Notes
-
[1]
V. Rapport n° 4241, Pascale Got, enregistré à l’Assemblée nationale le 23 novembre 2016.
-
[2]
Rapport n° 4241 du 23 novembre 2016 relatif à la proposition de loi, p. 45.
-
[3]
V. Rapport Michel Vaspart, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, Sénat 21 décembre 2016, n° 266.
-
[4]
CE, 12 mars 2007, Commune de Lancieux, req. n° 280326.
-
[5]
CE, 27 juillet 2015, Commune de Montreuil-sur-Mer, req. n° 370856 ; CE 16 décembre 2016, Commune de Pénestin, req. n° 389079.
-
[6]
CE, 3 octobre 2016, req. n° 391750.
-
[7]
CE, 28 décembre 2016, req. n° 392878.
-
[8]
CE, 30 décembre 2016, req. n° 398959.
-
[9]
CE, 12 octobre 2016, req. n° 387308.
-
[10]
CAA Marseille, 20 novembre 2009, Commune de Mandelieu-la-Napoule, req. n° 08MA02832.
-
[11]
CAA Lyon, 7 novembre 1995, Ministère de l’Équipement, des Transports et du Tourisme, req. n° 93LY01960 : projet de lotissement portant sur 58 lots.
-
[12]
CAA Marseille, 4 mai 2006, Commune de Bonifacio, req. n° 02MA01831.
-
[13]
CAA Marseille, 21 octobre 2004, Association de défense de l’environnement de Bormes et du Lavandou, req. n° 00MA02596 ; CE, 26 janvier 2005, Fillippi, req. n° 260188.
-
[14]
CAA Marseille, 8 mars 2001, Simoni, req. n° 98MA00413.
-
[15]
CAA Nantes, 28 octobre 2011, Commune de Pont-l’Abbé, req. n° 10NT00838.
-
[16]
CAA Nantes, 28 mars 2006, Commune de Plouharnel, req. n° 05NT00824.
-
[17]
CE, 9 novembre 2015, B. c/ commune de Porto-Vecchio, req. n° 372531.
-
[18]
Article L. 122-5 C. urb.
-
[19]
Article 109 de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999, d’orientation agricole.
1La prise de conscience des pouvoirs publics relative à l’impact de l’érosion sur les populations et les biens est à la fois récente et progressive. Ce n’est qu’à l’occasion de la proposition de loi n° 176 (2016-2017) portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique que le débat sur la nécessité d’une adaptation de la loi Littoral a pu s’alimenter.
2Les débats ont été l’occasion d’opposer l’Assemblée nationale au Sénat sur les mesures à prendre. Pour l’Assemblée nationale, la réforme proposée n’avait pas vocation à modifier la loi Littoral, mais visait essentiellement à la relocalisation des activités et des biens. Le Sénat, exprimant la position de nombreux élus locaux qui se plaignent souvent de l’interprétation faite par la jurisprudence des notions développées dans la loi Littoral, estimait, au contraire, que le recul stratégique d’activité ne pouvait pas s’envisager par la seule mise en place d’instruments juridiques.
3Le débat a été interrompu et le texte n’a pu être adopté avant la fin de la législature. Néanmoins, il a été relancé à l’initiative d’un sénateur, Michel Vaspart, par la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux déposée le 13 septembre 2017, adoptée en première lecture par le Sénat le 30 janvier 2018.
4Ce nouveau texte reprend les dispositions de la proposition de loi n° 176 (2016-2017) portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique telle qu’adoptée par le Sénat en première lecture. Il prévoit, notamment, la possibilité de déroger au principe d’urbanisation en continuité de l’urbanisation existante par la densification des hameaux. Cette dérogation à la loi Littoral est présentée comme permettant de favoriser la relocalisation d’activités.
5Il est vrai que la loi Littoral a été adoptée à une époque où les risques liés au changement climatique ne constituaient pas une préoccupation pour les pouvoirs publics. Si des adaptations de la loi Littoral sont, sans doute, nécessaires, elles ne sont pas exemptes de risques de dérives. C’est pourquoi, elles doivent être limitées et strictement encadrées.
6Ainsi, le débat, aujourd’hui, porte sur la question de savoir quelles mesures adopter face au phénomène d’érosion. Faut-il s’en tenir à la mise en place d’outils juridiques permettant de faciliter la relocalisation d’activités ? Ou faut-il aller plus loin et moderniser, adapter, voire remettre en cause la loi Littoral ?
I – La mise en place d’outils juridiques nouveaux
7La proposition de loi n° 176 (2016-2017) portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique s’inscrit dans le cadre d’une politique, qui s’est développée ces dernières années, consistant à faciliter le recul stratégique des activités menacées par le recul du trait de côte.
8Les auteurs de la proposition de loi ont entendu répondre au besoin d’adaptation de territoires littoraux menacés par un recul des terres par la création d’instruments juridiques nouveaux à la disposition des pouvoirs publics, notamment des collectivités territoriales.
9Cette conception restrictive des moyens à développer a conduit les auteurs de ce texte à exclure toute modification des termes de la loi Littoral [1]. Ils estiment, en effet, que la loi Littoral est un « outil efficace » qu’il convient de « préserver ». Les mérites de la loi Littoral sont, pour eux, largement reconnus. Elle a permis un développement équilibré des communes littorales. Elle a contribué à préserver le littoral français, et éviter qu’il ne ressemble à celui de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie.
10Une modification de la loi Littoral conduirait à « fragiliser » les principes développés dans la loi, qui ont contribué à préserver le littoral français. Le risque d’un « détricotage » progressif de la loi Littoral est mis en avant.
11En outre, le risque d’une modification de la loi serait non maîtrisé. Notamment, la remise en cause du principe de continuité crée un risque, non mesuré, de mitage du territoire.
12Ainsi, ils limitent la portée de la proposition de loi à la mise en place de deux outils juridiques nouveaux visant à préserver des aléas les biens et les personnes : la création des zones d’activité résiliente et temporaire (ZART), et la mise en place d’un type de bail nouveau original, le bail réel immobilier littoral (BRILI).
A – La création des zones d’activité résiliente et temporaire (ZART)
13Les zones d’activité résiliente et temporaire (ZART) constituent un instrument clé de la proposition de loi de 2016. Ces zones, créées par le préfet dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), constitueraient des zones intermédiaires entre les zones exposées aux risques dans lesquelles les constructions peuvent être interdites ou autorisées sous certaines conditions « afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines », et les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais dans lesquelles des prescriptions sont possibles lorsque des constructions nouvelles « pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux ».
14Les ZART, qui n’emportent aucune dérogation aux règles de la loi Littoral, ont vocation à maintenir les activités sur le littoral aussi longtemps que possible puis de faciliter leur « relocalisation » vers l’arrière-pays.
15Comme l’écrit Pascale Got, rapporteure de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, les ZART « ne créent pas artificiellement un nouveau zonage se superposant aux autres, mais permettent de mieux délimiter, à partir des zones rouges, inconstructibles, et bleues, des aires où le maintien d’une activité est possible en dépit du risque de recul du trait de côte, occurrence certaine mais dont le terme – lui – ne peut être déterminé avec certitude » [2].
16La création d’une ZART concernerait les espaces les plus menacés par le recul du trait de côte.
17Contrairement aux autres zonages des PPRNP, la ZART présente un caractère temporaire. Elle est créée pour la durée pendant laquelle les constructions ou exploitations peuvent y être implantées ou déplacées.
18Les constructions restent possibles pendant toute la durée de la zone d’activité temporaire et résiliente. Dès lors que la montée des eaux menace l’exploitation, des mécanismes sont proposés pour faciliter le départ des propriétaires ou locataires de biens situés dans une ZART (droit de préemption et bail réel immobilier littoral).
19Les biens immobiliers situés dans les ZART sont soumis à un devoir particulier d’information de la part des professionnels de l’immobilier. Ceux-ci doivent préciser dans le dossier de diagnostic technique annexé à la promesse de vente ou joint au bail de location, le délai pendant lequel les constructions peuvent être réalisées ou exploitées. En outre, ils doivent « signaler de manière explicite » à l’acquéreur, au locataire ou au bailleur le risque de recul du trait de côte.
20Dans une ZART, l’État, les établissements publics fonciers, les sociétés d’économie mixte, les collectivités territoriales et leurs groupements auraient l’interdiction d’aliéner les immeubles de leur domaine privé, dans la perspective de l’intégration du bien dans le domaine public maritime.
B – La mise en place du bail réel immobilier littoral (BRILI)
21La proposition de loi de 2016 prévoit la mise en œuvre de deux dispositifs spécifiques dans les ZART, afin de faciliter le départ et la relocalisation vers l’arrière-pays des propriétaires ou locataires menacés par le recul du trait de côte.
22D’une part, afin de donner aux personnes publiques un droit de priorité dans les zones soumises au risque de recul du trait de côte, le droit de préemption serait applicable dans les ZART.
23D’autre part, il est prévu de créer un nouveau contrat d’occupation domaniale, dénommé bail réel immobilier littoral (BRILi), permettant de lier un bailleur, personne publique (État, établissements publics fonciers, sociétés publiques locales d’aménagement ou de construction, collectivités territoriales et leurs groupements), à une personne publique ou privée ayant la qualité de preneur pendant une durée comprise entre 5 et 99 ans.
24Cet instrument juridique, destiné à inciter les propriétaires de biens exposés au risque de recul du trait de côte à déplacer leur activité, donne au preneur un droit de jouissance sur le bien. En contrepartie, il doit respecter certaines obligations définies par la loi ou par le contrat.
25La durée du BRILi est adaptée au risque de recul du trait de côte. Ainsi, en cas de réalisation anticipée du risque de recul du trait de côte, le BRILi s’éteint automatiquement, en permettant le cas échéant au preneur de bénéficier d’une indemnité versée par un « fonds d’adaptation au recul du trait de côte ».
26La mise en place de ces outils juridiques innovants n’a pas empêché d’ouvrir le débat sur l’adaptation de la loi Littoral.
II – Les adaptations de la loi Littoral
27Au cours des débats qui ont eu lieu sur la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, le Sénat s’est montré soucieux d’adapter la loi Littoral aux nouveaux enjeux des espaces littoraux pour faciliter, notamment, la relocalisation d’activités menacées par le recul du trait de côte.
28Pour les tenants de cette solution, il ne s’agit pas de remettre en cause la loi Littoral, mais d’apporter de simples adaptations sous forme de dérogations, essentiellement à la règle d’extension en continuité de l’urbanisation prévue à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme [3].
29Si les dérogations proposées ne remettent pas fondamentalement en cause la loi Littoral, leur portée est loin d’être négligeable et pose la question de savoir s’il est opportun de créer un nouveau critère d’extension en continuité des villages et agglomérations.
30Les dérogations proposées, au nombre de cinq, seront successivement étudiées.
A – La dérogation au principe de continuité par une densification des constructions
31Selon l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, issu de la loi Littoral, l’extension de l’urbanisation ne peut se réaliser dans les communes littorales qu’en continuité avec les agglomérations et villages existants. La portée de cette disposition est assez étendue, dans la mesure où elle s’applique sur l’ensemble du territoire des communes littorales, indépendamment de la distance par rapport au rivage.
32Le principe de continuité permet de lutter contre l’urbanisation progressive des communes littorales, souvent qualifiée de « mitage », et se situe au cœur du dispositif de maîtrise de l’urbanisme littoral. Cela explique que la notion d’agglomération et village existant soit interprétée de manière stricte par le juge, conduisant à exclure l’extension des lotissements ou des hameaux. L’objectif explicite de cette disposition est de concentrer l’urbanisation autour des principaux bassins de vie. Ce choix délibéré permettait à l’époque de répondre au besoin urgent d’une protection forte du littoral.
33Les reproches formulés à l’égard du principe de continuité sont de deux ordres. D’une part, en empêchant le développement d’autres espaces urbanisés de taille plus modeste, cette règle fige une armature urbaine héritée des années 1980, qui n’était peut-être déjà pas optimale au moment de l’entrée en vigueur de la loi et ne répond pas nécessairement aux besoins actuels des populations littorales. D’autre part, le principe de continuité n’empêcherait pas les communes les moins vertueuses de poursuivre leur extension.
34Derrière la critique du principe de continuité, c’est en réalité une critique de la jurisprudence qui est formulée. Le reproche qui est fait à la jurisprudence est de disposer d’un large pouvoir d’appréciation, source d’incertitude et d’insécurité juridique. La réforme proposée par le Sénat conduit ainsi à revenir sur la question de la densification des constructions dans les communes littorales, et une jurisprudence qui s’est construite pendant près de trente ans.
35Néanmoins, une remise en cause de cette jurisprudence apparaît pour le moins délicate. La densification des constructions constitue un critère essentiel du juge administratif d’interprétation de la règle de continuité. Celle-ci s’applique dans les espaces proches du rivage, y compris les espaces déjà urbanisés, comme l’illustre la décision Commune de Lancieux [4].
36Ainsi, le juge apprécie, en fonction des circonstances et de sa sensibilité, la discontinuité de manière plus ou moins stricte [5]. De son côté, le Conseil d’État ne remet pas en cause l’appréciation faite par la cour administrative d’appel du caractère diffus de l’urbanisation dans le secteur [6].
37Si la motivation utilisée peut paraître parfois insatisfaisante pour les collectivités concernées, il n’en reste pas moins que l’application du principe de continuité ne conduit pas à une interdiction systématique de toute construction nouvelle, comme en témoigne l’exemple d’Arcachon jugé par le Conseil d’État le 7 décembre 2016, n° 391568, à propos d’un secteur « fortement urbanisée » situé sur la façade maritime nord de la commune. Des conclusions identiques ont été rendues à propos des communes de Pont-Aven [7], de Locquirec [8], ou encore de Saint-Michel-Chef-Chef, en ce qui concerne des espaces proches du rivage ou situés dans la bande littorale de cent mètres [9].
38Au regard de cette jurisprudence, il semble difficile de rendre objective l’appréciation du caractère urbanisé d’un secteur, sauf à donner au juge des éléments d’appréciation objectifs relatifs à la densité des constructions dans un secteur à partir de laquelle un espace peut être considéré comme urbanisé. On voit par-là la difficulté de remettre en cause par voie législative une jurisprudence qui s’est construite progressivement, au cas par cas. Une telle remise en cause serait perçue comme une atteinte au travail réalisé par les juges administratifs pendant plus de trente ans pour interpréter et préciser le principe de continuité dans les communes littorales.
B – La suppression de la notion de hameau nouveau
39Dans le débat relatif à l’adaptation de la loi Littoral, certains préconisent la suppression des hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. Cette suppression, qui est présentée comme une contrepartie à l’assouplissement du principe de continuité, montre l’incompréhension et les difficultés d’application de la notion de hameau nouveau.
40Inspirée de la loi Montagne du 9 janvier 1985, cette notion apparaît à contre-courant. Elle est perçue comme un moyen de faire de l’urbanisation dispersée, alors que la loi Littoral vise à lutter contre le mitage. Pourtant, cette notion a vocation à donner aux communes littorales une marge de manœuvre intéressante en termes d’urbanisation de certains secteurs.
41L’absence de statut pour les hameaux existants, combinée avec le refus de comblement des dents creuses, est de nature à conduire à une interprétation restrictive, aussi bien par les élus locaux que par les préfets, de la notion de hameau nouveau intégré à l’environnement. De son côté, le juge administratif ne donne aucune définition positive du hameau nouveau et préfère s’en tenir à une appréciation au cas par cas. Le juge administratif veille à la bonne insertion du projet dans les sites et paysages [10].
42En tout état de cause, ne pourront être qualifiés de hameau nouveau les opérations d’urbanisation importantes [11], les constructions isolées [12], les projets de construction dans des secteurs d’urbanisation diffuse [13], ou un camping comportant plusieurs constructions [14].
43Cet outil doit, avant tout, être développé par les auteurs des SCOT et des PLU, à qui il appartient, en amont, de définir les secteurs dans lesquels pourront être admis des hameaux nouveaux et les règles précises à respecter pour constituer de tels hameaux (nombre de constructions, règles architecturales à respecter, accès et espaces communs, volet paysager…).
44En dépit des demandes relatives à la suppression à la référence aux hameaux nouveaux dans l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, les auteurs de la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique se sont montrés attachés à cette notion. Ils proposent, en deuxième lecture, d’assouplir les critères des hameaux nouveaux pour favoriser la relocalisation en discontinuité des biens situés dans les ZART. Cette mesure nécessiterait de clarifier par décret en Conseil d’État les spécificités de ces hameaux nouveaux ayant pour but de permettre les relocalisations.
45Les députés ont envisagé, notamment, de fixer des conditions tendant à encadrer son utilisation dans ce cadre nouveau. Cette relocalisation en hameau nouveau ne pourrait, ainsi, se réaliser qu’en dehors des espaces proches du rivage, avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, les constructions ou installations ne devant pas être de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages.
46Si cette notion de hameau nouveau n’a pas connu un développement significatif, c’est en raison de sa faible utilisation par les communes littorales. Cette notion, qui peut contribuer à l’urbanisation de certains secteurs sans développer le mitage, mériterait d’être clarifiée et assouplie.
C – L’adoption du principe selon lequel l’urbanisation en continuité ne fait pas obstacle à la réalisation d’annexes aux constructions existantes
47Cette proposition du Sénat est présentée comme un moyen d’aligner les espaces littoraux sur les territoires de montagne, où la construction de telles annexes est permise.
48La règle, issue de l’interprétation de l’article L. 121-8, selon laquelle aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres constructions, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées des agglomérations, conduit la jurisprudence, dans certaines situations, à interdire la construction d’annexes aux constructions existantes.
49Ainsi, par exemple, la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé qu’un projet de construction consistant en l’édification d’un abri jardin de 14,68 m2 à usage de local technique sur une parcelle de 4 748 m2 dans une zone ne comportant que quelques constructions éparses ne se trouvant pas en continuité avec une agglomération ou un village existant, méconnaît l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme [15]. Cette jurisprudence semble entrer en contradiction avec une jurisprudence antérieure de la même Cour, relative à un projet d’agrandissement d’une maison d’habitation en portant sa surface hors œuvre nette de 64 à 297 m² [16].
50Souhaitant mettre un terme à cette jurisprudence, et aligner les espaces littoraux sur les territoires de montagne, où la construction de telles annexes est permise, les sénateurs ont introduit dans les débats relatifs à la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique un amendement tendant à adopter le principe selon lequel l’urbanisation en continuité ne fait pas obstacle à la réalisation d’annexes aux constructions existantes.
51Afin de limiter la portée de cette proposition et dissuader toute tentative de changer l’affectation des biens concernés en biens à usage d’habitation, ils ont précisé que les biens agricoles et les annexes de taille limitée construits dans ce cadre ne pourront pas faire l’objet d’un changement de destination.
52Si cette précision est louable, l’encadrement proposé à cette dérogation au principe de continuité n’est assorti d’aucune précision relative à la taille des annexes autorisées.
D – Le comblement des dents creuses dans les hameaux existants afin de permettre leur densification
53Du point de vue des tenants des adaptations de la loi Littoral, le comblement des dents creuses dans les hameaux existants constituerait un moyen de densifier ces hameaux, et d’éviter la création de hameaux nouveaux ainsi que la consommation d’espaces naturels et agricoles.
54À l’heure actuelle, le principe de continuité s’oppose à cette forme d’urbanisation, qu’il s’agisse d’une opération de densification dans l’enveloppe du bâti ou d’une extension en continuité par une construction adjacente, comme l’illustre la décision Commune de Porto-Vecchio [17].
55Cette interprétation de l’article L. 121-8 est critiquée au motif que si la loi Littoral entend lutter contre le mitage, elle n’a pas pour but d’interdire la densification des espaces bâtis. Sa sévérité est incomprise au regard de la loi Montagne, qui a été assouplie sur ce point par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 (loi « Pasqua »), et permet l’urbanisation « en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants » [18].
56La principale difficulté dans l’application de la règle de continuité aux hameaux réside dans l’absence de statut pour les hameaux existants. L’article L. 121-8 ne comporte aucune référence aux hameaux existants, qui sont ainsi appréciés sous le seul angle jurisprudentiel de la densité des constructions.
57La circulaire du 14 mars 2006, dite « circulaire Perben », a tenté de clarifier la situation des hameaux en proposant une définition. Cependant, cette doctrine administrative a été appliquée de façon hétérogène par les services déconcentrés de l’État. Surtout, en l’absence de caractère réglementaire, le juge administratif l’a systématiquement écartée au profit de sa propre doctrine jurisprudentielle, nettement plus restrictive. Au final, cette circulaire a rendu la situation des hameaux encore plus complexe et suscité de faux espoirs chez les élus des communes littorales.
58La question du comblement des dents creuses constitue le sujet qui recueille, aujourd’hui, la plus large adhésion. D’ailleurs, une convergence vers une adaptation de la loi Littoral dans ce sens s’est dessinée, en deuxième lecture de la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique à l’Assemblée Nationale. Il s’agirait, au sens strict, de permettre des constructions nouvelles dans le périmètre des hameaux existants des communes littorales se situant dans les zones qualifiées « d’urbanisation diffuse » par la jurisprudence.
59Si une telle réforme devait intervenir, il faudrait qu’elle soit strictement encadrée, car elle n’est pas sans susciter des interrogations. Tout d’abord, la densification des hameaux conduirait à une urbanisation d’espaces qui ne sont pas considérés, à l’heure actuelle, par les juridictions administratives, comme des espaces urbanisés. Afin d’éviter une urbanisation rampante des territoires à enjeux, il faudrait qu’une définition claire du hameau soit apportée, soit par le législateur, soit par le pouvoir réglementaire.
60Ensuite, il faudrait définir de manière stricte ce que l’on entend par comblement de dents creuses, afin que la réforme ne permette pas la modification du périmètre des hameaux.
61Enfin, il convient de remarquer qu’il est excessif de présenter le comblement des dents creuses comme une alternative à la création de hameaux nouveaux ou la consommation d’espaces naturels et agricoles. D’une part, la création de hameaux nouveaux est un phénomène marginal, que les communes littorales perçoivent avec beaucoup de réticence. D’autre part, il existe des moyens plus efficaces que le comblement des dents creuses pour limiter la consommation d’espaces naturels et agricoles. Sur ce point, comme sur d’autres, le débat mérite d’être porté sur un plan plus technique. Les parlementaires qui souhaitent recourir aux validations législatives dans des domaines aussi sensibles pourraient associer au débat des magistrats administratifs.
E – L’extension du dispositif dérogatoire prévu à l’article L. 121-10 afin de favoriser le développement de l’agriculture
62Le principe de continuité est perçu, également, comme un obstacle au développement de l’agriculture dans les communes littorales, en ce qu’il concerne, indifféremment, tout type de construction, qu’il s’agisse de maisons, hangars, stations d’épuration, éoliennes, bâtiments agricoles, ou encore terrains de camping.
63Le législateur est déjà intervenu en 1999 [19] pour introduire dans le Code de l’urbanisme (art. L. 121-10) une dérogation en matière agricole.
64Cette dérogation, limitée aux installations agricoles incompatibles avec le voisinage des zones habitées, est jugée trop restrictive. L’article L. 121-8 continue de faire obstacle à l’implantation des bâtiments agricoles de stockage de matériel ou de légumes compatibles avec le voisinage des zones habitées, et empêcherait notamment le développement de l’agriculture biologique. Il constituerait une contrainte pour les agriculteurs, qui doivent stocker leurs produits dans des endroits éloignés de leurs serres. Cette restriction est jugée contradictoire avec l’un des objectifs de la loi Littoral qu’est le maintien d’une agriculture traditionnelle, notamment légumière, dans les communes littorales.
65Cependant, cette extension de la dérogation aux bâtiments agricoles compatibles avec le voisinage des zones habitées n’est pas sans risque, et pourrait encourager les changements de destination des bâtiments à usage agricole, et leur transformation en résidences secondaires. Pour cette raison, les sénateurs ont introduit, au cours des débats sur la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, un amendement selon lequel « le changement de destination des constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières mentionnées au précédent alinéa est prohibé ».
66D’autres précautions sont envisagées pour éviter des interprétations excessives des réformes souhaitées. Les dérogations proposées ne pourraient être mises en œuvre qu’avec l’accord du préfet, l’avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) et la modification, par une procédure simplifiée, du zonage des documents d’urbanisme.
67Il convient de remarquer que les précautions annoncées ne permettraient pas d’assurer une protection absolue. En outre, la modification du zonage des documents d’urbanisme par une procédure simplifiée, proposée par les sénateurs, ne constituerait pas, en soi, un moyen d’éviter des dérives, mais contribuerait, au contraire, à favoriser l’instabilité des normes locales d’urbanisme.
Mots-clés éditeurs : loi Littoral, installations agricoles, urbanisation en continuité, hameau nouveau, risques naturels, érosion
Date de mise en ligne : 19/03/2019
Notes
-
[1]
V. Rapport n° 4241, Pascale Got, enregistré à l’Assemblée nationale le 23 novembre 2016.
-
[2]
Rapport n° 4241 du 23 novembre 2016 relatif à la proposition de loi, p. 45.
-
[3]
V. Rapport Michel Vaspart, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, Sénat 21 décembre 2016, n° 266.
-
[4]
CE, 12 mars 2007, Commune de Lancieux, req. n° 280326.
-
[5]
CE, 27 juillet 2015, Commune de Montreuil-sur-Mer, req. n° 370856 ; CE 16 décembre 2016, Commune de Pénestin, req. n° 389079.
-
[6]
CE, 3 octobre 2016, req. n° 391750.
-
[7]
CE, 28 décembre 2016, req. n° 392878.
-
[8]
CE, 30 décembre 2016, req. n° 398959.
-
[9]
CE, 12 octobre 2016, req. n° 387308.
-
[10]
CAA Marseille, 20 novembre 2009, Commune de Mandelieu-la-Napoule, req. n° 08MA02832.
-
[11]
CAA Lyon, 7 novembre 1995, Ministère de l’Équipement, des Transports et du Tourisme, req. n° 93LY01960 : projet de lotissement portant sur 58 lots.
-
[12]
CAA Marseille, 4 mai 2006, Commune de Bonifacio, req. n° 02MA01831.
-
[13]
CAA Marseille, 21 octobre 2004, Association de défense de l’environnement de Bormes et du Lavandou, req. n° 00MA02596 ; CE, 26 janvier 2005, Fillippi, req. n° 260188.
-
[14]
CAA Marseille, 8 mars 2001, Simoni, req. n° 98MA00413.
-
[15]
CAA Nantes, 28 octobre 2011, Commune de Pont-l’Abbé, req. n° 10NT00838.
-
[16]
CAA Nantes, 28 mars 2006, Commune de Plouharnel, req. n° 05NT00824.
-
[17]
CE, 9 novembre 2015, B. c/ commune de Porto-Vecchio, req. n° 372531.
-
[18]
Article L. 122-5 C. urb.
-
[19]
Article 109 de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999, d’orientation agricole.