Notes
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[1]
Rencontre « Coastline Erosion and its Contribution to Climate Change », organisée au siège des Nations Unies le 20 janvier 2016 : https://www.un.int/srilanka/news/sri-lanka-co-hosts-coastline-erosion-side-event-un ; Banque mondiale, Rapport Accélérer un développement résilient au changement climatique et à faibles émissions de carbone – Rapport sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du Business Plan pour le climat en Afrique, octobre 2016, 134 p.
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[2]
Déclaration signée par plusieurs représentants d’États africains lors du « Erosion and Adaptation Project in West Africa Coastal Areas Launch Workshop », Lomé (Togo), 20 octobre 2016 : « Recognizing that the coast is home to 31% of the West African population and 51% of the urban population and that according to projections, between 74 and 83 million people will reside in the West Africa coastal area by 2050 ».
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[3]
V. la page de présentation du programme West Africa Coastal Areas Management Program (WACA) initié par la Banque mondiale : http://www.worldbank.org/en/programs/west-africa-coastal-areas-management-program.
-
[4]
Bien qu’elle ne relève pas du cadre de la présente étude, il est utile de mentionner l’International Erosion Control Association (IECA), une organisation non gouvernementale à caractère international créée en 1972 pour favoriser l’élaboration de standards internationaux et coordonner les initiatives des acteurs de la lutte contre l’érosion (ingénieurs, entreprises de construction, collectivités locales, etc.). L’IECA revendique 2500 membres issus de 30 États.
-
[5]
Par exemple, le projet « Érosion côtière » financé par le Fonds d’aide et de coopération de la France (1986-1990), au profit de plusieurs pays africains dont le Bénin ou la Côte d’Ivoire.
-
[6]
Union européenne, Communiqué « L’Union européenne se mobilise pour protéger l’environnement en Algérie », 16 août 2012 : « La Commission européenne a adopté un programme ambitieux de €34 millions en faveur de l’environnement en Algérie. En se focalisant sur la protection de la zone côtière algéroise, qui abrite près de 5 millions d’habitants, le programme vise, en partenariat avec les autorités algériennes, à placer l’environnement et la lutte contre les conséquences du changement climatique (par exemple dans l’aménagement du littoral) au cœur des politiques de développement du pays ».
-
[7]
UEMOA, Rapport Programme régional de lutte contre l’érosion côtière de l’UEMOA, 2007, p. 2.
-
[8]
Banque asiatique de développement, Communiqué « ADB, India Sign $65.5 Million Loan to Support Coastal Protection in Karnataka », 27 octobre 2017.
-
[9]
Banque africaine de développement, Communiqué « Route Lomé – Cotonou : la BAD débloque 40,8 millions de dollars pour un projet résilient au changement climatique », 12 janvier 2017.
-
[10]
Banque mondiale, Lutte contre l’érosion côtière – Mesures d’urgence pour la consolidation et la protection de l’île de Gorée, avril 2018, 4 p.
-
[11]
D. Le Morvan, « Quelle stratégie de gestion des risques côtiers pour l’Union européenne », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement (en ligne), Hors-série 8 | octobre 2010.
-
[12]
P.-P. Wong, Coastal erosion and its remediation in six Southeast Asian countries, Second China-ASEAN Academy on Ocean Law and Governance, 6-17 novembre, 2016, 70 p.
-
[13]
V. Règlement 02/2007/CM/UEMOA adopté le 6 avril 2007 ; UICN-MOLOA, Rapport du Programme régional de lutte contre l’érosion côtière Suivi du trait de côte et élaboration d’un schéma directeur du littoral ouest-africain, 11-12 mai 2010, 11 p.
-
[14]
Voir la présentation du processus de création de la MOLOA sur le site http://www.climateandcoast.com/moloa/.
-
[15]
UEMOA, Rapport Programme régional de lutte contre l’érosion côtière de l’UEMOA, 2007, p. 2.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
Il comporte quatre composantes : recherche et développement, élaboration de schéma directeur d’aménagement du littoral, étude d’exécution d’ouvrages, travaux d’aménagement et/ou de protection.
-
[18]
V. la page de présentation du programme West Africa Coastal Areas Management Program (WACA) initiée par la Banque mondiale : http://www.worldbank.org/en/programs/west-africa-coastal-areas-management-program.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
Banque mondiale, Rapport Accélérer un développement résilient au changement climatique et à faibles émissions de carbone – Rapport sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du Business Plan pour le climat en Afrique, octobre 2016, 134 p.
-
[21]
De nouvelles priorités stratégiques ont été adoptées les 25-26 avril 2018. V. le document COBSEA/PNUE, COBSEA Strategic Directions 2018-2022, 20 p.
-
[22]
V. aussi les activités de la Applied Geosciences and Technology Division (SOPAC) intégrée en 2010 au secrétariat de la Communauté du Pacifique et destinée à contribuer au développement des compétences techniques, professionnelles, scientifiques des États membres.
-
[23]
G.A. Leduc, M. Raymond, L’évaluation des impacts environnementaux : un outil d’aide à la décision, Multimondes, 2000, p. 98. Les projets de catégorie « A » ou « 1 » obligent l’emprunteur à mettre en place une étude d’impact environnementale complète.
-
[24]
Le Panel d’inspection est un mécanisme composé d’experts indépendants, chargé de traiter les demandes des populations affectées par des projets financés par la Banque lorsque ceux-ci leur causent ou risquent de leur causer un dommage, à condition que ledit dommage résulte d’actions ou d’omissions de la Banque considérées comme non conformes à ses standards opérationnels, au stade de la conception, de l’évaluation et de l’exécution du projet.
-
[25]
Panel d’inspection de la Banque mondiale, Demande d’inspection Togo : Projet Gestion intégrée des catastrophes et des terres (P123922) et TG – Gestion intégrée des catastrophes et des terres (P124198), Notification de non-enregistrement, 2 mars 2015.
-
[26]
Ibid.
-
[27]
Panel d’inspection de la Banque mondiale, Report and recommendation to the executive directors of the International Development Association on the Request for inspection – Bangladesh: Jamuna Bridge Project (Credit 2569-BD), §44 : « There appears to be agreement among the experts that project induced erosion or flooding cannot easily be distinguished from the natural. Therefore, the GOB and IDA have taken a practical approach by recently adopting a policy to compensate all adversely affected people regardless of the cause ».
1La lutte contre l’érosion côtière suscite la mobilisation croissante d’un certain nombre d’organisations internationales depuis les années 1990, comme en attestent plusieurs déclarations et programmes d’action de la Banque mondiale, de l’Union africaine ou de l’Union européenne qui soulignent le caractère capital de cette préoccupation. L’érosion y est généralement décrite comme un phénomène global constituant un défi majeur pour la société internationale, notamment pour les États côtiers ou insulaires en voie de développement [1]. Perte de territoire, phénomènes migratoires, danger pour les écosystèmes côtiers, changements climatiques figurent parmi les conséquences néfastes de l’érosion [2].
2L’érosion côtière est donc une question d’intérêt public international susceptible d’être appréhendée au mieux par des organisations intergouvernementales. Ces dernières peuvent en effet coordonner les initiatives des États afin d’élaborer des stratégies régionales ou internationales adéquates. Cette action concertée doit d’ailleurs être privilégiée à des démarches isolées en raison de plusieurs facteurs identifiés par la Banque mondiale. Premièrement, la gestion du phénomène d’érosion côtière apparaît plus efficace à l’échelle internationale, des actions nationales isolées pouvant être contre-productives et les efforts d’un État pour lutter contre l’érosion sur son territoire risquant de l’aggraver ailleurs. Deuxièmement, les moyens requis pour lutter contre l’érosion et les inondations nécessitent des financements importants auxquels un seul État ne pourrait avoir accès. Troisièmement, l’action concertée des États sur les plans politique, technique et financier permettrait à ceux-ci de mieux endiguer le phénomène dans les zones les plus touchées [3].
3Ce constat étant établi, la présente contribution présentera un panorama des moyens mis en œuvre par les organisations intergouvernementales [4] pour lutter contre l’érosion côtière. Cependant, la formulation du titre de la contribution proposée par l’organisateur de la journée d’études a suscité la tentation d’envisager le sujet selon des approches à la fois positive et négative. C’est la raison pour laquelle, outre une présentation du rôle des organisations internationales en tant qu’actrices de la lutte contre l’érosion (I), sera plus brièvement envisagée la possibilité que les activités de ces organisations puissent contribuer à l’aggravation du phénomène d’érosion (II).
I – Les organisations internationales, actrices de la lutte contre l’érosion
4Conformément aux canons du droit international, les organisations internationales sont réputées exercer leurs missions grâce à une variété de compétences et d’activités de nature normative ou opérationnelle. En pratique, l’action des organisations internationales en matière de lutte contre l’érosion s’inscrit dans cette logique et se matérialise principalement grâce à trois catégories d’activités : le financement de projets (A) ; l’échange de savoirs et d’expériences, grâce à la production de rapports et de guides (B) ; la coordination d’actions communes de plusieurs États ou de plusieurs organisations internationales (C).
A – Le financement de projets
5La présente étude n’abordera que les financements effectués par les organisations internationales ou via celles-ci, à l’exclusion de toute aide financière apportée directement par un État à un autre État touché par l’érosion côtière [5]. Le recours au financement de projet concerne pour l’essentiel des organisations régionales, d’intégration ou des banques de développement et ne suscite pas de difficulté d’appréhension juridique, à condition toutefois que les États bénéficiaires aient au préalable identifié leurs besoins infrastructurels et financiers. Quelques exemples peuvent être mentionnés.
6L’Union européenne a été amenée à fournir une aide financière à des États ou des groupes d’États non membres, dans le cadre d’accords de partenariats conclus avec ceux-ci comme ce fut le cas pour l’Algérie au début des années 2010 [6], ou dans la perspective d’un appui au développement comme ce fut le cas lorsqu’elle a financé un projet d’expertise dans les pays du Golfe de Guinée entre 1988 et 1990 (Bénin, Ghana, Nigeria, Togo), permettant la mise en œuvre d’actions concrètes [7]. Du côté des institutions financières internationales, les Banques asiatique et africaine de développement ont accordé des financements à des pays exposés à l’érosion côtière : l’Inde s’est ainsi vu promettre une aide de 65 millions de dollars en 2017 [8] et le Togo, une aide de 40 millions de dollars afin d’instaurer des mesures de défense contre la mer [9]. Un dernier exemple, plus atypique, concerne le financement par l’UNESCO d’un projet de lutte contre l’érosion côtière affectant l’île de Gorée (au Sénégal) grâce à un mécanisme de « fond-en-dépôt ». Ce mécanisme permet l’utilisation d’une dotation versée par le Japon et destinée à permettre la mise en œuvre de travaux de restauration ou de préservation du patrimoine culturel de l’humanité (le Japon choisit les projets bénéficiant de sa dotation). En l’occurrence, la dotation mise à disposition de l’UNESCO par le Japon permet à cette dernière de soutenir les autorités sénégalaises dans la préservation de l’île de Gorée (lutte contre l’érosion, valorisation du site, gestion durable de celui-ci) [10].
B – L’échange de savoirs et d’expériences
7La collecte et la dissémination de données mobilisent l’expertise technique des organisations internationales, amenées à produire un nombre important de rapports, d’études et de recommandations. Ces documents permettent la diffusion d’informations cruciales sur les causes et conséquences de l’érosion et visent à inciter plusieurs catégories d’entités (États, société civile, opérateurs économiques) à se conformer à des standards ou bonnes pratiques. Plusieurs exemples illustrent ce procédé d’action à l’échelle régionale. En Europe, peut être citée la réflexion de la Commission européenne sur le risque d’érosion côtière, menée à partir de l’étude « Eurosion » (2002-2004). Cette initiative identifie les risques d’érosion côtière en Europe, en détermine les causes naturelles et humaines, évalue les moyens d’actions adéquats et émet des recommandations s’appuyant sur le recours à la cartographie, à l’échange d’expériences ou aux bonnes pratiques, tout en incitant les États à inscrire leurs territoires dans une démarche de « résilience côtière » [11]. Les organisations internationales actives sur le continent asiatique s’appuient elles aussi sur des mécanismes de partage d’expérience, comme le montrent les travaux menés par l’ASEAN en 2016 et visant à favoriser la circulation de données et bonnes pratiques entre pays du Sud-est asiatique [12].
8Certaines initiatives menées sur le continent africain renforcent l’échange de savoirs et d’expériences au point de l’institutionnaliser. La production d’études et rapports peut en effet être associée à la création d’une structure de suivi, comme le montre le cas de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui a financé une étude sur le suivi du trait de côte et l’élaboration d’un Schéma directeur du littoral d’Afrique de l’Ouest pour onze pays en 2007 [13]. Ce travail mené pour le compte de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a incité l’UEMOA à créer la Mission d’observation du littoral ouest africain (MOLOA). La MOLOA assure un suivi de la zone côtière et permet l’établissement d’une coopération entre les États de la région grâce à la collecte, au traitement et à la diffusion d’informations auprès des institutions nationales pertinentes. Cette coopération repose sur l’action d’une « cellule régionale de coordination » (le Centre de suivi écologique de Dakar, Sénégal) chargée d’administrer une base de données régionale et, si nécessaire, de développer un partenariat avec différentes institutions nationales, sous-régionales ou internationales [14]. De toute évidence, la création de ce type de mécanisme d’échange inscrit la lutte contre l’érosion dans la durée grâce à l’appui d’organismes préexistants, dotés de l’expérience et de l’expertise requises.
C – La coordination des actions des états et des organisations internationales
9Comme cela a été souligné plus tôt, l’action isolée des États face au phénomène de l’érosion côtière est dotée de vertus limitées, voire peut s’avérer néfaste pour les États voisins dont les littoraux risquent d’être affectés à la suite d’une mise en œuvre inconsidérée de mesures locales. Pour prévenir ce risque, plusieurs mécanismes de coordination ont été créés par les organisations internationales sur les continents africain ou asiatique.
10Concernant l’Afrique, des initiatives d’ampleur et de complexité variables peuvent être envisagées. Alors qu’à l’échelle du continent, l’Union africaine et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) ont développé plusieurs projets pilotes, notamment celui réalisé, en 1998, sur le littoral de la ville de Cotonou [15], l’UEMOA a créé à l’échelle sous-continentale un programme de lutte contre l’érosion côtière, à la suite d’une réunion du Conseil des Ministres de l’Environnement tenue en 1997 à Cotonou. Les débats menés lors de cette réunion ont souligné la nécessité pour la Commission de l’UEMOA de s’impliquer dans la coordination des actions de lutte contre l’érosion côtière [16]. Sur ce fondement, la Commission de l’UEMOA a réalisé en 1999-2000 une étude qui a débouché sur la proposition d’un programme régional visant à lutter contre l’érosion dans les États de l’UEMOA et à coordonner leurs efforts [17]. Toujours dans l’Ouest africain, et sur l’impulsion de la Banque mondiale, a été créé l’ambitieux Programme de gestion du littoral ouest-africain (West Africa Coastal Areas Program – WACA), inauguré en 2016 à l’occasion de la COP 21 [18]. Sa création répond à la demande conjointe du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Mauritanie et du Togo, soucieux de promouvoir une gestion régionale du littoral de l’Afrique de l’Ouest et de s’ancrer dans une « coopération et une intégration solides », rompant ainsi avec les « modèles de développement cloisonné » [19]. Plus concrètement, le programme permet aux pays visés de bénéficier de financements, d’une assistance et d’une expertise techniques aux fins de gestion et de conservation de leurs zones côtières. Cette coordination multiniveaux se matérialise aussi par l’établissement d’une coopération du WACA avec plusieurs institutions nationales et internationales tels le Ministère français de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, le Fonds nordique de développement, l’UICN, la MOLOA ou la Banque mondiale [20].
11Des efforts de même nature sont menés sur le continent asiatique, grâce à la coordination mise en œuvre par le Coordinating Body on the Seas of East Asia (COBSEA), organisme rassemblant dix États affectés ou susceptibles d’être affectés par l’érosion côtière. Le COBSEA a initié un programme d’ampleur régionale pour la période 2010-2014, dont certaines modalités visent les pays en voie de développement. C’est notamment le cas d’un programme spécifique mis en place en 2012-2013, doté d’un budget de 400.000 dollars US et concernant le Cambodge, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam [21]. L’objectif de tels programmes est essentiellement d’assurer la formation des autorités et communautés locales des États partenaires.
12Les formes que peuvent prendre les actions des institutions internationales en matière de lutte contre l’érosion côtière sont donc variées, l’étude de la pratique révélant une nébuleuse d’institutions, d’organes, de programmes et de formes plus ou moins poussées de coopération interinstitutionnelle [22].
II – Les organisations internationales, responsables indirectes de l’érosion
13Les organisations internationales constituent a priori des forums adéquats d’échange, de suivi et d’appui technique pour les États exposés à l’érosion côtière. Mais peuvent-elles également être envisagées comme responsables de ce phénomène dans certaines circonstances ? En effet, il convient de rappeler que les organisations internationales dotées de fonctions financières (Banque mondiale, banques régionales de développement, etc.) sont amenées à agir en tant que bailleuses de fond, dans le cadre du financement de projets d’infrastructures tels que des barrages, ponts, autoroutes ou installations portuaires, sur le territoire des États membres. Ces organisations doivent s’assurer que le financement de tels projets soit conditionné au respect d’un certain nombre de standards opérationnels et se livrer à des études d’impact, au stade de la conception, de l’évaluation et de l’exécution du projet. En effet, certains projets d’envergure (dits de catégorie « A » ou « 1 » selon l’organisation : transport, énergie, agriculture, extraction, etc.) sont par nature susceptibles de causer des dommages significatifs aux territoires, notamment au littoral [23].
14Deux affaires montrent que la défaillance du personnel d’une organisation dans l’évaluation de l’impact de projets d’infrastructures financés par cette dernière est susceptible de contribuer au phénomène d’érosion côtière. Le Panel d’inspection de la Banque mondiale a ainsi été amené à traiter des plaintes initiées par les communautés locales dans les affaires du Port de Lomé au Togo (2015) ou du Pont de Jamuna au Bangladesh (1998) [24]. Dans le premier cas, la plainte déposée par un « Collectif des personnes victimes de l’érosion côtière » dénonçait l’érosion accrue causée par la construction d’un troisième quai sur le port de Lomé. Les requérants estimaient : « être victimes d’une érosion côtière accrue depuis les années 1960. Ils déclarent que les travaux de construction sur le Port de Lomé ont aggravé la situation et entraîné une avancée de la mer de 1 à 7 mètres par an, affirmant qu’en 2012, ils perdaient des dizaines de mètres de terrain à la mer chaque mois. Ils ajoutent qu’en juin, juillet et août 2012, la mer a avancé de 60 mètres, causant de graves dommages matériels aux paillotes, plantations de cocotiers et zones de loisir (…) » [25].
15Si en l’occurrence le Panel a déclaré la demande irrecevable, notant que la Banque mondiale n’était pas le financeur direct du projet de construction sur le port de Lomé, il n’a toutefois pas manqué de relever que « depuis 1967, le littoral a reculé d’environ 200 mètres à certains endroits et qu’il faut s’attendre à ce que d’ici 2025 l’océan gagne encore 50 mètres. L’Étude montre aussi qu’une très grande portion de la côte togolaise (environ 40 km) est concernée par le recul du littoral » [26]. Ce faisant, les experts du Panel ont montré qu’ils étaient conscients des enjeux de l’érosion côtière pour les populations locales.
16Dans la seconde affaire, plus ancienne, le Panel d’inspection était saisi par un collectif représentant les communautés des îles « chars » – des îles éphémères qui émergent puis disparaissent de façon cyclique en fonction des fluctuations du niveau du fleuve Jamuna au Bangladesh. Les requérants alléguaient que la construction d’un pont de 4,8 kilomètres de longueur et de 18,5 mètres de large au-dessus du fleuve Jamuna, financé par la Banque, engendrait une série de conséquences négatives sur le littoral de leurs îles et n’avait pas donné lieu au versement de compensations suffisantes. En l’espèce, comme l’a souligné le Panel, la défaillance ne reposait pas sur le défaut d’anticipation du phénomène d’érosion mais plutôt sur la sous-évaluation de son ampleur et de son intensité. Il en résulte que la Banque mondiale n’avait pas respecté ses standards opérationnels : les populations Chars susceptibles d’être affectées auraient dû être consultées et obtenir une compensation adéquate. Néanmoins, le Panel n’a pas mené son investigation à son terme, la Direction de la Banque ayant pris les mesures nécessaires durant la procédure pour indemniser les populations. L’affaire a toutefois eu l’intérêt de montrer que l’érosion côtière peut sur le principe justifier l’octroi d’une compensation [27].
17La pratique de ces mécanismes d’inspection n’est pas encore suffisamment développée pour permettre d’en tirer davantage de conclusions. Néanmoins, l’évocation de ces affaires permet de rappeler que les organisations internationales disposent de moyens juridiques leur permettant d’évaluer leur responsabilité dans l’aggravation de l’érosion côtière. À l’inverse, la variété de leurs compétences, de leurs organes et des mécanismes de coopération qu’elles créent leur permet, au moins en théorie, de rationaliser les efforts des États et d’être en première ligne dans l’endiguement de l’érosion. Il est indéniable que leur expertise et les activités qu’elles mènent sur les territoires des États les placent en tant qu’actrices privilégiées de la lutte contre ce phénomène à l’échelle internationale.
Mots-clés éditeurs : action des organisations internationales, lutte contre l’érosion côtière
Date de mise en ligne : 19/03/2019
Notes
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[1]
Rencontre « Coastline Erosion and its Contribution to Climate Change », organisée au siège des Nations Unies le 20 janvier 2016 : https://www.un.int/srilanka/news/sri-lanka-co-hosts-coastline-erosion-side-event-un ; Banque mondiale, Rapport Accélérer un développement résilient au changement climatique et à faibles émissions de carbone – Rapport sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du Business Plan pour le climat en Afrique, octobre 2016, 134 p.
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[2]
Déclaration signée par plusieurs représentants d’États africains lors du « Erosion and Adaptation Project in West Africa Coastal Areas Launch Workshop », Lomé (Togo), 20 octobre 2016 : « Recognizing that the coast is home to 31% of the West African population and 51% of the urban population and that according to projections, between 74 and 83 million people will reside in the West Africa coastal area by 2050 ».
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[3]
V. la page de présentation du programme West Africa Coastal Areas Management Program (WACA) initié par la Banque mondiale : http://www.worldbank.org/en/programs/west-africa-coastal-areas-management-program.
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[4]
Bien qu’elle ne relève pas du cadre de la présente étude, il est utile de mentionner l’International Erosion Control Association (IECA), une organisation non gouvernementale à caractère international créée en 1972 pour favoriser l’élaboration de standards internationaux et coordonner les initiatives des acteurs de la lutte contre l’érosion (ingénieurs, entreprises de construction, collectivités locales, etc.). L’IECA revendique 2500 membres issus de 30 États.
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[5]
Par exemple, le projet « Érosion côtière » financé par le Fonds d’aide et de coopération de la France (1986-1990), au profit de plusieurs pays africains dont le Bénin ou la Côte d’Ivoire.
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[6]
Union européenne, Communiqué « L’Union européenne se mobilise pour protéger l’environnement en Algérie », 16 août 2012 : « La Commission européenne a adopté un programme ambitieux de €34 millions en faveur de l’environnement en Algérie. En se focalisant sur la protection de la zone côtière algéroise, qui abrite près de 5 millions d’habitants, le programme vise, en partenariat avec les autorités algériennes, à placer l’environnement et la lutte contre les conséquences du changement climatique (par exemple dans l’aménagement du littoral) au cœur des politiques de développement du pays ».
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[7]
UEMOA, Rapport Programme régional de lutte contre l’érosion côtière de l’UEMOA, 2007, p. 2.
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[8]
Banque asiatique de développement, Communiqué « ADB, India Sign $65.5 Million Loan to Support Coastal Protection in Karnataka », 27 octobre 2017.
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[9]
Banque africaine de développement, Communiqué « Route Lomé – Cotonou : la BAD débloque 40,8 millions de dollars pour un projet résilient au changement climatique », 12 janvier 2017.
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[10]
Banque mondiale, Lutte contre l’érosion côtière – Mesures d’urgence pour la consolidation et la protection de l’île de Gorée, avril 2018, 4 p.
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[11]
D. Le Morvan, « Quelle stratégie de gestion des risques côtiers pour l’Union européenne », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement (en ligne), Hors-série 8 | octobre 2010.
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[12]
P.-P. Wong, Coastal erosion and its remediation in six Southeast Asian countries, Second China-ASEAN Academy on Ocean Law and Governance, 6-17 novembre, 2016, 70 p.
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[13]
V. Règlement 02/2007/CM/UEMOA adopté le 6 avril 2007 ; UICN-MOLOA, Rapport du Programme régional de lutte contre l’érosion côtière Suivi du trait de côte et élaboration d’un schéma directeur du littoral ouest-africain, 11-12 mai 2010, 11 p.
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[14]
Voir la présentation du processus de création de la MOLOA sur le site http://www.climateandcoast.com/moloa/.
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[15]
UEMOA, Rapport Programme régional de lutte contre l’érosion côtière de l’UEMOA, 2007, p. 2.
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[16]
Ibid.
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[17]
Il comporte quatre composantes : recherche et développement, élaboration de schéma directeur d’aménagement du littoral, étude d’exécution d’ouvrages, travaux d’aménagement et/ou de protection.
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[18]
V. la page de présentation du programme West Africa Coastal Areas Management Program (WACA) initiée par la Banque mondiale : http://www.worldbank.org/en/programs/west-africa-coastal-areas-management-program.
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[19]
Ibid.
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[20]
Banque mondiale, Rapport Accélérer un développement résilient au changement climatique et à faibles émissions de carbone – Rapport sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du Business Plan pour le climat en Afrique, octobre 2016, 134 p.
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[21]
De nouvelles priorités stratégiques ont été adoptées les 25-26 avril 2018. V. le document COBSEA/PNUE, COBSEA Strategic Directions 2018-2022, 20 p.
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[22]
V. aussi les activités de la Applied Geosciences and Technology Division (SOPAC) intégrée en 2010 au secrétariat de la Communauté du Pacifique et destinée à contribuer au développement des compétences techniques, professionnelles, scientifiques des États membres.
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[23]
G.A. Leduc, M. Raymond, L’évaluation des impacts environnementaux : un outil d’aide à la décision, Multimondes, 2000, p. 98. Les projets de catégorie « A » ou « 1 » obligent l’emprunteur à mettre en place une étude d’impact environnementale complète.
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[24]
Le Panel d’inspection est un mécanisme composé d’experts indépendants, chargé de traiter les demandes des populations affectées par des projets financés par la Banque lorsque ceux-ci leur causent ou risquent de leur causer un dommage, à condition que ledit dommage résulte d’actions ou d’omissions de la Banque considérées comme non conformes à ses standards opérationnels, au stade de la conception, de l’évaluation et de l’exécution du projet.
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[25]
Panel d’inspection de la Banque mondiale, Demande d’inspection Togo : Projet Gestion intégrée des catastrophes et des terres (P123922) et TG – Gestion intégrée des catastrophes et des terres (P124198), Notification de non-enregistrement, 2 mars 2015.
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[26]
Ibid.
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[27]
Panel d’inspection de la Banque mondiale, Report and recommendation to the executive directors of the International Development Association on the Request for inspection – Bangladesh: Jamuna Bridge Project (Credit 2569-BD), §44 : « There appears to be agreement among the experts that project induced erosion or flooding cannot easily be distinguished from the natural. Therefore, the GOB and IDA have taken a practical approach by recently adopting a policy to compensate all adversely affected people regardless of the cause ».