations environnementales » [61]. La nécessité d’un tel verdissement s’avère paradoxale en France. En effet, dans les systèmes qui ont recouru à cette technique, aucune disposition juridique ne reconnaissait expressément de droit à l’environnement. Ce mouvement illustre la porosité qui s’est développée entre les droits-libertés et ce droit à l’environnement. Ces exemples pourraient inspirer le Conseil et l’aider à sortir de sa réserve face à la Charte. Ne plus considérer le droit à l’environnement comme étant uniquement un « nouveau droit » mais aussi le prolongement de droits anciens, pourrait justifier que le régime de sa protection soit plus proche de celui accordé aux autres droits déduits notamment de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

41Le Conseil devrait non seulement interpréter la Charte de la même manière que tous les droits classiques, mais encore interpréter tous les droits classiques à la lumière de l’évolution de la société et de l’état de l’environnement. Par exemple, dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (ci-après DDHC), le bonheur ne peut plus être effectif de nos jours dans un environnement gravement dégradé et dans lequel notre avenir et celui de nos enfants est profondément compromis. De même, notre sûreté ne peut être garantie si nous ingérons des substances polluantes qui nous mettent en danger et si notre survie est menacée par les bouleversements climatiques. La résistance à l’oppression peut aussi être interprétée de manière contemporaine comme ne concernant plus seulement la protection contre les abus de pouvoirs des gouvernants, mais aussi les abus de personnes privées, notamment de grandes sociétés, ou d’États étrangers. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article 4 DDHC). Le droit de polluer n’a donc jamais existé et l’on ne saurait valablement invoquer cet article pour prétendre limiter le droit de l’Homme à un environnement sain. Il résulte aussi de l’article 5 de la DDHC que la loi peut parfaitement – et doit même au regard d’autres droits comme le droit à un environnement sain – interdire les actions nuisibles à la société. La dégradation de l’environnement peut en outre porter atteinte au droit de propriété, affirmé aux articles 2 et 17 de la DDHC, par exemple en cas de pollution de l’eau ou des sols. Le droit à l’information et la responsabilité des pouvoirs publics peuvent aussi être fondés sur l’article 15 de la DDHC : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». De même, le Préambule de la Constitution de 1946 devrait être interprété à la lumière de ces exigences. Le principe de dignité (déduit du préambule de ce préambule par le Conseil constitutionnel) est très souvent considéré, tant par des conventions internationales que par des cours étrangères, comme étant très lié à l’environnement. Ainsi, la Haute Cour irlandaise souligne le rapport nécessaire entre dignité et environnement, et, comme bien d’autres cours, elle rappelle que la protection de l’environnement est indispensable à l’effectivité de tous les droits de l’Homme : « Un droit à un environnement compatible avec la dignité humaine et le bien-être des citoyens est une condition essentielle à la réalisation de tous les droits humains » [62]. L’indicatif valant impératif en droit français, lorsque le 10ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » il s’agit bien d’une obligation et non d’une simple faculté. Ces conditions exigent désormais un environnement qui ne soit pas trop dégradé. Il en va de même pour le 11ème alinéa : la Nation doit garantir « à tous (…) la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Tous ces éléments supposent aussi un environnement convenable. Les atteintes à la santé résultant de la pollution ou de températures extrêmes résultant des changements climatiques sont, par exemple, de mieux en mieux connues. Le 12ème alinéa de ce préambule évoque aussi la solidarité face aux calamités nationales, parmi lesquelles les inondations, canicules et incendies résultant des bouleversements climatiques. Toutes ces dispositions doivent être prises en compte dans l’interprétation du juge, non seulement de manière isolée, mais encore et surtout dans une interprétation systémique, de manière combinée, entre elles et avec les dispositions de la Charte de l’environnement [63].

42La révision de la Constitution en cours avait dans un premier temps prévu, à la demande des parlementaires, de renforcer la protection de l’environnement à l’article 1 de la Constitution en ces termes : la République « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques », mais le Conseil d’État a suggéré avec succès que l’on remplace cette obligation d’agir par une formule beaucoup moins contraignante : « elle favorise… ». Sic[64].

43Le juge peut ainsi trouver des ressorts pour sortir de sa réserve, il pourrait aussi raviver certaines de ses ressources pour faire vivre la Charte.

B – Raviver la théorie des garanties légales des exigences constitutionnelles

44Il est une technique de contrôle que le juge pourrait facilement raviver afin de trouver un nouvel équilibre entre la Charte et le pouvoir d’appréciation du législateur dans le choix des modalités de protection de l’environnement : celle des garanties légales des exigences constitutionnelles. Cette technique, déjà appliquée à la Charte [65], n’a pas été retenue par le Conseil cette année en dépit de son invocation par les parlementaires [66].

45Plus largement, elle fut transposée au droit de l’environnement de manière explicite dans la décision du 4 août 2016 relative à la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages [67]. Saisi de la conformité à la Constitution du principe de non-régression inscrit par le législateur dans le Code de l’environnement, il avait rappelé que cette disposition serait sans incidence sur l’exercice par le Parlement de son pouvoir législatif. Le juge rappelait alors qu’en la matière, ce pouvoir n’est encadré que par la théorie des garanties légales des exigences de caractère constitutionnel selon laquelle il demeure « à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité. Il peut également à cette fin modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Dans l’un et l’autre cas, il ne saurait priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » [68].

46Toutefois, en l’état actuel de la jurisprudence constitutionnelle, la protection conférée par les garanties légales des exigences constitutionnelles est au plus bas. En effet, cette théorie impose au législateur un cadre plus ou moins exigeant à l’exercice de sa compétence. Ce cadre peut se présenter sous la forme d’une « échelle de garantie » [69] laquelle se décline sur trois niveaux.

47Sur ce fondement, un temps, le Conseil imposait au législateur de ne modifier la loi ancienne qu’en vue d’accorder une protection toujours plus effective du droit (échelle maximale) [70]. C’était le fameux « effet cliquet » ou « effet anti-retour » [71]. Ensuite, il a pu exiger que le législateur confère dans la loi nouvelle une garantie équivalente à celle qu’il supprimait (échelle intermédiaire) [72]. Enfin, aujourd’hui, il l’autorise à apporter une régression au niveau de protection dudit droit pourvu que la régression ne supprime pas complètement toute garantie législative audit droit ou liberté (échelle minimale) [73].

48Appliquée à la Charte, la mobilisation des garanties légales des exigences constitutionnelles permettrait au juge de ne pas se lier par des interprétations de la Charte tout en surveillant davantage l’exercice de sa compétence par le législateur. Cette technique de contrôle apparaît comme un point d’équilibre possible entre la préservation de la marge d’appréciation du législateur et la protection de l’impératif écologique énoncé par la Charte. Mais, pour que cet équilibre soit trouvé, il conviendrait au minimum que le juge renoue avec l’échelle intermédiaire de son contrôle. Cette évolution pourrait d’ailleurs s’appuyer sur l’article 2 de la Charte qui énonce le devoir de toute personne, donc notamment le législateur et le juge, « de prendre part (…) à l’amélioration de l’environnement ». À l’appui de cette obligation, le juge pourrait développer l’idée qu’une loi nouvelle ne pourrait pas affaiblir sans condition le niveau de protection de l’environnement établi par la loi ancienne : il ne pourrait le faire que si la protection était devenue inutile ou si le bénéfice collectif tiré de la garantie législative était jugé disproportionné au regard de l’intérêt poursuivi par sa suppression. Autrement dit, ravivée à la lueur de la Charte, la théorie des garanties légales n’aurait rien de révolutionnaire (échelle minimale). Mais, au moins, elle permettrait d’imposer une obligation négative à la loi, celle de ne pas abaisser le niveau de protection de l’environnement à n’importe quel prix.

49Cette proposition rejoint celle que défend notamment Michel Prieur à travers l’idée d’un principe de « non-régression ». En effet, ce principe devrait être entendu comme obligeant le législateur à ne pas adopter « de dispositions conduisant à des reculs préjudiciables pour la santé et pour l’environnement naturel. Aussi le principe serait apprécié, au cas par cas, pour mesurer si le recul envisagé est ou non préjudiciable aux intérêts collectifs liés à la protection de l’environnement » [74].

50Ce n’est qu’au prix d’une relecture de ses techniques de contrôle que le juge constitutionnel pourra prendre part à la défense de l’impératif écologique et dissiper enfin les nombreux doutes qui survivent à l’analyse de ses décisions [75].


Mots-clés éditeurs : expertise scientifique, verdissement des droits et libertés, garantie légale des exigences constitutionnelles, office du juge, Charte de l’environnement, procès environnemental, interpretation

Date de mise en ligne : 14/01/2020

Notes

  • [1]
    Discours de Jacques Chirac, campagne électorale pour l’élection présidentielle, Avranches, le 18 mars 2002.
  • [2]
    M. Hautereau-Boutonnet, E. Truilhe-Marengo, Le procès environnemental : du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement, rapport du GIP Droit et Justice, 2019, en ligne (http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/le-proces-environnemental-du-proces-sur-lenvironnement-au-proces-pour-lenvironnement/).
  • [3]
    Ibid.
  • [4]
    Cons. const., n° 2018-768 DC, 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires ; Cons. const., n° 2018-772 DC, 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN ; Cons. const., n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; Cons. const., n° 2019-781 DC, 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE.
  • [5]
    Cons. const., n° 2018-768 DC, 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires.
  • [6]
    Sur la période du 1er octobre 2018 au 23 septembre 2019, ces quatre mobilisations représentent toutefois un tiers du contentieux de constitutionnalité de la loi ordinaire a priori. En effet, au titre du contrôle de constitutionnalité de la loi, le Conseil a certes rendu 82 décisions mais seules 12 d’entre elles concernent le contrôle de constitutionnalité a priori des lois ordinaires : https://www.conseil-constitutionnel.fr/bilan-statistique.
  • [7]
    Cons. const., n° 2019-808 QPC, 11 octobre 2019, Société Total raffinage France ; TA Lyon, 26 septembre 2019, n° 180036 ; Cons. const., n° 2019-791 DC du 7 novembre 2019, Loi relative à l’énergie et au climat.
  • [8]
    Cf. D. Boyd, The Environmental Rights Revolution. A global study of Constitutions, Human Rights, and the Environment, Law and Society Series, UBCPress, Vancouver, Toronto, 2012 ; J. May et E. Daly, Global environmental constitutionalism, Cambridge University Press, June 2016.
  • [9]
    M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, précis Dalloz 9ème éd., 2019 et M.-A. Cohendet, Droit constitutionnel, coll. Cours, LGDJ-Lextenso, 4ème éd., 2019.
  • [10]
    G. Vedel, « Excès de pouvoir législatif, excès de pouvoir administratif », Cahiers du Conseil Constitutionnel, 1997, n° 2, en ligne.
  • [11]
    Sur les quatre décisions examinées, seuls deux commentaires évoquent l’examen des motifs tirés de la violation de la Charte : celui relatif au contrôle de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises et celui ayant trait à la loi relative à la protection du secret des affaires.
  • [12]
    F. Malhière, La brièveté des décisions de justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation), Contribution à l’étude des représentations de la justice, Dalloz, 2013, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », vol. 125, 666 p.
  • [13]
    B. Genevois, « L’enrichissement des techniques de contrôle », Colloque du Cinquantenaire du Conseil constitutionnel, 3 novembre 2008, en ligne, https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/Colloques/genevois_031108.pdf.
  • [14]
    Cons. const., n° 2018-772 DC, 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN.
  • [15]
    Cons. const., n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
  • [16]
    Cons. const., n° 2019-781 DC, 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE.
  • [17]
    Cons. const., n° 2018-772 DC, 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN.
  • [18]
    Article L. 120-8 du Code de l’urbanisme qualifié de « règle fondamentale de la loi Littoral », in L. Bordereaux et C. Roche, « Littoral et milieux marins », RJE, 2019/2, p. 379. Cette réécriture de la loi littoral n’était pas une première. V. Ph. Zavoli, « Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », RJE, 2019/1, p. 187.
  • [19]
    Auparavant, ce principe limitait l’extension de l’urbanisation « en continuité avec les agglomérations et villages existants ou en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ».
  • [20]
    V. les motifs de la loi.
  • [21]
    Cette plus-value tenait à l’intervention d’un garant nommé par la Commission Nationale du Débat Public qui, à l’issue de la procédure, rédigeait la synthèse des observations et propositions du public, synthèse qui pourrait mentionner les réponses et éventuellement les évolutions proposées par le maître d’ouvrage ou la personne responsable pour tenir compte des observations ou propositions.
  • [22]
    Cons. const., n° 2019-781 DC, 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE.
  • [23]
    Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
  • [24]
    P. Rrappi, « Face au bulldozer "ELAN", le Conseil constitutionnel reste de béton. À propos de la décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », RDH, janvier 2009, en ligne http://journals.openedition.org/revdh/5702 ; DOI : 10.4000/revdh.5702.
  • [25]
    Cons. const., n° 2019-781 DC, cons. 85.
  • [26]
    Cons. const. n° 2018-772 DC, préc.
  • [27]
    V. l’acte de saisine déposé par les députés au greffe du Conseil constitutionnel le 23 octobre 2018 (en ligne).
  • [28]
    Notons également que le gouvernement s’était engagé dans cette voie en requalifiant les écritures des requérants.
  • [29]
    Valérie Goesel-Le Bihan, « Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel : défense et illustration d’une théorie générale », Revue française de droit constitutionnel, 2001, vol. 1, n° 45, p. 67-83.
  • [30]
    Article L. 123-16 du Code de l’environnement.
  • [31]
    R. Hostiou, J.-F. Struillou, Expropriation et préemption, LexisNexis, coll. « urbanisme et construction », 2016, spéc. p. 136 et s.
  • [32]
    J.-B. Duclercq, Les mutations du contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ-Lextenso, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », 2015, t. 146, 537 p.
  • [33]
    Par exemple, Cons. const., n° 2016-737 DC, 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
  • [34]
    Article 45 de la Constitution.
  • [35]
    V. les motifs de l’amendement n° 944 déposé au Sénat par MM. Cardoux et Chatillon, Mmes Lavarde et Puissat, M. Jean-Marc Boyer et Mme Berthet.
  • [36]
    Cons. const., n° 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.
  • [37]
    V. article L. 151-8 du Code de commerce.
  • [38]
    Cons. const., n° 2018-768 DC, 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires, cons. 27.
  • [39]
    V. en ligne le commentaire de la décision, p. 9.
  • [40]
    Cons. const. n° 94-345 DC, 29 juillet 1994, Loi relative à l’emploi de la langue française, cons. 22.
  • [41]
    Cons. Const., n° 2019-794 QPC, 28 juin 2019, Union syndicale des magistrats administratifs et autre.
  • [42]
    Article 54 de la loi ESSOC.
  • [43]
    V. article 9.2 de la Convention qui énonce que toute personne ayant un intérêt « pour contester la légalité quant au fond et à la procédure de toute décision, tout acte ou toute omission entrant dans le champ du droit de participer aux "décisions relatives à des activités particulières" ». Dans le même sens, v. article 11 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
  • [44]
    Cons. Const., n° 93-335 DC, 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction.
  • [45]
    K. Foucher, « La consécration du droit de participer par la Charte de l’environnement. Quelle portée juridique ? », AJDA, 2006, p. 2316.
  • [46]
    N. Kosciusko-Morizet, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 922) relatif à la Charte de l’environnement, 12 mai 2004.
  • [47]
    Cons. const. n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, Association Vivraviry. J. Bétaille, « Le paradoxe du droit d’accès à la justice en matière environnementale », in J. Bétaille (dir.), L’accès à la justice en matière d’environnement, 2016, Presses Universitaires de Toulouse Capitole, 2016, p. 11.
  • [48]
    P. Rrapi, « Face au bulldozer "ELAN", le Conseil constitutionnel reste de béton (…) », art. cit., en ligne : http://journals.openedition.org/revdh/5702 ; DOI : 10.4000/revdh.5702.
  • [49]
    Sent. C-035/16, 8 février 2016. V. L. Gay et M. Fatin-Rouge Stefanini, « L’utilisation de la Constitution dans les contentieux climatiques en Europe et en Amérique du Sud », in C. Cournil (dir.), La Constitution face aux changements climatiques, Énergie, Environnement, Infrastructures, dossier spécial, n° 12, 2018, p. 43.
  • [50]
    TGI Lyon, 16 septembre 2019, n°19168000015.
  • [51]
    R. Denoix de Saint Marc, « Le Conseil constitutionnel et la charte de l’environnement », Environnement et développement durable, n° 12, décembre 2012, p. 37 ; C. Huglo, « La QPC : quelle utilisation en droit de l’environnement ? », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 43, avril 2014 ; T. Perroud, « La neutralité procédurale du Conseil constitutionnel », La Revue des droits de l’homme, vol. 15, 2018.
  • [52]
    Cons. const., n° 2019-808 QPC, du 11 octobre 2019, préc. cons. 8.
  • [53]
    Cons. const., n° 2013-346 QPC, 11 octobre 2013, Société Schuepbach Energy LLC, cons. 12.
  • [54]
    Cons. const., n° 2018-768 QPC, 21 mars 2019, M. Adama S. : « En l’état des connaissances scientifiques, il est établi que les résultats de ce type d’examen peuvent comporter une marge d’erreur significative ».
  • [55]
    M. Fatin-Rouge Stefanini, « La place des sciences dans les Constitutions et la jurisprudence », in M. Fatin-Rouge Stefanini, L. Gay, La perméabilité du droit constitutionnel aux autres sciences, PUAM, 2017, coll. « Cahiers de l’ILF », p. 5.
  • [56]
    Cons. const., n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, cons. 10.
  • [57]
    Cons. const., n° 2018-771 DC, 25 octobre 2018, Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, cons. 17 et 18.
  • [58]
    Ibid.
  • [59]
    C. Cournil, « "Verdissement" des systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme : circulation et standardisation des normes », Journal européen des droits de l’homme, 2016, vol. 1, p. 3-31.
  • [60]
    Jean-Christophe Martin, Sandrine Maljean-Dubois, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à un environnement sain », in Prévention des risques et responsabilité environnementale, UNITAR, p. 37-53, 2011 (halshs-00734256) et M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, préc.
  • [61]
    C. Cournil, « "Verdissement" des systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme : circulation et standardisation des normes », préc.
  • [62]
    Haute Cour irlandaise, Friends of the irish environment / Conseil municipal de Fingal, 2017.
  • [63]
    Cf. M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, préc.
  • [64]
    Il est pour le moins surprenant de constater que le Conseil d’État semble ici déterminé non pas à assurer la protection des droits de l’Homme mais au contraire à la réduire. Certains de ses membres illustres d’antan doivent se retourner dans leur tombe. Par ailleurs, contrairement à ce que certains commentateurs avaient cru pouvoir affirmer, cette révision de la Constitution aurait été tout à fait utile pour compléter les dispositions de la Charte, notamment pour réaffirmer la volonté du peuple, la protéger plus fortement contre des changements de majorité (surtout en cas d’accès du RN au pouvoir puisqu’ils ont envisagé dans leur programme de 2002 que « le Conseil constitutionnel vérifie la conformité des lois aux (seuls) articles de la Constitution »), mais encore pour que ces dispositions puissent ouvrir plus largement la voie de la QPC aux questions environnementales (puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel exclut pour l’instant les considérants et l’article 6 de la Charte du domaine de la QPC et dès lors qu’aucune restriction de ce type n’aurait lieu d’être ici). Cf. M. Prieur, J. Bétaille, M.-A. Cohendet, H. Delzangles, J. Makowiak et P. Steichen, Droit de l’environnement, préc.
  • [65]
    Cons. Const., n° 2012-282 QPC, 23 novembre 2012, Association France Nature Environnement et autres.
  • [66]
    V. supra.
  • [67]
    Cons. const., n° 2016-737 DC, 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Notons qu’elle est, non paradoxalement, citée au dossier documentaire de la décision ELAN.
  • [68]
    Cons. Const., n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998D., 1999, p. 234, note Favoreu ; AJDA, 1998, p. 127, note Schoettl.
  • [69]
    G. Mollion, « Les garanties légales des exigences constitutionnelles », Revue française de droit constitutionnel, 2005/2 (n° 62), p. 257-289.
  • [70]
    Cons. Const., n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.
  • [71]
    V. Champeil Desplat, « Analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les droits fondamentaux », Jan. 2008, Sendai, Japon (hal-01667059).
  • [72]
    Cons. Const. n° 83-165 DC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur.
  • [73]
    Cons. Const., n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité.
  • [74]
    M. Prieur, « La constitutionnalisation du principe de non régression face à l’enjeu climatique », in La Constitution face au changement climatique, op. cit., p. 45.
  • [75]
    En ce sens Patricia Rrapi, « Le Conseil Constitutionnel face à la charte de l’environnement : vous avez dit hésitant ? », in M.-A. Cohendet (dir.), Constitution et environnement : regards croisés, Mare et Martin, coll. « ISJPS » à paraître 2020.

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