Couverture de RJE_191

Article de revue

Protection de la nature

Pages 195 à 207

Notes

  • [1]
    Dans les affaires citées ci-dessous, les délais entre l’autorisation et la manifestation étaient respectivement de 1 et 4 jours.
  • [2]
    TA Clermont-Ferrand, 17 décembre 2015, Association Fédération Allier Nature, n° 1401577, inédit, aimablement communiqué par Me Busson.
  • [3]
    CAA Douai, 18 janvier 2005, Ass. Le moto-club des sables, n° 03DA00361, AJDA 2005, p. 1060 avec conclusions contraires.
  • [4]
    CAA Marseille, 22 novembre 2011, Ass. les grands randonneurs motorisés, n° 09MA02823.
  • [5]
    CE, 28 juillet 2000, Ass. France-Nature-Environnement, n° 204024, Rec., p. 322 ; RFDA 2003-1, p. 116.
  • [6]
    CE, 16 octobre 2015, Fédération Allier Nature, n° 384650.
  • [7]
    CE, 28 juillet 2004, FNAUT, n° 252670, RFDA mars 2015, p. 364.
  • [8]
    CE, 19 juin 2006, FDSEA de la Vendée, n° 266435 ; AJDA 2006, p. 2015.
  • [9]
    Conclusions M. Guyomar sur CE, 19 juin 2006, précité ; BJCL 2006, p. 481.
Manifestation sportive. Arrêté préfectoral autorisant le championnat de France d’enduro motos 2014.
Évaluation environnementale.
Portée des documents d’objectifs Natura 2000.
Appréciation insuffisante des intérêts écologiques à protéger.

Cour administrative d’appel de Lyon, 15 mars 2018, Association sportive motocycliste de Villebret, n° 16LY00546

11. Considérant que, par jugement du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, à la demande de l’association Fédération Allier Nature, prononcé l’annulation de l’arrêté du 4 juillet 2014 par lequel le préfet de l’Allier a autorisé l’organisation par l’association sportive motocycliste (A.S.M.) de Villebret du championnat de France d’enduro motos les 19 et 20 juillet 2014 dans les départements de l’Allier et de la Creuse, au motif d’une prise en compte insuffisante des intérêts écologiques à protéger ; que l’A.S.M de Villebret fait appel dudit jugement ;

2Sur la régularité du jugement :

32. Considérant que si l’association requérante fait valoir que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a omis de mentionner, dans les visas, le mémoire en réplique que le préfet de l’Allier avait présenté dans l’instance avant la clôture de l’instruction, une telle circonstance n’est, par elle-même, pas de nature à vicier la régularité du jugement attaqué dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que ces écritures du préfet, par lesquelles il indiquait n’avoir aucune observation à formuler à la suite de la communication du mémoire de la Fédération Allier Nature, n’apportaient aucun élément nouveau auquel il n’aurait pas été répondu dans les motifs ;

4Sur la légalité de l’arrêté préfectoral du 4 juillet 2014 autorisant l’organisation par l’A.S.M. de Villebret du championnat de France d’enduro motos les 19 et 20 juillet 2014 dans les départements de l’Allier et de la Creuse :

53. Considérant qu’aux termes de l’article L. 362-1 du code de l’environnement : « En vue d’assurer la protection des espaces naturels, la circulation des véhicules à moteur est interdite en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l’État, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur » ; qu’aux termes de l’article L. 362-3 du même code : « L’ouverture des terrains pour la pratique des sports motorisés est soumise à l’autorisation prévue à l’article L. 421-2 du code de l’urbanisme. /. Les épreuves et compétitions de sports motorisés sont autorisées, dans les conditions définies par décret en Conseil d’État, par le préfet. » ; qu’aux termes de l’article R. 362-1 dudit code : « Les autorisations prévues au deuxième alinéa de l’article L. 362-3 sont délivrées dans les conditions fixées par les articles R. 331-18 et suivants du code du sport » ; qu’aux termes de l’article R. 331-18 du code des sports : « Les concentrations de véhicules terrestres à moteur se déroulant sur les voies ouvertes à la circulation publique sont soumises à déclaration lorsqu’elles comptent moins de 200 véhicules automobiles ou moins de 400 véhicules à moteur de deux à quatre roues, y compris les véhicules d’accompagnement. Au-delà, elles sont soumises à autorisation./. (…) Les manifestations comportant la participation de véhicules terrestres à moteur qui se déroulent sur des circuits, terrains ou parcours, tels que définis à l’article R. 331-21 sont soumises à autorisation » ; qu’il résulte de ces dispositions que les compétitions de sports motorisés doivent être autorisées par le préfet du département du lieu de la manifestation, auquel une demande doit être présentée ;

6Sur la nécessité d’une étude portant sur les évaluations des éventuelles incidences de la manifestation sportive sur l’environnement :

74. Considérant qu’aux termes de l’article R. 331-24-1 du code du sport, dans sa rédaction issue du décret du 15 mars 2011 : « Lorsque la demande d’autorisation porte sur l’organisation d’une épreuve ou d’une compétition de sports motorisés se déroulant sur des terrains ou des parcours fermés de manière permanente à la circulation publique et non soumis à la procédure prévue à l’article L. 421-2 du code de l’urbanisme, un arrêté conjoint du ministre de l’intérieur, du ministre chargé des sports et du ministre chargé de l’environnement détermine également, en fonction de l’importance de la manifestation, la nature des documents d’évaluation des incidences sur l’environnement et des mesures préventives et correctives que le dossier de la demande doit comprendre » ;

85. Considérant que l’A.S.M. de Villebret fait valoir que la demande présentée au préfet de l’Allier ne devait pas comporter d’étude portant sur l’évaluation des incidences sur l’environnement de la manifestation sportive litigieuse ainsi que les mesures préventives et correctives nécessaires à la préservation de l’environnement dès lors que l’enduro comportant deux parcours de liaison et des « spéciales » ne répondait pas aux conditions fixées par les dispositions précitées ; qu’il ressort des pièces du dossier que si le championnat comportait deux parcours de liaison sur des voies ouvertes à la circulation publique, des secteurs chronométrés appelés « spéciales » se déroulaient sur des terrains fermés de manière permanente à la circulation publique et non soumis à la procédure prévue à l’article L. 421-2 du code de l’urbanisme ; que, par suite, ces secteurs chronométrés relevaient des dispositions de l’article R. 331-24-1 du code du sport ; que, toutefois, à la date de l’arrêté du 4 juillet 2014, l’arrêté auquel renvoie l’article R. 331-24-1, nécessaire à la mise en œuvre de l’obligation d’évaluation des incidences sur l’environnement et de définition des mesures préventives et correctrices qu’il prévoit, n’avait pas été pris ; que, par suite, les dispositions de cet article n’étaient pas applicables, en l’absence d’arrêté d’application, à la demande d’autorisation d’organisation des championnats de France d’enduro motos en litige ;

9Sur la nécessité d’une étude portant sur l’évaluation des incidences Natura 2000 :

106. Considérant qu’aux termes de l’article L. 414-4 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors applicable : « I – Lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après « Évaluation des incidences Natura 2000 » : (…) 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. (…). III – Sous réserve du IV bis, les documents de planification, programmes ou projets ainsi que les manifestations ou interventions soumis à un régime administratif d’autorisation, d’approbation ou de déclaration au titre d’une législation ou d’une réglementation distincte de Natura 2000 ne font l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 que s’ils figurent : 1°) soit sur une liste nationale établie par décret en Conseil d’État ; (…). VI – L’autorité chargée d’autoriser, d’approuver ou de recevoir la déclaration s’oppose à tout document de planification, programme, projet, manifestation ou intervention si l’évaluation des incidences requise en application des III, IV et IV bis n’a pas été réalisée, si elle se révèle insuffisante ou s’il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation d’un site Natura 2000. » ; qu’aux termes de l’article R. 414-19 de ce code, dans sa rédaction alors applicable : « I – La liste nationale des documents de planification, programmes ou projets ainsi que des manifestations et interventions qui doivent faire l’objet d’une évaluation des incidences sur un ou plusieurs sites Natura 2000 en application du 1° du III de l’article L. 414-4 est la suivante : (…) 24° Les manifestations sportives soumises à autorisation au titre des articles R. 331-18 à R. 331-34 du code du sport, pour les manifestations de véhicules terrestres à moteur organisées en dehors des voies ouvertes à la circulation publique (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 414-23 du même code : « Le dossier d’évaluation des incidences Natura 2000 est établi (…), s’il s’agit d’une manifestation, par l’organisateur.

11Cette évaluation est proportionnée à l’importance (…) de l’opération et aux enjeux de conservations des habitats et des espèces en présence. /. I – Le dossier comprend dans tous les cas : 1° Une présentation simplifiée du document de planification, ou une description du programme, du projet, de la manifestation ou de l’intervention, accompagnée d’une carte permettant de localiser l’espace terrestre ou marin sur lequel il peut avoir des effets et les sites Natura 2000 susceptibles d’être concernés par ces effets ; lorsque des travaux, ouvrages ou aménagements sont à réaliser dans le périmètre d’un site Natura 2000, un plan de situation détaillé est fourni ;./. 2° Un exposé sommaire des raisons pour lesquelles le document de planification, le programme, le projet, la manifestation ou l’intervention est ou non susceptible d’avoir une incidence sur un ou plusieurs sites Natura 2000 ; dans l’affirmative, cet exposé précise la liste des sites Natura 2000 susceptibles d’être affectés, compte tenu de la nature et de l’importance du document de planification, ou du programme, projet, manifestation ou intervention, de sa localisation dans un site Natura 2000 ou de la distance qui le sépare du ou des sites Natura 2000, de la topographie, de l’hydrographie, du fonctionnement des écosystèmes, des caractéristiques du ou des sites Natura 2000 et de leurs objectifs de conservation » ;

127. Considérant que, conformément à ces dispositions, l’A.S.M. de Villebret a présenté au préfet de l’Allier une demande d’autorisation pour l’organisation du championnat de France d’enduro motos sur le département de l’Allier et de la Creuse ; que le terrain sur lequel les épreuves chronométrées, appelées « spéciales », de ce championnat se situant hors des voies ouvertes à la circulation publique et à l’intérieur de la zone Natura 2000 FR8301012 des Gorges du Haut Cher, la demande de l’association était accompagnée d’une étude portant sur l’évaluation des incidences Natura 2000 de la manifestation sportive ; qu’il appartenait à l’autorité administrative d’apprécier, notamment et conformément aux dispositions susmentionnées du code de l’environnement, si la manifestation sportive projetée portait ou non atteinte aux objectifs de conservation du site Natura 2000 des Gorges du Haut Cher ;

138. Considérant que l’A.S.M. de Villebret fait valoir que l’étude portant sur l’évaluation des incidences Natura 2000 a conclu que « l’impact environnemental de cette manifestation est quasi nul » et que « l’aménagement de la surface des voies empruntées est complètement réversible et relève d’un usage normal des surfaces » et que le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation en autorisant la manifestation litigieuse compte tenu des prescriptions figurant à l’article 11 de son arrêté qui concilie protection de l’environnement et développement économique en prévoyant notamment un parcours de substitution évitant la zone Natura 2000 dans le cas où le sol serait humide, et qui sera effectivement emprunté le 20 juillet 2014, une neutralisation de la course dans la zone Natura 2000, la mise en place de passerelles sur toutes les traversées de ruisseaux et des obligations de remise en état du site ;

149. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le document d’objectifs du site Natura 2000 des Gorges du Haut Cher approuvé par arrêté préfectoral du 20 janvier 2010 et dont les orientations sont à prendre en compte par l’autorité administrative dans son appréciation des atteintes susceptibles d’être portées à ce site précise que la pratique des sports motorisés en fond de gorges dégrade le site et dérange notablement la faune présente ; qu’il indique que la pratique des sports motorisés terrestres de ce type semble incompatible avec la volonté de préservation du site et qu’il comporte une fiche action relative à la préservation des milieux aquatiques et riverains qui prévoit de limiter les comportements inopportuns dans les zones sensibles et de limiter la pratique des sports motorisés terrestres dans le site ;

1510. Considérant que, contrairement à ce que soutient l’association requérante, ces orientations ne méconnaissent pas les dispositions de l’article L. 414-1 du code de l’environnement relatif aux mesures de conservation dont peuvent faire l’objet les sites Natura 2000 ;

1611. Considérant que, dans son avis du 19 juin 2014, le directeur de la direction départementale des territoires du département de l’Allier a précisé qu’« étant donné le risque d’orage en cette saison, les objectifs de gestion du site ainsi que les précédentes dégradations, le parcours devra utiliser l’itinéraire de substitution, empruntant notamment la RD 50, défini lors de la réunion en préfecture le 12 juin dernier, afin d’éviter la zone Natura 2000 et ce, quelles que soient les conditions climatiques » ; que, par courrier du 23 juin 2014, le préfet de l’Allier a indiqué au président de l’A.S.M. de Villebret que « l’ampleur de la manifestation générant 1 320 passages dans des milieux sensibles, il apparaît que la manifestation a un impact notable sur la conservation des habitats et des espaces ayant conduit à la désignation du site Natura 2000, les orientations de gestion incluses dans le document d’objectifs préconisent la limitation de la pratique des sports motorisés en fond de gorge du Cher, le retour à l’état des milieux traversés, lors de l’édition de 2008 de la même épreuve organisée par vos soins, a nécessité un laps de temps important » et qu’en conséquence, l’organisateur de la manifestation n’avait pas la possibilité d’emprunter l’itinéraire prévu dans ce site Natura 2000 ; que le préfet de l’Allier avait d’ailleurs indiqué à l’ASM de Villebret par courrier du 20 mai 2009 qu’en cas de nouvelle organisation d’une enduro « aucun passage en site Natura 2000 ne sera toléré » ; que si l’Office national de la chasse et de la faune sauvage a rendu compte au préfet, dans son rapport du 4 septembre 2014, de ce que les passages successifs ont érodé la couche superficielle du sol au niveau de la piste sans toutefois créer de profonds sillons et si l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques a précisé que l’installation des passerelles et la mise en place de rubalises ont évité le passage des participants dans le lit des cours d’eau pendant la manifestation, les photographies produites par l’association Fédération Allier Nature, qui n’apparaissent pas dépourvues de valeur probante, ne corroborent pas ces assertions ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’itinéraire de substitution évitant la zone Natura 2000 ne se justifiait qu’en cas de sol humide ; qu’ainsi, compte tenu notamment du nombre de véhicules engagés dans cette manifestation, estimés à plus de 350, et d’une longueur de parcours en zone Natura 2000 de 4,16 km, et quelles que soient les retombées économiques et médiatiques relatives à l’organisation de ce championnat d’enduro motos, le préfet de l’Allier, en dépit des prescriptions fixées par l’article 11 de son arrêté, a fait en l’espèce une insuffisante appréciation des intérêts écologiques à protéger ;

1712. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’A.S.M. de Villebret n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé l’arrêté du préfet de l’Allier du 4 juillet 2014 autorisant l’organisation par l’A.S.M. de Villebret du championnat de France d’enduro motos les 19 et 20 juillet 2014 dans les départements de l’Allier et de la Creuse ;

18Sur l’appel incident de l’association Fédération Allier Nature :

1913. Considérant que, par la voie de l’appel incident, l’association Fédération Allier Nature demande la réformation du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en ce qu’il a considéré qu’il n’y avait pas lieu de mettre à la charge de l’État la somme de 3 000 euros demandée par l’association au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

2014. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il convient de rejeter les conclusions de ladite association sur ce point ;

21Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

2215. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de l’association Fédération Allier Nature, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande l’association A.S.M. de Villebret au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de l’association Fédération Allier Nature sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre la somme de 1 000 euros à la charge de l’association A.S.M. de Villebret ;

23Décide :

24Article 1er : La requête de l’association sportive motocycliste de Villebret et les conclusions à fin d’appel incident de l’association Fédération Allier Nature sont rejetées.

25Article 2 : L’association A. S. M. de Villebret versera à la Fédération Allier Nature la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

26Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association sportive motocycliste de Villebret, à l’association Fédération Allier Nature et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Note

27L’article L. 362-1 du Code de l’environnement pose le principe bien connu de la prohibition de la circulation des véhicules terrestres à moteur en dehors de la voirie ouverte à la circulation publique. L’article L. 362-3, 2ème alinéa, dispose quant à lui que « les épreuves et compétitions de sports motorisés, sont autorisées, dans des conditions définies par décret ». L’article R. 362-1 précise que « les autorisations (…) sont délivrées dans les conditions fixées par les articles R. 331-20 et s. du code du sport ».

28L’association Allier-Nature contestait la légalité d’un arrêté du préfet de l’Allier du 4 juillet 2014 autorisant au titre du Code du sport le championnat de France d’enduro motos les 19 et 20 juillet 2014. Relevons d’abord la proximité de ces dates. Voilà une pratique courante [1] et regrettable de l’Administration consistant à délivrer une autorisation très peu de temps avant l’intervention de la manifestation, de sorte que de facto, tout recours juridictionnel est vain, puisque même un référé-suspension paraît difficilement envisageable dans un tel laps de temps. L’association requérante n’en a d’ailleurs pas formé, probablement dans l’incapacité de réunir les éléments nécessaires à l’engagement d’une telle procédure en quelques jours seulement.

29De sorte que l’annulation de la décision, intervenue dès la première instance [2] est sans portée directe sur l’environnement, puisque l’épreuve contestée s’est déroulée. Elle n’en présente pas moins un intérêt jurisprudentiel particulier et devrait par ailleurs conduire l’Administration à tenir compte de cette décision lors de l’organisation d’autres épreuves sportives similaires.

30Au terme d’un arrêt longuement motivé, la Cour administrative d’appel de Lyon confirme l’annulation de l’autorisation sur le moyen de l’« insuffisante appréciation des intérêts écologiques à protéger ». Cette formulation qui paraît rappeler l’erreur manifeste d’appréciation s’en distingue pourtant. C’est une erreur d’appréciation qui est censurée, ce qui implique de la part du juge administratif en la matière non pas un contrôle minimum mais au contraire un contrôle maximum, comme en matière de police, notamment, des installations classées pour la protection de l’environnement. En première instance, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait utilisé une formule similaire : le préfet a entaché son arrêté d’une « insuffisante appréciation des intérêts écologiques à protéger ».

31Cette formulation n’est d’ailleurs pas nouvelle relativement à une autorisation de manifestation sportive. C’est celle qui avait été retenue par la Cour administrative d’appel de Douai [3] à l’encontre de l’autorisation de l’enduro du Touquet ou encore par la Cour administrative d’appel de Lyon [4] à propos de l’autorisation de la « Croisière blanche », ces deux manifestations sportives se déroulant pour partie, comme dans l’affaire ci-dessus rapportée, dans un site Natura 2000.

32Comme souvent, dans cette affaire, le site Natura 2000 n’est pas isolé d’autres espaces présentant un intérêt écologique, et identifiés comme ZNIEFF. Si la Cour ne juge pas utile de s’appuyer sur cet élément complémentaire, on relèvera que le Tribunal administratif avait, lui, apporté une précision intéressante à leur sujet : « une attention toute particulière doit être faite à la protection des milieux naturels remarquables et vulnérables lorsque, comme c’est le cas en espèce, les lieux concernés par la course font en totalité ou en partie l’objet d’une inscription en ZNIEFF ».

33Dernière observation introductive, on relèvera que la Cour appuie son raisonnement sur l’expertise de l’association requérante, ce qui est relativement rare, les juridictions préférant le plus souvent rester prudentes sur les expertises produites par les associations requérantes elles-mêmes, qui peuvent difficilement être expert et partie au même procès. Cette réserve pourrait être justifiée si on l’appliquait à toutes les parties. Mais tel n’est manifestement pas le cas : l’étude d’impact, l’étude de dangers, réalisées par le maître d’ouvrage le plus souvent partie au procès, sont considérées comme exprimant des vérités scientifiques, sauf preuve contraire apportée par une autre partie. Il est logique de mettre toutes les parties sur un pied d’égalité : ou l’on ne reconnaît aucune capacité d’expertise aux parties, ou on la reconnaît à toutes. Le choix de la Cour administrative d’appel de Lyon mérite donc d’être approuvé sur ce point.

34Dans les affaires de l’enduro du Touquet et de la croisière blanche, les Cours d’appel n’avaient pas été saisies ou n’ont pas eu besoin de se prononcer sur l’évaluation environnementale. Tandis que la présence du site Natura 2000 constituait simplement un élément de fait parmi d’autres établissant l’erreur d’appréciation du préfet. Sur ces deux points, l’arrêt de la Cour de Lyon présente un intérêt particulier.

I – Quelle évaluation environnementale ?

35Dans les affaires de l’enduro du Touquet et de la croisière blanche, aucun moyen relatif à l’évaluation environnementale n’avait été soulevé par les associations requérantes, même si des éléments liés aux effets sur les milieux naturels, issus notamment des avis émis par des autorités administratives, ainsi que des expertises réalisées par des organismes scientifiques, avaient pu venir au soutien du moyen de légalité interne.

36L’autorisation de l’enduro du Touquet avait été délivrée sur le fondement de l’article L. 362-3, 2ème alinéa, du Code de l’environnement qui pose le principe de soumission à autorisation mais ne renvoyait à l’époque à aucun texte intégrant l’exigence d’une évaluation environnementale. Quant à la croisière blanche, l’autorisation avait pour base juridique l’article R. 331-18 du Code du sport, issu d’un décret de 2007 postérieur à l’affaire du Touquet. Mais à cette date, aucune évaluation environnementale n’était non plus exigée sur ce fondement.

37En outre, les dispositions de droit interne transposant la directive Habitats n’incluaient pas, lorsque les autorisations concernant ces deux affaires avaient été délivrées, l’obligation de procéder à une évaluation environnementale pour ce qui concerne les manifestations sportives. Ce n’est que par un décret du 9 avril 2010 que l’article R. 414-19 du Code de l’environnement intègre l’obligation d’une évaluation d’incidences pour les manifestations sportives soumises à autorisation au titre du Code du sport. Et dans ces deux affaires, les associations requérantes n’avaient pas soulevé l’incompatibilité des autorisations avec l’article 6 §3 de la directive du 21 mai 1992, relatif aux évaluations d’incidences.

38Dans la présente affaire du championnat de France d’enduro, c’est donc dans des circonstances nouvelles que la question de l’évaluation des incidences se présentait. D’une part, depuis un décret du 15 mars 2011, l’article R. 331-24-1 du Code du sport exige une évaluation des incidences sur l’environnement et, d’autre part, l’article R. 414-19-22° du Code de l’environnement relatif aux évaluations d’incidences Natura 2000 vise les manifestations sportives soumises à autorisation au titre du Code du sport. C’est donc a priori deux évaluations environnementales distinctes que la demande d’autorisation devait comporter.

39S’agissant de l’évaluation d’incidences au titre du Code du sport, la Cour constate d’abord que l’article R. 331-24-1 du Code du sport renvoie à un arrêté ministériel le soin de préciser le contenu de celle-ci. Or cet arrêté n’existait pas à la date de l’autorisation contestée, puisqu’il n’est intervenu que le 4 mai 2016. La Cour d’appel de Lyon juge que « l’arrêté (…) n’avait pas été pris ; que par suite les dispositions de cet article n’étaient pas applicables ».

40En principe, de la même façon que le pouvoir exécutif ne saurait paralyser l’action du législateur en s’abstenant de prendre des décrets d’application [5], on voit mal comment un ministre pourrait faire échec à l’application d’un décret émanant du Premier ministre par sa seule inertie. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé le Conseil d’État [6] relativement à ces textes, pour enjoindre au ministre de prendre l’arrêté ministériel attendu. Mais la Haute juridiction, en jugeant « que lorsqu’un décret pris pour l’application d’une loi renvoie lui-même à un arrêté la détermination de certaines mesures nécessaires à son application, cet arrêté doit également intervenir dans un délai raisonnable » semble avoir limité cette obligation au cas où l’arrêté est nécessaire à la mise en œuvre du décret. Et juge implicitement que l’arrêté ministériel d’application de l’article R. 331-24-1 est nécessaire à la mise en œuvre de cet article.

41La Cour de Lyon, se sentant probablement liée par ledit arrêt, qualifie l’arrêté de « nécessaire à la mise en œuvre de l’obligation d’évaluation des incidences ». Cette nécessité apparaît pourtant particulièrement discutable dès lors que l’article R. 331-24-1 prévoit une « évaluation des incidences sur l’environnement » ainsi que des « mesures préventives et correctives », l’évaluation pouvait parfaitement être faite autour de ces deux exigences. Il existe en effet des textes applicables qui ne sont pas plus précis en matière d’évaluation environnementale. C’est notamment le cas de l’article R. 151-1-3° du Code de l’urbanisme consacré aux évaluations environnementales des PLU au sein du rapport de présentation.

42Pour reprendre une autre formule du Conseil d’État, les dispositions de l’article R. 331-24-1 du Code de l’environnement paraissaient bien « suffisamment précises pour permettre leur entrée en vigueur immédiate » [7].

43S’agissant de l’évaluation d’incidences au titre de Natura 2000, son exigibilité ne faisait là pas de doute, alors même que l’article R. 414-23 du Code de l’environnement n’est pas plus précis que le texte du Code du sport : « exposé sommaire des raisons pour lesquelles la manifestation est ou non susceptible d’avoir une incidence sur un ou plusieurs sites Natura 2000 ». Mais assez curieusement, et sans motivation sur ce point, la Cour se refuse à vérifier le caractère suffisant de cette étude d’incidences, renvoyant de fait à l’autorité administrative le monopole de l’appréciation du caractère complet de l’étude. En définitive, l’on croit comprendre que la Cour s’interdit de censurer l’incomplétude de l’évaluation environnementale si l’autorité administrative n’a pas elle-même considéré que, contrairement aux conclusions de l’évaluation sommaire, la manifestation portait atteinte aux objectifs de conservation.

II – Quelle portée normative du document d’objectifs ?

44L’extrait de l’arrêt qui retiendra le plus l’attention du lecteur est relatif à la confrontation de l’autorisation de la manifestation sportive au document d’objectifs du site Natura 2000. Pour la Cour, « le document d’objectifs du site (…) dont les orientations sont à prendre en compte par l’autorité administrative dans son appréciation des atteintes susceptibles d’être portées à ce site… ».

45La Cour se montre particulièrement prudente sur la question. Elle exclut l’exigence d’un rapport de conformité comme d’un simple rapport de compatiblité. Encore ne juge-t-elle pas précisément que le préfet a omis de prendre en compte le document d’objectifs en délivrant l’autorisation. Le moyen retenu est différent, on l’a vu, et il ne s’agit ici que d’une formulation incidente qui fait écho toutefois au jugement confirmé du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand.

46Les juges de première instance avaient au contraire considéré que les « recommandations » du document d’objectifs « sont dépourvues de toute portée normative » avant toutefois de les prendre en compte, si l’on ose dire, dans « l’insuffisante appréciation des intérêts écologiques » faite par le préfet. Malgré une formulation divergente, les juges du fond sont en réalité d’accord entre eux : l’autorisation de manifestation sportive peut-être confrontée au document d’objectifs, mais la contradiction entre l’autorisation et le document d’objectifs ne saurait à elle seule justifier l’annulation de la première. Du point de vue de la protection des sites Natura 2000, il y a donc, au moins en apparence, un progrès entre la formulation négative du Tribunal, et l’énoncé positif de la Cour. Il nous paraît toutefois que la Cour aurait pu, et même aurait dû aller beaucoup plus loin. Les juges lyonnais paraissent en effet en retrait de l’unique arrêt du Conseil d’État [8] à s’être prononcé sur la portée normative des documents d’objectifs. Certes, cet arrêt ne consistait pas à examiner le rapport entre un acte administratif individuel et un document d’objectifs, mais se prononçait seulement sur la recevabilité d’un recours contre un arrêté préfectoral d’approbation d’un document d’objectifs. Pour admettre la recevabilité du recours, le Conseil d’État a reconnu qu’ « un document d’objectifs contient des dispositions susceptibles de produire des effets juridiques ». Certes le Conseil d’État se contentait de relever des effets juridiques à l’égard des contrats Natura 2000 et non d’actes unilatéraux tels qu’une autorisation. L’article L. 414-3 du Code de l’environnement mentionné par le Conseil d’État énonce que « le contrat Natura 2000 comporte un ensemble d’engagements conformes (sic) aux orientations et aux mesures définies par le document d’objectifs ». Mais, outre les effets juridiques relevés par le Conseil d’État, l’utilisation du mot « dispositions » doit retenir l’attention en ce qu’il est synonyme de « prescriptions ». Le document d’objectifs contient donc, selon le Conseil d’État, des prescriptions qui s’imposent aux contrats, mais pourquoi pas également aux actes unilatéraux.

47Il résulte en effet d’une lecture combinée des articles 1er a), 6 §1 et 2 et 8 §1 de la directive Habitats du 21 mai 1992 que les États membres sont tenus d’atteindre l’objectif de maintien ou d’amélioration de l’état de conservation des sites Natura 2000 sur leur territoire. On relève en particulier que les États ont l’« obligation » d’établir « les mesures de conservation nécessaires » impliquant « le cas échéant les mesures réglementaires appropriées ». Obligation encore de « maintenir ou rétablir les habitats naturels », obligation enfin de « prendre les mesures appropriées pour éviter la détérioration des habitats naturels ».

48Comme toute directive, la directive Habitats fixe donc des objectifs impératifs à atteindre en laissant aux États une certaine liberté de moyens. Il est permis de retenir simplement de ce qui précède une obligation incombant aux États de maintenir ou rétablir un état de conservation favorable.

49Comment atteindre effectivement cette obligation ? La France a choisi de doter chaque site Natura 2000 d’un document d’objectifs qui comporte notamment « les objectifs (…) permettant d’assurer la conservation et s’il y a lieu la restauration des habitats naturels » (R. 414-12-2° du Code de l’environnement). Il se déduit simplement et certainement de l’articulation de la directive et de ses textes de transposition que l’objectif impératif de conservation est déterminé par les documents d’objectifs. Il en résulte que les objectifs et orientations formulés dans le document d’objectifs ont nécessairement un caractère impératif.

50La Cour administrative d’appel de Lyon n’aurait donc pas dû se contenter de relever une modeste obligation de prise en compte, c’est une obligation de conformité qui s’impose, ou à tout le moins de compatibilité.

51Cette affirmation n’est nullement excessive ou audacieuse. En effet le Commissaire du gouvernement M. Guyomar concluait devant le Conseil d’État que « les sites Natura 2000 sont désormais dotés d’une existence juridique en droit interne, ce qui les rend opposables aux tiers », insistant en indiquant que « certains éléments sont directement opposables aux administrés », concluant sur ce point après une démonstration convaincante qu’« il s’agit, à notre sens, d’un acte de caractère réglementaire » [9].

52Le caractère normatif et réglementaire est donc acquis in abstracto au minimum pour la partie 2° (R. 414-11 du Code de l’environnement) du document d’objectifs (il va de soi par exemple que la partie 1° « rapport de présentation » n’a pas la même portée normative).

53Le problème en la matière est lié à l’examen in concreto de ces documents d’objectifs. Leur rédaction est en effet le plus souvent confiée à des bureaux d’études scientifiques ne procédant pas à une telle analyse juridique, et sous l’autorité des départements ne souhaitant vraisemblablement pas reconnaître une portée réglementaire à ces documents. Les objectifs de conservation ne sont donc malheureusement pas rédigés sous forme prescriptive et encore moins sous forme d’articles successifs dont la portée normative serait visible immédiatement.

54Ainsi, bien que les documents d’objectifs soient d’imposants documents composés parfois de plusieurs centaines de pages, ce n’est sans doute pas un hasard si la Cour lyonnaise ne fait qu’une seule citation dudit document : « la pratique des sports motorisés terrestres de ce type semble incompatible avec la volonté de préservation du site ». Et même pour cette formule, en raison notamment du choix maladroit du verbe « sembler », il faut faire un effort pour lui trouver une forme prescriptive.

55Ainsi, c’est la forme rédactionnelle descriptive, indicative ou incitative le plus souvent utilisée, qui conduit à occulter la nature juridique effective du document réglementaire. Le problème n’est donc pas la portée normative limitée du document, mais la mauvaise qualité rédactionnelle (juridiquement parlant) des documents d’objectifs.


Date de mise en ligne : 19/03/2019

Notes

  • [1]
    Dans les affaires citées ci-dessous, les délais entre l’autorisation et la manifestation étaient respectivement de 1 et 4 jours.
  • [2]
    TA Clermont-Ferrand, 17 décembre 2015, Association Fédération Allier Nature, n° 1401577, inédit, aimablement communiqué par Me Busson.
  • [3]
    CAA Douai, 18 janvier 2005, Ass. Le moto-club des sables, n° 03DA00361, AJDA 2005, p. 1060 avec conclusions contraires.
  • [4]
    CAA Marseille, 22 novembre 2011, Ass. les grands randonneurs motorisés, n° 09MA02823.
  • [5]
    CE, 28 juillet 2000, Ass. France-Nature-Environnement, n° 204024, Rec., p. 322 ; RFDA 2003-1, p. 116.
  • [6]
    CE, 16 octobre 2015, Fédération Allier Nature, n° 384650.
  • [7]
    CE, 28 juillet 2004, FNAUT, n° 252670, RFDA mars 2015, p. 364.
  • [8]
    CE, 19 juin 2006, FDSEA de la Vendée, n° 266435 ; AJDA 2006, p. 2015.
  • [9]
    Conclusions M. Guyomar sur CE, 19 juin 2006, précité ; BJCL 2006, p. 481.

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