Notes
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[1]
Le phénomène d’érosion côtière est fortement accentué par les activités anthropiques qui font obstacle à l’apport de sédiments que ce soit par la construction d’ouvrages impactant la circulation de ceux-ci ou par l’urbanisation à outrance le long du littoral.
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[2]
C. Lavialle, « Existe-t-il un domaine public naturel ? », CJEG 1987, p. 627 ; « Du domaine public comme fiction juridique », JCP G 1994, I, n° 3766. Contra : J. Caillosse, « Plaidoyer pour le domaine public maritime naturel », RJE 1990, n° 4, p. 483 ; R. Hostiou, « Le domaine public maritime naturel : consistance et délimitation », RJE 1990, n° 4, p. 469 ; « La notion de domaine public maritime naturel », CJEG 1993, p. 306.
-
[3]
CE, 12 octobre 1973, n° 86682, Kreitmann, AJDA 1973, p. 586. La délimitation côté terre du domaine public maritime s’effectue « au point jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ».
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[4]
Ce texte affirmait que le bord de la mer est l’espace de terre, jusqu’où le plus grand flot peut s’étendre au temps d’hiver : Est autem littus maris quatemus hibernus fluctus maximus excurrit (Livre II, titre I, paragraphe 3).
-
[5]
Ce texte précisait que « sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ». La référence aux nouvelles et pleines lunes s’explique car, selon le texte, « c’est dans ce temps que le flot ou la marée s’étend plus loin de tout le mois dans les Terres, tant en long qu’en large » alors que la référence aux grands flots de mars s’explique car « c’est ce grand flot qui vient annuellement à la lunaison plus proche des équinoxes du 21 mars et 21 septembre, auquel temps les marées poussent davantage et les eaux salées inondent plus haut et plus largement ». Définition maintes fois appliquée en jurisprudence – cf. notamment CE, 28 décembre 1910, Anfosso et Maurel, req. n° 36 478, Rec. p. 1031 – alors même que sa rigueur scientifique a pu être vivement critiquée : M. Querrien, « Le rivage de la mer ou la difficulté d’être légiste », E.D.C.E., 1972, p. 75.
-
[6]
F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, éd. La Découverte, coll. Poche, 2003, 350 p.
-
[7]
R. Hostiou, « Le domaine public naturel : consistance et délimitation », RJE, 1990, NS « L’aménagement et la protection du littoral », p. 471.
-
[8]
L’article L. 2111-3 du Code général de la propriété des personnes publiques précise que « s’il n’en est disposé autrement par la loi, tout acte de classement ou d’incorporation d’un bien dans le domaine public n’a d’autre effet que de constater l’appartenance de ce bien au domaine public ».
-
[9]
Selon la définition législative générale du domaine public immobilier prévue à l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, « le domaine public d’une personne publique […] est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ». Cette définition législative reprend en grande partie celle issue de la jurisprudence tout en la durcissant. Son application a pu susciter plusieurs débats doctrinaux notamment sur le fait de savoir si les théories d’extension de la définition générale, dont celle de la domanialité publique globale, survivaient après la définition législative. Cf. pour une étude faisant le point sur le sujet : E. Fatôme, « La consistance du domaine public immobilier général sept ans après le CGPPP », AJDA 2013, p. 969.
-
[10]
Solution retenue à propos d’un raz de marée qui a détruit un endiguement de grosses pierres permettant l’envahissement par les eaux de la mer d’une partie de la propriété et avec lui, la domanialité publique des terrains : CE, 17 octobre 1934, Sieur Dupont, req. n° 36 688, Rec. p. 927.
-
[11]
CE, 6 février 1976, SCI Villa Miramar, req. n° 95784.
-
[12]
CE, 13 février 2002, Ministre de l’équipement, des transports et du logement c/ Association pour la défense de l’environnement et de la qualité de la vie de Golfe-Juan Vallauris, req. n° 235326.
-
[13]
Ainsi Marcel Waline, dans sa note de jurisprudence sous CE, 1er octobre 1971, Sté nouvelle foncière du cap Ferret, affirmait qu’« Il semble donc que la procédure de délimitation est nécessaire pour que le fait de submersion entraîne l’incorporation au domaine public maritime. La situation de fait n’entraîne une situation juridique qu’à condition d’être régulièrement et officiellement constatée », note in RDP, 1972, p. 691.
-
[14]
Une solution qui est consacrée dans CE, 25 juin 1937, Sieur De la Raudière et a, S, 1937, 3, 121, note P. L. En l’espèce le juge administratif refuse d’exercer son contrôle portant sur le moyen relatif au « détournement de pouvoir » reconnaissant que la décision se borne à la constatation de faits car, pour reprendre les termes de l’annotateur, « le détournement de pouvoir suppose l’exercice d’un pouvoir administratif véritable, créant ou modifiant des situations juridiques. Là où l’administration se borne à constater, il ne saurait être question de détournement de pouvoir », p. 122. Cette solution de principe quant à l’évocation du moyen tiré du détournement de pouvoir a été reprise récemment confirmant son caractère actuel : CE 28 févier 1994, Groupement foncier agricole des Combys, req. n° 128887, Rec. p. 100. L’affirmation du caractère recognitif de l’acte de délimitation a été réitérée à plusieurs reprises notamment à propos de la délimitation du domaine public pour les estuaires. Par ex. CE, 26 juillet 1991, Consorts Lecuyer, req. n° 98212, CJEG 1992, p. 113 : Le décret portant délimitation des rivages de la mer dans l’estuaire de la Rance « est un acte déclaratif qui se borne à constater les limites du rivage de la mer, telles qu’elles résultent des phénomènes naturels observés ».
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[15]
CE 17 octobre 1934, Sieur Dupont, req. n° 36 688, Rec. p. 927.
-
[16]
CE, 27 mars 1874, Sieur Barlabé, req. n° 39 848, Rec. p. 308.
-
[17]
Cf. notamment : CE, 20 mai 2011, Commune du Lavandou, req. n° 328388, AJDA 2011, p. 1730, note G. Eveillard. Le Conseil d’État relève que les juges du fond n’ont pas méconnu « les règles de la charge de la preuve » en concluant à l’incorporation partielle d’un garage dans le domaine public maritime au motif qu’« il ressortait des pièces du dossier, et en particulier des documents photographiques produits par M. A, que l’une des parois du garage est constituée du mur de clôture de la propriété implanté en bordure immédiate du rivage de la mer, et que des posidonies déposées par les flots sont visibles à l’intérieur du garage lui-même dont la porte a été détruite ».
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[18]
D. Burguburu, Y. Jégouzo, « Les nouvelles procédures de délimitation du domaine public maritime naturel », AJDA 2005, p. 360.
-
[19]
L. Prieur, « L’accès au rivage », RJE 2012, NS, Les 25 ans de la Loi Littoral, p. 93.
-
[20]
CE, 27 mai 1988, Consorts X, req. n° 67114.
-
[21]
CE, 12 novembre 2014, Commune de Pont-Aven, req. n° 369147.
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[22]
CE, 27 juillet 1988, M. X, req n° 688672.
-
[23]
CE, 20 mai 2015, Mme A, req. n° 361865
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[24]
CE, 6 février 1976, SCI Villa Miramar, req. n° 95784
-
[25]
Commission européenne, Rapport Vivre avec l’érosion côtière en Europe : Espaces et sédiments pour un développement durable, 10 mai 2004, p. 13.
-
[26]
CE, 13 février 1934, Sieur de Saint Martin Lacaze, req. n° 24650, Rec. p. 203.
-
[27]
CAA Bordeaux, 9 février 2016, Syndicat secondaire Le Signal, req. n° 14BX03289.
-
[28]
Circulaire du 3 avril 2018 relative aux modalités d’exercice de la compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations par les collectivités territoriales et leurs groupements : « il est nécessaire de rappeler qu’en matière d’ouvrages de prévention des inondations, la collectivité gestionnaire desdits ouvrages décide librement du niveau de protection qu’elle entend assurer pour son territoire ».
-
[29]
CAA Marseille, 6 mai 2014, SCI Pascal, req. n° 10MA04256, concl. S. Deliancourt, RFDA 2014, p. 1075.
-
[30]
CE, 20 mars 2017, SARL B, req. n° 392916.
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[31]
Cons. cons. 23 septembre 1987, DC n° 87-151, RFDA 1988, p. 273, note B. Genevois.
-
[32]
CE, 13 mars 2013, SCI Pascal, n° 365115.
-
[33]
La jurisprudence est abondante sur le sujet que ce soit à propos de constructions de terrasse en bois (CE, 3 mars 2017, M. B…A, req. n° 390368) ; de pontons (CE 29 octobre 2012, M. Marie-Joseph B, req. n° 341357), d’escalier et de cale de mise à l’eau (CE 6 mai 2015, M. A…B, n° 377487), etc.
-
[34]
Cons. cons, 24 mai 2013, SCI Pascal, n° 2013-316 QPC.
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[35]
N. Foulquier, « Le domaine public maritime naturel. La soi-disant évidence de la nature », AJDA 2013, p. 2260.
-
[36]
Il n’existe pas de définition précise d’une digue. Au sens de l’article L. 566-12-1 du Code de l’environnement, « la digue est un ouvrage construit ou aménagé en vue de prévenir les inondations et les submersions ». Les dispositions réglementaires indiquent que ne sont des digues au sens de la compétence GEMAPI que les ouvrages permettant la protection d’un seuil de population supérieur à 30 personnes (R. 214-113 du Code de l’environnement). Ce critère est difficilement applicable au cas de digues privées. En tout état de cause, ne sont pas considérés comme des digues, des dépôts de terre mélangés à des produits de démolition : CAA Marseille, 9 mars 2018, M et Mme A, req. n° 16MA02318.
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[37]
S. Deliancourt, « Digue à la mer : de la propriété privée au domaine public », RFDA 2014, p. 1075. Y est évoqué le régime des autorisations ou déclarations pour installations et travaux divers qui a été profondément modifié depuis. L’article R. 421-23 du Code de l’urbanisme précise dorénavant que sont soumis à déclaration préalable les exhaussements du sol dont la hauteur excède deux mètres et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à 100 m2. De plus, il n’est pas certain que l’autorisation d’urbanisme soit accordée notamment en vertu de la loi Littoral, si l’habitation est située en zone non urbanisée puisqu’elle est forcément dans la bande des 100 mètres, ou en vertu des règles prévues par le plan local d’urbanisme. Il convient en effet de considérer en vertu de la décision du Conseil d’État du 26 novembre 2010, MEEDM, req. n° 320871, que le règlement d’un PLU s’applique même aux travaux non soumis à autorisation et, il a été jugé récemment dans un arrêt CE 6 avril 2016, Sté Carrière Leroux-Philippe, req. n° 381552, que le règlement d’un PLU est opposable à l’exécution de tous travaux ayant pour objet ou pour effet un exhaussement des sols.
-
[38]
CAA Marseille, 24 mars 2016, M. et Mme E, req. n° 14MA04559.
-
[39]
CAA Marseille, 8 octobre 2013, SCI la Sauvagie, req. n° 11MA03682.
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[40]
CE, 8 avril 1998, M. Pierre X, req. n° 181573.
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[41]
CAA Marseille, 26 janvier 2018, SARL Tamalis, req. n° 16MA01346.
-
[42]
Cons. cons., 24 mai 2013, SCI Pascal, n° 2013-316 QPC, consid. n° 6.
-
[43]
H. Hoepffner, « Les transferts naturels de propriété : forme d’expropriation indirecte sans indemnisation ? », Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 41, octobre 2013.
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[44]
Cons. cons., 24 mai 2013, SCI Pascal, n° 2013-316 QPC, consid. n° 7.
-
[45]
CE 18 juin 1976, Sieur X Robert, req. n° 95115, à propos de la démolition d’une digue endommagée par l’administration étant « de nature à justifier une demande en indemnité ». CE, 22 décembre 1976, Sté foncière Biarritz-Anglet, req. n° 98378 à propos d’un ouvrage et des travaux qui ont fortement aggravé le phénomène d’érosion justifiant une indemnité.
-
[46]
N. Foulquier, « Le domaine public maritime. La soi-disant évidence de la nature », AJDA 2013, p. 2260.
-
[47]
CE, 22 septembre 2017, SCI APS, req. n° 400825, AJDA 2017, p. 1807 ; RDI 2018, p. 104, note N. Foulquier.
-
[48]
CE 3 juillet 1998, Bitouzet, req. n° 158592.
-
[49]
V. David, « La nouvelle vague des droits de la nature. La personnalité juridique reconnue aux fleuves Whanganui, Gange et Yamuna », RJE 3/2017, p. 409 ; M. Hautereau-Boutonnet, « Faut-il accorder des droits à la nature », D. 2017, n° 18, p. 1040.
-
[50]
C. Lavialle, « Du domaine public comme fiction juridique », JCP G 1994, I, n° 3766.
-
[51]
Cons. cons., 6 avril 2018, Syndicat secondaire Le Signal, n° 1018-698 QPC, AJDA 2018, p. 1109, note. R. Radiguet ; RJE 4/2018, p. 823, note Ch. Gustave Huteau.
-
[52]
P. Jolly, « Érosion côtière : l’Assemblée vote l’indemnisation des habitants du Signal », Le Monde, 20 décembre 2018.
« Qu’il est doux, quand sur la vaste mer, le vent soulève les flots, de contempler depuis la terre ferme, les terribles périls d’autrui »
2Le caractère « naturel » du domaine public maritime « naturel » ? L’expression commune selon laquelle « la nature reprend ses droits » est celle qui vient à l’esprit de tout badaud observant non sans fascination le caractère destructeur de la force houlomotrice lorsque celle-ci vient inlassablement s’abattre sur le rivage et que le jusant emporte avec lui les sédiments au large. C’est ce rapport de force entre les flux d’énergie – vents, courants marins, marées – et les sédiments qui génère en période de « pénurie sédimentaire » un phénomène d’érosion.
3Or le phénomène d’érosion côtière ne laisse pas insensible le droit. Parce que selon Montaigne, « nature peut tout et fait tout », elle participe activement, non sans contribution de l’Homme [1], à façonner les côtes françaises et, avec elles, le domaine public maritime naturel. Ainsi et bien que l’idée doctrinale selon laquelle il existerait un domaine public par nature, c’est-à-dire un domaine public qui existerait en soi et recouvrirait une réalité objective, ait été suffisamment combattue pour ne plus être réaffirmée [2] ; on ne peut nier que la délimitation du domaine public maritime naturel, coté terre, s’en remet principalement à dame Nature.
4Une délimitation reposant sur un critère physique : les « flots ». Ainsi, l’article L. 2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose, d’une part, que « le domaine public maritime naturel de l’État comprend le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer » et précise, d’autre part, que le rivage de la mer comprend « tout ce que la mer couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ». Cette disposition reprend une définition jurisprudentielle [3] unifiant deux définitions chargées d’histoire puisque prenant racine, pour les rivages méditerranéens, dans le texte des Institutes de Justinien de 533 [4] et, pour les rivages non méditerranéens subissant la force attractive des marées, dans l’ordonnance sur la marine d’août 1681 dite « ordonnance de Colbert » [5]. Elle a reçu son brevet de constitutionnalité par une décision du 24 mai 2013, n° 2013-316 QPC, qui précise qu’« en prévoyant que [la limite entre le domaine public maritime naturel et les propriétés privées] est fixée en fonction de tout ce que la mer "couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles", le législateur a confirmé un critère physique objectif indépendant de la volonté de la puissance publique ».
5Il découle de cette définition « naturelle » du domaine public maritime que les terres gagnées par la mer sont susceptibles d’avoir des conséquences fâcheuses sur le droit de propriété des riverains qui recule au rythme de l’avancée des flots. Dès lors, le phénomène d’érosion interroge sur les réponses juridiques à apporter pour y faire face. Et celles-ci sont plutôt décevantes. Souvent « hors la loi » [6], dame Nature fait ici « loi » par l’intermédiaire du droit de la domanialité publique qui se contente d’enregistrer ses caprices (I). Ceux-ci peuvent s’avérer cruels pour les propriétaires riverains de bord de mer (II).
I – Nature capricieuse
6La consistance et la délimitation du domaine public maritime naturel évoluent avec l’avancée des flots (A) dont le caractère irrésistible rend le propriétaire riverain du bord de mer particulièrement démuni (B).
A – Nature changeante : la délimitation du domaine public maritime naturel
7Le rivage de la mer n’a pas une délimitation figée dans le temps puisqu’il correspond à une réalité physique – le critère du plus haut flot – que le phénomène d’érosion côtière vient amplifier. Ainsi que l’affirme René Hostiou, « Subordonner au caprice des flots la consistance du domaine public maritime naturel, aboutit inéluctablement à admettre que cette dernière puisse varier dans le temps » [7]. Cette variation dans le temps est génératrice d’atteintes au principe de sécurité juridique et, par ricochet, au droit de propriété du riverain car elle implique que les efforts de délimitation du domaine public maritime naturel n’ont qu’un caractère recognitif (1) et contingent (2).
1 – Nature insaisissable : le caractère recognitif de la délimitation du domaine public maritime naturel
8L’obligation de délimitation du domaine public maritime naturel. La domanialité publique ne se décrète pas, elle se constate ! Les critères de la propriété publique et de l’affectation suffisent à faire entrer le bien dans le domaine public [8]. Cette constatation est simplifiée à propos du domaine public maritime naturel. Les spécificités de ce dernier quant à sa consistance ont impliqué que le législateur lui réserve un sort à part en le dispensant du critère d’affectation à l’usage du public ou au service public [9] pour le remplacer par celui du plus « haut flot ».
9Au vu des effets générés par ce critère physique qui implique, sous l’effet de l’érosion, un transfert automatique de la propriété privée submergée par les plus hauts flots dans le domaine public [10], l’article L. 2111-5 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit une procédure de délimitation du domaine public maritime naturel à la charge de l’État. Il est ainsi précisé que « les limites du rivage sont constatées par l’État en fonction des observations opérées sur les lieux à délimiter ou des informations fournies par des procédés scientifiques ». Cette procédure revêt le caractère d’une obligation pour l’administration. Par conséquent, il est de jurisprudence ancienne que l’administration est tenue de procéder à la délimitation du domaine public maritime si un propriétaire riverain en fait la demande [11] et qu’elle engage sa responsabilité en cas de refus. Cette obligation est d’ailleurs consacrée par l’article R. 121-11 du Code de l’urbanisme qui indique qu’« en l’absence d’acte administratif de délimitation, tout propriétaire riverain peut demander au préfet qu’il soit procédé à la délimitation du domaine public maritime au droit de sa propriété ». Elle ne concerne toutefois que les demandes faites par les propriétaires riverains et l’administration n’a aucune obligation à l’égard des tiers, dont les demandes faites par les associations de protection de l’environnement [12].
10Une obligation aux faibles effets juridiques. En dépit d’interprétations qui ont pu être faites par d’éminents auteurs de certaines jurisprudences [13], l’instauration d’une procédure de délimitation du domaine public maritime n’a qu’un caractère recognitif si bien qu’en son absence, le domaine public maritime demeure. En d’autres termes, la procédure de délimitation n’a pas pour conséquence de permettre l’incorporation du bien délimité dans le domaine public mais a pour seul effet de constater la délimitation physique de ce dernier [14]. Dès lors, et en l’absence de procédure de délimitation, la constatation de l’immersion des terres par les plus hauts flots emporte ipso facto leur domanialité publique [15] et il n’est pas rare que cette délimitation soit tranchée devant le juge administratif à titre accessoire [16]. Il se prononcera alors au vu des pièces présentées par les parties en se contentant parfois de simples relevés photographiques [17].
11Une procédure de délimitation nécessaire. L’intérêt bien compris du propriétaire est alors de solliciter de l’administration qu’elle procède à la délimitation du domaine public maritime au vu des garanties scientifiques – délimitation par des traitements de données topographiques, météorologiques, marégraphiques, houlographiques, morpho-sédimentaires, botaniques, zoologiques, bathymétriques, photographiques, géographiques, satellitaires ou historiques – et des droits de la défense offerts par cette procédure – dossier de délimitation composé d’une note exposant l’objet de la délimitation, un plan de situation, un projet de tracé et une notice exposant les éléments contribuant à déterminer la limite du domaine public maritime ; avis des maires des territoires concernés ; double contradictoire incluant enquête publique et pendant la durée de celle-ci, réunion contradictoire sur les lieux ; action en revendication pendant une durée de dix ans [18].
12La nécessité de réaliser cette procédure est accentuée par le fait que la délimitation du domaine public maritime est utile pour la mise en œuvre d’autres dispositions, particulièrement l’article L. 121-33 du Code de l’urbanisme qui instaure une servitude de passage de 3 mètres le long du littoral calculée à compter de la limite du domaine public maritime et l’article L. 121-16 du Code de l’urbanisme qui interdit les constructions ou installations dans les espaces non urbanisés sur « une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ».
2 – Nature mouvante : le caractère contingent de l’acte de délimitation
13Le caractère recognitif de l’acte de délimitation du domaine public maritime s’explique par le fait que les phénomènes naturels évoluent et que, dans l’intérêt de la préservation du libre accès au rivage [19], il convient d’empêcher toute cristallisation de cette délimitation. Il s’ensuit que, pour intéressante qu’elle soit, la délimitation est nécessairement contingente et n’accorde aucun droit acquis au propriétaire riverain. Aussi, il n’est pas étonnant de constater que l’article L. 121-11, alinéa 2, du Code de l’urbanisme offre la possibilité au propriétaire riverain de redemander un acte de délimitation lorsque, « depuis une délimitation antérieure, des phénomènes naturels non liés à des perturbations météorologiques exceptionnelles ont eu pour effet de modifier le niveau des plus hautes eaux ».
14Et le juge administratif tire toutes les conséquences sur le plan contentieux du caractère contingent de l’acte de délimitation. Il considère qu’il n’est pas tenu par la délimitation opérée par l’acte de délimitation [20] et que par conséquent, les énonciations d’un acte de délimitation peuvent être contestées devant le juge de l’excès de pouvoir et à toute époque [21]. Il n’est pas non plus tenu par la constatation faite par le juge administratif de l’appartenance d’un bien au domaine public dans le cadre des poursuites de contravention de grande voirie car cette constatation ne bénéficie de l’autorité de chose jugée que pour la date à laquelle il a statué [22]. Il est donc toujours possible d’apporter la preuve que les parcelles en cause ne sont pas comprises dans les limites du domaine public maritime en démontrant que l’administration fait erreur [23]. De la même manière, le juge administratif considère que des décisions ultérieures de l’administration portant sur la même demande de délimitation à l’initiative du même riverain n’ont pas un caractère confirmatif [24] et peuvent donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
B – Nature irrésistible : les moyens limités de protection de la propriété du riverain
15L’absence d’obligation pour la personne publique de limiter le phénomène d’érosion. Pour contenir le phénomène d’érosion, plusieurs solutions techniques existent telles que le rechargement des plages en sable, la réalisation de brise-lames, digues de mer et épis, etc. Ces solutions d’ingénierie lourde sont coûteuses et pas nécessairement efficaces dans le temps, soit que l’ouvrage en question cède face aux lois de la nature soit qu’il déporte le problème de l’érosion sur d’autres endroits [25]. Ces éléments expliquent, parmi d’autres, que l’article 33 de la loi du 16 septembre 1807 relative au dessèchement des marais toujours en vigueur, qui prévoit que « lorsqu’il s’agira de construire des digues à la mer, […], la nécessité en sera constatée par le gouvernement et la dépense supportée par les propriétés protégées, dans la proportion de leur intérêt aux travaux », soit interprété par le juge administratif comme ne permettant pas d’imposer aux personnes publiques d’assurer la protection des propriétés privées face au phénomène d’érosion [26].
16La compétence GEMAPI. Si les personnes publiques n’ont pas l’obligation de protéger les propriétés riveraines de l’avancée des flots, elles en ont la faculté en fonction de l’intérêt général que représente la partie du territoire à préserver. L’exemple en est donné à propos de l’affaire Le Signal au sein de laquelle la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé qu’au vu des coûts de la protection sollicitée par les propriétaires de la résidence – entre 9 500 000 et 17 000 000 euros hors taxes – et du faible intérêt architectural de l’immeuble, séparé des constructions avoisinantes, la communauté de communes qui a réalisé plusieurs diagnostics et études de faisabilité et à des actions en vue du ralentissement du phénomène, était en droit de considérer que ces travaux étaient dépourvus d’utilité publique et ne relevaient pas de son intérêt communautaire [27].
17Le fait que la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) confère explicitement aux collectivités territoriales et à leur groupement la compétence en matière de « gestion des milieux aquatiques et de prévention contre les inondations » (GEMAPI) et autorise en vertu de l’article L. 211-7 du Code de l’environnement la réalisation de travaux de défense contre la mer ne change pas le caractère facultatif de la réalisation desdits ouvrages [28].
18La réalisation de travaux par le propriétaire sur le domaine public. Face à l’inaction de la personne publique et si le propriétaire a suffisamment de moyens financiers, il peut être tentant pour lui de construire aux confins de sa propriété des ouvrages de confortement. Pour ce faire, le principe est que l’occupation ou l’utilisation privative du domaine public est soumise à une autorisation qui ne peut qu’être précaire en vertu du principe d’inaliénabilité du domaine public, payante et non incompatible avec l’affectation du bien. Or, la réalisation d’endiguement est difficilement compatible avec le principe du libre accès du rivage. En effet, l’ouvrage peut porter obstacle à la circulation des piétons sur la plage. Il a en outre un caractère permanent incompatible avec le caractère temporaire de l’autorisation d’occupation du domaine public, ce qui complique considérablement les chances de l’obtenir. L’article L. 2124-2 du Code général de la propriété des personnes publiques est à cet égard explicite en disposant qu’ « il ne peut être porté atteinte à l’état naturel du rivage de la mer, notamment par endiguement, assèchement, enrochement ou remblaiement ». Toutefois cette interdiction de principe s’applique « sous réserve des opérations de défense de la mer ». Ces opérations qui relèvent certes de la compétence GEMAPI des collectivités territoriales, pourraient donc permettre une autorisation précaire pour conforter la propriété des riverains. C’est à tout le moins une pratique des services de l’État observée notamment dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 6 mai 2014 à propos d’un camping qui a obtenu une autorisation d’occupation temporaire du domaine public pour « l’installation des structures provisoires et démontables précisément déterminées et constituées par l’installation de big-bags démontables hermétiquement fermés d’un volume d’un mètre-cube, semi-enterrés et recouverts de sable ou de matériaux à granulométrie, compatible avec le site, sur une longueur de 28 mètres pour une surface de 28 m² environ, ainsi qu’un escalier en bois escamotable » sans toutefois que le juge administratif ait statué sur sa légalité [29]. Doute mis à part sur sa légalité,le recours à une telle autorisation, dont on peut penser qu’elle ne sera que rarement délivrée, ne saurait être tacite si bien qu’une tolérance de la part de l’administration d’occupation du domaine public n’emporte aucun droit pour le propriétaire [30]. En telle hypothèse, la nature peut se révéler cruelle pour le propriétaire voyant son bien sombrer par les plus hauts flots.
II – Nature cruelle
19La nature peut s’avérer cruelle pour les propriétaires riverains du bord de mer car les efforts menés pour défendre leur propriété contre l’avancée des plus hauts flots peuvent les amener dans certaines conditions à être sanctionnés par la procédure de contravention de grande voirie (A) qui s’ajoute à la privation sans indemnisation de leur droit de propriété (B).
A – Nature impitoyable : la contravention de grande voirie
20Exposé sommaire de la CGV. L’article L. 2132-3 du Code général de la propriété des personnes publiques indique que « nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d’amende ». Il précise que « nul ne peut en outre, sur ce domaine, procéder à des dépôts ou à des extractions, ni se livrer à des dégradations ». Pour en assurer la préservation, les services de l’État peuvent recourir à la contravention de grande voirie qui, selon les termes mêmes du Conseil constitutionnel, « tend à réprimer tout fait matériel pouvant compromettre la conservation d’une dépendance du domaine public ou nuire à l’usage auquel cette dépendance est légalement destinée » [31]. Il s’agit d’une infraction matérielle et continue du fait du caractère imprescriptible du domaine public [32].
21Application au phénomène d’érosion côtière. En principe, le phénomène d’érosion côtière ne pose aucune difficulté car il induit une soustraction de la propriété privée au profit de l’État et non l’inverse. Or, ce que réprime la contravention de grande voirie, c’est l’empiètement sur le domaine public maritime naturel [33]. Mais la soustraction de la propriété privée riveraine de la mer du fait de l’avancée des flots peut entrer en contradiction avec le principe du libre accès au rivage lorsque le propriétaire a à cœur de défendre son bien en édifiant une digue de protection. Dans la mesure où la jurisprudence sanctionne aussi bien les constructions que les biens maintenus sur le domaine public maritime naturel, peut-on sanctionner au titre de la contravention de grande voirie le propriétaire d’un bien qui aurait édifié une digue aux confins de sa propriété, elle-même engloutie ensuite par les plus hauts flots ? La question fut posée et déboucha sur une question prioritaire de constitutionnalité pour laquelle le Conseil constitutionnel a répondu par la négative en émettant une réserve d’interprétation sur la constitutionnalité du dispositif de contravention de grande voirie au motif que le propriétaire qui a élevé à ses frais une digue sur sa propriété ne peut être forcé de la détruire à ses frais lorsque l’ouvrage se trouve par la suite incorporé dans le domaine public maritime en raison de la progression du rivage [34].
22Cette décision applique la théorie de l’accession de l’article 552 du Code civil en considérant que la propriété du sol entraîne aussi la propriété du dessus. Elle apparaît comme une décision logique car, et comme l’indiquait le professeur Norbert Foulquier, « l’administration serait bien en peine d’exiger des anciens propriétaires de la digue sa destruction une fois celle-ci tombée dans le domaine public maritime naturel car sa présence ne formait pas une contravention de grande voirie puisqu’elle avait été construite sur une propriété privée » [35]. Il n’en reste pas moins qu’une réserve d’interprétation doit être interprétée strictement ce qui signifie qu’on doit être en présence d’une digue [36] qui doit avoir été autorisée par les autorités compétentes en vertu des dispositions pertinentes du Code de l’urbanisme [37].
23L’appréciation stricte et discrétionnaire des conditions d’exonération du contrevenant : force majeure et trouble à l’ordre public. Lorsqu’une digue construite sur propriété privée a été submergée par les flots, elle n’appartient plus au propriétaire et relève du domaine public. Le juge administratif considère alors que le propriétaire d’une digue à la mer ne peut plus entretenir l’ouvrage une fois que celui-ci a été incorporé au domaine public maritime naturel [38].
24Du fait de son caractère objectif, la contravention de grande voirie n’exonère pas le propriétaire riverain, quand bien même il n’avait que pour intention et objectif de protéger sa propriété. D’une manière générale, les conditions d’exonérations liées à la force majeure, à un fait de l’administration assimilable à un cas de force majeure ou au fait du tiers sont entendues de façon restrictive par la juridiction administrative et il a pu être jugé à propos du phénomène d’érosion côtière que « la seule circonstance, à la supposer établie, que l’enrochement n’aurait été réalisé qu’aux seules fins de préserver la propriété de la SCI La Sauvagie de l’érosion marine n’est pas constitutive d’un cas de force majeure » [39]. De la même manière, le motif d’intérêt général relatif à un trouble à l’ordre public, à un motif économique ou social qui permet au préfet de ne pas poursuivre le contrevenant, n’est pas invocable par le propriétaire privé dès lors qu’il relève du pouvoir d’appréciation du préfet [40].
25L’obligation d’entretien de la digue tombée dans le domaine public ? Une fois que l’ouvrage est incorporé au domaine public, se pose la question de l’obligation d’entretien de l’ouvrage. La théorie de l’accession trouve ses limites dans le fait que l’incorporation de l’ouvrage au domaine public n’a pas eu pour effet d’en faire un ouvrage public pour lequel l’État était tenu à une obligation d’entretien, faute d’avoir affecté l’ouvrage à une activité de service public [41]. Et la compétence GEMAPI réserve aux personnes publiques compétentes une marge de manœuvre dans le recensement des ouvrages relevant de leur gestion, laissant peu d’espoirs à la personne privée pour solliciter des personnes publiques qu’elles entretiennent une digue privée tombée dans le domaine public.
B – Nature avare : l’indemnisation limitée du riverain
26La position peu tenable du Conseil constitutionnel. L’incorporation automatique de la propriété privée dans le domaine public sans indemnité préalable paraît contraire au droit de propriété prévu par les articles 2 et 17 de la DDHC. Pourtant, en se fondant sur un critère physique et en affirmant que celui-ci est indépendant de la volonté de la puissance publique, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 24 mai 2013, SCI Pascal, a volontairement nié toute implication de l’État dans ce transfert unilatéral des propriétés privées pour en conclure l’absence de privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 [42]. Ainsi, le Conseil constitutionnel nie volontairement l’existence d’une expropriation de fait ce qui a conduit la doctrine à émettre de fortes critiques.
27L’engagement limité de la responsabilité de la personne publique. Pour contrebalancer cette forme d’expropriation indirecte [43], le Conseil constitutionnel précise que « le propriétaire riverain […] peut prétendre à une indemnisation lorsqu’il justifie que l’absence d’entretien ou la destruction d’ouvrages de protection construits par la puissance publique ou la construction de tels ouvrages est à l’origine de cette incorporation » [44]. Il reprend en cela des solutions jurisprudentielles dégagées par la juridiction administrative [45]. Mais la meilleure connaissance scientifique des causes résultant du phénomène d’érosion, dont il est déterminé que son accentuation est le résultat de facteurs anthropiques, pourrait à l’avenir permettre une plus large indemnisation des personnes victimes d’érosion. Le lien de causalité relativement aux ouvrages fluviaux limitant l’apport sédimentaire des côtes, sera quant à lui probablement trop ténu pour engager la responsabilité des personnes qui en sont gestionnaires.
28L’ouverture relative de l’indemnisation des riverains par le Conseil d’État. Le refus catégorique du Conseil constitutionnel sur l’indemnisation des propriétaires dépossédés de leur bien par l’avancée du rivage encourait, selon les membres autorisés de la doctrine, un risque de censure de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme car, si elle a pu valider les règles de la domanialité publique notamment dans la décision CEDH 29 mars 2010, Mme Brosset-Triboulet c/ France, n° 34078/02, et que la protection de l’environnement peut justifier dans une certaine mesure une atteinte aux biens, l’absence totale d’indemnisation apparaît comme une atteinte disproportionnée au droit de propriété du riverain dépossédé [46].
29Pour éviter toute censure, le Conseil d’État a repris l’argumentaire du Conseil constitutionnel en le complétant dans une décision SCI APS [47] pour juger que cette absence d’indemnisation ne fait pas obstacle « à ce que le propriétaire obtienne une réparation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour lui une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général de protection du rivage de la mer dans l’intérêt de l’ensemble des usagers poursuivi par ces dispositions ». En somme, le Conseil d’État a étendu la jurisprudence Bitouzet [48] relative aux servitudes d’urbanisme à la délimitation du rivage pour garantir sa compatibilité avec la position de la Cour européenne des droits de l’Homme.
30Propos conclusifs. Les qualificatifs peu flatteurs à l’encontre de dame Nature tenus dans cet article péchent indéniablement par un anthropomorphisme pas nécessairement théorique au vu du développement de l’octroi de la personnalité juridique aux éléments naturels [49]. Mais, il ne faut pas oublier que, à l’instar de la démonstration faite par le professeur Christian Lavialle, le domaine public n’est qu’une fiction juridique [50]. Dès lors, les pouvoirs de dame Nature sont ceux que le législateur a bien voulu lui attribuer, non sans aide des juridictions au premier rang desquelles figure le Conseil constitutionnel. Et si le débat a pu se déplacer sur la question de l’indemnisation par la voie de l’expropriation pour risques naturels des propriétaires riverains du domaine public maritime naturel, les réponses apportées ont été du même acabit [51]. Mais parfois, dans l’obscurité des décisions de justice, les appels à une législation plus en phase avec les problématiques de notre temps peuvent être entendus. Aussi, le législateur vient-il d’ouvrir une brèche dans cette construction jurisprudentielle fièrement établie en permettant l’indemnisation des propriétaires de la résidence Le Signal dans la loi de finances pour 2019 [52].
Mots-clés éditeurs : domaine public maritime naturel, propriétaires privés, délimitation, flots, érosion
Date de mise en ligne : 19/03/2019
Notes
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[1]
Le phénomène d’érosion côtière est fortement accentué par les activités anthropiques qui font obstacle à l’apport de sédiments que ce soit par la construction d’ouvrages impactant la circulation de ceux-ci ou par l’urbanisation à outrance le long du littoral.
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[2]
C. Lavialle, « Existe-t-il un domaine public naturel ? », CJEG 1987, p. 627 ; « Du domaine public comme fiction juridique », JCP G 1994, I, n° 3766. Contra : J. Caillosse, « Plaidoyer pour le domaine public maritime naturel », RJE 1990, n° 4, p. 483 ; R. Hostiou, « Le domaine public maritime naturel : consistance et délimitation », RJE 1990, n° 4, p. 469 ; « La notion de domaine public maritime naturel », CJEG 1993, p. 306.
-
[3]
CE, 12 octobre 1973, n° 86682, Kreitmann, AJDA 1973, p. 586. La délimitation côté terre du domaine public maritime s’effectue « au point jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ».
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[4]
Ce texte affirmait que le bord de la mer est l’espace de terre, jusqu’où le plus grand flot peut s’étendre au temps d’hiver : Est autem littus maris quatemus hibernus fluctus maximus excurrit (Livre II, titre I, paragraphe 3).
-
[5]
Ce texte précisait que « sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ». La référence aux nouvelles et pleines lunes s’explique car, selon le texte, « c’est dans ce temps que le flot ou la marée s’étend plus loin de tout le mois dans les Terres, tant en long qu’en large » alors que la référence aux grands flots de mars s’explique car « c’est ce grand flot qui vient annuellement à la lunaison plus proche des équinoxes du 21 mars et 21 septembre, auquel temps les marées poussent davantage et les eaux salées inondent plus haut et plus largement ». Définition maintes fois appliquée en jurisprudence – cf. notamment CE, 28 décembre 1910, Anfosso et Maurel, req. n° 36 478, Rec. p. 1031 – alors même que sa rigueur scientifique a pu être vivement critiquée : M. Querrien, « Le rivage de la mer ou la difficulté d’être légiste », E.D.C.E., 1972, p. 75.
-
[6]
F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, éd. La Découverte, coll. Poche, 2003, 350 p.
-
[7]
R. Hostiou, « Le domaine public naturel : consistance et délimitation », RJE, 1990, NS « L’aménagement et la protection du littoral », p. 471.
-
[8]
L’article L. 2111-3 du Code général de la propriété des personnes publiques précise que « s’il n’en est disposé autrement par la loi, tout acte de classement ou d’incorporation d’un bien dans le domaine public n’a d’autre effet que de constater l’appartenance de ce bien au domaine public ».
-
[9]
Selon la définition législative générale du domaine public immobilier prévue à l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, « le domaine public d’une personne publique […] est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ». Cette définition législative reprend en grande partie celle issue de la jurisprudence tout en la durcissant. Son application a pu susciter plusieurs débats doctrinaux notamment sur le fait de savoir si les théories d’extension de la définition générale, dont celle de la domanialité publique globale, survivaient après la définition législative. Cf. pour une étude faisant le point sur le sujet : E. Fatôme, « La consistance du domaine public immobilier général sept ans après le CGPPP », AJDA 2013, p. 969.
-
[10]
Solution retenue à propos d’un raz de marée qui a détruit un endiguement de grosses pierres permettant l’envahissement par les eaux de la mer d’une partie de la propriété et avec lui, la domanialité publique des terrains : CE, 17 octobre 1934, Sieur Dupont, req. n° 36 688, Rec. p. 927.
-
[11]
CE, 6 février 1976, SCI Villa Miramar, req. n° 95784.
-
[12]
CE, 13 février 2002, Ministre de l’équipement, des transports et du logement c/ Association pour la défense de l’environnement et de la qualité de la vie de Golfe-Juan Vallauris, req. n° 235326.
-
[13]
Ainsi Marcel Waline, dans sa note de jurisprudence sous CE, 1er octobre 1971, Sté nouvelle foncière du cap Ferret, affirmait qu’« Il semble donc que la procédure de délimitation est nécessaire pour que le fait de submersion entraîne l’incorporation au domaine public maritime. La situation de fait n’entraîne une situation juridique qu’à condition d’être régulièrement et officiellement constatée », note in RDP, 1972, p. 691.
-
[14]
Une solution qui est consacrée dans CE, 25 juin 1937, Sieur De la Raudière et a, S, 1937, 3, 121, note P. L. En l’espèce le juge administratif refuse d’exercer son contrôle portant sur le moyen relatif au « détournement de pouvoir » reconnaissant que la décision se borne à la constatation de faits car, pour reprendre les termes de l’annotateur, « le détournement de pouvoir suppose l’exercice d’un pouvoir administratif véritable, créant ou modifiant des situations juridiques. Là où l’administration se borne à constater, il ne saurait être question de détournement de pouvoir », p. 122. Cette solution de principe quant à l’évocation du moyen tiré du détournement de pouvoir a été reprise récemment confirmant son caractère actuel : CE 28 févier 1994, Groupement foncier agricole des Combys, req. n° 128887, Rec. p. 100. L’affirmation du caractère recognitif de l’acte de délimitation a été réitérée à plusieurs reprises notamment à propos de la délimitation du domaine public pour les estuaires. Par ex. CE, 26 juillet 1991, Consorts Lecuyer, req. n° 98212, CJEG 1992, p. 113 : Le décret portant délimitation des rivages de la mer dans l’estuaire de la Rance « est un acte déclaratif qui se borne à constater les limites du rivage de la mer, telles qu’elles résultent des phénomènes naturels observés ».
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[15]
CE 17 octobre 1934, Sieur Dupont, req. n° 36 688, Rec. p. 927.
-
[16]
CE, 27 mars 1874, Sieur Barlabé, req. n° 39 848, Rec. p. 308.
-
[17]
Cf. notamment : CE, 20 mai 2011, Commune du Lavandou, req. n° 328388, AJDA 2011, p. 1730, note G. Eveillard. Le Conseil d’État relève que les juges du fond n’ont pas méconnu « les règles de la charge de la preuve » en concluant à l’incorporation partielle d’un garage dans le domaine public maritime au motif qu’« il ressortait des pièces du dossier, et en particulier des documents photographiques produits par M. A, que l’une des parois du garage est constituée du mur de clôture de la propriété implanté en bordure immédiate du rivage de la mer, et que des posidonies déposées par les flots sont visibles à l’intérieur du garage lui-même dont la porte a été détruite ».
-
[18]
D. Burguburu, Y. Jégouzo, « Les nouvelles procédures de délimitation du domaine public maritime naturel », AJDA 2005, p. 360.
-
[19]
L. Prieur, « L’accès au rivage », RJE 2012, NS, Les 25 ans de la Loi Littoral, p. 93.
-
[20]
CE, 27 mai 1988, Consorts X, req. n° 67114.
-
[21]
CE, 12 novembre 2014, Commune de Pont-Aven, req. n° 369147.
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[22]
CE, 27 juillet 1988, M. X, req n° 688672.
-
[23]
CE, 20 mai 2015, Mme A, req. n° 361865
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[24]
CE, 6 février 1976, SCI Villa Miramar, req. n° 95784
-
[25]
Commission européenne, Rapport Vivre avec l’érosion côtière en Europe : Espaces et sédiments pour un développement durable, 10 mai 2004, p. 13.
-
[26]
CE, 13 février 1934, Sieur de Saint Martin Lacaze, req. n° 24650, Rec. p. 203.
-
[27]
CAA Bordeaux, 9 février 2016, Syndicat secondaire Le Signal, req. n° 14BX03289.
-
[28]
Circulaire du 3 avril 2018 relative aux modalités d’exercice de la compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations par les collectivités territoriales et leurs groupements : « il est nécessaire de rappeler qu’en matière d’ouvrages de prévention des inondations, la collectivité gestionnaire desdits ouvrages décide librement du niveau de protection qu’elle entend assurer pour son territoire ».
-
[29]
CAA Marseille, 6 mai 2014, SCI Pascal, req. n° 10MA04256, concl. S. Deliancourt, RFDA 2014, p. 1075.
-
[30]
CE, 20 mars 2017, SARL B, req. n° 392916.
-
[31]
Cons. cons. 23 septembre 1987, DC n° 87-151, RFDA 1988, p. 273, note B. Genevois.
-
[32]
CE, 13 mars 2013, SCI Pascal, n° 365115.
-
[33]
La jurisprudence est abondante sur le sujet que ce soit à propos de constructions de terrasse en bois (CE, 3 mars 2017, M. B…A, req. n° 390368) ; de pontons (CE 29 octobre 2012, M. Marie-Joseph B, req. n° 341357), d’escalier et de cale de mise à l’eau (CE 6 mai 2015, M. A…B, n° 377487), etc.
-
[34]
Cons. cons, 24 mai 2013, SCI Pascal, n° 2013-316 QPC.
-
[35]
N. Foulquier, « Le domaine public maritime naturel. La soi-disant évidence de la nature », AJDA 2013, p. 2260.
-
[36]
Il n’existe pas de définition précise d’une digue. Au sens de l’article L. 566-12-1 du Code de l’environnement, « la digue est un ouvrage construit ou aménagé en vue de prévenir les inondations et les submersions ». Les dispositions réglementaires indiquent que ne sont des digues au sens de la compétence GEMAPI que les ouvrages permettant la protection d’un seuil de population supérieur à 30 personnes (R. 214-113 du Code de l’environnement). Ce critère est difficilement applicable au cas de digues privées. En tout état de cause, ne sont pas considérés comme des digues, des dépôts de terre mélangés à des produits de démolition : CAA Marseille, 9 mars 2018, M et Mme A, req. n° 16MA02318.
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[37]
S. Deliancourt, « Digue à la mer : de la propriété privée au domaine public », RFDA 2014, p. 1075. Y est évoqué le régime des autorisations ou déclarations pour installations et travaux divers qui a été profondément modifié depuis. L’article R. 421-23 du Code de l’urbanisme précise dorénavant que sont soumis à déclaration préalable les exhaussements du sol dont la hauteur excède deux mètres et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à 100 m2. De plus, il n’est pas certain que l’autorisation d’urbanisme soit accordée notamment en vertu de la loi Littoral, si l’habitation est située en zone non urbanisée puisqu’elle est forcément dans la bande des 100 mètres, ou en vertu des règles prévues par le plan local d’urbanisme. Il convient en effet de considérer en vertu de la décision du Conseil d’État du 26 novembre 2010, MEEDM, req. n° 320871, que le règlement d’un PLU s’applique même aux travaux non soumis à autorisation et, il a été jugé récemment dans un arrêt CE 6 avril 2016, Sté Carrière Leroux-Philippe, req. n° 381552, que le règlement d’un PLU est opposable à l’exécution de tous travaux ayant pour objet ou pour effet un exhaussement des sols.
-
[38]
CAA Marseille, 24 mars 2016, M. et Mme E, req. n° 14MA04559.
-
[39]
CAA Marseille, 8 octobre 2013, SCI la Sauvagie, req. n° 11MA03682.
-
[40]
CE, 8 avril 1998, M. Pierre X, req. n° 181573.
-
[41]
CAA Marseille, 26 janvier 2018, SARL Tamalis, req. n° 16MA01346.
-
[42]
Cons. cons., 24 mai 2013, SCI Pascal, n° 2013-316 QPC, consid. n° 6.
-
[43]
H. Hoepffner, « Les transferts naturels de propriété : forme d’expropriation indirecte sans indemnisation ? », Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 41, octobre 2013.
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[44]
Cons. cons., 24 mai 2013, SCI Pascal, n° 2013-316 QPC, consid. n° 7.
-
[45]
CE 18 juin 1976, Sieur X Robert, req. n° 95115, à propos de la démolition d’une digue endommagée par l’administration étant « de nature à justifier une demande en indemnité ». CE, 22 décembre 1976, Sté foncière Biarritz-Anglet, req. n° 98378 à propos d’un ouvrage et des travaux qui ont fortement aggravé le phénomène d’érosion justifiant une indemnité.
-
[46]
N. Foulquier, « Le domaine public maritime. La soi-disant évidence de la nature », AJDA 2013, p. 2260.
-
[47]
CE, 22 septembre 2017, SCI APS, req. n° 400825, AJDA 2017, p. 1807 ; RDI 2018, p. 104, note N. Foulquier.
-
[48]
CE 3 juillet 1998, Bitouzet, req. n° 158592.
-
[49]
V. David, « La nouvelle vague des droits de la nature. La personnalité juridique reconnue aux fleuves Whanganui, Gange et Yamuna », RJE 3/2017, p. 409 ; M. Hautereau-Boutonnet, « Faut-il accorder des droits à la nature », D. 2017, n° 18, p. 1040.
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[50]
C. Lavialle, « Du domaine public comme fiction juridique », JCP G 1994, I, n° 3766.
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[51]
Cons. cons., 6 avril 2018, Syndicat secondaire Le Signal, n° 1018-698 QPC, AJDA 2018, p. 1109, note. R. Radiguet ; RJE 4/2018, p. 823, note Ch. Gustave Huteau.
-
[52]
P. Jolly, « Érosion côtière : l’Assemblée vote l’indemnisation des habitants du Signal », Le Monde, 20 décembre 2018.