Couverture de RJE_161

Article de revue

La justice climatique et l’Accord de Paris sur le climat

Pages 71 à 79

Notes

  • [1]
    Selon la traduction officielle retransmise au moment de l’allocution filmée du 30 novembre 2015.
  • [2]
    Une littérature importante existe sur le sujet mais nous pouvons par exemple citer Pierre-Yves Néron, « Penser la justice climatique », Éthique publique (en ligne), vol. 14, n° 1, mis en ligne le 17 février 2013 consulté le 7 septembre 2015. Cet article fait un point sur la littérature qui met en exergue les principaux aspects du débat sur la justice climatique. L’expression « justice climatique » est alors utilisée dans un autre sens que celui souvent utilisé par la doctrine juridique française, pour laquelle la justice climatique renvoie avant tout aux procédures devant les tribunaux (en place ou à créer sur le plan international). Par exemple cf. Anne-Sophie Tabau, Christel Cournil, « Nouvelles perspectives pour la justice climatique (Cour du District de La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas »), RJE, 2015/4, pp. 672-693.
  • [3]
  • [4]
    Cf. Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique, Cochabamba, 19 au 22 avril 2010. Déclaration universelle des droits de la terre mère, 2010 : http://rio20.net/fr/propuestas/declaration-universelle-des-droits-de-la-terre-mere/
  • [5]
    Cf. Paragraphe 13 du Préambule de l’Accord de Paris : « Notant qu’il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans, et à la protection de la biodiversité, reconnue par certaines cultures comme la terre nourricière, et notant l’importance pour certaines de la notion de « justice climatique », dans l’action menée face aux changements climatiques ».
  • [6]
    Concernant la prise en considération de ce concept en Europe cf. Agnès Michelot, « Ecological Integrity in European Law? », in Laura Westra, Prue Taylor, Agnès Michelot (ed. by), Confronting Ecological and Economic Collapse. Ecological integrity for Law, Policy and Human Rights, Earthscan from Routleddge, London and New York, 2013, p. 65-77.
  • [7]
    Cf. Paragraphe 2.4. 6, Stratégie paneuropéenne de la diversité biologique et paysagère soumise par le Conseil de l’Europe à la conférence ministérielle, Sofia, Bulgarie, 23 au 25 octobre 1995.
  • [8]
    Article 2(1), Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32.
  • [9]
    Act of the Republic of Indonesia, n° 5 of 1990 concerning conservation of living resources and their ecosystems. Les articles 19.3 et 33.2 se référent aux activités qui peuvent modifier l’intégrité (en anglais “natural integrity”) ou détériorer les fonctions d’une aire protégée.
  • [10]
    Alliance de 11 États créée en 2004 (Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, Antigua-et-Barbuda, l’Équateur, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès et la Grenade). C’est une organisation politique, culturelle, sociale et économique qui défend l’intégration des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes dans un nouvel ordre international pluripolaire.
  • [11]
    Declaracion de Cancun, Cumbre Sur-Sur sobre Justicia climatica y Financiamiento, 13 décembre, 2010.
  • [12]
    Article 14 Ley de la Madre Tierra y desarollo integral para vivir bien (Bolivia), Ley n° 300. « Justicia Climática. El Estado Plurinacional de Bolivia, en el marco de la equidad y las responsabilidades comunes pero diferenciadas de los países ante el cambio climático, reconoce el derecho que tiene el pueblo boliviano y sobre todo las personas más afectadas por el mismo a alcanzar el Vivir Bien a través de su desarrollo integral en el marco del respeto a las capacidades de regeneración de la Madre Tierra ».
  • [13]
    Cf. International Conference on climate justice- Challenges and perspectives of COP21, La Rochelle, 2-3 octobre 2015. Colloque annuel de l’Association européenne de droit de l’environnement. Colloque en ligne : http://portail-video.univ-lr.fr/Conference-Justice-Climatique
  • [14]
    Cf. René Audet, “Climate justice and bargaining coalitions : a discourse analysis, International Environmental Agreements: Politics”, Law and Economics, Springer, 2012, p. 370-385.
  • [15]
    A. Michelot (dir.), Équité et environnement. Quels modèles de justice environnementale ?, Larcier, Bruxelles, 2012.
  • [16]
    Cf. notamment Les Cahiers de droit, « Le principe des responsabilités communes mais différenciées en droit international de l’environnement. Enjeux et perspectives », Vol. 55, n° 1, mars 2014, Université de Laval.
  • [17]
    Cf. Paragraphe 11 du Préambule de l’Accord.
  • [18]
    Cf. article 11 de l’Accord : « Le renforcement des capacités au titre du présent Accord devrait contribuer à améliorer les aptitudes et les capacités des pays en développement parties… ». « Toutes les parties devraient coopérer… » ; « les pays développés devraient étoffer l’appui apporté aux mesures de renforcement de capacités dans les pays en développement parties. »
  • [19]
    Cf. Article 4 de l’Accord. Les parties cherchent à atteindre l’objectif de température à long terme prévu à l’article 2.
  • [20]
    Cf. article 7 de l’Accord.
  • [21]
    Cf. article 4.1 de l’Accord.
  • [22]
    Article 7.4 de l’Accord.
  • [23]
    Article 7.2 de l’Accord.

1L’ouverture de la COP21 le 30 novembre 2015 à Paris, a d’emblée mis à l’honneur le concept de justice climatique. Dans son discours François Hollande précise ainsi que « c’est au nom de la justice climatique » qu’il s’exprime et que « c’est au nom de la justice climatique que nous devons agir ». Il sera rejoint par d’autres chefs d’État et notamment par le Président chinois Xi Jin Ping qui, dans son discours d’ouverture, énoncera que « nous devons défendre la justice climatique » en établissant un lien avec des « valeurs de justice et de démocratie » [1].

2La notion de justice climatique a été très souvent utilisée en amont des négociations internationales par les responsables politiques notamment des pays en développement, ainsi que par de nombreux mouvements issus de la société civile. Sans disposer d’une interprétation universellement reconnue, la notion ne cesse de traverser les champs disciplinaires qui s’intéressent au régime international climatique et à ses possibles évolutions [2].

3Dans un tel contexte, l’Accord de Paris pouvait-il faire l’impasse sur une référence à la justice climatique ? L’imbroglio diplomatique inhérent au déroulement d’un processus de négociations d’une telle ampleur, pouvait laisser sceptique sur la question. Or, le préambule de l’Accord « note » l’importance « pour certaines cultures de la notion de « justice climatique », dans l’action menée face aux changements climatiques ».

4À l’heure d’un premier bilan de la COP21 et d’une analyse du texte de l’Accord de Paris sur le climat, il paraît utile d’évoquer le contexte qui a présidé à la reconnaissance de cette notion et la portée de son introduction dans le texte (I). Faut-il, comme l’a exprimé le premier ministre indien Narenda Modi, voir dans l’accord de Paris une « victoire de la justice climatique ? » [3]. Faut-il au contraire relativiser l’intérêt de la référence à la justice climatique au vu du contenu du texte ? Quel est l’apport de l’Accord de Paris sur le sujet au-delà d’une justice climatique reconnue par « certaines cultures » ? (II)

I – Le texte et le contexte de la « reconnaissance » de la notion de justice climatique

5Le suivi des négociations a montré qu’il était loin d’être acquis que les termes de « justice climatique » apparaissent dans l’Accord. Leur introduction a donc été âprement négociée et est le fruit de certaines concessions accordées aux défenseurs des droits de la Terre mère dont la position de la Bolivie a été emblématique [4].

6Plusieurs remarques permettent d’analyser la portée que les négociateurs ont souhaité donner à l’introduction de ce terme dans l’Accord de Paris.

A – La notion apparaît dans le préambule de l’Accord

7Il est bien fait référence à une « notion » de justice climatique au paragraphe 13 du préambule de l’Accord. Les termes de justice climatique n’apparaissent nulle part ailleurs dans le corps du texte de l’Accord. Le choix du préambule est bien évidemment important puisqu’il s’agit de donner des orientations à l’interprétation du texte. Cependant, outre le fait que ce point apparaisse après bien d’autres priorités telles que : l’élimination de la pauvreté (§8), la sécurité alimentaire (§9), les impératifs d’une transition juste pour la population active et la création d’emplois décents et de qualité (§10), il n’est pas visé par une « reconnaissance » (comme c’est le cas pour la priorité fondamentale consistant à protéger la sécurité alimentaire), c’est le terme « notant » qui est utilisé [5]. Par conséquent, c’est sous forme de constat que la « notion » de justice climatique fait son apparition. Enfin, la référence à la justice climatique ne fait pas l’objet d’un paragraphe dédié.

B – La justice climatique est accolée à la notion « d’intégrité de tous les écosystèmes »

8À la lecture du paragraphe 13 du Préambule, on comprend que la reconnaissance porte sur le fait que certaines cultures donnent de l’importance à cette notion. Mais la justice climatique comme objectif ou principe d’action n’est pas reconnue en elle-même ni pour elle-même.

9Ce qui est mis en valeur dans ce paragraphe est prioritairement la référence à « l’intégrité de tous les écosystèmes », ce qui est effectivement cohérent par rapport à une approche « culturelle » de la justice climatique en lien avec le respect de la « Terre nourricière ».

10L’intégrité des écosystèmes est reconnue dans plusieurs systèmes juridiques de manière plus ou moins précise [6]. Elle a notamment fait l’objet d’une définition dans la Stratégie paneuropéenne sur la diversité biologique et paysagère de 1995 qui la présente comme un principe stratégique : « en vertu du principe de l’intégrité écologique, il convient de protéger les processus écologiques qui interviennent dans la survie des espèces et dans la préservation des habitats dont cette survie dépend » [7]. En droit de l’Union européenne, l’intégrité écologique renvoie au concept de « bon état écologique » en lien avec des indicateurs d’évaluation environnementale comme dans la Directive cadre stratégie sur le milieu marin 2008/56 CE ou dans la directive cadre sur l’eau 2000/60/CE. La loi sur les parcs nationaux du Canada définit quant à elle l’intégrité écologique comme « un état jugé caractéristique de sa région naturelle et susceptible de durer, qui comprend les composantes abiotiques et la composition de même que l’abondance des espèces indigènes et des communautés biologiques, les rythmes de changement et les processus qui les soutiennent. » [8]. Des lois nationales relatives à la conservation comme la loi indonésienne sur la conservation des ressources et de leurs écosystèmes de 1990 font référence au concept d’intégrité de la nature sans lui donner une définition précise [9]. Par conséquent la référence dans l’Accord de Paris à l’intégrité de tous les écosystèmes s’inscrit dans une démarche juridique déjà engagée qui justifie son utilisation. Cependant, cela n’explique pas clairement le lien établi avec la notion de justice climatique. On pourrait s’avancer à considérer que la justice climatique se réalise dans le respect de l’intégrité de tous les écosystèmes en faisant une interprétation du « et notant » qui relie les deux notions dans ce paragraphe du Préambule. Mais il est également possible de soutenir que, si veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes est un objectif suffisamment important pour qu’il apparaisse dans le préambule du texte et donc comme une orientation majeure de l’Accord, par contre, la reconnaissance de la justice climatique ne concerne que « certaines cultures ».

C – La notion est reconnue par « certaines cultures » et non par les États

11Il ne fait pas beaucoup de doute qu’est visée par « certaines cultures », la position portée par le groupe de négociations latino-américain ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique [10]), qui défend la Terre mère et les droits de l’homme. Ce groupe souhaite promouvoir ainsi un nouvel ordre international multicentrique et diffuser les coutumes et croyances des peuples membres de l’Alliance, d’où la référence à « certaines cultures ».

12La position des peuples amérindiens s’était déjà exprimée notamment lors de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique, réunie à Cochabamba en 2010 qui avait accueilli les représentants de 47 États Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La justice climatique est par ailleurs portée par plusieurs mouvements de la société civile. À titre d’illustration, a été adoptée par diverses ONG issues de pays en développement, la Déclaration de Cancun sur la justice climatique et le financement en 2010 [11]. Cette déclaration porte une certaine vision de la dette écologique qu’elle oppose à la dette financière des pays en développement.

13La Bolivie a, quant à elle, élaboré une loi sur la Terre mère en 2012 qui définit la justice climatique en s’appuyant sur les « capacités de régénération de la Terre mère » et les références à l’équité et aux responsabilités communes mais différenciées [12]. L’approche juridique est ancrée dans le droit au « bien vivre » du peuple bolivien et des personnes affectées par le changement climatique. Elle prend clairement appui sur la responsabilité historique des pays développés en évoquant une situation antérieure au changement climatique.

14Cependant dans l’Accord de Paris, la justice climatique n’est pas définie. Les cultures visées dans ce paragraphe ne sont pas précisées. Le seul éclairage dont nous disposons est qu’elle est importante pour ces cultures « dans l’action menée face au changement climatique ». La justice climatique est donc comprise en lien avec l’action et non par exemple en lien avec le principe de responsabilités communes mais différenciées comme c’est le cas dans la conception bolivienne. Cette perspective permet d’écarter une conception distributive de la justice climatique en lien avec la distribution des responsabilités et surtout de ne pas porter un message trop accusateur à l’encontre des pays développés. Plus généralement, avec cette formulation, les États ne reconnaissent pas la justice climatique.

II – La justice climatique au-delà d’une reconnaissance « culturelle » identifiée ?

15La question que l’on peut légitimement se poser est de savoir si le fait d’avoir introduit la notion de justice climatique dans le cadre extrêmement restreint d’une reconnaissance « par certaines cultures » peut conduire à enfermer la notion dans cette approche très circonscrite. D’une certaine manière puisque la notion est évoquée uniquement en référence à certaines cultures, elle n’est pas reconnue par les « autres », c’est-à-dire par les autres cultures, ou par les États. Elle n’est pas non plus une préoccupation commune de l’humanité.

16Cependant l’Accord de Paris peut quand même être analysé par rapport à d’autres approches, plus larges, de la justice climatique. Nous ne pouvons bien sûr développer tous les angles de la justice climatique [13]. Pour cette raison, nous faisons le choix quelque peu arbitraire de présenter succinctement deux grilles de lecture du texte. L’une basée sur les positions défendues par les différents groupes de négociations [14] et l’autre basée sur notre propre définition de la justice climatique inspirée des travaux déjà réalisés sur la justice environnementale [15].

A – Les grandes préoccupations de la justice climatique présentes dans l’Accord

17L’analyse du contenu de l’Accord en lien avec les discours et revendications des négociateurs, montre la prise en compte de leurs préoccupations en termes de justice climatique au sens des enjeux et des objectifs de lutte contre les changements climatiques.

18Trois champs principaux de revendications autour de la justice climatique peuvent être identifiés : la responsabilité, l’équité, et l’équilibre. Ce troisième champ est parfois moins connu car il relève des relations diplomatiques et vise plus une méthode qui consiste à mettre en relation différentes actions ou objectifs tels que mitigation et adaptation pour trouver des solutions équilibrées entre les Parties. Il est pourtant au cœur des choix opérés dans l’Accord de Paris.

19Concernant la question de la responsabilité, les différentes interprétations du principe de responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives restent effectivement un sujet de débat [16]. Mais le principe est réaffirmé dès le troisième paragraphe du Préambule comme un axe fort de l’Accord en lien avec le principe d’équité ainsi que dans l’article 2. La question de la responsabilité est donc très balancée par les deux autres perspectives : 1- celle de l’équité entre les pays développés, les pays en développement, avec parfois des précisions pour les pays les moins avancés, les petits États insulaires en développement et ceux qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques ; 2- celle de l’équilibre entre les objectifs à atteindre et les moyens et capacités à mettre en œuvre pour y parvenir. Sur la question de la responsabilité un équilibre est à trouver entre une approche accusatoire pour les pays développés, difficilement acceptable pour eux et donc source de blocages, et une approche orientée vers l’action qui correspond plus au discours porté par l’Union européenne en particulier. La responsabilité n’est pas ancrée dans la faute mais dans la capacité d’agir. En ce sens le principe d’équité entre les générations [17] peut être un appui puisqu’il s’agit de se tourner vers le futur plutôt que vers le passé. La différenciation est le fil rouge de l’Accord. Elle se décline par rapport à la vulnérabilité des pays aux changements climatiques, à leurs capacités de financement et d’adaptation dans les différents articles à l’exception notable de l’article 8 sur les pertes et préjudices liés aux changements climatiques qui n’y fait aucune référence. Il faut cependant relever que pour les engagements pris pour soutenir les pays en développement notamment sur les renforcements de capacités, l’emploi du conditionnel est systématique [18].

20La question de l’équité, très reliée à celle de la responsabilité, est présentée comme un principe dans le préambule et à l’article 2 de l’Accord. Elle est également particulièrement liée à la reconnaissance des vulnérabilités aux changements climatiques ainsi qu’aux efforts que toutes les parties devraient fournir tant sous l’angle des réductions [19] que de l’adaptation [20]. L’objectif de limiter l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2° C s’établit « sur la base de l’équité » [21]. Il est par ailleurs reconnu que les niveaux d’adaptation plus élevés peuvent entraîner des coûts d’adaptation plus importants [22] et qu’il faut tenir compte des besoins urgents et immédiats des pays en développement parties [23]. Il est également clairement prévu dans le paragraphe 6 du Préambule qu’« il faut tenir compte des besoins spécifiques et de la situation particulière des pays les moins avancés en ce qui concerne le financement et le transfert de technologies ». Sous un autre angle et de manière complémentaire l’équité apparaît au paragraphe 8 du Préambule sous la forme d’un constat selon lequel « il existe (…) un accès équitable au développement durable et à l’élimination de la pauvreté ».

21Enfin, la question de l’équilibre est expressément présentée dans l’article 4.1 sous l’angle d’un « équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre » en lien avec l’objectif de température à long terme. Mais elle apparaît aussi dans l’article 9.4 qui vise à « parvenir à un équilibre entre l’adaptation et l’atténuation » en tenant compte des stratégies et des priorités des pays. Cette disposition est cohérente avec l’article 10.6 qui prévoit de « parvenir à un équilibre entre l’appui à l’atténuation et l’appui à l’adaptation ». Dans tous les cas, l’équilibre est présenté comme un objectif à atteindre.

B – Les principaux fondements juridiques et enjeux de la justice climatique à peine évoqués

22La justice climatique, bien au-delà de l’Accord de Paris, peut s’articuler sur plusieurs niveaux en fonction des sujets de droit considérés qui en seraient en quelque sorte les acteurs et/ou les destinataires. La justice climatique peut être présentée comme un objectif visant à rétablir l’équité entre États, à l’intérieur des États, entre les individus et les générations et visant aussi à combattre les injustices (transfert des pollutions et des coûts d’adaptation, répartition inégale des responsabilités…). Elle s’adresse aux États, aux groupes et communautés, aux individus, aux générations futures et même à la nature (si on reprend l’approche bolivienne avec la référence aux droits de la Terre mère). Son contenu s’appuie sur les principes du droit international de l’environnement et d’autres branches du droit comme les droits de l’homme.

23La plupart des dispositions visent bien les États avec des niveaux d’engagements différenciés en fonction de leurs capacités et pour tenir compte de leurs vulnérabilités aux effets des changements climatiques. Les changements climatiques sont reconnus comme préoccupation pour l’humanité tout entière dans le paragraphe 11 du Préambule qui semble récapituler une partie des droits qui fondent la justice climatique : les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable, le droit au développement, l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Il n’est pas prévu la défense de l’intérêt des générations présentes et futures mais il est inscrit l’équité entre générations. Il n’est pas fait mention ailleurs de ces droits à part dans l’article 7.5 qui reconnaît que l’action pour l’adaptation devrait « suivre une démarche impulsée par les pays sensibles à l’égalité des sexes, participative et totalement transparente. » » et « devrait tenir compte et s’inspirer » du savoir des peuples autochtones.

24Cependant d’autres droits auraient pu être mis en avant comme le droit à la vie, le droit à un environnement sain, le droit à l’information et à la participation aux décisions. Il est par contre affirmé « l’importance » de la participation du public et de l’accès à l’information dans le paragraphe 14 du Préambule.

25En conclusion, l’Accord de Paris, s’il introduit la notion de justice climatique dans le Préambule, ne lui donne en fait qu’une place très marginale en lien avec sa reconnaissance par certaines cultures. Par ailleurs, les mécanismes qu’il propose restent profondément ancrés dans une logique inter-étatique qui semble indépassable et très liée aux priorités nationales. Cette logique ne permet pas de soutenir les potentialités juridiques que peut offrir une vision à la fois plus large et plus construite d’une justice climatique adossée à différents droits déjà bien reconnus.


Mots-clés éditeurs : justice climatique, intégrité des écosystèmes, vulnérabilité, Accord de Paris, équilibre, principe de responsabilités différenciées, droits de la terre-mère, négociations, équité, COP21

Date de mise en ligne : 04/04/2016

Notes

  • [1]
    Selon la traduction officielle retransmise au moment de l’allocution filmée du 30 novembre 2015.
  • [2]
    Une littérature importante existe sur le sujet mais nous pouvons par exemple citer Pierre-Yves Néron, « Penser la justice climatique », Éthique publique (en ligne), vol. 14, n° 1, mis en ligne le 17 février 2013 consulté le 7 septembre 2015. Cet article fait un point sur la littérature qui met en exergue les principaux aspects du débat sur la justice climatique. L’expression « justice climatique » est alors utilisée dans un autre sens que celui souvent utilisé par la doctrine juridique française, pour laquelle la justice climatique renvoie avant tout aux procédures devant les tribunaux (en place ou à créer sur le plan international). Par exemple cf. Anne-Sophie Tabau, Christel Cournil, « Nouvelles perspectives pour la justice climatique (Cour du District de La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas »), RJE, 2015/4, pp. 672-693.
  • [3]
  • [4]
    Cf. Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique, Cochabamba, 19 au 22 avril 2010. Déclaration universelle des droits de la terre mère, 2010 : http://rio20.net/fr/propuestas/declaration-universelle-des-droits-de-la-terre-mere/
  • [5]
    Cf. Paragraphe 13 du Préambule de l’Accord de Paris : « Notant qu’il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans, et à la protection de la biodiversité, reconnue par certaines cultures comme la terre nourricière, et notant l’importance pour certaines de la notion de « justice climatique », dans l’action menée face aux changements climatiques ».
  • [6]
    Concernant la prise en considération de ce concept en Europe cf. Agnès Michelot, « Ecological Integrity in European Law? », in Laura Westra, Prue Taylor, Agnès Michelot (ed. by), Confronting Ecological and Economic Collapse. Ecological integrity for Law, Policy and Human Rights, Earthscan from Routleddge, London and New York, 2013, p. 65-77.
  • [7]
    Cf. Paragraphe 2.4. 6, Stratégie paneuropéenne de la diversité biologique et paysagère soumise par le Conseil de l’Europe à la conférence ministérielle, Sofia, Bulgarie, 23 au 25 octobre 1995.
  • [8]
    Article 2(1), Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32.
  • [9]
    Act of the Republic of Indonesia, n° 5 of 1990 concerning conservation of living resources and their ecosystems. Les articles 19.3 et 33.2 se référent aux activités qui peuvent modifier l’intégrité (en anglais “natural integrity”) ou détériorer les fonctions d’une aire protégée.
  • [10]
    Alliance de 11 États créée en 2004 (Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, Antigua-et-Barbuda, l’Équateur, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès et la Grenade). C’est une organisation politique, culturelle, sociale et économique qui défend l’intégration des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes dans un nouvel ordre international pluripolaire.
  • [11]
    Declaracion de Cancun, Cumbre Sur-Sur sobre Justicia climatica y Financiamiento, 13 décembre, 2010.
  • [12]
    Article 14 Ley de la Madre Tierra y desarollo integral para vivir bien (Bolivia), Ley n° 300. « Justicia Climática. El Estado Plurinacional de Bolivia, en el marco de la equidad y las responsabilidades comunes pero diferenciadas de los países ante el cambio climático, reconoce el derecho que tiene el pueblo boliviano y sobre todo las personas más afectadas por el mismo a alcanzar el Vivir Bien a través de su desarrollo integral en el marco del respeto a las capacidades de regeneración de la Madre Tierra ».
  • [13]
    Cf. International Conference on climate justice- Challenges and perspectives of COP21, La Rochelle, 2-3 octobre 2015. Colloque annuel de l’Association européenne de droit de l’environnement. Colloque en ligne : http://portail-video.univ-lr.fr/Conference-Justice-Climatique
  • [14]
    Cf. René Audet, “Climate justice and bargaining coalitions : a discourse analysis, International Environmental Agreements: Politics”, Law and Economics, Springer, 2012, p. 370-385.
  • [15]
    A. Michelot (dir.), Équité et environnement. Quels modèles de justice environnementale ?, Larcier, Bruxelles, 2012.
  • [16]
    Cf. notamment Les Cahiers de droit, « Le principe des responsabilités communes mais différenciées en droit international de l’environnement. Enjeux et perspectives », Vol. 55, n° 1, mars 2014, Université de Laval.
  • [17]
    Cf. Paragraphe 11 du Préambule de l’Accord.
  • [18]
    Cf. article 11 de l’Accord : « Le renforcement des capacités au titre du présent Accord devrait contribuer à améliorer les aptitudes et les capacités des pays en développement parties… ». « Toutes les parties devraient coopérer… » ; « les pays développés devraient étoffer l’appui apporté aux mesures de renforcement de capacités dans les pays en développement parties. »
  • [19]
    Cf. Article 4 de l’Accord. Les parties cherchent à atteindre l’objectif de température à long terme prévu à l’article 2.
  • [20]
    Cf. article 7 de l’Accord.
  • [21]
    Cf. article 4.1 de l’Accord.
  • [22]
    Article 7.4 de l’Accord.
  • [23]
    Article 7.2 de l’Accord.

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