Couverture de RJE_194

Article de revue

Lubrizol brûle. Et nous regardons ailleurs

Pages 661 à 663

Notes

  • [1]
    Données 2018. Ministère de la Transition écologique et solidaire (Service de la donnée et des études statistiques), L’environnement en France, Rapport de synthèse, La documentation française, 2019, p. 57 et s.
  • [2]
    Loi n° 2018-727 pour un État au service d’une société de confiance du 10 août 2018, article 62, insérant un nouvel alinéa au IV de l’article L. 122-1 du Code de l’environnement.
  • [3]
    V. « Lubrizol : les contrôles affaiblis des sites à risques », Le Monde, 5 octobre 2019.
  • [4]
    Article L. 125-2-1 du Code de l’environnement.
  • [5]
    Exposé des motifs du projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et relatif à la réparation des dommages présenté par Mme Bachelot-Narquin, Doc. Sénat n° 116 (2002-2003).
  • [6]
    V. à cet égard, Ph. Billet, « La reconquête foncière des zones exposées à un risque technologique », in M.-P. Camproux-Duffrène (dir.), Les risques technologiques. La loi du 30 juillet 2003, Presses Universitaires de Strasbourg, 2005, p. 108 et s., et R. Schneider, « Éviter la reproduction d’AZF par de nouvelles règles d’urbanisme et les servitudes d’utilité publique », ibid, p. 88 et s.
  • [7]
    V. notre éditorial dans le n° 2-2019 de cette revue : « Installations classées pour la protection de l’environnement : que disent les « chiffres-clefs » ? ».
  • [8]
    V. article du Monde précité, 5 octobre 2019.
  • [9]
    V. à cet égard, G. Sainteny, Le climat qui cache la forêt. Comment la question climatique occulte les problèmes d’environnement, éd. Rue de l’Échiquier, 2015.
  • [10]
    Ces accidents se sont produits dans les installations industrielles, les élevages, lors de transport de matières dangereuses, sur des canalisations de gaz ou de matières dangereuses, sur des digues et barrages hydrauliques, dans les mines, dans les carrières et lors de l’utilisation du gaz ou d’appareils sous pression. Ces accidents technologiques peuvent conduire à des dommages nombreux et de niveaux de gravité multiples : conséquences humaines (décès ou blessés) dans 18 % des cas, économiques (69 %), sociales (29 %), environnementales (34 %). V. Données 2018. Ministère de la Transition écologique et solidaire (Service de la donnée et des études statistiques), L’environnement en France, Rapport de synthèse, préc.

1 Quiconque enseigne le droit de l’environnement se sera sans doute un peu lassé un jour de la récurrence de certaines citations dans les copies et mémoires d’étudiants, au premier rang desquelles : « La maison brûle. Et nous regardons ailleurs ». La mort de Jacques Chirac, survenue le 26 septembre 2019, aura ravivé la citation, tant on a rappelé avec insistance ce jour-là et les jours qui suivirent, qu’une telle « prise de conscience » revenait à l’ancien Président de la République, qui prononça cette phrase, comme chacun sait, lors du Sommet de Johannesburg en 2002.

2 Le 26 septembre 2019 Lubrizol brûlait et, ainsi, nous regardions ailleurs.

3 Passé le temps des obsèques et des remémorations, une autre réalité s’imposa : celle du risque technologique auquel 18 000 communes sont actuellement exposées [1]. Parmi ces communes, 3 434 sont concernées par au moins deux risques technologiques, 545 par au moins trois risques technologiques. Lubrizol, qui avait vu ses capacités de stockage de substances dangereuses augmenter deux fois en 2019, fait partie des 705 établissements Seveso dits « seuil haut », auxquels s’ajoutent 592 établissements « seuil bas ».

4 Si le langage du droit de l’environnement industriel est marqué par les accidents technologiques (de la directive Seveso à la loi AZF), est-ce à dire qu’une loi Lubrizol devrait succéder aux textes existants ? Nous ne le pensons pas. Le droit de l’environnement permet d’ores et déjà, a priori, de répondre à la gestion du risque industriel, à condition de l’appliquer, d’en contrôler le respect et de ne plus défaire l’existant.

5 En amont du risque, il convient de systématiser l’évaluation environnementale pour les installations les plus dangereuses, y compris lorsqu’il s’agit d’en modifier largement les conditions d’exploitation. Ce n’est pas le sens des textes récents, le décret 2016-1110 du 11 août 2016 ayant soustrait certaines installations classées relevant de l’autorisation à étude d’impact systématique pour les soumettre à un examen au cas par cas, tandis que la loi dite Essoc du 10 août 2018 [2] confie au préfet de département l’examen au cas par cas des projets de modification ou d’extension de telles installations classées. Trois jours avant l’incendie de Lubrizol, le Premier ministre confirmait le lancement d’un chantier de simplification, un projet de décret déjà ancien ayant ainsi pour objet de transférer au préfet de région l’examen au cas par cas de l’ensemble des projets. Pourtant, dans son avis délibéré du 11 juillet 2018, l’autorité environnementale estimait, à juste titre, que « les dispositions prévues par le [projet de] décret [augmentaient] de façon significative le risque de divergences d’interprétation et de postures, celles-ci étant dès lors incompréhensibles pour les maîtres d’ouvrages et (…) pas neutres au regard de l’indépendance nécessaire à l’exercice de la mission d’autorité environnementale ». Lubrizol brûla, donc, après que ses capacités de stockage de produits (notamment) inflammables aient été autorisées à deux reprises par le préfet de département, sans nouvelle étude d’impact ni étude de dangers [3].

6 Quant à l’application du droit de l’environnement, dont la temporalité sait épouser la problématique des risques, on se contentera de mentionner ici, sans exhaustivité, les instruments d’information spécifiques aux risques, l’article L. 125-1 du Code de l’environnement proclamant à cet égard que « les citoyens ont un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent ». Des commissions de suivi de site peuvent ainsi être créées, à l’initiative de l’État, dans des zones géographiques comportant des risques et pollutions industriels et technologiques [4]. Le plan de prévention des risques technologiques constitue également un instrument a priori adapté, dans la mesure où il a précisément été conçu pour engager « une politique de résorption progressive des situations de promiscuité trop importante entre usines à risques et zones habitées » [5]. À cet égard, la commission d’enquête sénatoriale mise en place consécutivement à l’accident de Lubrizol souhaite attirer l’attention sur l’implantation du foncier autour des sites industriels classés. Plus de quinze ans après la loi « Bachelot », il est sans doute temps d’évaluer l’effectivité des instruments de reconquête foncière qu’offrent les plans de prévention des risques technologiques [6]. Enfin, le contrôle des installations classées pour la protection de l’environnement mérite également d’être interrogé, la question des moyens consacrés à cette mission ayant été largement médiatisée après l’incendie de Lubrizol. Le nombre d’inspections a, rappelons-le [7], chuté ces quinze dernières années, passant de 30 000 en 2006 à 18 196 en 2018, le nombre d’inspecteurs ayant quant à lui légèrement diminué entre 2016 (1627) et 2018 (1607), pour un total d’environ 500 000 installations classées. Se voulant rassurant, le ministère en charge de l’environnement a annoncé, après l’incendie, l’objectif d’une augmentation de 50 % des contrôles d’ici 2022 [8].

7 Lubrizol brûlait et nous regardions ailleurs. Honorant le « père » de la Charte de l’environnement. Oubliant la prégnance du risque technologique, sans doute occultée par la médiatisation du risque climatique [9]. Oubliant les leçons d’AZF et les 40 000 accidents technologiques survenus en France entre 1992 et 2017 [10].


Date de mise en ligne : 14/01/2020

Notes

  • [1]
    Données 2018. Ministère de la Transition écologique et solidaire (Service de la donnée et des études statistiques), L’environnement en France, Rapport de synthèse, La documentation française, 2019, p. 57 et s.
  • [2]
    Loi n° 2018-727 pour un État au service d’une société de confiance du 10 août 2018, article 62, insérant un nouvel alinéa au IV de l’article L. 122-1 du Code de l’environnement.
  • [3]
    V. « Lubrizol : les contrôles affaiblis des sites à risques », Le Monde, 5 octobre 2019.
  • [4]
    Article L. 125-2-1 du Code de l’environnement.
  • [5]
    Exposé des motifs du projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et relatif à la réparation des dommages présenté par Mme Bachelot-Narquin, Doc. Sénat n° 116 (2002-2003).
  • [6]
    V. à cet égard, Ph. Billet, « La reconquête foncière des zones exposées à un risque technologique », in M.-P. Camproux-Duffrène (dir.), Les risques technologiques. La loi du 30 juillet 2003, Presses Universitaires de Strasbourg, 2005, p. 108 et s., et R. Schneider, « Éviter la reproduction d’AZF par de nouvelles règles d’urbanisme et les servitudes d’utilité publique », ibid, p. 88 et s.
  • [7]
    V. notre éditorial dans le n° 2-2019 de cette revue : « Installations classées pour la protection de l’environnement : que disent les « chiffres-clefs » ? ».
  • [8]
    V. article du Monde précité, 5 octobre 2019.
  • [9]
    V. à cet égard, G. Sainteny, Le climat qui cache la forêt. Comment la question climatique occulte les problèmes d’environnement, éd. Rue de l’Échiquier, 2015.
  • [10]
    Ces accidents se sont produits dans les installations industrielles, les élevages, lors de transport de matières dangereuses, sur des canalisations de gaz ou de matières dangereuses, sur des digues et barrages hydrauliques, dans les mines, dans les carrières et lors de l’utilisation du gaz ou d’appareils sous pression. Ces accidents technologiques peuvent conduire à des dommages nombreux et de niveaux de gravité multiples : conséquences humaines (décès ou blessés) dans 18 % des cas, économiques (69 %), sociales (29 %), environnementales (34 %). V. Données 2018. Ministère de la Transition écologique et solidaire (Service de la donnée et des études statistiques), L’environnement en France, Rapport de synthèse, préc.

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