Couverture de RJE_191

Article de revue

La compensation écologique comme mécanisme de droit analogiste

Pages 115 à 144

Notes

  • [1]
    Article L. 110-1 C. env. (1ère partie).
  • [2]
    Article L. 110-1 C. env. (2ème partie).
  • [3]
    La compensation était déjà prévue en matière de défrichement (article L. 341-6 du Code forestier), de destruction de zones humides (article R. 214-6, II C. env.), d’atteinte aux objectifs de conservation d’un site Natura 2000 (article L. 414-4, VII C. env.) et d’atteinte aux continuités écologiques résultant des plans et projets publics (articles L. 371-2 et L. 371-3 C. env.). Nous en resterons à la compensation écologique au sens du chapitre III du titre VI du livre 1er C. env. Pour une étude plus générale, voir P. Steichen, « La compensation préalable des atteintes à la biodiversité dans le cadre des projets d’aménagement. Biodiversité protégée et biodiversité ordinaire : deux poids, deux mesures ? », à paraître dans cette revue.
  • [4]
    I. Doussan, « Compensation écologique : le droit des biens au service de la création de valeurs écologiques et après ? », in S. Vanuxem et C. Guibet Lafaye (dir.), Repenser la propriété, un essai de politique écologique, PUAM, 2015, p. 99-113, spéc. p. 99.
  • [5]
    Le chapitre III du titre VI du livre 1er.
  • [6]
    Article L. 163-3 C. env.
  • [7]
    Voir l’article L. 163-1 I, alinéa 1, C. env.
  • [8]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité : de l’utilité technique d’un dispositif éthiquement contestable », Revue de Droit Immobilier, 2016, p. 586.
  • [9]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité… », loc. cit. Voir aussi A. Van Lang, « La loi Biodiversité du 8 août 2016 : une ambivalence assumée. Le droit nouveau : la course à l’armement (1ère partie) », AJDA, 2016, p. 2381 ; J.-Marc Pastor, « Le point final des députés au projet de loi Biodiversité », Dalloz, 2016, p. 1476.
  • [10]
    M.-P. Camproux-Duffrène, « Le marché d’unités de biodiversité : questions de principe », RJE, 2008, p. 87.
  • [11]
    Un opérateur de compensation « est une personne publique ou privée chargée, par une personne soumise à une obligation de mettre en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité, de les mettre en œuvre pour le compte de cette personne et de les coordonner à long terme » (article L. 163-1 III C. env.).
  • [12]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité… », loc. cit. ; M.-P. Camproux-Duffrène, loc. cit.
  • [13]
    Voir l’opération Cossure, dans la plaine de Crau, réalisée par la CDC-Biodiversité pour la création d’une Réserve d’Actifs Naturels, désormais appelée Site Naturel de Compensation. Depuis 2011, plusieurs aménageurs redevables d’actions de compensation en plaine de Crau auraient, ainsi, souscrit l’acquisition d’unités de compensation Cossure (http://www.cdc-biodiversite.fr).
  • [14]
    Voir les décrets d’application n° 2017-264 et 2017-265 du 28 février 2017 relatifs à l’agrément des sites naturels de compensation.
  • [15]
    Voir Trésor de la langue française.
  • [16]
    Jean Svalgelski, L’idée de compensation en France 1750-1850, préface de François Dagognet, éd. L’Hermès, 1981, p. 10.
  • [17]
    Michel Foucault, Les mots et les choses [1966], Paris, Gallimard, 2002, p. 32-59.
  • [18]
    Ibid., p. 33-34.
  • [19]
    Ibid., p. 34-35.
  • [20]
    Voir le texte d’une conférence donnée à Marseille le 24 octobre 2018 et à paraître sur le site d’Opera mundi.
  • [21]
    Foucault, op. cit., p. 36-37.
  • [22]
    La quatrième forme de relations, présentée par Foucault, « est assurée par le jeu des sympathies ».
  • [23]
    Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005, Nrf.
  • [24]
    Pour Michel Villey (La formation de la pensée juridique moderne, PUF, 2003), la pensée juridique moderne naît avec le concept de droit subjectif, lequel aurait son origine dans le Léviathan publié en 1651, de Thomas Hobbes.
  • [25]
    Pour reprendre l’expression de Yan Thomas, « Res, chose et patrimoine (Note sur le rapport sujet-objet en droit romain) », Archives de philosophie du droit, 1980, tome 25 : la Loi, p. 413- 426, spéc., p. 418-419.
  • [26]
    E. Conte, « Affectation, gestion, propriété. La construction des choses en droit médiéval », in Aux origines des cultures juridiques européennes. Yan Thomas entre droit et sciences sociales, études réunies par P. Napoli, École française de Rome, 2013, voir spéc. p. 81, p. 83-85.
  • [27]
    Voir infra note 50.
  • [28]
    Émile Durkheim, Leçons de sociologie, Physique des mœurs et du droit, 1950, p. 144 à 259 (11ème à 17ème leçons).
  • [29]
    Ibid., p. 188.
  • [30]
    Ibid., p. 170.
  • [31]
    Ibid., p. 174.
  • [32]
    Ibid., p. 178-179, renvoyant à Manou – VIII, 245.
  • [33]
    Ibid., p. 183.
  • [34]
    Article L. 163-1 I. C. env.
  • [35]
    Sur le sujet connexe des services écologiques, voir V. Maris, Nature à vendre : les limites des services écosystémiques, Quæ, 2014.
  • [36]
    Voir sur ce point, E. de Mari et D. Taurisson-Mouret, L’empire de la propriété. L’impact environnemental de la norme en milieu contraint II, Victoires éditions, 2016.
  • [37]
    Durkheim, op. cit., p. 184.
  • [38]
    Henri Lévy-Bruhl, « E. Durkheim, Leçons de Sociologie. Physique des mœurs et du droit », Revue internationale de droit comparé, 1953, p. 612-614.
  • [39]
    Durkheim, op. cit., p. 184.
  • [40]
    Depuis la loi du 8 août 2016, la compensation écologique participe explicitement des moyens de prévention des dommages à l’environnement (voir l’article L. 110 I C. env.).
  • [41]
    Ph. Descola, op. cit., p. 317.
  • [42]
    Durkheim, op. cit., p. 198.
  • [43]
    David Graeber, Dette. 5000 ans d’histoire, 2011, traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise et Paul Chemla, Babel essai, 2013, p. 75.
  • [44]
    L’article L. 163-5 C. env. dispose que « les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité » sont « géolocalisées et décrites dans un système national d’information géographique ».
  • [45]
    Durkheim, op. cit., p. 184-185.
  • [46]
    I. Doussan, « Compensation écologique : le droit des biens au service de la création de valeurs écologiques et après ? », in S. Vanuxem et C. Guibet Lafaye (dir.), op. cit.. Cass. 3ème civ., 31 octobre 2012, n° 11-16304 ; M. Mekki, « Les virtualités environnementales du droit de jouissance spéciale », RDC, 1-2014, p. 105 et s. Article L. 132-3 alinéa 2 : « les obligations réelles environnementales peuvent être utilisées à des fins de compensation »
  • [47]
    Ph. Descola, op. cit., reprenant Lévi-Strauss, p. 318-319.
  • [48]
    Romain Simenel et al., « Cairn, borne ou belvédère ? Quand le naturalisme et l’analogisme négocient la limite entre espace cultivé et forêt au Maroc », Anthropologica, vol. 58, n° 1, 2016, p. 60-76.
  • [49]
    Communication du 28 novembre 2018 à Paris, AFD, lors d’une journée d’étude sur les Communs, organisée par Julie Trottier.
  • [50]
    Gérard Chouquer, « Les transformations récentes de la centuriation. Une autre lecture de l’arpentage romain », Annales. Histoire, Sciences sociales, 2008/4 (63ème année), p. 847-874, spécialement p. 866-867. Ibid : « l’espace antique est un espace multipolaire, fondé sur une vision analogique du monde et produit par les réalités du communautarisme. Dans l’Antiquité, la diversité, l’inégalité et même l’irréductibilité des êtres sont conçues comme la base de l’ontologie et ces qualités ne posent pas de problèmes en elles-mêmes. Pour un homme de l’Antiquité, la question immédiate sera de savoir par quels liens il peut relier les existants les plus divers en un enchaînement qui, de proche en proche, rétablisse la continuité. D’où l’obsession des correspondances entre les êtres, et notamment de l’homme et du cosmos. » (renvoi à Ph. Descola, op. cit., p. 287). Pour la Mésopotamie et l’analogisme, voir Jean-Jacques Glassner, « Essai pour une définition des écritures », L’Homme [En ligne], 192 | 2009, mis en ligne le 22 octobre 2011, consulté le 6 janvier 2017. URL : http://lhomme.revues.org/22268 ; DOI : 10.4000/lhomme.22268.
  • [51]
    Lévy-Bruhl, loc. cit., p. 612-614.
  • [52]
    Voir Marthe Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, université de Strasbourg, thèse soutenue en 2012.
  • [53]
    Article L. 163-1 I, alinéa 2, C. env. : les mesures de compensation « doivent se traduire par une obligation de résultats (…) ».
  • [54]
    Article L. 163-1 III C. env.
  • [55]
    Voir le Dictionnaire de l’Académie française dans ses dernières éditions (8ème et 9ème éditions).
  • [56]
    Voir le Trésor de la langue française.
  • [57]
    Depuis la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, l’antichrèse se nomme « gage immobilier » (voir l’article 10 de ladite loi).
  • [58]
    C’est nous qui soulignons.
  • [59]
    Comp. avec l’arrêt du 18 décembre 2002 à l’origine de l’article 2390 du Code civil et validant le montage de l’antichrèse-bail. Civ. 3e, 18 décembre 2002, n° 01-12.153, Bull. civ. III, n° 261 ; D. 2003. Somm. 491, obs. Avena-Robardet ; D. 2003. 963, note Delebecque ; JCP 2003. II. 10024, avis Guérin et note Picod ; JCP 2003. I. 124, n° 12, obs. Delebecque ; Banque et Droit, mars-avr. 2003, p. 54, obs. Rontchevsky ; RTD civ. 2003. 327, obs. Crocq , et, p. 319, obs. Revet ; cassant Papeete, 11 avril 2001, JCP 2002. II. 10004, note Picod, et 2002. I. 120, obs. Delebecque.
  • [60]
    Stéphane Piedelièvre, « Gage immobilier », Répertoire de droit civil, septembre 2011, § 16.
  • [61]
    Alain Fournier, « Hypothèque conventionnelle », Répertoire de droit immobilier, avril 2007.
  • [62]
    Comp., François-Louis Galliard, Acte public pour la licence présenté à la faculté de droit de Strasbourg, 1856, p. 41 : « L’antichrèse est un contrat par lequel le débiteur ou un tiers met le créancier en possession d’un immeuble avec l’autorisation d’en percevoir les fruits pour les imputer annuellement sur les intérêts et ensuite sur le capital, ou simplement sur le capital, quand la créance n’est pas productive d’intérêts » (renvoyant à Aubry et Rau, § 436). Surtout, G. Baudry-Lacantinerie et P. de Loynes, Traité théorique et pratique. Droit civil. Du nantissement. Des privilèges et hypothèques et de l’expropriation forcée, tome 1er, 1895, L. Larose, p. 126, n° 171 : « comme le gage, l’antichrèse peut être constituée soit par le débiteur, soit par un tiers dans l’intérêt du débiteur (art. 2077 et 2090) », § 517. En ce sens encore, M. Troplong, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du code. Du nantissement, du gage et de l’antichrèse ; commentaire du titre XVII, livre III, du code civil, tome 19ème, Paris, Charles Hingray, 1847, § 524 p. 48 : « L’antichrèse peut être constituée par celui qui a droit aux fruits ».
  • [63]
    Désormais appelée « gage immobilier » (voir supra note 57).
  • [64]
    Marcel Planiol, Traité élémentaire de droit civil conforme au programme officiel des facultés de droit, 9ème éd., LGDJ/R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1922-1924, p. 789-792.
  • [65]
    Ibid.
  • [66]
    À la différence, par exemple, de l’Allemagne ou de l’Angleterre. Voir Planiol, op. cit., p. 789-792 ; Robert Génestal, Rôle des monastères comme établissements de crédit étudié en Normandie du XIe à la fin du XIIIe siècle, A. Rousseau, 1901, p. 3.
  • [67]
    Alexandre III fut pape de 1159 à 1181. Voir Ernest Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, tome 7, éd. F. Pichon, 1887-1903, p. 666-667 ; Planiol, op. cit., p. 789-792 ; Frédéric Peltier, Droit romain : de la Caution "praedibus praediisque". Droit français : du Gage immobilier dans le très ancien droit français, Thèse pour le doctorat, Éd. A. Rousseau, 1893, p. 195-197.
  • [68]
    Troplong, op. cit., p. 123-125, § 165-166.
  • [69]
    Ibid., p. 472-473, § 511-512.
  • [70]
    Baudry-Lacantinerie et de Loynes, op. cit., p. 123-125.
  • [71]
    Voir supra notre introduction ; article L. 110-1 C. env.
  • [72]
    Charles Thellier de Poncheville, Du contrat d’emmortgagement, ou vente à titre de mortgage, usité autrement dans le pays de St-Amand, éd. G. Giard, 1878, p. 7.
  • [73]
    Adhémar Esmein, Études sur les contrats dans le très ancien droit français, Éd. L. Larose et Forcel (Paris), 1883, p. 162-163.
  • [74]
    Frédéric Peltier, op. cit., p. 193 ; « Vif gage est qui s’acquitte de ses issues ; mort gage est qui de rien ne s’acquitte » (Loysel).
  • [75]
    Troplong, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du code. Du nantissement, du gage et de l’antichrèse ; commentaire du titre XVII, livre III, du code civil, tome 19ème, Charles Hingray, 1847, § 23.
  • [76]
    Également parce que les prescriptions canoniques défendaient « au créancier de retenir la chose engagée en paiement, si la dette n’était pas payée à l’échéance » (Ambroise Colin et Henri Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, tome 3, Dalloz, 1931, p. 362).
  • [77]
    Ernest Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, tome 7, Éd. F. Pichon (Paris) Date d’édition : 1887-1903, p. 666-667.
  • [78]
    Génestal, op. cit., p. 2.
  • [79]
    Les prohibitions canoniques eurent raison des habitudes populaires et l’antichrèse subit par ailleurs la concurrence de l’hypothèque. Planiol, op. cit., p.792 : « L’antichrèse est rare ; les notaires ne la conseillent guère ; mais il paraît que, dans les environs de Paris, ce contrat qu’on croyait mort reçoit des applications nombreuses ». Troplong, op. cit., § 23 : « L’antichrèse, sans être tombée en désuétude, tant s’en faut, est cependant moins fréquente qu’autrefois ».
  • [80]
    Troplong, op. cit., p. 455-461.
  • [81]
    Charles Brindejonc, Thèse pour la licence. Droit français. Code napoléon. Du nantissement, Nantes, Imprimerie de Vincent Forest, 1855, p. 8.
  • [82]
    Jean-Baptiste Chevallier, Du cautionnement conventionnel d’après le droit romain, l’ancien droit français, le Code civil, le Code de commerce, thèse pour le doctorat, H. Plon (Paris), 1873 p. 205.
  • [83]
    Employée à des fins usuraires, l’antichrèse avait d’ailleurs déjà causé le désespoir de quelques débiteurs puisque bien avant que l’église ne s’en émeuve et « prenant en considération l’état des agriculteurs dans les provinces de la Thrace », Justinien « avait défendu aux créanciers de faire des contrats d’antichrèse avec eux ». M. Troplong, op. cit, § 500.
  • [84]
    Brindejonc, op. cit, p. 10.
  • [85]
    Planiol, op. cit., p.789-792.
  • [86]
    Baudry-Lacantinerie et de Loynes, op. cit., § 164. M. Troplong, op. cit., 1847, § 18.
  • [87]
    Baudry-Lacantinerie et de Loynes, op. cit., p. VII.
  • [88]
    Eugène Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession, et leurs transmissions en droit égyptien, comparé aux autres droits de l’antiquité, 1897, p. 166.
  • [89]
    Revillout, La Créance et le droit commercial dans l’antiquité, leçons professées à l’École du Louvre, E. Leroux (Paris), 1897, p. 249.
  • [90]
    Ibid., p. 246 ; Revillout, Notice des papyrus démotiques archaïques et autres textes juridiques ou historiques, traduits et commentés à ce double point de vue, à partir du règne de Bocchoris jusqu’au règne de Ptolémée Soter, avec une introduction complétant l’histoire des origines du droit égyptien, J. Maisonneuve, 1896, p. 254.
  • [91]
    Revillout, La Créance et le droit commercial…, op. cit., p. 246, p. 253 ; Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession…, op. cit., p. 19, p. 356 ; Revillout, Notice des papyrus…, op. cit., p. 327-328, p. 330, p. 352.
  • [92]
    Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession…, op. cit., p. 326.
  • [93]
    Ibid., p. 334.
  • [94]
    E. Conte, loc. cit.
  • [95]
    Esmein, op. cit., p. 163.
  • [96]
    Planiol, op. cit., p.792.
  • [97]
    À supposer que cette piste mérite d’être suivie, encore faudrait-il observer les différences entre les divers droits antiques. Révillout note ainsi que « les principes du droit, tels que les comprenaient les Egyptiens et même les Romains de la grande époque, n’étaient nullement les principes de l’économie politique libre échangiste des Chaldéens » (Revillout, Notice des papyrus…, op. cit., p. 330). Il ne faudrait pas manquer de voir aussi qu’en dépit de l’inaliénabilité de la propriété foncière, les techniques juridiques, telle l’antichrèse, conduisaient paradoxalement à une grande mobilisation des terres (Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession… op. cit., p. 165).
  • [98]
    Revillout, Notice des papyrus…, op. cit, p. 254.
  • [99]
    Revillout, La Créance et le droit commercial…, op. cit., p. 247-248.
  • [100]
    Ibid., p. 246-247. Revillout, Notice des papyrus…, op. cit., p. 254.
  • [101]
    Usuraire, par hypothèse, sans quoi il ne s’agirait pas d’un contrat aléatoire. Car un contrat aléatoire est un « contrat à titre onéreux dans lequel l’existence ou la valeur d’une prestation n’est pas connue au moment de sa formation, parce qu’elle dépend d’un évènement futur et incertain (ex : contrat de rente viagère), ce qui laisse à chacune une chance de gain ou un risque de perte » (Th. Debard et S. Guichard (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2013).
  • [102]
    Chevallier, op. cit., p. 205.
  • [103]
    D. Graeber, op. cit., p. 51, sur la période mésopotamienne : « on voit aisément que la "monnaie" ici n’est en rien le produit de transactions commerciales. Elle a été en réalité créée par des fonctionnaires pour garder trace des ressources et déplacer des choses entre des services. Les fonctionnaires des temples utilisaient ce système pour calculer les dettes (…) en argent métal. Néanmoins (…) si les dettes étaient calculées en argent, elles n’avaient pas été payées en argent – en fait on pouvait les payer avec pratiquement tout ce dont on disposait » et p. 310-311, sur la période médiévale : « il nous faut supposer que, dans la plupart des cas, la monnaie est une unité de compte : ce qui fait réellement l’objet de transaction, ce sont des animaux, du blé, de la soie, du beurre, des fruits, et tous les autres produits pour lesquels les taux d’intérêts appropriés sont précisés si minutieusement dans les choses juridiques de l’époque ». Voir aussi K. Polanyi, C. M. Arensberg, H. W. Pearson, Commerce et marché dans les premiers empires. Sur la diversité des économies, 1957, Le bord de l’eau, 2017, p. 92-84.
  • [104]
    Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession…, op. cit., p. 19.
  • [105]
    Article L. 163-1 II C. env.
  • [106]
    Article D. 163-4 C. env.
  • [107]
    Article L. 163-3 C. env.
  • [108]
    Dominique Charpin, La vie méconnue des temples mésopotamiens, Collège de France, Les Belles Lettres, 2017, p. 64.
  • [109]
    Ibid., p. 65-68.
  • [110]
    Ibid., p. 106, p. 130.
  • [111]
    Ibid., p. 26-30.
  • [112]
    Pour reprendre l’intitulé de la loi du 8 août 2016.
  • [113]
    David Graeber, op. cit., p. 263.
  • [114]
    Ibid., p. 215-216.
  • [115]
    Ibid., p. 81-82.
  • [116]
    Ibid., p. 50.
  • [117]
    E. Conte, loc. cit., p. 73-86.
  • [118]
    Article D. 163-3 C. env.
  • [119]
    Article R. 163-2, alinéa 1 et 2, C. env.
  • [120]
    Article D. 163-9 C. env.
  • [121]
    Article L. 163-1 I, alinéa 2, C. env.
  • [122]
    Article D. 163-5 C. env.
  • [123]
    Voir supra l’introduction.
  • [124]
    E. Conte, loc. cit., p. 85-86.
  • [125]
    Créé par le décret n° 2017-265 du 28 février 2017.
  • [126]
    E. Conte, loc. cit., p. 85.
  • [127]
    L’article D. 163-4 C. env. prévoit que l’agrément de « sites naturels » mentionne « la localisation du site et les références des parcelles cadastrales concernées ».
  • [128]
    Voir supra, note 20.

1« Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation » [1]. « Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu’ils fournissent » s’inspirent de plusieurs principes, énonce le premier article du Code de l’environnement. Au nombre de ces principes, celui de prévention « implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées » [2]. Le triptyque ERC – éviter, réduire, compenser – dessine un arbre des actions à mener afin d’atteindre cet objectif : « l’absence de perte nette de biodiversité », voire l’obtention d’un « gain de biodiversité ».

2Le troisième procédé, consistant à autoriser une activité préjudiciable pour l’environnement sous condition de compenser les dommages produits, date de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature [3]. Il demeura néanmoins inappliqué jusqu’au Grenelle de l’environnement, lequel fut l’occasion d’un renforcement des textes réglementaires l’instituant et d’une publication, par le ministère de l’Écologie, de lignes directrices lui réservant une belle place [4]. Avec la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, la compensation accède au rang de moyen permettant la mise en œuvre du principe directeur de prévention. Un chapitre du Code de l’environnement lui est même consacré [5]. Il y est rappelé que la compensation ne saurait se « substituer aux mesures d’évitement et de réduction », c’est-à-dire qu’elle ne doit être mise en œuvre qu’à défaut de pouvoir éviter et réduire les atteintes à la biodiversité. Il est souligné que dans l’hypothèse où ces atteintes ne sauraient être « ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante », les travaux ou ouvrages envisagés ne peuvent être autorisés, et précisé que les mesures, éventuellement prises, de compensation « doivent se traduire par une obligation de résultats ».

3Nonobstant ces exigences, l’idée même de compensation se trouve critiquée : n’octroierait-elle pas un droit de détruire la biodiversité moyennant quelque compensation ? De fait, la compensation prétend apporter une contrepartie à de futurs dommages environnementaux par le remplacement d’animaux, végétaux ou minéraux, irrémédiablement perdus, par d’autres entités biologiques, à produire. Elle repose sur cette idée que les « éléments de biodiversité [6] » peuvent être substitués les uns aux autres, qu’ils sont commutables et, partant, fongibles. Sans doute, les mesures de compensation doivent-elle être réalisées « dans le respect de leur équivalence écologique » [7], de sorte que « les actions n’ayant aucun rapport direct avec les impacts causés » [8] ne sauraient compter. Cependant, nul n’ignore que l’équivalence parfaite entre les éléments détruits et créés ne peut être atteinte, dès lors qu’aucun écosystème ne peut être reconstitué à l’identique [9]. Certains estiment, alors, que cette compensation par anticipation des préjudices écologiques repose sur la négation du fonctionnement des écosystèmes et de la spécificité de chacun d’eux, et qualifient l’objectif de perte nette de biodiversité de « contre-vérité » ou de « contresens écologique et juridique » [10].

4Les critiques adressées à la compensation ne visent pas seulement son principe. Elles portent aussi sur sa mise en œuvre : l’article L. 163-1 II du Code de l’environnement prévoit qu’une personne soumise à une obligation de compensation peut s’exécuter soit directement, soit par l’intermédiaire d’un dénommé opérateur de compensation [11], soit par l’acquisition d’unités de compensation, dans le cadre d’un site naturel de compensation préalablement agréé par l’État, soit, enfin, par le jeu combiné de ces différentes modalités de compensation. Or, le troisième mode d’exécution : l’acquisition d’unités de compensation, nourrit de vives discussions. Ouvrant la voie à « l’institutionnalisation d’échanges marchands entre les débiteurs de ces obligations de compensation et différents acteurs », le mécanisme participerait d’un mouvement de marchandisation de la nature. En consacrant « juridiquement le marché d’unités de biodiversité », cette nouvelle possibilité signerait « définitivement une conception économique et utilitaire de la nature ». Elle transformerait la biodiversité en « un véritable bien, objet de mécanismes d’échange et de compensation » [12]. Du reste, le procédé n’est pas nouveau : en agréant des sites naturels, l’État français poursuit la politique menée par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), laquelle a créé, dès 2008, une filiale spécialisée, la CDC Biodiversité, et lancé un fonds de compensation pour la biodiversité [13]. Ce faisant, la CDC a elle-même pris exemple sur les fonds pratiquant la compensation bancaire aux États-Unis. À telle enseigne que les sites naturels de compensation furent d’abord nommés réserves d’actifs naturels [14]. Et si cette dernière expression a été abandonnée, en raison de son fort accent bancaire, le changement de dénomination ne saurait faire oublier que l’achat d’unités de compensation doit permettre à l’économie de venir « au secours de la biodiversité » en créant une « offre de compensation », selon les termes mêmes du ministère de l’Écologie.

5Il est donc indéniable que la compensation écologique peut être regardée comme un vecteur de financiarisation de la nature. Selon toute évidence, le mécanisme juridique est issu de l’économie néolibérale. Il nous semble pourtant que la compensation écologique peut être regardée autrement, comme relevant d’une autre logique et, plus précisément, d’une logique analogiste. La proposition mérite assurément explication. Tout d’abord, la compensation écologique peut être dite analogiste en un sens commun, usuel. L’analogie signifie, en effet, un « rapport de ressemblance, d’identité partielle entre des réalités différentes préalablement soumises à comparaison » et, plus exactement, en mathématiques, une « proportion » ou « identité de deux rapports » [15]. Or la condition d’équivalence écologique, posée à l’article L. 163-1 du Code de l’environnement, suppose que les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité, faites sur un fonds, équivalent les mesures de compensation écologique prises sur une partie du même fonds ou sur un autre fonds. Ce qui compte est que le degré d’endommagement écologique d’un terrain soit identique au degré d’amélioration écologique d’un autre terrain. « La logique de la compensation est une logique analogique » [16], confirme Jean Svalgelski avant de préciser : « une analogie implique une relation entre quatre termes qui sont entre eux comme ils sont ensemble, leur somme restant la même ». Et s’il est vrai que « de ces quatre termes, deux sont en général occultés », il n’en demeure pas moins « nécessaire de les rendre visibles pour comprendre le fonctionnement de l’idée de compensation », poursuit le philosophe. De fait, la compensation écologique suppose quatre termes : le premier terme est le terrain sur lequel doivent être réalisés des ouvrages ou travaux, soit le fonds destinataire d’actions attentatoires à la biodiversité dans son état initial, c’est-à-dire avant la réalisation de ces dernières. Le deuxième terme est ce même fonds, mais envisagé dans un état ultérieur, tel qu’il devrait être, en termes de biodiversité, une fois que les travaux ou ouvrages projetés auront été réalisés. Le troisième terme est cet autre terrain, affecté à la biodiversité (et qui peut être partie ou non du premier fonds), compris dans son état initial, c’est-à-dire avant que des mesures de compensation n’aient été prises. Le quatrième terme est ce second terrain, dédié à la compensation, mais tel qu’il devrait être, en termes de biodiversité, après que les mesures de compensation auront été prises. Ainsi, le mécanisme de la compensation écologique autorise à poser une équivalence entre deux rapports : le rapport entre le premier et le deuxième desdits termes, d’une part, le rapport entre le troisième et le quatrième desdits termes, d’autre part.

6Nous en arrivons à cet autre sens en lequel la compensation écologique peut être dite analogiste : celui que Michel Foucault donne à l’analogie dans Les mots et les choses[17]. Dans le chapitre intitulé La prose du monde, Michel Foucault décrit quatre formes de relations entre les choses présidant à l’âge classique. La première forme de relations est la convenientia. Sont « convenantes » les choses qui se jouxtent ; celles dont les franges se mêlent, dont les bords se touchent ; celles qui sont géographiquement situées à proximité. Ces choses-là, écrit Foucault, se ressemblent car « la nature » les a placées, situées dans un même lieu, et parce que naissent, de leur contact, de « nouvelles ressemblances » si bien qu’un « régime commun s’impose » [18]. Sur le terrain juridique, la convenance évoque les relations de voisinage entre des choses géographiquement proches et nous renvoie au titre du Code civil consacré aux servitudes et services fonciers. La deuxième forme de relations décrites dans La prose du monde est l’aemulatio, soit « une sorte de convenance », mais qui « serait affranchie de la loi du lieu », et qui « jouerait, immobile, dans la distance. Un peu comme si la connivence spatiale avait été rompue et que les anneaux de la chaîne, détachés, reproduisaient leurs cercles, loin les uns des autres, selon une ressemblance sans contact » [19]. En droit, la notion de services écologiques, l’obligation réelle environnementale ou le principe de solidarité écologique peuvent être regardés comme des innovations consistant à mettre en rapport des « choses dispersées à travers le monde », mais susceptibles d’être jumelées ou mises en « miroir » [20]. L’analogie est la troisième forme de relations entre les choses, décrite par Foucault. En elle, « se superposent convenientia et aemulatio ». Comme celles-ci, l’analogie « assure le merveilleux affrontement des ressemblances à travers l’espace ; mais elle parle, comme celle-là, d’ajustements, de liens et de jointure. Son pouvoir est immense, observe Foucault, car les similitudes qu’elle traite ne sont pas celles, visibles, massives, des choses elles-mêmes ; il suffit que ce soient les ressemblances plus subtiles des rapports » [21]. Or, la compensation écologique repose sur une ressemblance, et postule même une équivalence, entre deux rapports : celui existant entre un fonds avant et après déperdition de biodiversité, d’une part, celui existant entre un autre fonds (ou partie du premier fonds) avant et après enrichissement de biodiversité, d’autre part. Il faut que la proportion de gain de biodiversité sur un terrain soit au moins égale, et si possible supérieure, à la proportion de perte de biodiversité sur un autre terrain [22].

7Que la compensation écologique puisse être rapprochée de l’analogie en un sens foucaldien a son importance. Car La prose du monde est le principal texte auquel se réfère Philippe Descola pour expliciter l’ontologie analogiste en Europe. Là encore quelques précisions s’imposent : dans Par-delà nature et culture[23], l’anthropologue repère différentes manières de vivre la condition humaine. Face à un être non-humain, énonce-t-il, l’être humain né et vivant en occident après la Renaissance a tendance à penser que cet autre existant possède des éléments de physicalité semblables à lui, et des éléments d’intériorité distincts de lui. En général, l’humain occidental reconnaît volontiers aux non-humains des caractéristiques morphologiques et physiologiques comparables à celles des humains, mais leur dénie une même intentionnalité, subjectivité et capacité de réflexion, une même aptitude à signifier, rêver ou être affecté. Cette disposition à l’égard des êtres végétaux, minéraux ou animaux conduit à vivre la condition humaine d’une manière que Philippe Descola qualifie de naturaliste. Parce que le naturalisme désigne l’ontologie typique des humains occidentaux à l’époque moderne, nous pouvons supposer que la conception juridique occidentale moderne réitère cette césure entre les humains et les non-humains. Et, en effet, la summa divisio des choses et des personnes, sur laquelle est censée reposer toute notre tradition civiliste, invite à considérer les non-humains, qualifiés de choses, sous leur seul aspect visible et tangible, tels des res extensa, et les humains, qualifiés de personnes, comme des entités privilégiées car douées ou dotées d’une libre volonté. Cependant, le naturalisme ne constituerait pas la seule manière de vivre la condition humaine. Le professeur repère trois autres modes : l’animisme, le totémisme et l’analogisme. Dans ce dernier mode, les humains sont portés à penser que les autres êtres, humains et non-humains, sont dotés d’une intériorité et d’une physicalité distinctes des leurs. En ce monde de singularités, formé d’existants doublement dissemblables les uns des autres, « le recours à l’analogie intervient comme une procédure compensatoire d’intégration permettant de créer en tous sens des tresses de solidarité et des liens de continuité », avance Philippe Descola. De même, le mécanisme de compensation écologique pourrait-il créer « des tresses de solidarité » et « des liens de continuité » entre des fonds distincts, entre des fonds endommagés et des fonds protégés.

8Certes éloigné de la technique juridique, le renvoi à Michel Foucault et Philippe Descola peut surprendre. Mais l’on peut y voir une invite à l’étude de l’histoire du droit. Car la description foucaldienne des relations entre les choses concerne le 16ème siècle, soit une époque précédant le subjectivisme juridique, -i.e. antérieure à la conception moderne du droit, laquelle repose sur le concept de droit subjectif [24] et la « confrontation du libre vouloir et de l’objet » [25]. L’ontologie analogiste correspondrait d’ailleurs, selon Philippe Descola, à celle des occidentaux jusqu’à la fin de la Renaissance. La question qui se pose est alors la suivante : en répondant à une logique analogiste, la compensation écologique ne réitérerait-elle pas, avec d’autres innovations du droit de l’environnement, une manière non moderne de penser, qui ne serait pas fondée sur la figure du sujet de droit, mais articulée autour des choses du droit ? En ce sens, Emanuele Conte enseigne que l’âge juridique médiéval se caractérise par une « quête de stabilité » s’exprimant « dans la relation entre choses » et repérable dans « deux types d’expression "savante" : soit dans l’élargissement des objets qui sont considérés comme des choses, soit dans l’extension des possibilités d’établir des servitudes réelles, c’est-à-dire, précisément, des relations des choses entre elles » [26]. Dans la même veine, Paolo Grossi qualifie la période médiévale de réicentriste. Or, le terme de réicentrisme pourrait convenir pour décrire d’autres systèmes juridiques, en particulier, le droit romain, et ce dernier ressortir également de l’analogisme descolien [27]. Aussi, l’hypothèse selon laquelle la compensation écologique ressort d’une conception juridique analogiste ou réicentrée mérite-t-elle, selon nous, d’être posée. À l’examen, elle pourrait se révéler aussi juste, et peut-être plus féconde, que la position consistant à stigmatiser la compensation écologique à raison de ses origines : la mitigation banking, et à la considérer comme un seul instrument néolibéral.

9Le texte suivant consiste, donc, en une tentative d’interprétation du mécanisme de compensation écologique dans une perspective que l’on pourrait qualifier d’a-moderne. La première partie porte sur le principe même de la compensation écologique. Il s’agit plus précisément d’une relecture de l’obligation de compensation et de son fondement à partir d’un texte d’Émile Durkheim relatif aux origines antiques de la propriété foncière. En regardant la propriété comme étant originellement inscrite dans les choses mêmes, et non comme dérivant des personnes humaines, la compensation écologique apparaît tel un mécanisme de compensation de la profanation de certaines terres par la sanctuarisation d’autres terres situées en périphérie. La deuxième partie porte sur les modes d’exécution de l’obligation de compensation et, plus précisément, sur les deux premiers modes d’exécution proposés. Lorsque le débiteur de l’obligation de compensation s’exécute directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, tout se passe comme si la biodiversité se payait des atteintes perpétrées sur un fonds par les fruits produits sur un autre fonds. Le lien de droit entre la terre endommagée et la terre réservée rappelle alors l’antichrèse, ce droit réel assurant le paiement d’une dette, connu dès l’antiquité et courant au moyen âge. Longtemps prohibée lorsqu’elle était pratiquée à des fins usuraires, l’antichrèse conduit à réviser les critiques généralement adressées à la compensation écologique. La troisième partie est consacrée au troisième et dernier mode d’exécution de l’obligation de compensation : l’acquisition d’unités de compensation sur des sites naturels possiblement éloignés des lieux de profanation. Les sites naturels sont analysés tels des temples ou des fonds mis au service de la biodiversité, et administrés par leurs intendants humains. Si ces trois parties peuvent être comprises de manière relativement autonome, elles n’en sont pas moins complémentaires et, à notre sens, cohérentes entre elles. Ensemble, ces propositions renforcent l’idée que le droit contemporain de l’environnement réactive, via la compensation écologique, une manière analogiste ou réicentrée d’opérer en droit.

I – La profanation de terres compensée par la création de sanctuaires

A – Reconnaître la profanation des terres par des ouvrages ou travaux

10Dans sa Physique des mœurs et du droit[28], Émile Durkheim traite des origines de la propriété foncière. Contre l’idée selon laquelle la propriété serait une faculté humaine, le sociologue énonce que la propriété « résidait originellement dans la chose elle-même » [29]. Provenant à l’examen des choses, la propriété ne « pourrait être déduite de la notion même d’activité humaine » [30]. Relevant de fortes ressemblances entre les notions de chose appropriée et de chose sacrée [31], Durkheim revient sur des pratiques observées chez les romains, les grecs, mais aussi dans les Indes [32] : dans l’Antiquité, ce que nous appelons la nature est empreinte de religiosité. Tout est empli, peuplé de dieux et de déesses. Chaque terrain « est habité, possédé par des êtres religieux conçus sous une forme personnelle ou non [compris telles des personnes ou des choses] et qui en sont les maîtres » [33]. Aussi, les humains ne peuvent-ils pénétrer sur une terre sans empiéter sur leur domaine, les troubler dans leur possession, et s’exposer à leur redoutable colère.

11Appelé à jouer en cas d’atteintes « prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d’un projet de travaux ou d’ouvrage ou par la réalisation d’activités ou l’exécution d’un plan, d’un schéma, d’un programme ou d’un autre document de planification » [34], le mécanisme de compensation écologique repose, à première vue, sur la négation d’une quelconque sacralité de la terre. Si les entrepreneurs de travaux et maîtres d’ouvrage sont autorisés à réaliser des projets attentant à la biodiversité, n’est-ce pas, en effet, que la Terre est réputée n’abriter aucune déité ? Reprenant les discours sur la marchandisation de la nature [35] et l’extension de l’empire de la propriété occidentale moderne [36], nous pourrions être tentés de conclure en ce sens : la possibilité d’endommager un fonds de terre pour la réalisation d’ouvrages ou travaux attesterait de l’ancrage d’une conception de la propriété comme maîtrise-souveraine et pouvoir de domination.

12Il reste que l’article L. 163-1 I. du Code de l’environnement n’évoque guère les propriétaires des fonds visés par ces actions, et que le jeu du mécanisme de compensation suppose la reconnaissance d’atteintes à la diversité biologique qu’abritent les terres inscrites dans le périmètre de ces projets, plans, schémas, programmes ou autres documents de planification. À telle enseigne que nous pourrions inversement en déduire que le mécanisme de compensation écologique repose sur une nouvelle sacralisation de la terre. De fait, ne faut-il pas que les humains aient conscience de profaner la terre par leurs ouvrages et travaux et, partant, qu’ils la considèrent habitée par un panthéon de déités pour élaborer un dispositif en cas d’atteintes à la biodiversité ? À l’âge de l’anthropocène, peut-être les humains craindraient-ils à nouveau d’empiéter sur le domaine d’une Cérès ou Déméter, et vivraient-ils dans la crainte de réveiller la colère d’une dénommée Gaïa, Terre-mère ou Pachamama.

13Du moins, est-ce une piste que l’on se propose de suivre pour une réinterprétation de la compensation écologique dans une perspective a-moderne, -i.e. prenant le contre-pied du subjectivisme juridique.

B – Apaiser la biodiversité en consentant à des sacrifices ou au paiement de dettes

14Dans ses Leçons de sociologie, Émile Durkheim poursuit son récit des origines de la propriété foncière : avant d’utiliser un terrain, les humains s’employaient à « le décharger de l’excès de religiosité qui [était] en lui » [37] ; ils accomplissaient des « rites de désacralisation » [38]. Pour qu’un fonds puisse « servir à des usages profanes », il fallait « le rendre profane ou tout au moins profanable sans péril » [39]. On n’empiétait, alors, sur le domaine des divinités qu’à la condition de faire « leur part » à ces dernières, et d’expier son « sacrilège par des sacrifices ». À l’image de ces agriculteurs de l’antiquité qui auraient, malgré tout, choisi de troubler les déités dans leur possession, mais en leur faisant des offrandes auparavant, l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage actuel devrait racheter sa faute en consentant à quelque sacrifice. De même que les humains prenaient jadis « les précautions nécessaires » et veillaient à abaisser le degré de divinité de la terre afin de rendre certaines de leurs actions sans danger, lesdits maître et entrepreneur seraient aujourd’hui astreints à une obligation de compensation en vertu du « principe de prévention » [40].

15Cette interprétation de l’obligation de compensation en une obligation de réaliser un sacrifice pourrait cadrer avec l’hypothèse d’un droit de l’environnement de facture analogiste. Car dans Par-delà nature et culture, Philippe Descola émet cette hypothèse que le sacrifice forme un dispositif de couplage propre aux ontologies analogistes [41]. Si, donc, les mesures de compensation pouvaient s’analyser en une manière de sacrifice visant à apaiser la nouvelle divinité offensée de la biodiversité, nous pourrions être fondée à rapprocher le droit contemporain de l’environnement d’une manière analogiste d’élaborer le droit. On voit cependant mal quelle serait la victime qui, chargée de « la faute commise », devrait payer « pour le compte des coupables », en l’occurrence un entrepreneur de travaux ou maître d’ouvrage. Sans conteste, le sang d’aucune victime, humaine ou non-humaine, n’est répandu avant que les tronçonneuses n’abattent les arbres pour la construction, par exemple, d’une infrastructure linéaire (autoroute ou voie de chemin de fer) dûment autorisée par l’administration française.

16Seulement, Durkheim précise qu’en lieu et place des sacrifices d’êtres vivants, les humains ont pu contracter des dettes auprès de l’autorité offensée : d’abord remplacés par des dettes à payer aux dieux, les rites sacrificiels devinrent, ensuite, des « dîme[s] payée[s] aux prêtres », avant de passer entre les mains des pouvoirs laïques et de constituer des impôts [42]. Dans son ouvrage retraçant l’histoire de la dette, David Graeber montre pareillement comment l’obligation de payer ses dettes a pu se substituer à celle de commettre des sacrifices [43]. On ne se départirait, donc, pas de l’hypothèse sacrificielle en posant que l’entrepreneur de travaux ou maître d’ouvrage contracte une obligation auprès de la diversité biologique qu’il s’apprête à endommager par la réalisation d’un projet autorisé. Assujetti à cette obligation dite de compensation, ledit maître ou entrepreneur se trouve endetté vis-à-vis (de la chose ou personne) de la biodiversité. En prenant effectivement les mesures de compensation qu’il s’est engagé à réaliser, le maître ou entrepreneur, débiteur, paie sa dette auprès de la biodiversité, sa créancière.

17Compatible avec la lettre des articles L. 163-1 et suivants du Code de l’environnement, cette lecture du mécanisme de compensation écologique pourrait entièrement cadrer avec l’histoire de la propriété foncière retracée dans la Physique des mœurs et du droit.

C – Transférer la charge sacrée en périphérie des lieux profanes

18Les cérémonies propitiatoires ne se déroulaient pas n’importe où, précise Durkheim : « les sacrifices avaient lieu sur de grosses pierres ou des troncs d’arbres érigés de distance en distance, et qu’on appelait termes ». C’est que la charge sacrée d’une terre ne peut être anéantie ; elle peut seulement être déplacée. Et elle l’était, aux confins de la terre désacralisée. Parce que « la religiosité ne se détruit pas » et « ne peut que se transposer d’un point sur un autre », la « force redoutée », initialement « dispersée dans le champ », se trouvait extraite, retirée, mais pour être transférée ailleurs. On l’accumulait « à la périphérie » du site endommagé. Or, ces observations peuvent être reconduites au sujet de la compensation écologique : l’entrepreneur de travaux ou maître d’ouvrage ne peut s’acquitter en argent de la dette contractée auprès de la biodiversité. Il doit payer sa dette en nature, non par équivalent, en prenant des mesures dites de compensation, et ceci en un lieu précis. L’article L. 163-5 alinéa 1 du Code de l’environnement dispose, en effet, que les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité, définies à l’article L. 163-1 I du même Code, « sont géo-localisées et décrites dans un système national d’information géographique » [44]. En outre, les mesures par lesquelles le débiteur se libère de sa dette contractée auprès de la biodiversité, doivent être prises non loin du fonds profané : « Les mesures de compensation sont mises en œuvre en priorité sur le site endommagé ou, en tout état de cause, à proximité de celui-ci (…) », énonce l’article L. 163-1 II dudit Code. Aussi, peut-on considérer les sites affectés aux mesures dites de compensation comme des lieux de sacrifices visant à apaiser la ou les divinité(s) offensée(s) par les ouvrages ou travaux réalisés sur un site avoisinant.

19Le rapprochement entre le mécanisme de compensation écologique et les rites expiatoires peut être poussé plus loin encore. Car les bornes ou termes deviennent, selon Durkheim, des lieux sacrés. « Considérés en quelque sorte comme autant d’autels », ces grosses pierres ou troncs d’arbres prennent « un caractère éminemment religieux ». Le cas échéant, « la bande de terre » ayant « servi de théâtre à cette cérémonie » est « consacrée » ; c’est en elle que se trouve « reporté ce que le champ avait de divin ». Partant, cette aire est « réservée, on n’y touche pas, on ne la laboure pas, on ne la modifie pas. Elle n’est pas aux hommes, note le sociologue, elle est au dieu du champ » [45]. Or, dans la compensation écologique, le site où sont prises les mesures de compensation doit être durablement affecté à la réalisation de celles-ci. Comme l’explique Isabelle Doussan, le débiteur de l’obligation de compensation doit fournir à l’administration la garantie qu’il pourra effectivement mener ses opérations sur un bien foncier déterminé. Divers moyens peuvent être employés à cette fin : il est permis de dédier ce fonds à la réalisation de mesures de compensation en le grevant d’un droit réel de jouissance spécial, en le donnant à bail emphytéotique, en recourant à la technique de la fiducie, ou bien encore, en constituant une obligation réelle environnementale [46]. En toute hypothèse, le site affecté à la réalisation de mesures de compensation des atteintes à la biodiversité se trouve comme destiné à celle-ci. Au final, tout se passe comme si le fonds de compensation désignait le lieu où faire ses offrandes à la déesse ou aux divinités de la biodiversité et, ce faisant, constituait un autel ou un panthéon, soit un lieu consacré, réservé, une manière d’aire protégée, de sanctuaire, d’agdal ou de jardin pérenne.

20L’hypothèse selon laquelle la compensation écologique relèverait d’une conception juridique analogiste, reposant sur le dispositif du sacrifice, pourrait alors être confirmée. À l’examen, le mécanisme permet d’amorcer le « rétablissement compensatoire » des éléments endommagés de la biodiversité. Similairement au rite sacrificiel, il instaure des relations de « contiguïté » entre un sacrifiant : l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage, un prêtre-sacrificateur : l’État ou l’autorité administrative autorisant les opérations, une victime sacrificielle : le site offert pour la réalisation des mesures de compensation, et une déesse ou pluralité de divinités bénéficiaire du sacrifice : la biodiversité [47]. Bien sûr, cette mise en rapport d’un mécanisme juridique contemporain avec l’ontologie descolienne de l’analogisme, via le récit durkheimien de la propriété antique, paraît fragile. Mais les bornes, termes ou cairns ont déjà pu être analysés comme des points de rencontre possible entre des manières naturaliste (moderne) et analogiste de vivre la condition humaine. Romain Simenel montre ainsi comment, au Maroc, les bornes domaniales de l’administration forestière sont réinvesties par les femmes berbères pour devenir des lieux de rituels [48]. En tant qu’il peut conduire à déplacer les bornes du fonds détérioré pour y réserver une aire de compensation, le mécanisme des articles L. 163-1 et suivants du Code de l’environnement pourrait, dès lors, faire le pont entre des conceptions naturaliste et analogiste du droit.

21Il est vrai que dans la plupart des cas, les sites de compensation devraient se trouver à proximité seulement des lieux endommagés. Toutefois, cette nouvelle délimitation des terres pourrait elle aussi être décrite dans les termes de l’analogisme : énonçant que le droit romain forme, comme le droit médiéval, un droit réicentré au sens où l’entend Paolo Grossi [49], et que la catégorie descolienne de l’analogisme s’avère opératoire pour comprendre le monde romain, Gérard Chouquer enseigne que l’arpentage fait « partie de ces ensembles de règles et de pratiques qui ont pour but de créer du sens entre des choses éparses, d’ordonner des existants ». Quand les arpenteurs décrivent les sols, explique l’historien, ils se demandent « comment rassembler des singularités » ; les cartes qu’ils dressent ne visent pas à unifier l’espace, mais « à réaliser des imbrications de trames quadrillées » : « cette pratique dit l’analogisme antique qui articule et ne fusionne pas, alors que notre universel plan parcellaire issu de la mappe sarde ou du cadastre napoléonien pose un principe opposé, celui de la fusion de la diversité dans un unique dessin de référence » [50]. Dans la mesure où il invite à dresser une nouvelle topographie superposable aux documents de planification préexistants et éventuelles aires protégées, le mécanisme de compensation pourrait venir réitérer une manière antique d’organiser l’espace.

22Précisons, enfin, que Durkheim fournit une explication au caractère originellement sacré de la terre : en vérité, cette sacralité reflèterait le caractère collectif de la propriété foncière originelle. Chez Durkheim, écrit Lévy-Bruhl, « la terre serait primitivement conçue comme appartenant à des forces surnaturelles, qui ne font, au demeurant, que symboliser le caractère collectif de la propriété foncière archaïque » [51]. Mais cette manière de rabattre la sacralité de la terre sur la société des humains et d’écarter les divinités pourrait nous ramener à un mode de pensée naturaliste que nous nous efforçons précisément de dépasser. Aussi, nous paraît-il important de prendre acte et d’accepter l’habitation des fonds de terre par des dieux et déesses dans l’antiquité.

23Au-delà du principe de la compensation et du fondement de l’obligation de compenser, il nous faut expliquer ce que recouvrent les divers modes d’exécution de cette obligation.

II – La réactualisation du droit réel accessoire de l’antichrèse

A – Utiliser la technique du gage immobilier ou de l’antichrèse contemporaine

24Plusieurs dispositifs peuvent être sollicités pour affecter durablement un fonds à la mise en œuvre des mesures de compensation. On a déjà mentionné l’obligation réelle environnementale, le droit de jouissance spécial, le bail emphytéotique, etc. Ces moyens ne rendent toutefois pas compte de la situation juridique dans sa globalité. En quoi consiste le mécanisme de compensation écologique dans son ensemble, le législateur ne le dit pas. On peut, certes, penser que ce mécanisme est une innovation contemporaine, l’analyser comme telle, et en étudier les diverses variations au sein du droit de l’environnement [52]. Mais nous pouvons aussi tenter de le qualifier juridiquement afin d’en mieux comprendre les ressorts, les avantages et les inconvénients, puis de prendre du recul par rapport aux critiques qui en sont aujourd’hui faites.

25Commençons par rechercher la nature du lien existant entre la biodiversité et le maître d’ouvrage ou entrepreneur de travaux. Dans la mesure où le second est débiteur d’une obligation de compensation à raison des atteintes commises à la première, il est permis de penser que le maître ou entrepreneur représente le débiteur de la biodiversité. Victime d’un préjudice prévu ou prévisible, la biodiversité est la créancière du maître ou entrepreneur, auteur dudit dommage. Poursuivons : pour payer sa dette auprès de la biodiversité, le maître ou entrepreneur doit réaliser des mesures de compensation, -i.e. exécuter des prestations de service à partir d’une terre spécialement affectée : le fonds de compensation. Dans la mesure où ces prestations doivent produire des « résultats » [53], ceux-ci pourraient être qualifiés de fruits et, plus précisément, de fruits industriels. Car les résultats des mesures de compensation peuvent être regardés comme des choses régulièrement ou périodiquement produites par une autre chose – en l’occurrence le fonds de compensation – sans altération de la substance de celle ou celui-ci. Parce qu’ils ne sont pas spontanément produits par le fonds, mais à l’aide de l’industrie humaine, les résultats seraient plus exactement des fruits industriels, non naturels. Produits soit par le débiteur lui-même, soit par un tiers-cocontractant, le dénommé « opérateur de compensation » [54], les fruits industriels conduiraient, dans cette hypothèse, à l’extinction de l’obligation de compensation. Ils seraient ce par quoi le maître ou entrepreneur exécuterait son obligation et se libèrerait de sa dette envers la biodiversité.

26Il est, dès lors, permis de se demander si le mécanisme de compensation écologique ne serait pas une réitération de l’antichrèse. Un droit réel accessoire et une mesure de sûreté, l’antichrèse est une « convention par laquelle un débiteur remet en nantissement à son créancier un immeuble dont les revenus doivent servir à l’acquittement de la dette ». Elle est une « convention par laquelle un débiteur transfère à son créancier la possession d’un immeuble dont ce dernier percevra les fruits ou les revenus, et les imputera sur les intérêts et le capital de sa créance jusqu’à extinction de celle-ci » [55]. Dans la mesure où les résultats des mesures de compensation peuvent être regardés comme des fruits du fonds affecté au paiement de la biodiversité et où ces fruits doivent servir à l’acquittement de la dette du maître d’ouvrage ou de l’entrepreneur de travaux, nous pouvons songer à qualifier le fonds affecté de chose antichrésée et la biodiversité de créancière antichrésiste. Les définitions de l’antichrèse comme « usage d’une chose pour une autre » ou « jouissance donnée en remplacement » confortent l’idée que la compensation écologique peut s’analyser en tant que telle [56]. Car c’est la jouissance d’un fonds de terre, conférée à la biodiversité en remplacement ou en compensation des atteintes lui étant portées sur un autre terrain, qui permet au maître ou à l’entrepreneur de payer pour son forfait et d’en devenir quitte.

27Reste à mesurer la portée de cette proposition au regard du droit positif : désormais appelée gage immobilier [57], l’antichrèse est définie à l’article 2387 du Code civil comme « l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation ». Or, le fonds de compensation représente un immeuble affecté à la réalisation de mesures de compensation en garantie de l’obligation éponyme. Surtout, l’article 2389 du Code civil dispose que le créancier antichrésiste « perçoit les fruits de l’immeuble affecté en garantie ». Or, les résultats des mesures réalisées sur le fonds de compensation augmentent le patrimoine de la biodiversité, créancière du maître d’ouvrage ou de l’entrepreneur de travaux ayant porté atteinte à son intégrité. L’article 2389 prévoit encore que le créancier antichrésiste perçoit les fruits de l’immeuble « à charge de les imputer sur les intérêts, s’il en est dû, et subsidiairement sur le capital de la dette ». Or, les fruits de l’immeuble affecté en garantie, soit les résultats des mesures prises sur le fonds de compensation, sont imputés sur le capital de la dette constituée par les atteintes portées à la biodiversité, dès lors que le maître ou entrepreneur exécute son obligation de compensation et paie sa dette à l’égard de la biodiversité en réalisant des mesures de compensation. Dans la mesure où l’article L. 163-1 I alinéa 2 du Code de l’environnement précise que « les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité », on pourrait encore considérer que l’éventuel surplus de fruits produits par les mesures de compensation s’ajoute, le cas échéant, au remboursement du capital pour former des intérêts profitant à la biodiversité.

28L’identification de la compensation écologique à l’antichrèse peut toutefois être questionnée. Car l’article 2387 du Code civil dispose que « le gage immobilier emporte dépossession de celui qui la constitue ». Et il est douteux que l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage soit matériellement dépossédé de l’immeuble affecté au paiement de sa dette puisqu’il s’engage à y réaliser des mesures de compensation. Aussi, est-ce seulement dans l’hypothèse où le débiteur confère à un tiers-opérateur la charge de réaliser lesdites mesures que la condition de dépossession du fonds affecté paraît remplie. Il reste que la possession est, selon l’article 2228 du Code civil, « la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom » [58]. On peut donc avancer que la biodiversité possède juridiquement le fonds de compensation dès lors qu’elle en a la jouissance et en récolte les fruits, quoique cette fructification résulte du travail du débiteur ou d’un tiers-opérateur. L’article 2390 du Code civil prévoit d’ailleurs que « le créancier peut, sans en perdre la possession, donner l’immeuble à bail, soit à un tiers, soit au débiteur lui-même ». Sans doute, cette disposition prévoit-elle la conclusion d’un contrat de bail, non d’un louage d’ouvrage. Mais l’obligation de prester sur le fonds affecté conférant a priori moins de droits au débiteur qu’un bail sur icelui, il est permis de penser que les juges valideraient a fortiori un tel montage (associant la constitution d’une antichrèse à l’engagement du constituant de réaliser une prestation de service, par lui-même ou via un tiers, sur l’immeuble affecté en garantie) [59].

29Une difficulté demeure : le statut juridique du fonds de compensation. Si celui-ci peut appartenir au débiteur, l’article L. 163-2 du Code de l’environnement prévoit que les mesures de compensation peuvent être « mises en œuvre sur un terrain n’appartenant ni à la personne soumise à l’obligation de mettre en œuvre ces mesures, ni à l’opérateur de compensation qu’elle a désigné ». Or, l’appartenance du fonds au débiteur pourrait conditionner la constitution d’une antichrèse. En ce sens, un auteur écrit que « pour constituer un droit de gage immobilier sur un immeuble, il faut en avoir la propriété, ou tout au moins avoir sur lui un droit réel de jouissance, et avoir la capacité d’en disposer » [60]. Comme l’hypothèque de la chose d’autrui [61], l’antichrèse de la chose d’autrui serait frappée de nullité absolue pour défaut d’objet. Ainsi l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage débiteur d’une obligation de compensation ne constituerait une antichrèse sur le fonds affecté aux mesures de compensation qu’au cas où il aurait la propriété, l’usufruit ou, par exemple encore, l’emphytéose de ce dernier. Dans les hypothèses – les plus fréquentes ? – où le débiteur de l’obligation n’aurait aucun droit réel sur le fonds dédié aux mesures de compensation, nous ne pourrions conclure à la constitution d’une antichrèse. Encore faut-il préciser que le constituant d’une hypothèque n’est pas nécessairement le débiteur du créancier hypothécaire et qu’il pourrait en aller de même s’agissant de l’antichrèse [62] : si le droit sur le fonds antichrésé doit figurer dans le patrimoine du constituant, le constituant pourrait ne pas être le maître ou l’entrepreneur (le débiteur), ni même un tiers (l’opérateur de compensation), mais le propriétaire de l’immeuble ou d’un droit réel sur l’immeuble affecté en garantie.

30Une possible antichrèse au sens civiliste, la compensation écologique pourrait encore rappeler la pratique du vif-gage dans l’ancien droit.

B – Renouer avec la technique du vif-gage ou de l’antichrèse médiévale

31Si l’antichrèse [63] figure dans le Code civil depuis 1804, elle n’apparaissait pas dans son projet [64]. Ses rédacteurs l’avaient omise tant elle était, au 18ème siècle, rarement usitée. C’est que l’antichrèse était, alors, assimilée au seul cas où les fruits de l’immeuble grevé étaient perçus par le créancier en paiement des intérêts de la dette [65]. L’antichrèse représentait, plus précisément, un moyen pour le débiteur de rembourser la dette contractée auprès de son créancier non pas antérieurement, mais pour l’avenir. Ladite sûreté permettait d’obtenir, en d’autres termes, l’octroi d’un prêt. Et dans la mesure où les fruits s’imputaient sur les intérêts de la somme prêtée, la garantie devait s’analyser en un prêt à intérêt. Or, sous l’influence canonique, très puissante en France, le prêt à intérêt n’était pas autorisé. Déclarée usuraire, l’antichrèse productrice d’intérêts fut prohibée, dès l’an 829, à l’occasion d’un concile qui se tint à Paris. Toutefois, elle demeura pratiquée, notamment, par des abbayes [66]. Deux siècles et demi plus tard, une décrétale du pape Alexandre III réitéra l’interdiction, et ordonna que les fruits perçus par le créancier antichrésiste viennent toujours en déduction du capital [67]. Encore le pape Martin V s’éleva-t-il, à son tour, en 1429, contre l’emploi usuraire de l’antichrèse, en particulier, par des monastères [68]. Toujours est-il que l’interdiction eût raison de l’institution, que l’on finît par oublier, et qu’en dépit de l’autorisation du prêt à intérêt, accordée depuis un décret des 13 octobre et 3 novembre 1789, plusieurs tribunaux d’appel durent signaler son omission dans le projet du Code civil [69]. Les magistrats firent valoir quelles facilités de crédit l’antichrèse offrait au débiteur possédant uniquement des immeubles et, convaincu de ces avantages, le législateur inscrivit la sûreté dans le Code napoléon [70].

32Rapportée à la compensation écologique, cette histoire de l’identification de l’antichrèse à une manière de prêt à intérêt apparaît riche d’enseignements : elle nous conduit à affiner notre analyse de la compensation écologique. À l’examen, l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage n’est pas déjà endetté auprès de la biodiversité auquel il s’apprête à porter atteinte : il lui emprunte. Autorisé à réaliser des ouvrages ou travaux par l’administration compétente, le maître ou entrepreneur contracte une dette auprès de la biodiversité à raison des préjudices qui lui seront ultérieurement portés. Subsumée sous le principe de prévention [71], la compensation écologique vise à réparer des dommages prévus ou prévisibles, soit des dommages à venir, non encore réalisés. Dès lors, la compensation écologique peut s’analyser en une antichrèse visant à contracter une dette future, soit à l’obtention d’un prêt, mais d’un prêt sans intérêt. Car les fruits du fonds affecté à la compensation, -i.e. les résultats des mesures de compensation, s’imputent sur le capital de la dette que représentent les atteintes faites à la biodiversité. Dans la mesure, en effet, où les mesures de compensation doivent conduire à une absence de perte nette de biodiversité et, le cas échéant seulement, à des gains de biodiversité, la biodiversité ne saurait exiger davantage que le remboursement du capital de sa créance. Tout juste, pourrait-elle récolter, le cas échéant, quelques dividendes. On peut, alors, en tirer cette conclusion que la compensation écologique ne constitue pas une pratique usuraire, de sorte qu’elle ne serait pas tombée sous le coup de la prohibition canonique si elle avait existé en ce temps. Tantôt regardée comme un instrument capitalistique et décriée à ce titre, la compensation écologique serait, en réalité, une libéralité consentie par la biodiversité à ses destructeurs mêmes. Où l’on s’aperçoit que les raisons pour lesquelles la compensation écologique se trouve souvent contestée pourraient être inexactes, et le reproche exactement inverse lui être adressé : ce n’est pas parce qu’elle ressort de la logique capitaliste, mais parce qu’elle est d’esprit philanthropique que la compensation écologique pose problème. Le mécanisme revient à accepter que la biodiversité consente des prêts à ceux qui la détruisent à charge pour ces derniers de rembourser le seul capital de leur dette.

33Pour s’en convaincre, un retour sur l’histoire du droit paraît ici utile : parce que les créanciers, intimidés par les censures de l’Église, n’osaient plus pratiquer l’antichrèse usuraire, ils convenaient, lorsque des terres leur étaient données en gage, que les fruits seraient imputés sur le capital de la dette. L’on en vint à distinguer deux procédés : le mort-gage, usuraire, prohibé, et peu à peu identifié à l’antichrèse, d’une part, le vif-gage, gratuit et autorisé, d’autre part. Tandis que « le mort-gage est celui qui ne s’acquitte pas lui-même » et « dont les fruits appartiennent au créancier en pure perte pour le débiteur », « le vif-gage est celui qui s’acquitte de lui-même, et dont le créancier prend les fruits en paiement de sa dette » [72]. À en croire les ouvrages consultés, dans le très ancien droit, le nombre d’années pour lesquelles l’engagement était consenti se trouvait « d’ordinaire » « calculé de manière à ce que les revenus perçus éteignissent la dette » [73]. L’opération où les fruits n’amortissent pas la dette fut bien plus fréquemment employée aux 9 et 10èmes siècles [74], avant qu’au 13ème un nouveau procédé ne se développe pour donner naissance à l’hypothèque [75]. Mais ce qui importe pour nous est la manière dont le vif et le mort gages se trouvent, alors, différenciés dans leurs effets : au regard du mort-gage, le vif-gage apparaît comme un procédé « amélior[ant] sensiblement la situation du débiteur », notent les uns [76]. À la différence du mort-gage où la chose engagée ne rendait « plus aucun service au débiteur » et « était pour lui un bien mort », le vif-gage, au contraire, était tout à son « avantage », observe un autre [77]. Aussi lorsque les abbayes demandaient à leurs emprunteurs la constitution d’un mort-gage, elles choisissaient « de faire un placement », alors que lorsqu’elles leur demandaient la constitution d’un vif-gage, elles agissaient « dans une pensée de bienfaisance », conclut un troisième [78]. Or, la compensation écologique s’apparente à un vif-gage dès lors que les fruits du fonds engagé (les résultats des mesures de compensation) ne sont pas attribués à la biodiversité en pure perte pour l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage, mais en paiement des atteintes faites par celui-ci à la biodiversité. Cela signifie qu’en autorisant les maîtres et entrepreneurs à porter atteinte à la biodiversité moyennant « compensation écologique » (c’est-à-dire affectation des fruits d’un fonds de terre au remboursement de la dette constituée par les atteintes portées sur un autre terrain), nous faisons preuve à leur égard de charité et générosité.

34Le problème de la compensation écologique n’est donc pas qu’elle serait un instrument de l’économie libérale, mais qu’en régime capitaliste et à l’âge de l’anthropocène, elle revient à consentir des libéralités à des agents destructeurs de la biodiversité. La compensation écologique permet à des entrepreneurs de travaux et des maîtres d’ouvrage d’obtenir l’autorisation d’attenter à la biodiversité sans bourse délier, mais à la seule condition de rembourser la dette ainsi contractée. À l’évidence, le mécanisme ne saurait atteindre l’objectif qui est le sien, à savoir prévenir les dommages écologiques, s’il revient à prêter secours et assistance à ceux qui demandent l’autorisation de préjudicier à la biodiversité. Il ne faudrait toutefois pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Car la compensation écologique a au moins ce mérite d’obliger les agents destructeurs de biodiversité à rembourser leurs dettes. Pour que le procédé soit efficient en termes de prévention, nous pourrions, alors, songer à le transformer en un mort-gage, -i.e. en une antichrèse usuraire. Autrement dit, il faudrait imposer aux maîtres ou entrepreneurs d’emprunter auprès de la biodiversité contre intérêts, et décider que les fruits du fonds de compensation ne s’imputeront pas sur le capital, ou du moins pas directement sur le capital, mais sur des intérêts de la dette. Pour le dire en un mot, il faudrait que la biodiversité se fasse usurière.

35Une réitération du vif-gage médiéval, la compensation écologique évoque encore l’antichrèse des droits antiques.

C – Apprendre des multiples techniques d’antichrèse antiques

36Devenue rare au 19ème siècle [79], l’antichrèse était couramment employée durant l’Ancien régime. Ce « qu’il y a de sûr, écrit Troplong, c’est que le vif-gage était fort pratiqué en France ». Rien n’était « plus fréquent dans notre ancien droit que les contrats d’engagement. Les seigneurs et les princes, pressés par des besoins d’argent, engageaient des terres moyennant une somme qu’on leur remettait, et ils stipulaient une faculté de rachat » [80]. Et Brindejonc de confirmer : « (…) dans l’ancien temps, l’antichrèse eut un règne assez brillant, car on voit dans l’histoire des exemples sans nombre de gens, de princes, de provinces empruntant sur leurs immeubles (…) [81]. En droit romain aussi, l’antichrèse était utilisée : à Rome, lorsque la chose engagée était productive de fruits, le créancier gagiste « avait parfaitement le droit de les percevoir, à la charge pour lui de les imputer sur le capital de sa créance, in compensationem pecuniae suae », précise un auteur [82]. « La fin caractéristique de l’antichrèse » était « la compensation, jusqu’à due concurrence, des intérêts et des fruits », assure un autre [83]. L’on peut alors se demander s’il existe un lien entre la pratique de l’antichrèse dans les droits médiéval et romain, c’est-à-dire dans des systèmes juridiques que nous pourrions être fondée à qualifier de réicentristes et d’analogistes, d’une part, et sa raréfaction à l’époque juridique moderne, d’autre part. En d’autres termes, la question peut être posée : la mobilisation de l’antichrèse via la compensation écologique signalerait-elle la sortie du subjectivisme juridique moderne ? En serait-elle tout au moins un indice ?

37À l’examen, l’antichrèse ne date pas de l’époque romaine, mais lui est antérieure : d’origine grecque [84], le terme signifie « usage, à la place de » [85]. Et avant que la législation romaine n’emprunte à Athènes [86], la législation grecque avait elle-même repris à Babylone [87]. Eugène Revillout observe ainsi que si l’antichrèse « est très peu entrée dans notre mœurs », c’était « un des actes les plus fréquents » à Babylone [88]. Comme la Mésopotamie, l’Égypte la connaissait aussi : « l’antichrèse location gage, telle qu’elle existait en Chaldée (…) existait aussi d’une façon fréquente dans la vallée du Nil (…) à l’imitation des droits orientaux » [89]. Et l’antichrèse était « d’un si grand usage – et, disons-le, d’un usage si commode, – dans les villes de la Haute-Asie », insiste Revillout [90]. Nous pourrions alors être tentée de rechercher, dans la typologie des antichrèses antiques, de quelle forme la compensation écologique se rapprocherait le mieux. À première vue, la compensation écologique correspond davantage à l’antichrèse égyptienne (hoti) qu’à l’antichrèse babylonienne. Car il ne s’agit pas « d’échanger par équivalence un bien foncier », soit la valeur en capital de la chose engagée comme en Chaldée, mais seulement « l’usage momentané d’un fonds », « la jouissance durant un temps déterminé » contre une dette constituée, en l’occurrence, par des atteintes au patrimoine de la biodiversité. En outre, l’usage du fonds de compensation n’est pas donné « en guise d’intérêt, mais pour payer le fond même de la créance », comme dans l’antichrèse du Nil. On pourrait encore penser que la compensation écologique se rapproche de ce que Revillout nomme l’antichrèse in solutum (en paiement). Car la compensation permet à l’entrepreneur de travaux ou au maître d’ouvrage de payer une dette envers sa créancière, la biodiversité. Encore la compensation écologique se distingue-telle de l’antichrèse in solutum en ce qu’elle vise l’extinction d’une dette future, non encore contractée [91].

38Sans doute, une comparaison plus poussée de la compensation écologique et des divers types d’antichrèses antiques présenterait-elle rapidement ses limites, mais plusieurs points méritent d’être relevés. Tout d’abord, le recours fréquent à l’antichrèse pourrait être lié à l’immutabilité des statuts fonciers. Revillout souligne, en effet, que l’antichrèse n’implique pas de transfert de propriété des fonds de terre, et qu’en Égypte « primitivement » on n’admettait « même pas l’aliénation de la propriété foncière » [92]. L’égyptologue note également que l’antichrèse mésopotamienne n’atteignait guère, même dans les actes de Warka du 14ème siècle avant notre ère, le principe « sacré de la propriété familiale et de l’inaliénabilité des biens territoriaux de la tribu et de la famille. L’antichrèse, en effet, n’était pas une aliénation. Ce n’était, écrit-il, qu’un confiement » [93]. Aussi, peut-on émettre cette hypothèse que l’antichrèse correspond davantage aux besoins des systèmes juridiques en « quête de stabilité » [94] qu’aux systèmes visant la libre circulation des biens, de sorte que la compensation écologique, en réitérant l’antichrèse, indiquerait un changement de modèle. De fait, le rapport entre la pratique de l’antichrèse et la permanence de l’état foncier paraît se confirmer. En ce sens, Esmein rapporte que l’antichrèse, « cette forme de gage, applicable même aux immeubles dont le fonds était considéré comme inaliénable, se conserva à ce titre jusqu’à la fin de notre ancien droit dans une hypothèse particulière. Le domaine royal étant inaliénable, le roi ne pouvait l’hypothéquer pour garantir les emprunts qu’ils contractait ; mais il l’engageait » [95]. En retour, l’antichrèse apparaît d’ailleurs « gêne[r] la circulation des biens » : un droit réel de jouissance analogue à l’usufruit, l’antichrèse n’est « pas susceptible d’être purgée », si bien que « la mutation de propriété ne modifie pas la situation de l’antichrésiste » [96]. Il va sans dire que la propriété foncière demeure aujourd’hui aliénable. Seulement, la compensation écologique joue indépendamment du statut juridique des fonds et de leur appartenance à telle ou telle personne. Ce qui importe ce sont les liens tissés entre des fonds endommagés et des fonds grevés, affectés à la compensation, et ce quelle que soit l’identité de leurs dénommés propriétaires. Ainsi notre droit pourrait se découvrir davantage articulé autour des choses du droit que du sujet propriétaire [97].

39Les antichrèses antiques attirent, ensuite, l’attention sur les équivalences posées entre les valeurs des jouissances de fonds engagés et de sommes d’argent [98], par exemple entre les revenus issus d’une catacombe et ceux d’une somme d’argent [99], ainsi que sur la difficulté de leur établissement. À Babylone, l’antichrèse présentait, en plus, cette particularité qu’aucun des cocontractants « n’avait à dresser de compte d’intérêt d’argent ou de fruits perçus. Le principe de l’équivalence absolue entre les valeurs faisa[it] que la jouissance d’une somme d’argent par l’un était pleinement assimilée à la jouissance d’un bien par l’autre ». D’ailleurs « cette assimilation complète ne fut jamais parfaitement comprise en Égypte », non plus à Rome [100]. Aussi l’antichrèse [101] était-elle considérée à Rome, mais aussi en Grèce, tel « un contrat aléatoire, un forfait aux termes duquel le créancier acquérait le droit de percevoir les fruits de la chose » [102]. Or la compensation écologique ne commande pas d’établir une équivalence entre la jouissance d’un fonds de terre et celle d’une somme d’argent – ce qui est déjà délicat – mais entre les fruits escomptés et les préjudices attendus, entre les résultats espérés de mesures prises sur un fonds affecté à la compensation et les atteintes vraisemblablement portées à la biodiversité par des ouvrages ou travaux. C’est dire combien les critiques des juristes pointant les insuffisances de la notion d’équivalence écologique paraissent fondées : contestable au plan scientifique, écologique, la notion paraît également douteuse au plan juridique. Car le contrat passé entre l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage et la biodiversité, via l’administration, s’avère doublement aléatoire : ce n’est pas entre la jouissance d’un fonds et celle d’une somme d’argent que l’équivalence est posée, mais entre deux jouissances de fonds, l’une productrice de biodiversité, l’autre attentatoire à la biodiversité. En suivant la proposition faite plus haut de regarder les résultats des mesures de compensation comme les fruits d’une terre antichrésée devant servir à payer, non les atteintes à la biodiversité, non le capital de la dette, mais les intérêts de celle-ci, nous pourrions décomposer l’opération consistant à établir des équivalences et atténuer son caractère aléatoire. D’un côté, on évaluerait le montant des atteintes redoutées à la biodiversité, soit le capital de la dette. De l’autre, on évaluerait le montant des résultats attendus des mesures de compensation, soit les intérêts de la dette. D’une part, on s’assurerait que les agents destructeurs de biodiversité ne se contentent pas de rembourser leur dette auprès de la biodiversité, mais paient aussi pour le service rendu, pour le prêt consenti. D’autre part, on ne tenterait pas d’évaluer les fruits à obtenir à l’aune des dommages prévisibles, mais on estimerait respectivement les futurs fruits et les futurs dommages. Observons qu’une évaluation en numéraire du montant respectif des fruits et des dommages n’empêcherait nullement que le débiteur s’en acquitte en nature (non par équivalent), c’est-à-dire par des prestations de travail [103].

40Pour nous qui recherchons les moyens de penser des communautés ouvertes aux êtres non-humains, les antichrèses antiques présentent, enfin, cet intérêt de faire appel aux divinités : celles-ci « avaient déjà été invoquées directement par les parties dans tous les actes chaldéens du 23ème siècle avant notre ère » que ces actes soient relatifs à des transmissions de propriété ou à des antichrèses. À lire Revillout, la présence des divinités ne saurait être gommée et ramenée, comme chez Durkheim, à une propriété collective originaire du sol. Car elle influerait sur le droit. Selon l’égyptologue, en effet, « l’investiture des biens, basée sur le droit religieux, eut pour résultat une propriété spéciale, très différente, à plusieurs points de vue, de la propriété romaine » laïque [104].

41Nous en sommes jusqu’ici restée à l’hypothèse où le débiteur de l’obligation de compensation s’exécute par lui-même ou via un tiers. Reste donc à comprendre le troisième mode d’exécution de cette obligation.

III – L’institution de fonds servants ou de temples dédiés à la biodiversité

A – Évaluer les éléments de biodiversité pour émettre et vendre les titres associés

42Le débiteur d’une obligation de compensation peut l’exécuter soit par lui-même, soit en confiant la réalisation des mesures de compensation à un opérateur de compensation, soit en acquérant des « unités de compensation dans le cadre d’un site naturel de compensation » [105]. Si les deux premières façons d’exécuter l’obligation de compensation peuvent s’analyser en une manière de recours à l’antichrèse, constituée par le débiteur lui-même ou par un tiers cocontractant, la troisième manière en diffère nettement. Il ne s’agit pas d’effectuer ou de faire effectuer des prestations de service sur un fonds affecté à la compensation, mais d’acquérir de nouveaux biens : des « unités de compensation ». Pour payer la dette qu’il s’apprête à contracter auprès de la biodiversité, l’entrepreneur de travaux ou le maître d’ouvrage s’engage à acheter des droits « auprès des sites naturels de compensation » [106]. Définis comme des « opérations de restauration ou de développement d’éléments de biodiversité » [107], ces sites auraient pour fonction d’émettre, puis de vendre des titres financiers. Conçus telles des actions inféodées à des lieux déterminés, les sites naturels de compensation sont donc des fonds travaillant à la création d’éléments de biodiversité et, partant, œuvrant pour la biodiversité. L’on pourrait alors les regarder comme de nouveaux temples dédiés à la déesse de la biodiversité ou tel un panthéon des divinités de la biodiversité.

43L’activité d’émission et de vente d’unités de compensation des sites naturels éponymes peut sembler contradictoire avec la proposition selon laquelle ceux-ci forment de nouveaux lieux de célébration de la déesse ou des divinités de la biodiversité. En réalité, l’activité bancaire des sites naturels de compensation – d’abord nommés « réserves d’actifs naturels » – pourrait aller de pair avec leur fonction de sanctuaire. Dans La vie méconnue des temples mésopotamiens, Dominique Charpin soutient que ces temples représentent les premières banques dont nous ayons connaissance. Pour l’époque paléo-babylonienne, précise-t-il, on possède « un assez grand nombre de prêts où le créancier est un dieu » et « dans la très grande majorité des cas, la divinité créancière est le dieu Soleil Samas » [108]. Parce que le taux d’intérêt se voit souvent qualifié « d’intérêt de Samas », on en infère que les temples du dieu soleil auraient fonctionné tels des « établissements bancaires » [109]. Mais, avance l’assyriologue, les temples appartenant à d’autres divinités s’adonnaient, eux aussi, à cette activité de prêteur. Ainsi Nisaba, la déesse de l’écriture, de la comptabilité et de l’arpentage, détenait des tablettes dans lesquelles étaient inscrites les parcelles de champ attribuées par le pouvoir royal en contrepartie de services [110]. À l’instar de la « déesse du grain et des arts du scribe », la biodiversité pourrait assumer une même fonction de prêt auprès des entrepreneurs de travaux ou des maîtres d’ouvrages, et posséder en retour des temples ou demeures : les sites naturels de biodiversité. Encore faudrait-il se demander s’il est légitime que la souscription de titres financiers auprès de ces sites ou temples de la biodiversité autorise ses débiteurs à rembourser jusqu’au capital de leur dette. De même que les résultats des mesures de compensation ne devraient pas, selon nous, s’imputer sur le capital de la dette des agents destructeurs de biodiversité lorsque ceux-ci réalisent lesdites mesures par eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un tiers, les unités de compensation acquises devraient s’imputer sur les seuls intérêts de la dette contractée vis-à-vis de la biodiversité, et cet achat constituer quelque impôt ou taxe à la charge des débiteurs.

44Si les sites naturels de compensation remplissent « des fonctions de service public » à l’instar des temples mésopotamiens, on ne saurait manquer de voir que les premiers ne partagent pas la dimension éminemment sacrée des seconds [111], tout au moins dans l’esprit du législateur français, de sorte que le rapport entre les nouveaux sites et les temples antiques paraît fragile. Pour autant, la référence aux temples mésopotamiens n’est pas sans importance : elle montre que l’évaluation monétaire des éléments créés de biodiversité et la possibilité pour les sites naturels de compensation d’émettre et de vendre les titres correspondant ne signifient pas nécessairement l’extension de l’économie marchande à la sphère de la nature, de la biodiversité et des paysages [112]. Dans Dette. Cinq mille ans d’histoire, David Graeber note, en effet, que dans les « grands complexes des temples et des palais » mésopotamiens, c’est la monnaie de crédit, c’est-à-dire celle servant « essentiellement à faire des comptes et non à changer physiquement de mains », qui prédominait [113]. À l’époque médiévale aussi, la monnaie irlandaise pouvait servir, non à échanger des biens, mais à évaluer la dignité : « ce qui rend les lois médiévales irlandaises si particulières de notre point de vue, c’est que leurs auteurs assignaient sans la moindre gêne une valeur monétaire précise à la dignité humaine », explique l’anthropologue. Pour nous autres occidentaux modernes, énoncer que la « sainteté d’un prêtre » équivaut « à un million d’œufs sur le plat » est insolite. Car la valeur d’un prêtre est une chose que l’on devrait considérer « au-delà de toute quantification possible », à l’instar précisément de la valeur des éléments de biodiversité. Mais « les juristes irlandais médiévaux ressentaient les choses autrement » parce « qu’à cette époque on ne se servait pas de la monnaie pour acheter des œufs », mais « à des fins sociales ». Et c’est précisément pourquoi « ils ont pu créer un système aussi complexe, permettant de mesurer, mais même d’ajouter et de soustraire des quantités précises de dignité humaine » [114]. Dans une économie qui serait une « économie humaine », et plus largement une économie des écosystèmes, milieux ou écoumènes, l’on ferait l’évaluation monétaire de la dignité des éléments de biodiversité créés sur les sites naturels de compensation ou temples dédiés à la biodiversité, sans craindre une marchandisation de la nature. Si donc les sites naturels de compensation doivent être critiqués, ce n’est peut-être pas tant à raison de l’estimation chiffrée des éléments de biodiversité sur laquelle ils reposent, et du vocabulaire comptable et financier qui lui est associé, que du contexte dans lequel ils s’inscrivent aujourd’hui : celui d’une économie marchande.

45Quoi qu’il en soit, l’institution des sites naturels de compensation offre une vision des personnes plus proche de celle de l’intendant que du libre sujet de droit.

B – Administrer et contrôler les héritages ou temples de la biodiversité

46Les cités-États mésopotamiennes « étaient dominées par des temples géants : c’étaient, enseigne David Graeber, des institutions industrielles, complexes et colossales, qui employaient souvent des milliers de personnes » [115]. En particulier, « l’économie sumérienne était dominée par de vastes complexes de temples et de palais. Leur personnel se comptait souvent par milliers : des prêtres et des dignitaires, des artisans qui œuvraient dans leurs ateliers industriels, des agriculteurs et des bergers [116] », etc. Si les sites naturels de compensation n’emploient pas ou pas encore autant de personnes, celles-ci pourraient endosser le même rôle qu’au sein des temples mésopotamiens : celui d’administrateur ou d’intendant des lieux. En effet, l’article L. 163-3 du Code de l’environnement prévoit que les sites naturels de compensation « peuvent être mis en place par des personnes publiques ou privées, afin de mettre en œuvre [des] mesures de compensation ». L’article D. 163-1 du même Code précise que seules les personnes disposant de certaines capacités techniques et financières, et justifiant de droits sur les « terrains d’assiette » des sites envisagés pour la mise en œuvre de mesure de compensation peuvent « mettre en place » ces derniers. Puis, les articles D. 163-7 et D. 163-8-2 dudit Code prévoient les droits et devoirs à l’information des personnes mettant en place ces sites naturels. Ainsi les personnes ouvrant ces sites apparaissent bien plutôt comme les administratrices ou gestionnaires des lieux ou demeures dédiés à la biodiversité que comme les maîtres ou souveraines de fonds qui leur seraient assujettis. En d’autres termes, ces personnes ne partagent guère ici la condition juridique humaine caractéristique de l’âge occidental moderne : celle de libres sujets de droit.

47La position occupée par les humains dans les sites naturels de compensation évoque encore celle des humains relativement aux fonds de terre ou héritages en droit médiéval. À lire Emanuele Conte, il se pourrait, en effet, que les sites naturels de compensation produisent les deux principaux effets de cet « empire des choses sur les hommes » régnant à l’âge médiéval : « en premier lieu, explique l’historien, c’est souvent par une dignité, par un office, ou par une charge publique qu’on acquiert le droit de disposer des choses (…) ; en second lieu, et par voie de conséquence, le pouvoir de disposer d’une chose ou le devoir de la servir tendent à s’établir de façon permanente au-delà de la personne humaine qui les exerce » [117]. Or, pour ouvrir un site naturel de compensation, une demande d’agrément doit être adressée au ministre chargé de l’environnement [118]. La décision du ministre doit être prise après avis préalable du Conseil national de la protection de la nature. Et les décisions d’octroi, de modification ou de retrait de l’agrément requièrent un arrêté ministériel [119]. L’évaluation et le suivi des sites naturels de compensation se trouvent, ensuite, réalisés par un comité de suivi local, présidé par le préfet de région, et dont les comptes rendus sont transmis au ministère de l’Environnement [120]. Aussi, la gestion d’un site naturel de compensation s’apparente-t-elle davantage à l’exercice d’un office ou d’une charge publique qu’à l’activité d’un marché dérégulé. C’est par un agrément, soit par une dignité, que des personnes acquièrent le droit de disposer de terres à des fins d’émission et de ventes d’unités de compensation. Dans la mesure, aussi, où les mesures de compensation doivent être effectives durant toute la durée des atteintes portées à l’environnement [121] et où l’agrément d’un site naturel de compensation ne peut être accordé pour moins de trente ans [122], le devoir de réaliser des mesures de compensation sur le site agréé et d’y servir la biodiversité doit « s’établir de façon », sinon « permanente », du moins pérenne, et durer « au-delà de la vie » du maître d’ouvrage.

48Si la figure moderne du sujet de droit ne semble guère adaptée pour rendre compte du statut des personnes travaillant pour les sites naturels de compensation, la conception des fonds de terre comme seuls objets de droit paraît tout aussi inadéquate.

C – Mettre des fonds de terres au service de la biodiversité

49Selon Emanuele Conte, l’âge médiéval se caractérise – on s’en souvient [123] – par une « quête de stabilité » s’exprimant « dans la relation entre choses » et repérable dans « deux types d’expression "savante" : soit dans l’élargissement des objets qui sont considérés comme des choses, soit dans l’extension des possibilités d’établir des servitudes réelles, c’est-à-dire, précisément, des relations des choses entre elles » [124]. Or les sites naturels de compensation, les éléments créés de biodiversité et les unités de compensation peuvent être regardés comme de nouvelles choses apparues sous le ciel du droit. Des choses frugifères, les sites naturels produisent d’autres choses : des éléments de biodiversité, soit des fruits. Puis, ils émettent des titres financiers correspondant à ces derniers : les « unités de compensation », et les mettent en vente. Ce faisant, les sites naturels de compensation entretiennent des relations avec la biodiversité. Ils se trouvent assujettis, obligés envers elle. Ce sont des fonds servants, mis au service de la biodiversité, fonds dominant. Et c’est pourquoi la partie réglementaire du Code de l’environnement dédiée à la compensation comporte une section intitulée « obligations des sites naturels de compensation ».

50Ce titre pourrait bien sûr signifier qu’il existe des obligations intéressant les sites, relatives aux sites, et non des obligations dues par eux. L’article D. 163-8 du Code de l’environnement pourrait, d’ailleurs, confirmer cette manière de voir qui énonce que les sites doivent permettre une mise en œuvre des mesures compensatoires avant la « mise en vente » – par de tierces personnes ? – des « unités de compensation correspondantes », et faire – comme passivement – « l’objet » d’un suivi et d’une évaluation des mesures mises en œuvre et de leur efficacité [125]. Et l’on pourrait encore arguer du fait que la section fut, d’abord, titrée « obligations de l’opérateur du site naturel de compensation » dans le projet de décret du 28 février 2017. Cependant, le texte fut précisément amendé sur ce point, et il ne laisse plus paraître aujourd’hui d’ambiguïté. Ainsi, l’article D. 163-9 du Code de l’environnement énonce que « le comité de suivi local est chargé du suivi des obligations qui incombent au site naturel de compensation ». De même, l’article D. 163-7 du même Code prévoit que « l’agrément peut être modifié ou retiré si le site naturel de compensation cesse de remplir l’une des obligations prévues à l’article D. 163-8 ». Notons enfin que l’article D. 163-4 dispose que les maîtres d’ouvrage ou entrepreneurs de travaux peuvent acquérir des unités de compensation « auprès du site naturel de compensation ». En mettant des obligations à la charge de fonds de terre, en envisageant cette hypothèse où ceux-ci n’exécuteraient pas leurs obligations, et en prévoyant l’achat de titres auprès des sites mêmes, et non des personnes les ayant mis en place, le législateur pourrait rompre avec une conception subjectiviste, fondée sur le sujet de droit, pour renouer avec une conception réicentriste, articulée autour des choses du droit.

51Il se pourrait, donc, qu’au sein de notre droit orienté vers la libre circulation des biens prenne corps un autre droit, tourné vers la richesse et la solidité des relations entre les choses et/ou les personnes. Et si, à la différence des juristes du haut moyen-âge, nous paraissons loin d’exclure « complètement le sujet humain », les humains chargés de l’établissement et de la surveillance d’un site naturel de compensation en sont les intendants ; ils sont là « à titre d’administrateur[s] chargé[s] de la gestion d’une économie dont la stabilité » peut être garantie – il est vrai, non « par l’absence de tout sujet propriétaire » [126] – mais par la présence concurrente de choses situées, territorialisées [127] et obligées, astreintes à des obligations envers d’autres.

52Pour conclure disons que l’analyse que nous avons proposée de la compensation écologique pourrait être reconduite avec l’étude d’autres mécanismes. Il se pourrait, en effet, que les quotas d’émission de gaz à effet de serre, les certificats d’économie d’énergie et les certificats d’économie de produits phytosanitaires relèvent, eux aussi, d’une logique analogiste. Surtout, l’analogie représente l’une des quatre formes de relations entre les choses décrites dans La prose du monde, soit une seule des formes de relations à partir desquelles l’analogisme européen se trouve conceptualisé dans Par-delà nature et culture. À l’avenir, nous tâcherons donc de montrer comment diverses innovations du droit de l’environnement peuvent se comprendre à travers la convenientia, l’aemulatio et le jeu des sympathies [128].

Mes remerciements à Serge Gutwirth, à Aliénor Bertrand et à Guillaume du Boisbaudry pour leurs invitations respectives à écrire dans cette chronique, à songer à quelque voyage en Mésopotamie, et à franchir le pas. Cette étude s’inscrit dans l’ANR Compag, dirigée par Isabelle Doussan, et prépare à la rédaction Des choses de la nature et de leurs relations. Le droit de l’environnement par-delà objets et sujets de droit, pour le groupe Sciences en questions de l’INRA.

Mots-clés éditeurs : dette, intendance, divinité, droit réel, temple, servitude, antichrèse, sacrifice

Date de mise en ligne : 19/03/2019

Notes

  • [1]
    Article L. 110-1 C. env. (1ère partie).
  • [2]
    Article L. 110-1 C. env. (2ème partie).
  • [3]
    La compensation était déjà prévue en matière de défrichement (article L. 341-6 du Code forestier), de destruction de zones humides (article R. 214-6, II C. env.), d’atteinte aux objectifs de conservation d’un site Natura 2000 (article L. 414-4, VII C. env.) et d’atteinte aux continuités écologiques résultant des plans et projets publics (articles L. 371-2 et L. 371-3 C. env.). Nous en resterons à la compensation écologique au sens du chapitre III du titre VI du livre 1er C. env. Pour une étude plus générale, voir P. Steichen, « La compensation préalable des atteintes à la biodiversité dans le cadre des projets d’aménagement. Biodiversité protégée et biodiversité ordinaire : deux poids, deux mesures ? », à paraître dans cette revue.
  • [4]
    I. Doussan, « Compensation écologique : le droit des biens au service de la création de valeurs écologiques et après ? », in S. Vanuxem et C. Guibet Lafaye (dir.), Repenser la propriété, un essai de politique écologique, PUAM, 2015, p. 99-113, spéc. p. 99.
  • [5]
    Le chapitre III du titre VI du livre 1er.
  • [6]
    Article L. 163-3 C. env.
  • [7]
    Voir l’article L. 163-1 I, alinéa 1, C. env.
  • [8]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité : de l’utilité technique d’un dispositif éthiquement contestable », Revue de Droit Immobilier, 2016, p. 586.
  • [9]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité… », loc. cit. Voir aussi A. Van Lang, « La loi Biodiversité du 8 août 2016 : une ambivalence assumée. Le droit nouveau : la course à l’armement (1ère partie) », AJDA, 2016, p. 2381 ; J.-Marc Pastor, « Le point final des députés au projet de loi Biodiversité », Dalloz, 2016, p. 1476.
  • [10]
    M.-P. Camproux-Duffrène, « Le marché d’unités de biodiversité : questions de principe », RJE, 2008, p. 87.
  • [11]
    Un opérateur de compensation « est une personne publique ou privée chargée, par une personne soumise à une obligation de mettre en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité, de les mettre en œuvre pour le compte de cette personne et de les coordonner à long terme » (article L. 163-1 III C. env.).
  • [12]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité… », loc. cit. ; M.-P. Camproux-Duffrène, loc. cit.
  • [13]
    Voir l’opération Cossure, dans la plaine de Crau, réalisée par la CDC-Biodiversité pour la création d’une Réserve d’Actifs Naturels, désormais appelée Site Naturel de Compensation. Depuis 2011, plusieurs aménageurs redevables d’actions de compensation en plaine de Crau auraient, ainsi, souscrit l’acquisition d’unités de compensation Cossure (http://www.cdc-biodiversite.fr).
  • [14]
    Voir les décrets d’application n° 2017-264 et 2017-265 du 28 février 2017 relatifs à l’agrément des sites naturels de compensation.
  • [15]
    Voir Trésor de la langue française.
  • [16]
    Jean Svalgelski, L’idée de compensation en France 1750-1850, préface de François Dagognet, éd. L’Hermès, 1981, p. 10.
  • [17]
    Michel Foucault, Les mots et les choses [1966], Paris, Gallimard, 2002, p. 32-59.
  • [18]
    Ibid., p. 33-34.
  • [19]
    Ibid., p. 34-35.
  • [20]
    Voir le texte d’une conférence donnée à Marseille le 24 octobre 2018 et à paraître sur le site d’Opera mundi.
  • [21]
    Foucault, op. cit., p. 36-37.
  • [22]
    La quatrième forme de relations, présentée par Foucault, « est assurée par le jeu des sympathies ».
  • [23]
    Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005, Nrf.
  • [24]
    Pour Michel Villey (La formation de la pensée juridique moderne, PUF, 2003), la pensée juridique moderne naît avec le concept de droit subjectif, lequel aurait son origine dans le Léviathan publié en 1651, de Thomas Hobbes.
  • [25]
    Pour reprendre l’expression de Yan Thomas, « Res, chose et patrimoine (Note sur le rapport sujet-objet en droit romain) », Archives de philosophie du droit, 1980, tome 25 : la Loi, p. 413- 426, spéc., p. 418-419.
  • [26]
    E. Conte, « Affectation, gestion, propriété. La construction des choses en droit médiéval », in Aux origines des cultures juridiques européennes. Yan Thomas entre droit et sciences sociales, études réunies par P. Napoli, École française de Rome, 2013, voir spéc. p. 81, p. 83-85.
  • [27]
    Voir infra note 50.
  • [28]
    Émile Durkheim, Leçons de sociologie, Physique des mœurs et du droit, 1950, p. 144 à 259 (11ème à 17ème leçons).
  • [29]
    Ibid., p. 188.
  • [30]
    Ibid., p. 170.
  • [31]
    Ibid., p. 174.
  • [32]
    Ibid., p. 178-179, renvoyant à Manou – VIII, 245.
  • [33]
    Ibid., p. 183.
  • [34]
    Article L. 163-1 I. C. env.
  • [35]
    Sur le sujet connexe des services écologiques, voir V. Maris, Nature à vendre : les limites des services écosystémiques, Quæ, 2014.
  • [36]
    Voir sur ce point, E. de Mari et D. Taurisson-Mouret, L’empire de la propriété. L’impact environnemental de la norme en milieu contraint II, Victoires éditions, 2016.
  • [37]
    Durkheim, op. cit., p. 184.
  • [38]
    Henri Lévy-Bruhl, « E. Durkheim, Leçons de Sociologie. Physique des mœurs et du droit », Revue internationale de droit comparé, 1953, p. 612-614.
  • [39]
    Durkheim, op. cit., p. 184.
  • [40]
    Depuis la loi du 8 août 2016, la compensation écologique participe explicitement des moyens de prévention des dommages à l’environnement (voir l’article L. 110 I C. env.).
  • [41]
    Ph. Descola, op. cit., p. 317.
  • [42]
    Durkheim, op. cit., p. 198.
  • [43]
    David Graeber, Dette. 5000 ans d’histoire, 2011, traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise et Paul Chemla, Babel essai, 2013, p. 75.
  • [44]
    L’article L. 163-5 C. env. dispose que « les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité » sont « géolocalisées et décrites dans un système national d’information géographique ».
  • [45]
    Durkheim, op. cit., p. 184-185.
  • [46]
    I. Doussan, « Compensation écologique : le droit des biens au service de la création de valeurs écologiques et après ? », in S. Vanuxem et C. Guibet Lafaye (dir.), op. cit.. Cass. 3ème civ., 31 octobre 2012, n° 11-16304 ; M. Mekki, « Les virtualités environnementales du droit de jouissance spéciale », RDC, 1-2014, p. 105 et s. Article L. 132-3 alinéa 2 : « les obligations réelles environnementales peuvent être utilisées à des fins de compensation »
  • [47]
    Ph. Descola, op. cit., reprenant Lévi-Strauss, p. 318-319.
  • [48]
    Romain Simenel et al., « Cairn, borne ou belvédère ? Quand le naturalisme et l’analogisme négocient la limite entre espace cultivé et forêt au Maroc », Anthropologica, vol. 58, n° 1, 2016, p. 60-76.
  • [49]
    Communication du 28 novembre 2018 à Paris, AFD, lors d’une journée d’étude sur les Communs, organisée par Julie Trottier.
  • [50]
    Gérard Chouquer, « Les transformations récentes de la centuriation. Une autre lecture de l’arpentage romain », Annales. Histoire, Sciences sociales, 2008/4 (63ème année), p. 847-874, spécialement p. 866-867. Ibid : « l’espace antique est un espace multipolaire, fondé sur une vision analogique du monde et produit par les réalités du communautarisme. Dans l’Antiquité, la diversité, l’inégalité et même l’irréductibilité des êtres sont conçues comme la base de l’ontologie et ces qualités ne posent pas de problèmes en elles-mêmes. Pour un homme de l’Antiquité, la question immédiate sera de savoir par quels liens il peut relier les existants les plus divers en un enchaînement qui, de proche en proche, rétablisse la continuité. D’où l’obsession des correspondances entre les êtres, et notamment de l’homme et du cosmos. » (renvoi à Ph. Descola, op. cit., p. 287). Pour la Mésopotamie et l’analogisme, voir Jean-Jacques Glassner, « Essai pour une définition des écritures », L’Homme [En ligne], 192 | 2009, mis en ligne le 22 octobre 2011, consulté le 6 janvier 2017. URL : http://lhomme.revues.org/22268 ; DOI : 10.4000/lhomme.22268.
  • [51]
    Lévy-Bruhl, loc. cit., p. 612-614.
  • [52]
    Voir Marthe Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, université de Strasbourg, thèse soutenue en 2012.
  • [53]
    Article L. 163-1 I, alinéa 2, C. env. : les mesures de compensation « doivent se traduire par une obligation de résultats (…) ».
  • [54]
    Article L. 163-1 III C. env.
  • [55]
    Voir le Dictionnaire de l’Académie française dans ses dernières éditions (8ème et 9ème éditions).
  • [56]
    Voir le Trésor de la langue française.
  • [57]
    Depuis la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, l’antichrèse se nomme « gage immobilier » (voir l’article 10 de ladite loi).
  • [58]
    C’est nous qui soulignons.
  • [59]
    Comp. avec l’arrêt du 18 décembre 2002 à l’origine de l’article 2390 du Code civil et validant le montage de l’antichrèse-bail. Civ. 3e, 18 décembre 2002, n° 01-12.153, Bull. civ. III, n° 261 ; D. 2003. Somm. 491, obs. Avena-Robardet ; D. 2003. 963, note Delebecque ; JCP 2003. II. 10024, avis Guérin et note Picod ; JCP 2003. I. 124, n° 12, obs. Delebecque ; Banque et Droit, mars-avr. 2003, p. 54, obs. Rontchevsky ; RTD civ. 2003. 327, obs. Crocq , et, p. 319, obs. Revet ; cassant Papeete, 11 avril 2001, JCP 2002. II. 10004, note Picod, et 2002. I. 120, obs. Delebecque.
  • [60]
    Stéphane Piedelièvre, « Gage immobilier », Répertoire de droit civil, septembre 2011, § 16.
  • [61]
    Alain Fournier, « Hypothèque conventionnelle », Répertoire de droit immobilier, avril 2007.
  • [62]
    Comp., François-Louis Galliard, Acte public pour la licence présenté à la faculté de droit de Strasbourg, 1856, p. 41 : « L’antichrèse est un contrat par lequel le débiteur ou un tiers met le créancier en possession d’un immeuble avec l’autorisation d’en percevoir les fruits pour les imputer annuellement sur les intérêts et ensuite sur le capital, ou simplement sur le capital, quand la créance n’est pas productive d’intérêts » (renvoyant à Aubry et Rau, § 436). Surtout, G. Baudry-Lacantinerie et P. de Loynes, Traité théorique et pratique. Droit civil. Du nantissement. Des privilèges et hypothèques et de l’expropriation forcée, tome 1er, 1895, L. Larose, p. 126, n° 171 : « comme le gage, l’antichrèse peut être constituée soit par le débiteur, soit par un tiers dans l’intérêt du débiteur (art. 2077 et 2090) », § 517. En ce sens encore, M. Troplong, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du code. Du nantissement, du gage et de l’antichrèse ; commentaire du titre XVII, livre III, du code civil, tome 19ème, Paris, Charles Hingray, 1847, § 524 p. 48 : « L’antichrèse peut être constituée par celui qui a droit aux fruits ».
  • [63]
    Désormais appelée « gage immobilier » (voir supra note 57).
  • [64]
    Marcel Planiol, Traité élémentaire de droit civil conforme au programme officiel des facultés de droit, 9ème éd., LGDJ/R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1922-1924, p. 789-792.
  • [65]
    Ibid.
  • [66]
    À la différence, par exemple, de l’Allemagne ou de l’Angleterre. Voir Planiol, op. cit., p. 789-792 ; Robert Génestal, Rôle des monastères comme établissements de crédit étudié en Normandie du XIe à la fin du XIIIe siècle, A. Rousseau, 1901, p. 3.
  • [67]
    Alexandre III fut pape de 1159 à 1181. Voir Ernest Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, tome 7, éd. F. Pichon, 1887-1903, p. 666-667 ; Planiol, op. cit., p. 789-792 ; Frédéric Peltier, Droit romain : de la Caution "praedibus praediisque". Droit français : du Gage immobilier dans le très ancien droit français, Thèse pour le doctorat, Éd. A. Rousseau, 1893, p. 195-197.
  • [68]
    Troplong, op. cit., p. 123-125, § 165-166.
  • [69]
    Ibid., p. 472-473, § 511-512.
  • [70]
    Baudry-Lacantinerie et de Loynes, op. cit., p. 123-125.
  • [71]
    Voir supra notre introduction ; article L. 110-1 C. env.
  • [72]
    Charles Thellier de Poncheville, Du contrat d’emmortgagement, ou vente à titre de mortgage, usité autrement dans le pays de St-Amand, éd. G. Giard, 1878, p. 7.
  • [73]
    Adhémar Esmein, Études sur les contrats dans le très ancien droit français, Éd. L. Larose et Forcel (Paris), 1883, p. 162-163.
  • [74]
    Frédéric Peltier, op. cit., p. 193 ; « Vif gage est qui s’acquitte de ses issues ; mort gage est qui de rien ne s’acquitte » (Loysel).
  • [75]
    Troplong, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du code. Du nantissement, du gage et de l’antichrèse ; commentaire du titre XVII, livre III, du code civil, tome 19ème, Charles Hingray, 1847, § 23.
  • [76]
    Également parce que les prescriptions canoniques défendaient « au créancier de retenir la chose engagée en paiement, si la dette n’était pas payée à l’échéance » (Ambroise Colin et Henri Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, tome 3, Dalloz, 1931, p. 362).
  • [77]
    Ernest Glasson, Histoire du droit et des institutions de la France, tome 7, Éd. F. Pichon (Paris) Date d’édition : 1887-1903, p. 666-667.
  • [78]
    Génestal, op. cit., p. 2.
  • [79]
    Les prohibitions canoniques eurent raison des habitudes populaires et l’antichrèse subit par ailleurs la concurrence de l’hypothèque. Planiol, op. cit., p.792 : « L’antichrèse est rare ; les notaires ne la conseillent guère ; mais il paraît que, dans les environs de Paris, ce contrat qu’on croyait mort reçoit des applications nombreuses ». Troplong, op. cit., § 23 : « L’antichrèse, sans être tombée en désuétude, tant s’en faut, est cependant moins fréquente qu’autrefois ».
  • [80]
    Troplong, op. cit., p. 455-461.
  • [81]
    Charles Brindejonc, Thèse pour la licence. Droit français. Code napoléon. Du nantissement, Nantes, Imprimerie de Vincent Forest, 1855, p. 8.
  • [82]
    Jean-Baptiste Chevallier, Du cautionnement conventionnel d’après le droit romain, l’ancien droit français, le Code civil, le Code de commerce, thèse pour le doctorat, H. Plon (Paris), 1873 p. 205.
  • [83]
    Employée à des fins usuraires, l’antichrèse avait d’ailleurs déjà causé le désespoir de quelques débiteurs puisque bien avant que l’église ne s’en émeuve et « prenant en considération l’état des agriculteurs dans les provinces de la Thrace », Justinien « avait défendu aux créanciers de faire des contrats d’antichrèse avec eux ». M. Troplong, op. cit, § 500.
  • [84]
    Brindejonc, op. cit, p. 10.
  • [85]
    Planiol, op. cit., p.789-792.
  • [86]
    Baudry-Lacantinerie et de Loynes, op. cit., § 164. M. Troplong, op. cit., 1847, § 18.
  • [87]
    Baudry-Lacantinerie et de Loynes, op. cit., p. VII.
  • [88]
    Eugène Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession, et leurs transmissions en droit égyptien, comparé aux autres droits de l’antiquité, 1897, p. 166.
  • [89]
    Revillout, La Créance et le droit commercial dans l’antiquité, leçons professées à l’École du Louvre, E. Leroux (Paris), 1897, p. 249.
  • [90]
    Ibid., p. 246 ; Revillout, Notice des papyrus démotiques archaïques et autres textes juridiques ou historiques, traduits et commentés à ce double point de vue, à partir du règne de Bocchoris jusqu’au règne de Ptolémée Soter, avec une introduction complétant l’histoire des origines du droit égyptien, J. Maisonneuve, 1896, p. 254.
  • [91]
    Revillout, La Créance et le droit commercial…, op. cit., p. 246, p. 253 ; Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession…, op. cit., p. 19, p. 356 ; Revillout, Notice des papyrus…, op. cit., p. 327-328, p. 330, p. 352.
  • [92]
    Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession…, op. cit., p. 326.
  • [93]
    Ibid., p. 334.
  • [94]
    E. Conte, loc. cit.
  • [95]
    Esmein, op. cit., p. 163.
  • [96]
    Planiol, op. cit., p.792.
  • [97]
    À supposer que cette piste mérite d’être suivie, encore faudrait-il observer les différences entre les divers droits antiques. Révillout note ainsi que « les principes du droit, tels que les comprenaient les Egyptiens et même les Romains de la grande époque, n’étaient nullement les principes de l’économie politique libre échangiste des Chaldéens » (Revillout, Notice des papyrus…, op. cit., p. 330). Il ne faudrait pas manquer de voir aussi qu’en dépit de l’inaliénabilité de la propriété foncière, les techniques juridiques, telle l’antichrèse, conduisaient paradoxalement à une grande mobilisation des terres (Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession… op. cit., p. 165).
  • [98]
    Revillout, Notice des papyrus…, op. cit, p. 254.
  • [99]
    Revillout, La Créance et le droit commercial…, op. cit., p. 247-248.
  • [100]
    Ibid., p. 246-247. Revillout, Notice des papyrus…, op. cit., p. 254.
  • [101]
    Usuraire, par hypothèse, sans quoi il ne s’agirait pas d’un contrat aléatoire. Car un contrat aléatoire est un « contrat à titre onéreux dans lequel l’existence ou la valeur d’une prestation n’est pas connue au moment de sa formation, parce qu’elle dépend d’un évènement futur et incertain (ex : contrat de rente viagère), ce qui laisse à chacune une chance de gain ou un risque de perte » (Th. Debard et S. Guichard (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2013).
  • [102]
    Chevallier, op. cit., p. 205.
  • [103]
    D. Graeber, op. cit., p. 51, sur la période mésopotamienne : « on voit aisément que la "monnaie" ici n’est en rien le produit de transactions commerciales. Elle a été en réalité créée par des fonctionnaires pour garder trace des ressources et déplacer des choses entre des services. Les fonctionnaires des temples utilisaient ce système pour calculer les dettes (…) en argent métal. Néanmoins (…) si les dettes étaient calculées en argent, elles n’avaient pas été payées en argent – en fait on pouvait les payer avec pratiquement tout ce dont on disposait » et p. 310-311, sur la période médiévale : « il nous faut supposer que, dans la plupart des cas, la monnaie est une unité de compte : ce qui fait réellement l’objet de transaction, ce sont des animaux, du blé, de la soie, du beurre, des fruits, et tous les autres produits pour lesquels les taux d’intérêts appropriés sont précisés si minutieusement dans les choses juridiques de l’époque ». Voir aussi K. Polanyi, C. M. Arensberg, H. W. Pearson, Commerce et marché dans les premiers empires. Sur la diversité des économies, 1957, Le bord de l’eau, 2017, p. 92-84.
  • [104]
    Revillout, La Propriété, ses démembrements, la possession…, op. cit., p. 19.
  • [105]
    Article L. 163-1 II C. env.
  • [106]
    Article D. 163-4 C. env.
  • [107]
    Article L. 163-3 C. env.
  • [108]
    Dominique Charpin, La vie méconnue des temples mésopotamiens, Collège de France, Les Belles Lettres, 2017, p. 64.
  • [109]
    Ibid., p. 65-68.
  • [110]
    Ibid., p. 106, p. 130.
  • [111]
    Ibid., p. 26-30.
  • [112]
    Pour reprendre l’intitulé de la loi du 8 août 2016.
  • [113]
    David Graeber, op. cit., p. 263.
  • [114]
    Ibid., p. 215-216.
  • [115]
    Ibid., p. 81-82.
  • [116]
    Ibid., p. 50.
  • [117]
    E. Conte, loc. cit., p. 73-86.
  • [118]
    Article D. 163-3 C. env.
  • [119]
    Article R. 163-2, alinéa 1 et 2, C. env.
  • [120]
    Article D. 163-9 C. env.
  • [121]
    Article L. 163-1 I, alinéa 2, C. env.
  • [122]
    Article D. 163-5 C. env.
  • [123]
    Voir supra l’introduction.
  • [124]
    E. Conte, loc. cit., p. 85-86.
  • [125]
    Créé par le décret n° 2017-265 du 28 février 2017.
  • [126]
    E. Conte, loc. cit., p. 85.
  • [127]
    L’article D. 163-4 C. env. prévoit que l’agrément de « sites naturels » mentionne « la localisation du site et les références des parcelles cadastrales concernées ».
  • [128]
    Voir supra, note 20.

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