Couverture de RJE_111

Article de revue

Les grands fonds marins, patrimoine commun de l’humanité, vont être exploités. Mais selon quel régime juridique ?

Pages 191 à 194

Notes

  • [1]
    CIJ, affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c/ Slovaquie), 25 septembre 1997.
  • [2]
    L’obligation d’effectivité de la norme environnementale définissable comme l’obligation pour les Etats d’assurer un certain niveau de vigilance sur le respect des normes environnementales et l’exercice d’un contrôle administratif sur les opérateurs publics et privés, trouve sa source dans l’arrêt de la CIJ, Affaire relative à l’usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c/ Uruguay), 20 avril 2010 (RJE n° 4/2010, comm. Jochen Sohnle).
  • [3]
    Ibid. ; CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, 8 juillet 1996, paragraphe 29.
  • [4]
    TIDM, affaire de l’usine MOX (Irlande c/ Royaume-Uni), 3 décembre 2001, paragraphe 82.
  • [5]
    CIJ, affaire relative à l’usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, préc., paragraphe 204.
  • [6]
    Ibid., paragraphe 205.
  • [7]
    CPIJ, affaire relative à l’usine de Chorzow, 13 septembre 1928 ; CPJI, Phosphates du Maroc, 14 juin 1938, paragraphe 28 ; CIJ, affaire du détroit de Corfou (Royaume-Uni c/ Albanie), 9 avril 1949 ; CIJ, affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/ Etats-Unis), 27 juin 1986 ; Tribunal arbitral, affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle Zélande c/ France), 30 avril 1990 ; CIJ, Gabcikovo-Nagymaros Project, préc. ; CIJ, affaire LaGrand (Allemagne c/ Etats-Unis), 27 juin 2001.
  • [8]
    CNUDM, art. 293.
  • [9]
    CNUDM, annexe III, art. 4, paragraphe 4 : « un Etat partie n’est pas responsable des dommages résultant du manquement de la part d’un contractant patronné par lui à ses obligations s’il a adopté les lois et règlements et pris les mesures administratives qui, au regard de son système juridique, sont raisonnablement appropriées pour assurer le respect effectif de ces obligations par les personnes relevant de sa juridiction ».
  • [10]
    Projets de principes sur la répartition des pertes en cas de dommage transfrontière découlant d’activités dangereuses, texte adopté par la Commission du droit international à sa 58e session, 2006 ; P. Birnie, A. Boyle et C. Redgwell, International Law and the Environment, 3e éd., 2009, p. 321.
  • [11]
    Ces dispositions rendent légitimes la Chambre pour se fonder sur les considérations de fait et de droit apparues postérieurement à la Convention. La responsabilité tend à constituer un principe général du droit international reconnu par l’adage sic utere tuo ut alienum non laedus, et complété par les principaux traités internationaux en matière de pollution transfrontalière et la convention sur la diversité biologique. Cette situation conduit à remarquer que si le vingtième siècle fut marqué par des pratiques visant au développement économique, conduisant à une limitation de responsabilité, elle tend à céder le pas sur des considérations reposant sur la santé humaine et le respect de l’environnement. Cette légitimité est d’autant plus grande que l’exploitation minière démontre les désastres écologiques potentiels tels que la marée noire de Deepwater Horizon.
  • [12]
    P.-M. Dupuy, Droit international public, Dalloz, 9e éd., 2008, p. 355-363 ; J.-M. Lavieille, Droit international de l’environnement, Ellipses, 3e éd., 2010, p. 156-181.

A propos des questions d’interprétation posées à la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du Tribunal international du droit de la mer (aff. n˚ 17)

Le point de vue de la commission du droit de l’environnement l’UICN

1De vifs débats doctrinaux ont animé la communauté internationale autour du patrimoine commun de l’humanité, appliqué aux grands fonds marins. Alors que le concept semblait en perte de vitesse, concurrencé par les notions de développement durable et de biens publics mondiaux, le patrimoine commun de l’humanité revient au devant de la scène puisqu’il s’apprête à être exploité. En effet, huit contrats d’exploration sont d’ores et déjà autorisés et deux autres sont à l’étude. En vue de clarifier son régime juridique, le Conseil de l’Autorité internationale des fonds marins chargeait le 6 mai 2010, la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du Tribunal international du droit de la mer (la Chambre), de rendre un avis sur trois questions :

2– Quelles sont les obligations environnementales des Etats parties ?

3– Quelle est l’étendue de leur responsabilité en cas de manquement à ces obligations ?

4– Quel est le contenu des mesures « nécessaires et appropriées » qu’un Etat doit prendre pour remplir ses obligations environnementales ?

5Afin de résoudre ces questions, le président de la Chambre invitait le 18 mai 2010, les Etats parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), l’Autorité internationale des fonds marins (l’Autorité) et les organisations internationales bénéficiant d’un statut d’observateur à l’Assemblée de l’Autorité, à produire des remarques écrites sur ces questions. Les observations de l’IUCN, organisation internationale regroupant plus de 1 000 gouvernements et ONG et près de 11 000 scientifiques volontaires dans plus de 160 Etats, suggèrent un modèle juridique d’exploitation du patrimoine commun de l’humanité et contribuent à l’émergence d’un « droit international universel ». Cette note propose de synthétiser les avancées envisagées.

I – L’étendue des obligations environnementales des Etats

6De manière générale, il convient de remarquer que l’exploitation des grands fonds marins doit s’effectuer en accord avec le développement durable tel que reconnu dans le rapport Brundtland et par la Cour internationale de justice dans l’affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros, celui-ci résultant d’une conciliation entre un usage équitable et raisonnable des ressources et la préservation de l’environnement [1].

7En complément, tout Etat doit s’assurer que les activités exercées sous sa juridiction et son contrôle ne causent pas de dommage à d’autres Etats ou à la zone. Cette surveillance est opérée par l’Autorité qui dispose d’un pouvoir de contrôle sur toutes les activités de la zone et s’avère compétente pour l’adoption de règles, procédures et plans de travail. Les activités menées doivent être compatibles avec les dispositions de la Convention et impliquent l’édiction d’un cadre juridique national assurant leur effectivité [2]. Ces mesures doivent être applicables tant pour les actions menées par l’Etat, que pour celles menées par des compagnies ressortissantes de cet Etat. Toute activité d’exploration ou d’exploitation, publique ou privée, doit nécessairement faire l’objet d’une autorisation préalable de l’Autorité. Elle implique le respect d’une série d’obligations parmi lesquelles figure le principe de prévention, correspondant au devoir de prévenir, réduire et contrôler la pollution en recourant aux meilleures techniques disponibles. Alors que ce principe se fonde sur l’article 194, paragraphe 1 de la Convention, il trouve plus largement sa source dans des traités tels que la convention sur la diversité biologique et dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice, qui précise que cette obligation fait « désormais partie du corps de règles du droit international de l’environnement » [3]. Le devoir de coopération s’entend comme une obligation de notification en cas de dommage imminent ou actuel susceptible d’affecter des Etats et organisations internationales [4]. Le devoir d’adopter une étude d’impact environnemental est considéré comme une exigence du droit international général lorsqu’une activité industrielle est susceptible d’avoir un impact transfrontière significatif [5]. Il se complète de l’obligation d’assurer un suivi des opérations au début de la réalisation des activités et si nécessaire, pendant toute la durée de vie du projet [6]. Ces principes s’appliquent que le projet soit réalisé directement par l’Etat ou par un opérateur sous sa responsabilité.

8L’article 148 encourage la participation d’Etats en développement dans la zone, celle-ci étant permise par des mesures d’assistance économique et de transfert de technologies prévus à l’article 144. Les termes employés par la Convention font davantage penser, de par leur forme, à un devoir moral dont l’effectivité risque d’être limitée par leur imprécision.

9La deuxième question porte sur l’étendue de la responsabilité étatique en cas de manquement aux dites obligations.

II – L’étendue de la responsabilité environnementale des Etats

10D’une manière générale, le manquement d’un Etat dans la réalisation de ses obligations se traduit par un principe de responsabilité et une obligation de réparation [7]. Le litige relève de la compétence de la Chambre, habilitée à se fonder tant sur les dispositions de la Convention que sur « les autres règles du droit international qui ne sont pas incompatibles avec celle-ci » [8]. En cas de manquement à ses obligations environnementales, l’Etat a l’obligation d’assurer une indemnisation prompte et adéquate des préjudices. Il s’exonère cependant de sa responsabilité pour les activités menées sous son patronage « s’il a pris toutes les mesures nécessaires et appropriées pour assurer le respect effectif » de ses obligations conventionnelles [9]. Cette disposition pose particulièrement problème en cas d’insolvabilité de l’opérateur. Il semble en effet inéquitable de faire reposer le risque de non réparation d’un dommage au patrimoine commun de l’humanité, sur les difficultés financières d’un entrepreneur. Partant de ce constat, l’UICN propose de se référer aux principes sur la répartition des pertes en cas de dommage transfrontière découlant d’activités dangereuses développés par la Commission du droit international, qui tendent à devenir des principes généraux du droit international de la responsabilité civile [10]. Le principe 4 dispose que si la responsabilité revient en principe à l’opérateur à titre principal, « au cas où les mesures visées aux paragraphes précédents seraient insuffisantes pour accorder une indemnisation adéquate, l’Etat d’origine devrait en outre assurer la disponibilité de ressources financières supplémentaires ». Ce principe pourrait légitimement s’appliquer en l’espèce, la Chambre étant compétente pour se fonder sur les règles du droit international à condition qu’elles soient compatibles avec la Convention, l’article 304 précisant que « les dispositions de la Convention relatives à la responsabilité encourue en cas de dommages sont sans préjudice de l’application des règles existantes et de l’établissement de nouvelles règles concernant la responsabilité en vertu du droit international » [11]. Il conviendrait dès lors de retenir l’insolvabilité comme un manquement de l’Etat à assurer les mesures nécessaires et appropriées pour assurer le respect effectif des obligations environnementales. Cette interprétation présenterait l’avantage d’assurer une réparation prompte et adéquate par l’auteur du dommage, l’Etat demeurant garant en cas de défaillance.

11La situation conduit à s’interroger sur le contenu des mesures « nécessaires et appropriées ».

III – Le contenu des mesures « nécessaires et appropriées »

12Ces mesures s’entendent à la fois comme l’obligation pour l’Etat d’assurer le respect des dispositions environnementales de la convention, mais également celle d’adopter dans l’ordre national, les mesures suffisantes pour assurer leur effectivité. Elles figurent dans la Convention et comprennent les principes de prévention, de protection et de préservation, un principe de coopération et une approche de précaution, le tout en se fondant sur les meilleures pratiques disponibles. Elles se complètent de l’obligation de collecter des données scientifiques et de recherche ; la réalisation d’une étude d’impact environnemental ; une notification en cas de dommage ; une planification des opérations et la réalisation d’un suivi des opérations.

13*

14La réflexion démontre que si les dispositions de la Convention constituent un fondement essentiel du cadre juridique applicable aux grands fonds marins, d’autres règles du droit international tendent à les suppléer voire à les orienter. Elles se manifestent sous forme de principes trouvant leur place dans les principaux traités internationaux, la coutume et leurs instruments d’interprétation. Cette situation évoque une unification du droit international de l’environnement voire plus largement une universalisation du droit international, cette méthode d’abstraction conduisant à l’émergence de véritables principes du droit international [12]. Il revient désormais à la Chambre de rendre son avis, celui-ci aura incontestablement des répercussions tant sur le régime juridique applicable aux grands fonds marins que sur la formation du droit international.


Date de mise en ligne : 13/08/2015

Notes

  • [1]
    CIJ, affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c/ Slovaquie), 25 septembre 1997.
  • [2]
    L’obligation d’effectivité de la norme environnementale définissable comme l’obligation pour les Etats d’assurer un certain niveau de vigilance sur le respect des normes environnementales et l’exercice d’un contrôle administratif sur les opérateurs publics et privés, trouve sa source dans l’arrêt de la CIJ, Affaire relative à l’usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c/ Uruguay), 20 avril 2010 (RJE n° 4/2010, comm. Jochen Sohnle).
  • [3]
    Ibid. ; CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, 8 juillet 1996, paragraphe 29.
  • [4]
    TIDM, affaire de l’usine MOX (Irlande c/ Royaume-Uni), 3 décembre 2001, paragraphe 82.
  • [5]
    CIJ, affaire relative à l’usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, préc., paragraphe 204.
  • [6]
    Ibid., paragraphe 205.
  • [7]
    CPIJ, affaire relative à l’usine de Chorzow, 13 septembre 1928 ; CPJI, Phosphates du Maroc, 14 juin 1938, paragraphe 28 ; CIJ, affaire du détroit de Corfou (Royaume-Uni c/ Albanie), 9 avril 1949 ; CIJ, affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/ Etats-Unis), 27 juin 1986 ; Tribunal arbitral, affaire du Rainbow Warrior (Nouvelle Zélande c/ France), 30 avril 1990 ; CIJ, Gabcikovo-Nagymaros Project, préc. ; CIJ, affaire LaGrand (Allemagne c/ Etats-Unis), 27 juin 2001.
  • [8]
    CNUDM, art. 293.
  • [9]
    CNUDM, annexe III, art. 4, paragraphe 4 : « un Etat partie n’est pas responsable des dommages résultant du manquement de la part d’un contractant patronné par lui à ses obligations s’il a adopté les lois et règlements et pris les mesures administratives qui, au regard de son système juridique, sont raisonnablement appropriées pour assurer le respect effectif de ces obligations par les personnes relevant de sa juridiction ».
  • [10]
    Projets de principes sur la répartition des pertes en cas de dommage transfrontière découlant d’activités dangereuses, texte adopté par la Commission du droit international à sa 58e session, 2006 ; P. Birnie, A. Boyle et C. Redgwell, International Law and the Environment, 3e éd., 2009, p. 321.
  • [11]
    Ces dispositions rendent légitimes la Chambre pour se fonder sur les considérations de fait et de droit apparues postérieurement à la Convention. La responsabilité tend à constituer un principe général du droit international reconnu par l’adage sic utere tuo ut alienum non laedus, et complété par les principaux traités internationaux en matière de pollution transfrontalière et la convention sur la diversité biologique. Cette situation conduit à remarquer que si le vingtième siècle fut marqué par des pratiques visant au développement économique, conduisant à une limitation de responsabilité, elle tend à céder le pas sur des considérations reposant sur la santé humaine et le respect de l’environnement. Cette légitimité est d’autant plus grande que l’exploitation minière démontre les désastres écologiques potentiels tels que la marée noire de Deepwater Horizon.
  • [12]
    P.-M. Dupuy, Droit international public, Dalloz, 9e éd., 2008, p. 355-363 ; J.-M. Lavieille, Droit international de l’environnement, Ellipses, 3e éd., 2010, p. 156-181.

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