Notes
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[1]
Vice-président de l’Association nationale. des directeurs de l’enfance et de la famille (ANDEF) ; http://andef.e-monsite.com
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[2]
Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles
-
[3]
Nous distinguons bien ASE et PE. L’ASE recouvre les missions telles que prévues par le CASF ; principalement ici le traitement des informations préoccupantes (IP) et l’exercice des mesures administratives et judiciaires qui s’inscrit dans des processus de décisions et induit les statuts juridiques des enfants concernés. La PE englobe l’action de l’ensemble des services qui concourent à la PE telle que définie par la loi du 14 mars 2016. Souvent on assimile à tort ASE et PE
-
[4]
Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy, « L’Aide à l’enfance demain, contribution à une politique de réduction des inégalités », ministère de la santé, 1979.
-
[5]
Déclaration des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 novembre 1959.
-
[6]
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
-
[7]
Voir ASH n° 2947 du 12 février 2016, « Piloter autrement la protection de l’enfance ».
-
[8]
J.-P. Bichwiller, « Un texte de compromis ? », JDJ n° 266, juin 2007, p. 10 ; « Le législateur savait-il réellement ce qu’il voulait en votant la loi du 5 mars 2007 reformant la protection de l’enfance ? », Les Cahiers de l’Actif nos 380/381, janv.-févr. 2008, p. 33.
-
[9]
Neuvième rapport au Gouvernement et au Parlement, mai 2014 ; oned.gouv.fr/system/files/publication/ranoned_20140604.pdf
-
[10]
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
-
[11]
Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notre).
1 On peut s’étonner, pour la France, du décalage important qui existe entre, d’une part, le volume et la qualité de la recherche ayant pour objet la protection de l’enfance (PE), alimentée et renforcée par les travaux au plan international, d’autre part, les difficultés constatées pour la mise en œuvre opérationnelle de cette politique publique. Non pas que rien ne fonctionne naturellement, mais on peut constater que le fonctionnement est plutôt chaotique, que les conditions de mise en œuvre sont fragiles, quand on observe d’assez près la réalité d’une majorité de départements.
2 Ces difficultés n’ont rien à voir avec la qualité intrinsèque des professionnels et leur engagement. De ce côté, l’investissement et l’intérêt sont forts, le temps n’est pas compté.
3 C’est de la difficulté à prendre en compte et mettre en œuvre ce que la loi décide et ce que la recherche propose dont il est question ici.
4 Sommaire Introduction.
5 1. En matière d’ASE, l’enfant n’est pas un usager comme les autres. Il existe une relation spécifique entre lui et le PCD pour sa protection.
6 2. La fonction de pilotage du dispositif départemental de PE qui incombe au PCD requiert des conditions qui le distinguent des fonctions de pilotage des autres missions d’action et d’aide sociales.
7 3. Des obstacles conséquents viennent priver les dispositifs départementaux de PE de la capacité à mettre en œuvre ce que la loi a prévu.
8 a) Des conceptions de l’organisation et du management obstinément inadéquates
9 b) Une autorité désincarnée pour les cadres de l’ASE
10 c) Une protection administrative qui reste très fragile
11 d) La place du juge des enfants n’est pas complètement arbitrée
12 e) Une perméabilité croissante entre le domaine technique et la sphère politique
13 4. Des propositions et une invitation au débat pour sortir la PE d’une impasse :
14 a) Donner aux cadres et à l’ensemble des professionnels de l’ASE les moyens d’assumer plus réellement et plus sûrement leurs fonctions et la responsabilité que la loi confie aux PCD
15 b) Poser une question politiquement incorrecte : « Peut-on continuer à mettre en œuvre la PE dans le cadre de l’action sociale décentralisée conduite par les départements tel qu’il est conçu aujourd’hui ?
16 5. Conclusion
17 Après la révolution de 1789, la France a substitué une mission publique à l’action caritative pour prendre en charge la protection de ses enfants. La PE est devenue un devoir de la République devant mettre en place les conditions adaptées aux ambitions pour cette politique. Progressivement, à partir de la fin du XIXème siècle, la loi nationale a posé un cadre pour répondre à ces exigences.
18 À partir de 1982, la décentralisation a donné aux départements la charge d’organiser la mise en œuvre de la PE sur la base du principe de libre administration des collectivités territoriales.
19 L’avantage d’une plus grande proximité politique aux réalités locales s’est accompagné pour l’administration, d’une grande diversité des organisations et des modes de fonctionnement des services. Il faut remarquer qu’au moment du transfert des blocs de compétence, aucune distinction n’a été proposée par le législateur pour la spécification des différentes politiques publiques concernées en matière sociale et médico-sociale.
20 Tout récemment encore, la loi du 27 janvier 2014, dite loi Lebranchu [2], a reconnu une fonction générale de « chef de file » aux présidents des conseils départementaux (PCD) pour l’aide et l’action sociale, alors que cette fonction aurait pu - aurait dû - bénéficier d’un mode d’approche correspondant à la réalité de chacune des composantes des actions et des aides. Tout n’est pas comparable, il s’en faut de beaucoup, en matière de pilotage et de responsabilité.
21 Si donc on analyse les conditions qui permettent ou favorisent une optimisation du travail technique et de la clinique en matière d’aide sociale à l’enfance (ASE) et de PE, il faut s’interroger sur ce qu’exige intrinsèquement cette politique de PE pour sa mise en œuvre [3].
22 Existe-t-il des spécificités propres à l’ASE dont il faudrait absolument tenir compte ?
23 Sont-elles suffisamment déterminantes pour nécessiter, voire exiger un type de cadre institutionnel spécifique pour garantir les précautions nécessaires à son développement ?
24 Pouvait-on passer finalement d’un bloc de compétences centralisé à un bloc décentralisé, en fondant l’ASE dans le mouvement valable pour toute l’action sociale, sans se poser cette question de l’adéquation entre la nature et les enjeux de la PE, d’une part, la nature du cadre institutionnel dans lequel elle allait se déployer, d’autre part ?
25 Il y a certes un intérêt démocratique à soutenir et encourager un mouvement qui rapproche les lieux de décision des populations et qui donne un nouveau souffle à une culture historiquement marquée par des conceptions très centralisatrices du pouvoir. Pour autant, on aurait pu attendre d’un pays aussi largement investi en matière sociale qu’il regarde à deux fois la manière plus précise de décentraliser la politique régalienne délicate et complexe que constitue la PE.
26 Le temps de la décentralisation constituait naturellement un enjeu éminemment politique. Pour autant, et on peut le regretter, la dimension strictement politique de l’opération a noyé toute considération plus technique alors même que sa prise en compte avait toute sa place pour l’étape de la mise en œuvre.
27 Les drames qui surviennent parfois concernant des enfants qui bénéficient d’un accompagnement de l’ASE ou ayant échappé au repérage d’une situation familiale les mettant en danger, sont toujours l’occasion de questionner la qualité des professionnels et des organisations. À ces moments, les propos de l’opinion et des médias sont violents. Les élus redoutent ces événements qui engagent des responsabilités. C’est légitime et parfaitement compréhensible.
28 Il s’ensuit alors souvent une cascade de réorganisations radicales des services incriminés. Mais en dehors même de ces événements tragiques, combien de nouvelles options, combien de nouvelles conceptions pour les organigrammes des départements cette dernière décennie ? Chaque nouveau dirigeant y va de son empreinte ou veut participer au « mouvement des managers de l’innovation… »
29 Dans ce contexte, la question pour l’ASE (et la PE plus largement) est de savoir s’il existe en matière de choix d’organisation, de cadre général d’administration, des éléments de fond suffisamment significatifs et structurants pour conditionner absolument ces choix et garantir ainsi au mieux le développement de la mission.
30 Aborder cette question, ce n’est pas participer à un isolement de la PE au sein de l’action sociale. C’est tout le contraire. C’est proposer d’approfondir la réflexion sur la conception transversale de l’action sociale et médico-sociale et sur la manière de progresser, au-delà des affirmations générales qui procèdent trop rarement d’une analyse suffisante des composantes de cette large politique publique.
31 La complémentarité entre les professionnels et entre les services passe nécessairement par une vraie connaissance et une bonne compréhension des caractéristiques de chaque mission, en dehors de représentations superficielles. Si l’assimilation minimum de l’ASE est moins immédiate, et nous nous en expliquerons plus loin, l’exigence de connaissance doit être la même pour le service social, la PMI, la prévention spécialisée…
32 La question maintes fois ressassée de la spécificité de l’ASE revient en permanence dans les discussions et les discours ; elle est banale, mais elle est malheureusement source de tensions car on navigue en eaux troubles. Les contraintes particulières qu’impose l’ASE ne peuvent constituer pour les professionnels ni un étendard distinctif de mauvais goût pour certains, ni un motif d’agacement et de rejet pour d’autres. Il faut approfondir le sujet.
33 Pour ce faire, nous retiendrons principalement deux considérations qui caractérisent l’ASE et dont l’importance doit conditionner la nature et la forme du cadre institutionnel dans lequel s’inscrit cette politique publique :
- l’enfant aidé et accompagné en matière d’ASE n’est pas un « usager » comme les autres. Peut-il même être considéré comme un « usager » ?
- la fonction de pilotage du dispositif départemental de PE qui incombe au président du Conseil départemental (PCD) doit être analysée précisément, car la réalité de ce pilotage requiert des conditions qui le distinguent des fonctions de pilotage des autres missions d’action sociale et médico-sociale.
34 Nous dégagerons ensuite quelques constats qui expliquent les obstacles au bon exercice de l’ASE et de la PE.
35 Enfin, nous poserons des hypothèses et formulerons des pistes de réflexion pour donner à la loi, à la recherche et aux exigences cliniques une meilleure chance de trouver un cadre adapté à leur véritable développement.
1 – En matière d’ASE, l’enfant n’est pas un usager comme les autres. Il existe une relation spécifique entre lui et le PCD pour sa protection
36 La PE implique une recherche permanente d’équilibre entre :
- le droit de l’enfant sujet de droit ;
- les droits des parents auxquels l’autorité parentale confie la responsabilité de l’éducation et de la protection ;
- l’intérêt général (l’ordre public pour reprendre une notion auparavant plus usitée).
37 Les droits individuels des enfants et des parents et la volonté collective de notre société de protéger ses enfants relèvent d’une éthique et prennent appui sur le droit. L’équilibre est à chercher parmi les combinaisons complexes qui préservent au mieux chacune des parties. Cette recherche d’équilibre vaut pour chaque situation individuelle qui est unique ; elle vaut aussi pour les choix stratégiques qui concernent le dispositif.
38 Il y a une relation particulièrement étroite, en matière d’ASE, entre les enjeux individuels des enfants et les enjeux globaux du dispositif. Lorsqu’un cadre prend une décision au nom du PCD, il doit savoir mobiliser de façon optimale et dynamique tous les moyens du dispositif proposés par le droit et par les choix politiques et techniques de la collectivité. Chaque décision fait parler le dispositif.
39 Parallèlement, les choix stratégiques et la construction du système départemental sont en partie alimentés et instruits par les décisions individuelles qui sont prises et par les besoins qu’elles expriment (pour la diversification de l’offre de services, l’évolution des pratiques, l’introduction de nouveaux outils…).
40 L’ASE combine en permanence et de façon très étroite les enjeux du « micro » et ceux du « macro ». Cette particularité conditionne le choix de l’organisation et du fonctionnement des services, car elle doit trouver les moyens de cette perméabilité et cette proximité entre la dimension des enjeux individuels et la dimension plus générale du pilotage stratégique.
41 En matière d’ASE, rien n’est compréhensible sans l’approche systémique qui met en lien et en cohérence tous les éléments du dispositif. Le système doit garantir la pertinence au plan clinique, le respect du droit des enfants et des parents, le respect des dispositions légales (subsidiarité de la protection judiciaire, examen du statut des enfants, traitement des informations préoccupantes…), le respect des compétences (celles du PCD, du juge, du parquet, des établissements et services…), le respect des choix politiques de la collectivité.
42 La société a fait de l’autorité parentale une fonction d’ordre public.
43 Les missions d’éducation et de protection confiées aux parents s’exercent sous le contrôle des collectivités publiques.
44 La Convention internationale des droits de l’enfant rappelle que « Les États parties sont tenus de prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives pour protéger l’enfant contre toute forme de violence et de négligence ».
45 On voit bien que l’action de protéger l’enfant est permanente, absolue, inhérente à sa qualité. Elle implique une responsabilité constante pour la collectivité et une possibilité d’intervention qui peut déroger à certains droits fondamentaux des responsables légaux, au nom de l’intérêt général, de l’ordre public, et dans l’intérêt de chaque enfant. Il s’agit d’une spécificité pour la PE.
46 Aucune autre personne ne se trouve, en matière d’action sociale, dans ce type de relation avec un représentant élu de la République.
47 Le PCD s’implique dans l’exercice même des attributs de l’autorité parentale et s’engage pour l’éducation des enfants. Vaste responsabilité !
48 Cette implication est vraie pour la protection judiciaire sous l’autorité du juge, qui est seul à pouvoir contraindre ; elle est vraie aussi pour la protection administrative qui conduit les services sociaux de l’ASE dans l’intimité des familles et qui, sans pouvoir contraindre fort heureusement, déroge aussi au droit commun.
49 On est bien là en mise en cause et en question de la liberté des parents à éduquer leurs enfants en pleine autonomie. Pour des milliers d’enfants, les PCD sont même titulaires de l’autorité parentale, dans certaines circonstances appréciées par la justice (délégations de l’autorité parentale, tutelles). Le fameux rapport Bianco-Lamy de 1979 [4], régulièrement cité encore aujourd’hui, apporte cette remarque emblématique : « L’ASE n’est pas une administration comme les autres. Nulle part une administration n’est aussi proche de son client, investi de tous côtés ».
50 Il existe bien pour l’ASE, une relation toute spécifique avec les personnes, sur la base d’une fonction d’ordre public, pour le contrôle de la mission d’éducation confiée à l’autorité parentale.
51 Pour l’enfant, la nature de la relation est complexe et considérablement engageante. Il s’agit d’agir sur les conditions de son éducation et de sa protection, de l’aider à grandir, dans le respect de ses droits et à partir des droits et obligations de l’autorité parentale, pour répondre à ses besoins fondamentaux, en mobilisant ce que la recherche a produit dans les domaines de l’éducation, de la psychologie, de la médecine.
52 Pour appréhender l’ASE et la PE à la hauteur des enjeux, on peut rappeler cette déclaration à l’ONU en 1959 [5] : « L’enfant doit avoir une enfance heureuse ». L’ambition et l’obligation pour les États sont immenses ; on est loin d’une simple prestation d’aide ou d’action sociale en direction d’un usager.
53 L’impact de l’action publique de l’ASE auprès des enfants est puissant. Il en va de leur destinée personnelle, de la capacité à trouver une autonomie, une liberté. On peut le mesurer à la hauteur des dégâts qui peuvent être causés pour des jeunes ballottés au gré des dysfonctionnements des services ou, en sens inverse, des belles réussites personnelles grâce à la bienveillance, la compétence et l’intelligence des adultes et des professionnels.
54 La nature et l’intensité de la responsabilité particulière du PCD, les moyens qui lui sont donnés et le retentissement considérable pour l’enfant protégé dans sa capacité à grandir, constituent des éléments qui obligent résolument à optimiser le cadre institutionnel et la forme d’organisation administrative. C’est une vraie question ; c’est un vrai enjeu.
55 Au plan technique, toute l’insistance de la loi sur l’adaptation du statut juridique de l’enfant à la réalité du lien à ses parents, sur la cohérence et la continuité de son parcours, sur l’importance qu’il existe un projet pour lui, répond aux enjeux de l’équilibre familial et à l’avenir de l’enfant.
56 C’est aussi la hauteur de ces enjeux qui fait la complexité de l’ASE et des dispositifs de PE. Vouloir absolument simplifier certains aspects de l’ASE, comme l’ambitionnent souvent les nouveaux champions du management moderne, c’est ignorer l’importance d’enjeux majeurs pour les enfants et les familles.
57 Pour poursuivre notre questionnement, si l’enfant n’est pas cet usager comparable aux autres usagers de l’action sociale, le pilotage de la politique publique de PE exige-t-il lui aussi des conditions spécifiques adaptées à ces particularités ? Quelles sont-elles ? Impliquent-elles elles aussi un cadre institutionnel et une organisation administrative à sa mesure ?
2 – La fonction de pilotage du dispositif départemental de PE qui incombe au PCD requiert des conditions qui le distinguent des fonctions de pilotage des autres missions d’action et d’aide sociales
58 Les lois de 2007 et de 2016 confirment et confortent la vocation du PCD à piloter le dispositif. On trouve de nombreux éléments qui procurent des moyens de pilotage au PCD. Parmi ceux-ci :
- en matière d’ASE, le PCD est garant de l’intérêt de l’enfant et de la réponse à ses besoins fondamentaux. C’est une responsabilité déterminante et permanente ;
- le PCD est garant de la continuité et de la cohérence du parcours de l’enfant ;
- le PCD évalue les informations préoccupantes pour traitement ; il décide des orientations pour les situations (prévention, protection administrative, protection judiciaire) et oriente ainsi l’action publique en lien avec le procureur de la République ;
- le PCD coordonne les mesures d’ASE dès lors qu’elles ne lui sont pas confiées (loi de 2007) dans l’objectif de garantir la cohérence et la continuité des parcours ;
-
le PCD assure la surveillance des enfants dès lors qu’ils se trouvent en dehors de leur domicile familial ;
- l’Assemblée départementale vote le schéma départemental de PE et fixe les orientations pour cette politique publique ; - l’Assemblé vote le budget destiné à la PE ;
- le PCD autorise la création et l’évolution des établissements de l’ASE relevant de sa compétence et formule un avis concernant ceux pour lesquels la décision incombe exclusivement au représentant de l’État ;
- le PCD contrôle le fonctionnement des établissements et services relevant de l’ASE (et les conditions d’accueil des personnes physiques) en lien avec le représentant de l’État dans le département et compte étant tenu des prérogatives spécifiques des juges des enfants à l’égard des établissements et services.
59 Le PCD est « donneur d’ordre » dans le système français de PE, au même titre que le juge des enfants ou le procureur de la République dans le cadre judiciaire. Le dispositif français ne repose pas sur un principe de partenariat général plaçant les acteurs dans une combinaison où chacun dispose de compétences et de responsabilités de même intensité. Le principe de pilotage prévu par la loi positionne le PCD au centre du jeu. Mais si les prérogatives du PCD et de la justice sont clairement énoncées par la loi, le jeu d’acteurs est particulièrement complexe et les tensions sont permanentes. La règle du jeu est en effet fonction de nombreux éléments :
- du droit ;
- des choix institutionnels pour l’organisation et le fonctionnement ;
- des choix politiques (schéma) ;
- d’options techniques ;
- de l’histoire locale et des caractéristiques territoriales ;
- de l’état des tensions et des capacités de leur régulation ;
- de la place et du rôle du secteur associatif ;
- des moyens pour répondre aux volumes d’activité (nombre des placements, d’AED, d’AEMO…) ;
- des capacités individuelles à s’entendre ; cette condition n’est pas triviale ; le jeu des acteurs met en jeu des ego. En outre, les décisions sont liées à des évaluations et revêtent par conséquent un caractère subjectif sujet à confrontation…
60 Les tensions sont inhérentes à l’exercice même de la mission de PE.
61 La fonction de pilotage doit prendre en compte cette réalité et proposer des modalités de régulation pour les situations de tension et de confrontation entre les acteurs. C’est notamment le rôle des directions « Enfance famille ».
62 Parce que le PCD est chargé du pilotage du dispositif, parce qu’il est donneur d’ordre dans son domaine de compétence et qu’il partage cette responsabilité avec la justice des mineurs dans le cadre dual du système, les tensions sont nécessairement présentes. Elles sont inhérentes à la nature du dispositif. Elles ne sont pas symptomatiques de dysfonctionnement dès lors que les confrontations des points de vue sont traitées.
63 La régulation qui s’impose alors ne doit signifier ni « compromis mou », ni évidemment posture délibérément conflictuelle. Elle signifie la recherche de règles communes pour l’application de la loi, pour l’esprit de la loi, pour la multitude de questions qui caractérisent les processus de décision et qui nécessitent de trouver des accords dans l’intérêt des enfants.
64 Dans ce sens, l’administration de l’ASE a besoin d’une autorité suffi-sante pour sa fonction. L’ASE pour le PCD et le juge inscrivent tous deux leur action dans le cadre de la loi de laquelle ils tirent cette autorité.
65 Contrairement à la conception habituelle de la Justice qui dit le droit et qui arbitre en « surplomb », le juge des enfants inscrit l’assistance éducative dans un cadre institutionnel régulé et coordonné par le PCD.
66 L’assistance éducative constitue une des composantes et un aspect du dispositif de PE. Le juge est naturellement indépendant pour ses décisions d’assistance éducative et est donneur d’ordre à l’égard de l’ASE à qui il confie une mesure.
67 Régulation et pilotage reposent notamment sur l’orientation que le PCD donne au dispositif en priorisant par principe, et si possible (après évaluation), la prévention et la protection administrative qu’il décide, en signalant au procureur de la République et en décidant des orientations politiques par le schéma départemental. (Voir page suivante)
68 Le dispositif de PE s’organise sur la base de la définition de la PE donnée par la loi du 14 mars 2016 [6]. Celle-ci englobe l’ensemble des domaines de la prévention, de la protection administrative et de la protection judiciaire.
69 La distinction bien comprise des secteurs de la prévention et de la protection administrative est essentielle pour la qualité et la justesse des décisions à prendre concernant un enfant et une famille. La nature de l’intervention n’est pas de même nature, la compétence professionnelle requise n’est pas du même registre, le rapport à l’autorité parentale est différent, les droits et obligations des parents et des services ne sont pas engagés de la même façon.
70 Pourtant, combien de départements assimilent, par exemple, dans leurs projets d’organisation, aide éducative à domicile (AED), technicien d’intervention sociale et familiale (TISF) et accompagnement polyvalent des assistants sociaux, au nom d’un décloisonnement et d’une transversalité mal compris. Ces contresens sont redoutables pour la cohérence de l’action et pour le droit des familles.
71 La dualité du système et la nature de la relation qui en découle entre les autorités administrative et judiciaire constituent une caractéristique remarquable. Aucune autre mission d’action sociale du département n’est conçue sur une logique qui positionne un service (l’ASE) dans une fonction simultanément de donneur d’ordre dans son registre, de pilote et de coordonnateur pour la globalité du système, de garant de l’intérêt des enfants pour l’ensemble des registres, de financeur pour la totalité des prestations et de contrôleur. Si le cadre institutionnel, l’organisation, l’espace donné aux représentants du PCD ne sont pas adaptés, il n’y a aucune chance pour répondre aux besoins des enfants et pour piloter le dispositif. (Voir page suivante)
72 Nous avons dit les possibilités actuelles d’agir pour la PE, grâce notamment aux progrès de la recherche et à l’évolution du droit depuis la fin du XIXème siècle. Parallèlement, on fait le constat des limites auxquelles viennent se confronter beaucoup de professionnels des départements, mais aussi les professionnels des associations et certains magistrats. Un certain nombre d’obstacles et de dysfonctionnements remarquables sont identifiables.
3 – Des obstacles conséquents viennent priver les dispositifs départementaux de PE de la capacité à mettre en œuvre ce que la loi a prévu
73 Nous présenterons cinq obstacles :
- des conceptions de l’organisation et du management obstinément inadéquates ;
- une autorité désincarnée pour les cadres décideurs de l’ASE ;
- une protection administrative qui reste marginale ;
- la place du juge des enfants qui n’est pas véritablement arbitrée ;
- une perméabilité croissante entre domaine technique et sphère politique.
a – Des conceptions de l’organisation et du management obstinément inadéquates
74 Nous passerons rapidement sur la question des organisations et des modes de management qui se sont progressivement installés au sein des collectivités départementales (pas seulement) pour les services de l’action sociale.
75 Nous avons souvent écrit sur cette question [7]. Nous confirmons ici le danger provoqué par des choix d’organisation qui privent les services de l’ASE de la technicité et de la compétence indispensables à l’exercice de la mission. On assiste à une standardisation des modes de territorialisation des services qui prive le plus souvent l’ASE des moyens adaptés aux enjeux cliniques, voire à l’application de la loi.
76 Ce n’est pas le principe de territorialisation de l’action sociale qui est en cause. Encore faut-il dire de quelle action sociale et de quel mode de territorialisation on parle. Le texte du 14 mars 2016 pose de nouvelles orientations, de nouvelles modalités de travail, alors que près de la moitié des dispositions de la loi de 2007 ne sont pas encore en œuvre dans les départements.
77 Qui s’en émeut ? Et il ne s’agit pas seulement d’une question de moyens financiers. Au nom toujours des principes de transversalité, de pluriprofessionnalité et de proximité que personne ne conteste, on produit trop souvent au sein des départements, des constructions administratives qui assèchent les compétences professionnelles nécessaires, troublent et complexifient les relations hiérarchiques et fonctionnelles, ignorent la clinique, mettent de plus en plus les cadres chargés de stratégie en dehors de toute compétence et compréhension des réalités techniques.
78 On ne compte plus le nombre de départements, avec lesquels nous avons été en contact ou en situation de travail, pour lesquels les élus et les dirigeants avaient décidé une évaluation des dispositifs de PE et de l’ASE en particulier. Heureuse initiative, car l’évaluation est indispensable pour vérifier, contrôler et améliorer !
79 Si les intentions et le choix du consultant sont à la hauteur, ces évaluations prennent le temps nécessaire et ont naturellement un véritable coût. Ces démarches mobilisent les professionnels et peuvent véritablement remplir une fonction fédératrice. Elles peuvent générer des moments de tension, inévitables et utiles par ailleurs, mais il y a une attente et des échéances annoncées.
80 Eh bien, il est extraordinaire de constater qu’un nombre considérable de ces démarches d’évaluation et de préconisations ne bénéficient le plus souvent que de très peu de suites opérationnelles. Plusieurs raisons à cela : des conclusions techniques qui s’accordent mal ou peu aux idées générales de dirigeants très éloignés de la question ; des conditions à la mise en œuvre qui sont très exigeantes en temps et compétence d’accompagnement et qui viennent se confronter à d’autres priorités du moment ; des conclusions techniques qui interrogent la forme d’organisation choisie pour les services sociaux… Le « structurel » est à nouveau avalé par le « conjoncturel » à partir duquel on dirige, on communique et qui doit faire le plus petit dénominateur commun.
81 Combien de cadres de l’ASE nous avons pu rencontrer en isolement complet au sein de leurs institutions, confrontés à la complexité de leurs obligations. Si l’ASE a souvent pu retenir, dans son histoire récente, des professionnels passionnés par ce domaine d’une extrême richesse, le CNFPT fait le constat aujourd’hui d’un nombre croissant de jeunes cadres qui quittent à regret le métier, faute de soutien et de conditions de travail adaptées à la fonction. Les conditions nécessaires à la mise en œuvre au quotidien de l’ASE sont trop souvent méconnues ou ignorées par les initiateurs des nouvelles organisations en perpétuel mouvement.
82 Le contenu précis de cette politique publique est souvent regardé à distance. L’ASE attire beaucoup moins de cadres et de travailleurs sociaux. Elle effraye parfois ! Cela devrait interroger alors même qu’elle recouvre un champ considérable et des enjeux passionnants. Si on constate la volonté de certains PCD et de la ministre actuelle de sortir la PE de l’angle mort politique où elle se trouve encore, au niveau de beaucoup d’administrations départementales par contre, on ne lui donne pas des moyens (au sens global) à la hauteur des enjeux. Voire on la prive progressivement des moyens de son pilotage.
b – Une autorité désincarnée pour les cadres de l’ASE
83 La qualité des processus de décision est primordiale pour l’ASE afin de répondre aux besoins des enfants. La philosophie du système français repose notamment sur la dualité de l’action de l’administration et de celle du juge. Elle a besoin que chacun puisse incarner une autorité. Aujourd’hui, dans une majorité de départements, les cadres ayant délégation du PCD pour décider en matière d’ASE, ont bien du mal à incarner cette autorité et - nous l’avons indiqué régulièrement à l’occasion de colloques ou de publications - sont trop souvent privés de la légitimité qui leur est indispensable auprès de leurs collègues du CD et auprès de leurs partenaires.
84 Les initiateurs des nouveaux modes d’organisation des services territorialisés ont presque systématiquement opté pour une banalisation de la fonction de ces cadres, de la spécificité de leur travail, de sa difficulté, des compétences professionnelles et des qualités personnelles requises, de la formation indispensable. Pour l’exercer, il ne suffit pas de savoir ce qu’est l’ASE en général. Il faut savoir en même temps mobiliser le droit, la règle administrative, les ressources humaines, comprendre l’enjeu éducatif, social, psychologique, travailler dans un contexte à forte résonance émotionnelle, il faut savoir décider et savoir dire non, il faut savoir mobiliser une équipe de professionnels, avec ou sans l’autorité hiérarchique…
85 La posture personnelle est déterminante. Peu parmi les dirigeants des collectivités perçoivent cet enjeu, le comprennent suffisamment et veulent le prendre en compte à sa juste mesure. Ce n’est pas ici propos corporatistes en direction d’une catégorie de cadres, c’est la nécessité de voir ce qui est indispensable au fonctionnement du système.
86 Si on refuse de répondre aux conditions mises à l’exercice des métiers de l’ASE, il faut alors proposer de changer le système. Il serait bon de sortir de cette négation des réalités, qui s’inspire en partie d’une volonté démagogique de vouloir traiter l’encadrement à l’identique, au nom d’une transversalité fantasmée et allergique à ce qui est complexe et qui apparaît compliqué.
87 Il faut aussi un peu de courage… Mais la peur des vagues est redoutable !
c – Une protection administrative qui reste très fragile
88 La loi du 5 mars 2007 réformant la PE veut repositionner la protection administrative dans sa fonction première pour un type d’intervention plus respectueux de la compétence et des potentialités des familles. C’est une orientation décisive dès lors que l’on a bien articulé cette exigence avec la nécessité de saisir la justice quand le danger existe et que la contrainte est jugée nécessaire auprès de l’autorité parentale.
89 Le domaine de la clinique est à investir avec volontarisme en France pour permettre aux services de répondre à cette exigence essentielle pour une société démocratique respectueuse des libertés individuelles et du droit des personnes. En même temps, Il faut bannir une conception manichéenne d’un système qui ignorerait les parents ou qui privilégierait aveuglément leurs droits au détriment de l’enfant. Il faut un équilibre.
90 La condition d’une véritable promotion de la protection administrative relève de la volonté et des capacités des collectivités et de l’État. Cela signifie davantage de moyens financiers qui lui soient consacrés au regard de ce qui l’est pour la protection judiciaire, une véritable diversification des modes d’accompagnement pour individualiser les propositions, une formation adaptée aux compétences professionnelles requises, des processus de décisions réactifs et lisibles, une forte qualité pour l’évaluation des situations…
91 La loi de 2007 n’a pas suffisamment induit de modification des conceptions et des pratiques. 80 % des mesures d’ASE restent judiciaires. Il est parfaitement anormal de ne pas compter davantage de situations familiales accompagnées sans contrainte judiciaire pour trouver ou retrouver un cadre de vie protecteur pour les enfants. Cet objectif devrait conduire davantage l’administration départementale à vouloir outiller techniquement ses professionnels et à intégrer les chercheurs à sa logique de fonctionnement. Une spécialisation porteuse d’une très forte compétence technique est indispensable pour les professionnels de l’ASE, cadres et non cadres.
92 Un travail est également nécessaire pour bien clarifier les champs respectifs d’intervention de la prévention, de la protection administrative et de la protection judiciaire. Il faut que tous les professionnels travaillent avec la même boussole si on ne veut pas se perdre.
93 Dans combien de départements ne constate-t-on pas une grande confusion ? On le voit au cœur d’organisations qui assimilent, par exemple, l’action sociale de proximité conduite par les assistants sociaux et la protection administrative à domicile (AED, TISF.) et qui circonscrivent l’ASE aux mesures de séparation (placements judiciaires, accueils provisoires), voire qui assimilent les accueils de jour à une sorte de placement.
94 Comment dans ce contexte désordonné et contraire à la loi attendre une évolution de progrès ? Le principe de la libre administration des collectivités territoriales ne peut aucunement justifier de tels errements et une telle disparité pour la lecture et la compréhension du droit. L’attention au sens des mots et des concepts est structurante. Elle doit conditionner les choix des organisations. Elle n’est pas secondaire et ne doit pas apparaître comme l’apanage de quelques spécialistes obsessionnels.
d – La place du juge des enfants n’est pas complètement arbitrée
95 Un autre obstacle est en lien direct avec ce qui précède. On peut raisonnablement se demander si le législateur a voulu (ou pu) arbitrer et trancher sur la place du juge des enfants dans le système de PE.
96 Nous avions posé cette question dès 2007 [8] en considérant que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance débouchait sur un compromis insatisfaisant, car insuffisamment opérationnel au sujet de la place du juge et du lien avec l’administration.
97 Aucune option n’est jamais complètement satisfaisante, mais si elle est clairement choisie et énoncée, elle a au moins le mérite de clarifier la règle du jeu, quitte à l’évaluer et la faire évoluer. En France on peut avoir le sentiment d’évoluer vers une fonction dite de « juge-arbitre » sans toutefois trouver une lisibilité suffisante ni savoir finalement si c’est ce que l’on souhaite. En fait, on ne sait pas vraiment. On est un peu au milieu du gué.
98 Certaines dispositions vont dans le sens du juge arbitre et s’assimilent à ce que l’on peut rencontrer dans certains pays voisins ou au Québec :
- le pilotage du dispositif est confié au PCD ;
- le PCD est garant de l’intérêt de chaque enfant ;
- la cohérence et la continuité des parcours des enfants au sein du dispositif d’ASE sont placées sous la responsabilité du PCD ;
- la compétence de l’ASE est désignée pour les situations de danger, dès lors que l’accord et la mobilisation des parents est évaluée suffisante ;
- l’orientation du dispositif et le choix du traitement des situations sont confiés au PCD par le biais de la CRIP qui recueille la grande majorité des informations préoccupantes ;
- le service de l’ASE est retenu prioritairement pour l’accueil des enfants confiés par le juge dès lors que la famille ou un tiers ne peuvent être sollicités (art. 375-3 du Code civil) ;
- la coordination de l’ensemble des mesures d’ASE non confiées à l’ASE par le juge est assurée par le PCD pour la cohérence et la continuité des parcours des enfants (art. L221.4 du CASF) ;
- l’animation et la coordination de la dualité du système de PE est confiée de façon renforcée au binôme procureur - PCD (loi de 2007).
99 Parallèlement, d’autres dispositions de 2007 et 2016 renforcent la conception interventionniste et directement protectrice du juge :
- le juge peut décider des modalités de l’accueil de l’enfant en considération de l’intérêt de celui-ci (art. 375- 6 et 375-7 du Code civil) ;
- le juge des enfants a toujours la possibilité de se saisir directement d’une situation, indépendamment du rôle du parquet (en même temps la loi le prive des moyens d’évaluation de la CRIP réservés à la collaboration département/parquet) ;
- la loi donne au juge de nouveaux moyens d’intervention dans la mise en œuvre de la mesure d’assistance éducative exercée par l’ASE ; c’est le cas à travers son information rendue obligatoire quand une modification du lieu de placement est envisagée pour les enfants accueillis depuis plus de deux ans (loi du 14 mars 2016). Elle prévoit par ailleurs la saisine du JAF par le parquet (lui-même informé par le juge des enfants) pour statuer sur une délégation totale ou partielle de l’autorité parentale ainsi que pour une demande de délaissement (loi du 14 mars 2016) ;
- indirectement, l’information du juge de l’avis rendu par la commission pluridisciplinaire et pluri institutionnelle pour l’examen du statut juridique des enfants confiés à l’ASE, (loi 14 mars 2016) participera aussi d’une intervention croissante du juge ;
- enfin, si la durée du placement excède un seuil (fixé par décret) pour les placements en assistance éducative, l’ASE informe maintenant le juge de façon argumentée sur l’opportunité de mettre en œuvre d’autres mesures pour garantir la stabilité et la continuité dans un lieu de vie adapté pour l’enfant.
100 Ce n’est pas l’assurance qu’on veut se donner d’un respect permanent des besoins de l’enfant par le service de l’ASE qui est en cause. C’est non seulement légitime mais c’est souhaitable.
101 Par contre, on peut s’interroger sur la méthode qui consiste à accroître ici l’interventionnisme du juge. Les nombreux moyens de l’intervention directe du juge dans le domaine éducatif ne cachent-ils pas en réalité une appréhension grandissante du législateur à l’égard de l’administration ou une volonté de limiter les prérogatives du PCD à qui on demande en même temps de piloter le système ?
102 Plutôt que charger le juge de nouvelles initiatives, ne devrait-on pas plutôt rechercher et analyser les raisons qui empêchent l’administration de remplir correctement ses fonctions, qui expliquent en fait ses dysfonctionnements ou ses insuffisances, alors même qu’elle doit garantir l’intérêt de tous les enfants ? Cette résistance à faire émerger et dire les vraies causes ne serait-elle pas une illustration de la difficulté à mettre en adéquation le fonctionnement des services des départements et les attentes de la loi nationale, compte tenu du sacro-saint principe de la libre administration des collectivités au sein de notre système décentralisé ?
103 Est-ce là une illustration de « l’originalité » d’un système français qui fait cohabiter une justice des mineurs relevant d’une administration centralisée, une administration de la Protection judiciaire de la jeunesse pour l’enfance délinquante qui relève d’une administration déconcentrée et une Aide sociale à l’enfance relevant d’administrations décentralisées ?
104 Le principe qui veut que le juge contrôle l’exercice des mesures qu’il confie à l’ASE est évidemment indiscutable ; il s’impose. Par contre, la manière et les moyens du contrôle relèvent d’une question qui a à voir avec ce que le législateur attend de l’administration et du juge dans la logique du système. Il serait opportun, plus éclairant et beaucoup plus simple que la doctrine explicite clairement ce point plutôt que d’introduire de nouvelles dispositions techniques qui risquent de compliquer et d’alourdir les textes et leur application.
105 Pour la loi de 2007 qui articule autrement la complémentarité protection administrative- protection judiciaire, il faut certes se souvenir des circonstances particulières pour la préparation et le vote de la loi qui se trouvait en concurrence inégale avec celle portée par le ministre de l’intérieur futur président de la République et qui traitait de la prévention de la délinquance.
106 En outre, au-delà d’un contexte politique particulier et pour avoir participé aux travaux préparatoires, un compromis fut cherché compte tenu des échéances, des pressions multiples de corps professionnels ou d’institutions se sentant menacés et partageant peu le rôle donné aux chefs des exécutifs départementaux.
107 Aujourd’hui encore, chacun le sait bien, on peut entendre des propos inouïs condamnant les choix de la loi de 2007. On les entend clairement dans un certain nombre de départements et de juridictions. La qualité des relations et la cohérence n’en sortent pas gagnantes.
108 Si des dysfonctionnements existent, et ils existent indiscutablement au sein de chaque institution, ce n’est pas le principe posé par la loi qu’il faut condamner car il répond à une idée juste du rapport de la société aux droits des parents et des enfants. C’est à une analyse saine et exigeante des causes réelles qu’il faut s’atteler, au-delà du corporatisme et de cloisonnement inutiles.
109 Ce constat avait conduit l’ANDEF à solliciter auprès de la ministre Laurence Rossignol, une précision de la doctrine française à l’occasion du travail sur la loi de 2016. Au-delà d’une déclinaison des articles qui fixent les modalités de la gouvernance générale, de la conduite des parcours des enfants et du traitement des statuts des enfants, il nous semble qu’une parole de nature politique, philosophique, éthique, doit pouvoir expliciter davantage les arguments du sens général voulu pour la PE en France sur un mode didactique qui laisse moins de place aux représentations et aux postures parfois plus conditionnées par des enjeux de pouvoir que par des questions de responsabilité.
110 Cette préoccupation vaut pour les professionnels de toutes les institutions ; principalement ici pour les représentants des départements et pour les magistrats. L’argument qui prévaut pour le choix portant sur la place de la prévention secondaire, sur les fonctions dévolues à la protection administrative et à la protection judiciaire, mérite d’être explicité à travers les principes du contrôle de l’autorité parentale, du respect de la liberté des parents et de l’enjeu déterminant et prioritaire de la protection de l’enfant. Une parole claire est nécessaire pour faire comprendre la place de l’action judiciaire, en dérogation au droit commun, et pour justifier la promotion de la prévention et d’une protection administrative qui va justement dans le sens de la démarche de développement social. À condition naturellement que l’action administrative ait les moyens de son ambition et que la référence au concept de développement social soit davantage qu’un étendard d’opportunité déconnecté de la dimension clinique du travail social.
111 Cette explicitation peut faciliter la compréhension des termes du débat, dans les départements, entre justice, ASE et services qui concourent à la PE. Que l’on s’entende bien, antériorité et priorité (quand elle est possible) pour la protection administrative ne signifient pas mésestimation ou sous-estimation de l’action judiciaire. Celle-ci est essentielle et irremplaçable pour la protection et la capacité d’agir.
112 Nous bénéficions en France d’une justice des mineurs tournée toute entière vers une préoccupation éducative dans l’intérêt de l’enfant. Simplement, elle constitue un des éléments de l’ensemble du système, dans une relation complémentaire et dialectique avec l’action administrative et dans le cadre d‘un pilotage assuré par le PCD. La tension et la complémentarité sont toutes deux naturelles.
113 L’autorisation donnée à l’ASE par les directions ou les directions générales des administrations départementales, pour proposer ou enclencher une requête auprès des cours d’appel, constitue un exemple emblématique de leur difficulté à concevoir et décoder le lien qui existe entre la « tension » caractérisant les relations ASE/ juges des enfants et l’enjeu du pilotage du dispositif de PE.
114 Il est en effet naturel, et c’est bien ainsi que le droit l’a conçu, que les cadres de l’ASE proposent une requête en appel sur la base d’un ou plusieurs éléments de la décision de première instance du juge. Ce peut être dans l’intérêt direct de l’enfant, dans l’intérêt du fonctionnement du dispositif, pour une régulation, pour faire évoluer ou clarifier le droit en la matière. Il revient alors aux magistrats de la Cour de trancher, de confirmer ou d’infirmer le point de vue du département.
115 La plupart des juges des enfants sont très au clair avec cette pratique, dès lors naturellement que personne n’en abuse, ce qui serait symptomatique d’autres difficultés. Eh bien, dans de nombreux départements, l’ASE a les pires difficultés, voire l’impossibilité de mener à bien une requête en appel. L’idée même d’un appel prend des proportions hors du commun. Elle traduit pour l’institution un dysfonctionnement patenté et un symptôme de conflit intolérable et inacceptable avec la justice. Du coup, personne n’ose plus, parmi les techniciens de l’ASE, suggérer ce type d’initiative. C’est la preuve d’une complète incompréhension des rôles et des fonctions de l’autorité administrative (l’ASE ici) et de l’autorité judiciaire.
116 Un autre exemple emblématique peut illustrer la contradiction remarquable qui existe en France entre la volonté affichée de piloter le système (parce qu’on a bien compris qu’il devait l’être) et l’incohérence des moyens que l’on se donne. Il concerne l’exercice des aides éducatives en milieu ouvert (AEMO).
117 L’AEMO constitue une mesure judiciaire stratégique, puisque positionnée et utilisée comme première mesure d’assistance éducative à la disposition du juge pour protéger l’enfant, dès lors qu’un placement ne s’impose pas immédiatement. Par ailleurs, et c’est un enjeu important au plan de l’action éducative et au plan financier, l’AEMO est, de fait, à l’origine d’une majorité des décisions de placement par les juges des enfants. Elle est, comme pour toute l’action judiciaire au civil (à l’exception de l’investigation), financée par les conseils départementaux.
118 On se trouve là dans la situation quasi ubuesque d’un président de conseil départemental à qui on demande de piloter le dispositif et d’être garant de la réponse apportée aux besoins de l’enfant, sans qu’il ne dispose d’aucune responsabilité pour l’exercice de cette mesure « stratégique » aux plans des parcours individuels des enfants et du pilotage départemental. De surcroît, cette mesure est confiée à des services associatifs dont l’autorisation de création est accordée par le seul préfet, puisque le PCD n’est sollicité en droit que pour formuler un avis.
119 J’exclus ici les quelques rares départements où les AEMO sont exercées par les services du département directement. Tout le monde comprend bien que se pose ici la si fameuse question du mandat global qui serait confié à l’ASE pour l’exercice de la protection judiciaire décidée par le juge.
120 Vraie fausse piste ou vraie bonne idée, on est bien au cœur de l’enjeu des rôles respectifs de l’administration et du juge. Comble de la sophistication bureaucratique, plutôt que de trancher dans un sens ou dans l’autre la question du mandat global, la loi de 2007 propose de confier au PCD une coordination pour les mesures qu’il n’exerce pas directement en responsabilité (AEMO, placements directs en établissements et services, TDC) afin de garantir la cohérence et la continuité des parcours (art. L221 - 4 du CASF). Résultats : un risque majeur « d’usines à gaz » sans pertinence et des charges de travail accrues pour les services de l’ASE sans plus-value évidente.
121 Qu’on s’entende bien, la question ne concerne aucunement la qualité des services rendus par les associations dans ce cadre. On l’a déjà dit, le système de PE ne peut exister sans la compétence et l’engagement des associations. La qualité du service n’est pas liée à la nature publique ou privée de l’action. La question vise la réalité des moyens qui sont donnés aux présidents des conseils départementaux pour assurer et garantir le pilotage du dispositif et pour répondre à la volonté de cohérence des parcours des enfants. Elle vise le choix d’une logique qui n’est pas fait. Un pas en avant et un pas en arrière !
122 Le même constat d’incohérence sur le sujet du pilotage peut venir avec la loi de 2016 qui prévoit, par exemple, la signature du projet pour l’enfant (PPE) par le seul PCD alors que ce même PPE est prévu en toute logique pour les AEMO ou les placements directs. Le PCD signerait il alors des PPE pour des mesures qui engagent en réalité la responsabilité des directions des établissements et services associatifs auxquels les juges ont confié la mesure ? On se perd un peu ! La question est de savoir si on veut vraiment prendre les moyens du pilotage. Une réponse claire permettrait de prévenir les risques graves de dysfonctionnement des institutions au sein desquelles les professionnels ne savent parfois plus comment ils s’appellent.
123 On voit bien, à travers les dispositions légales de 2007 et 2016 qui concernent le rôle de l’administration et de la justice des mineurs ou à travers des dispositions administratives et juridiques plus anciennes concernant l’exercice des mesures judiciaires, que des questions majeures ne sont absolument pas arbitrées. Par cécité en partie et par absence de volonté et de courage, puisque l’on touche à des aspects particulièrement délicats du « jeu des acteurs » !
e – Une perméabilité croissante entre le domaine technique et la sphère politique
124 Un dernier obstacle que nous souhaitons souligner ici pour l’analyse des dysfonctionnements des dispositifs de PE fait moins partie des éléments régulièrement proposés pour l’analyse des organisations en matière d’ASE et de PE. Peut-être paraît-il plus polémique ou trop éloigné du vécu des professionnels. Il impacte pourtant les collectivités. À des degrés différents certes, mais il nous semble se vérifier de plus en plus fréquemment. Il est toujours plus délicat d’en faire usage dans le débat mais il éclaire aussi la réalité. Il s’agit de l’évolution de la fonction publique et du rapport du « technique » au « politique ».
125 On ne peut pourtant étudier l’efficience d’une politique publique mise en œuvre au sein de l’institution départementale sans la contextualiser dans son cadre politico-administratif. Comme pour toute mission, la conception et l’usage de la fonction publique par les élus et les dirigeants de la collectivité façonnent pour les services la manière de faire et d’entreprendre.
126 L’administration française, en résumé, s’est historiquement structurée sur la base de trois principes qui fondent la fonction publique et son unité :
- le principe d’égalité, par référence à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ;
- le principe d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique ;
- le principe de responsabilité du fonctionnaire, qui lui confère la plénitude de ses droits de citoyen, en référence là aussi à la Déclaration de 1789.
127 Une volonté d’absolue préservation, par pur principe, de tous les éléments qui organisent le statut actuel des fonctionnaires à la relecture de ces trois éléments, n’aurait pas véritablement d’intérêt. La France de 2016 n’est plus celle de l’après-guerre. Pour autant, il faut s’interroger sur le sens profond de ces trois principes qui structurent la fonction publique au service de la République.
128 Que constatons-nous aujourd’hui au sein des départements (des collectivités territoriales en général d’ailleurs) ?
129 Une perméabilité grandissante entre la sphère politique et le domaine de l’administration. Elle a été clairement encouragée par la « contre-révolution culturelle sarkozyste » en direction des fonctionnaires ; elle s’épanouit sans trop de difficultés au sein des administrations territoriales, quelle que soit la couleur politique de l’exécutif.
130 En perdant de vue les principes qui s’attachent à la fonction publique de notre République, on a progressivement facilité le recrutement de « managers » dont la compétence qui est retenue s’explique en réalité par une certaine proximité, voire une proximité certaine, entre les domaines technique et politique.
131 On prend le risque, avec cette pratique, de se trouver avec des qualités et des centres d’intérêt pour nos managers, qui sont assez étrangers aux capacités normalement attendues pour prendre en charge la complexité technique des services d’une collectivité.
132 Rien de bien nouveau me direz-vous ! C’est vrai, mais la fragilisation croissante du statut de la fonction publique et les critiques virulentes dont il est l’objet participent à installer une nouvelle culture parfaitement décomplexée pour ce genre de pratiques.
133 Combien de nouveaux cadres recrutés parmi les membres des cabinets ou dans un entourage « rassurant » ? L’entre-soi ne fait pas une administration dont la mission est bien d’administrer, en intégrant des considérations techniques construites dans la durée et en prenant appui sur des compétences. La préservation de l’intérêt général a justement besoin des compétences techniques, et donc de l’espace dans lequel elles s’expriment.
134 La mission de PE a besoin d’une confrontation des points de vue et d’une place pour la contradiction. Pas seulement pour les évaluations au plan clinique ; également sur la question de l’adéquation des organisations aux caractéristiques de la mission dont on devrait connaître a minima les caractéristiques et les exigences. Elle a besoin de la continuité et de la durée dont les conceptions politiques sont trop souvent dépouillées aujourd’hui du fait de l’absolutisme de la « com » et du « très court-termisme ».
135 La vigilance dont il faut faire preuve dans ce domaine ne vient pas en contradiction avec le principe qui pose que le politique décide et que l’administration met en œuvre. Elle rappelle que la décision politique doit prendre en compte le réel si elle veut avoir un impact véritable. Le danger est aussi grand avec une administration qui prendrait le pas sur le politique. À une autre échelle, on l’a vu avec la IVème République…
136 C’est d’un équilibre respectueux des places et des rôles dont il est question ici. L’enjeu ne consiste pas à protéger un statut de fonctionnaires. Il s’agit de mettre en avant, pour les agents publics, les qualités attachées à l’exercice des fonctions afin de garantir au mieux les compétences qui sont utiles, quel que soit le parti au pouvoir. C’est de cela que parle la Déclaration de 1789. C’est aussi de cela qu’a besoin la République à laquelle il est si souvent fait référence ces temps-ci. Cette exigence éthique participerait aussi à réconcilier les Français avec les services publics.
137 Nous abordons cette question particulière parce que la protection de l’enfance dont nous avons présenté quelques caractéristiques fortes pour l’administration départementale a absolument besoin du portage de cette préoccupation fondamentale. C’est une exigence pour l’État et pour les collectivités territoriales dont les organisations majoritairement territorialisées peuvent conduire, si on n’y prend pas garde, à l’atomisation complète d’une administration responsable d’une politique régalienne exigeante.
138 La mise en avant de cet obstacle ne résulte pas du grossissement à dessein de quelques exemples marginaux pour l’occasion d’une démonstration. La nouvelle combinaison des secteurs de la politique et de l’administration (au sens de l’administration de la chose publique), ou la tendance dans laquelle elle s’inscrit pour de nombreuses collectivités, les changements qu’elle induit, traduit en réalité un mouvement beaucoup plus large qui concerne le fonctionnement de l’ensemble de notre société.
139 Au constat de la sous-estimation (du délitement parfois) des compétences techniques et des enjeux cliniques induite par de nouvelles conceptions de l’action sociale, du travail social et du management, on peut ajouter le constat d’un individualisme qui a fait son entrée en force dans le monde de l’action sociale et du travail social. Pas de raison qu’il y échappe. Il est partie intégrante de la société. Il se traduit à sa manière dans chacun des domaines.
140 Encore faut-il en avoir conscience. C’est notamment pour cela qu’il faut des espaces de confrontation des points de vue au sein des institutions pour permettre d’analyser et de vérifier la réalité des belles valeurs que l’on affiche fièrement pour justifier des choix de management, de fonctionnement, d’organisation. Relire tranquillement et collectivement les trois principes qui fondent la fonction publique (au sens de la fonction au service de la République) peut se révéler utile.
141 Beaucoup des familles et des enfants qui sont accompagnés par les services de l’ASE sont dans des situations de grande fragilité et de grande souffrance. Les accidents de la vie sont nombreux et parfois cruels. Les soutiens sont souvent rares. Les enfants, surtout ceux qui sont placés, sont parmi les plus fragilisés et se trouvent au bord du chemin. Pour répondre à leurs besoins, puisque c’est de cela qu’il s’agit et à cela que nous invite la loi, il faut combiner la disponibilité, une attention particulière tournée vers chacun, du temps, de la bienveillance, des compétences, du respect, du pilotage, de la méthode, de l’exigence…
142 C’est parce qu’ils sont parfaitement conscients de ces nécessités et de ce qui se joue que beaucoup de professionnels de l’ASE vont si mal. Si on y regarde de près, avec un œil averti, eh bien oui !, il y a de réelles difficultés et des souffrances au travail. Elles ne s’analysent pas seulement à partir du volume des moyens financiers consacrés à cette politique publique.
143 Comment alors peut-on rendre possible une amélioration des choses ?
144 On se trouve dans une situation parfaitement paradoxale. L’État français se dote d’un cadre légal et réglementaire qui répond progressivement aux exigences de la PE au plan national et aux recommandations de l’ONU à la suite de la ratification de la Convention des droits de l’enfant (CIDE) et, dans le même temps, on voit les difficultés croissantes pour traduire dans les faits ces mêmes orientations retenues pour les besoins des enfants les plus vulnérables.
145 Le constat de ces difficultés ne relève pas d’une appréciation délibérément pessimiste ou cynique. Il ressort des différents rapports produits par la Cour des Comptes, le Conseil d’État, l’IGAS ou par les départements eux- même à la suite d’évaluations de leurs dispositifs.
146 On sait que beaucoup de dispositions de la loi de 2007 ne sont pas mises en œuvre dans un grand nombre de départements. Question de moyens ? En partie, mais pas seulement. Quel espace institutionnel est et sera disponible, au sein des administrations départementales, pour maintenant assimiler et traduire opérationnellement les préconisations légales de 2016 ?
147 Un certain nombre de constats ayant été dressés, quelles pistes peut-on explorer pour faire émerger des réponses aux problèmes qui viennent d’être posés ?
148 Nous privilégierons deux propositions qui nous paraissent emblématiques et suffisamment structurantes, même si elles ne répondent pas à elles seules, évidemment, aux difficultés qui ont été exposées :
- donner aux cadres et à l’ensemble des professionnels de l’ASE les moyens d’assumer plus réellement et plus sûrement leurs fonctions et la responsabilité que la loi a confiée aux présidents des conseils départementaux ;
- poser une question politiquement très incorrecte pour l’ouverture d’un débat qui nous semble aujourd’hui indispensable : « Peut-on continuer à mettre en œuvre la PE dans le cadre actuel de l’action sociale décentralisée conduite par les départements ? »
4 – Des propositions et une invitation au débat pour sortir la PE d’une impasse
a – Donner aux cadres et à l’ensemble des professionnels de l’ASE les moyens d’assumer plus réellement et plus sûrement leurs fonctions et la responsabilité que la loi confie aux présidents des conseils départementaux
149 On l’a rappelé, la dualité du système français de PE qui permet l’intervention complémentaire de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire en soutien à l’autorité parentale constitue une référence structurante.
150 À la condition que les moyens de la prévention secondaire s’avèrent inopérants, la protection administrative peut être envisagée et proposée à la famille pour sortir d’une situation de risque ou de danger, dès lors que l’accord et la mobilisation des responsables légaux sont évalués réels et suffisants et dès lors qu’une contrainte ne se justifie pas à leur égard.
151 Le rapport annuel de mai 2014 de l’ONPE est remarquable sur cette question : la protection administrative développée par l’ASE constitue une intervention qui déroge au droit commun. Elle induit une intrusion dans l’intimité des familles [9].
152 On oublie trop souvent dans la manière de voir et d’agir en PE, que l’ASE doit être subsidiaire aux accompagnements et soutiens proposés par les services de la prévention. On parle et on se soucie d’ailleurs beaucoup trop peu de la place du service social, de la PMI, de la prévention spécialisée, du service social en faveur des élèves… quand on évoque la PE.
153 L’enjeu, et c’est là une révolution culturelle souhaitable qui n’est pas aboutie, consiste bien pour les professionnels de l’ASE, à engager et installer un travail de proximité qui permette de dégager et mobiliser les compétences et les capacités de chacun, qui soutienne et conseille les parents pour qu’ils trouvent ou retrouvent le chemin d’une relation apaisée et bienveillante à l’égard de leurs enfants, qui protège et aide à grandir.
154 Dans le même temps, si l’administration ne peut contraindre l’autorité parentale dans la conduite des objectifs qui sont posés, elle veille au respect des obligations qui participent à la stratégie construite aux plans éducatif, social et psychologique du projet.
155 La démarche de protection administrative exige de la part des professionnels un outillage maîtrisé pour l’analyse et l’évaluation référencées à la recherche.
156 Elle exige une posture adéquate, une disponibilité, une méthodologie, une possibilité d’échange et de confrontation dans un cadre pluridisciplinaire et interinstitutionnel. La protection administrative constitue le relais nécessaire, au moment jugé opportun, des accompagnements en amont proposés par la prévention secondaire. Elle doit aussi naturellement être envisagée tout au long du parcours judiciaire pour permettre un retour vers un accompagnement consenti par les parents. Là aussi, beaucoup de progrès restent à réaliser pour que le département rende possible ce relais administratif quand le juge considère que son intervention ne se justifie plus. Progrès en termes de moyens et progrès en termes de pratique professionnelle.
157 Si en sens inverse, la protection administrative ne permet pas ou plus une issue à la difficulté de la famille et une protection de l’enfant, l’autorité judiciaire doit être saisie. C’est cette conception et cet usage souples et vivants des protections administrative et judiciaire qui doivent conduire nécessairement les professionnels de l’ASE à une gestion intelligente du risque pour l’accompagnement et les décisions à prendre en direction des enfants.
158 L’esprit de la loi, c’est bien d’attendre de l’ASE qu’elle développe des modes d’accompagnement et de protection capables d’appréhender les situations de danger. Avec professionnalisme, avec des outils, des références théoriques pour les pratiques professionnelles et surtout en ne laissant aucun professionnel dans sa grande solitude. Ici encore, on est à la recherche des équilibres.
159 Ce rappel de la règle et des « cheminements professionnels » nous permet de confirmer que l’action administrative n’a que peu de chance de remplir sa mission si elle ne bénéficie pas du cadre institutionnel qui lui procure la légitimité et l’autorité dont elle a absolument besoin pour exister. C’est une condition aux plans réel et symbolique.
160 À côté du besoin de la compétence spécifique des professionnels qui interviennent directement auprès des familles, les cadres qui décident par délégation du Président du CD doivent disposer d’une place dans l’institution qui leur permet d’exercer la responsabilité confiée.
161 Avec le temps, les réorganisations répétées des services, l’introduction de conceptions inadéquates du management, le lissage et l’affaiblissement des compétences professionnelles dans beaucoup de collectivités au nom d’une transversalité davantage plaquée que construite et assimilée, on a privé les services de l’ASE des moyens d’une autorité qui leur est nécessaire. L’autorité constitue le moyen d’assumer une responsabilité dans un domaine où elle est particulièrement forte.
162 La référence au binôme autorité administrative/autorité judiciaire censé caractériser le système français a perdu en route l’autorité de l’administration dans bien des départements. Sans autorité de l’administration, point de processus de décision garanti pour le traitement des situations individuelles alors que la décision est ici aussi déterminante que celle du juge dans le cadre judiciaire. Elle doit répondre à l’intérêt de l’enfant, à ses besoins fondamentaux, au respect des droits des familles, à l’existence et à la pertinence du projet pour l’enfant. La décision du cadre participe, avec la direction enfance famille, au pilotage du dispositif qui doit porter les qualités de cohérence et de continuité pour tous les parcours d’enfants.
163 C’est par l’action combinée et additionnée des décideurs de l’ASE que se vérifie la bonne coordination des mesures, la promotion de la prévention et de la protection administrative, le rôle pertinent de la CRIP, la coordination des acteurs autour de l’enfant, le contrôle opportun des établissements et services et la bonne gestion des moyens financiers de la collectivité.
164 Il y a une erreur fondamentale à vouloir fondre absolument le service de l’ASE dans l’ensemble des services sociaux du département sans admettre les éléments d’organisation et de fonctionnement qui doivent garantir l’exercice de cette responsabilité particulière. Cette exigence appelle une analyse qui dépasse les représentations triviales habituelles d’une ASE enfermée dans sa tour d’ivoire.
165 Si elle s’enferme, elle dysfonctionne et ne répond pas aux enjeux de la protection de l’enfance telle que définie par la loi. Si par contre elle réclame l’espace technique nécessaire à son développement, de façon argumentée et coordonnée aux autres services, elle répond aux attentes.
166 Dans le contexte actuel, beaucoup de cadres de l’ASE sont en situation difficile parce qu’ils subissent une contradiction redoutable entre ce que la mission qu’ils exercent exige d’eux et la situation professionnelle dans laquelle leur propre administration les installe. Une majorité d’entre eux, chargés de plusieurs centaines de situations (entre 200 et plus de 800 selon les départements…), sans référentiel technique fédérateur suffisant, culpabilisés même parfois par leur hiérarchie de n’être pas davantage investis dans des actions plus transversales du territoire, n’ont pas les moyens d’agir dans le sens et l’esprit de la loi pour les enfants dont ils sont responsables.
167 Il y a parfois confusion, dans l’esprit de certains élus et de dirigeants de l’administration, entre une « politique jeunesse » et la politique de protection de l’enfance. Il doit exister des liens bien entendu, mais là encore, à vouloir simplifier au prétexte de vouloir rapprocher, on jette les bébés avec l’eau du bain… Dans ces contextes, les cadres décideurs de l’ASE subissent ce que les travailleurs sociaux savent évoquer régulièrement à travers la formule célèbre de « l’injonction paradoxale ». Beaucoup de cadres sont passionnés, mais se découragent rapidement et abandonnent la fonction avec regret.
168 Comme le juge dans le cadre judiciaire, le cadre décideur en ASE doit disposer des moyens attachés à sa fonction, en adéquation avec les contraintes. Pour chaque décision, sur la base de la proposition et de l’évaluation, il faut savoir prendre en compte simultanément une diversité de considérations : éducative, sociale, juridique, administrative, financière, psychologique. Il faut savoir agir vite parfois, ou avec inventivité si la situation est inédite. Il faut savoir faire le rappel de la loi.
169 On peut parler d’une fonction « totalisante » à cet égard pour qualifier la fonction de ces cadres. En outre, parce que les tensions sont constantes et que le jeu d’acteurs est prégnant, il faut savoir prendre la distance nécessaire.
170 De façon symptomatique, on voit bien dans les formules en usage, comment la représentation des rôles a dérapé avec le temps, en brouillant la lisibilité de la fonction de décideur de l’administration. On parle le plus souvent, pour nommer les acteurs de la PE dans la presse spécialisée ou à l’occasion de colloques, du rôle des juges et des services sociaux départementaux. On escamote complètement la réalité du système qui met en réalité en relation deux décideurs.
171 On sait que c’est le juge qui décide pour la partie judiciaire. Mais qui décide donc pour le conseil départemental ? Comment cette autorité administrative s’érige-elle en sujet identifiable et légitime ? Question anecdotique ? L’absence de prise en compte sérieuse de cette question constitue le moyen le plus sûr de générer des situations conflictuelles entre cadres de l’ASE et magistrats. Parce que le système dual met deux décideurs dans une relation dialectique et de confrontation utile des points de vue, il est inenvisageable de ne pas doter chaque partie d’une autorité qui lui permette de participer aux débats et de faire valoir son point de vue dans le cadre de ses prérogatives.
172 La capacité des deux autorités administrative et judiciaire à exercer de façon réelle et juste leurs fonctions est essentielle pour le respect du droit des familles. Elle est essentielle pour l’inscription cohérente et coordonnée des acteurs institutionnels dans le dispositif départemental.
173 Le secteur associatif joue en France un rôle déterminant en matière de PE. Rôle historique à l’origine d’un grand nombre d’innovations et à partir duquel notre système s’est structuré. Si l’administration départementale ne se donne pas en matière d’ASE la capacité d’exercer sa responsabilité à partir notamment de cette autorité dont elle a besoin, les établissements et services du secteur associatif qui prennent en charge un très grand nombre des mesures administratives et judiciaires et qui participent activement à la conception des dispositifs départementaux sont mis en grande difficulté.
174 De toutes les manières, quand les questions de responsabilité et d’autorité ne sont pas réglées de façon satisfaisante dans ce domaine complexe de la PE, c’est l’exercice d’un pouvoir qui se substitue très rapidement à l’élément manquant pour l’exercice effectif de la responsabilité.
175 Le risque est particulièrement grand en PE. Non pas du fait d’hommes et de femmes plus enclins qu’ailleurs à « vouloir exister », mais parce que l’enjeu de l’éducation et de la protection exige plus qu’ailleurs des références réelles et symboliques fortes et assumées. Pas plus, mais pas moins.
176 Ces lacunes constatées dans beaucoup de collectivités et l’immense difficulté à faire comprendre et admettre l’importance de la question, expliquent en partie, à notre avis, la forte judiciarisation du dispositif français et sa difficulté à en sortir parce qu’au bout du compte on continue à s’appuyer très majoritairement sur l’institution judiciaire.
177 En matière de proposition, une mesure consisterait à prévoir, pour tous les départements, une manière unique de concevoir la fonction de cadre chargé des décisions en matière d’ASE par délégation des PCD. Une sorte de cadre d’emploi spécifique, sous une appellation unique, partie du socle commun à tous les départements pour la mise en œuvre de l’ASE.
178 Cette hypothèse permettrait de garantir une légitimité, une visibilité, une compréhension. Combien d’appellations aujourd’hui pour nommer cette fonction très diversement considérée ? Citons en quelques-unes : « Responsable territorial ASE », « chef de service ASE », « responsable action sociale de circonscription », « chef de bureau », « inspecteur ASE », « responsable enfance-famille », etc.
179 Puisque la loi de 2002-2 [10] a pour objectif de mettre l’usager au centre des dispositifs, peut-on raisonnablement penser que les familles s’y retrouvent dans l’imbroglio bureaucratique des services des départements alors qu’elles se trouvent déjà elles-mêmes, le plus souvent, dans un état de fragilité et d’insécurité ?
180 Il est indispensable pour les enfants et les familles, en matière de PE, de savoir précisément qui décide quoi et qui commande qui. Souvent, elles ne comprennent pas. Souvent, les professionnels eux-mêmes ont cette difficulté à naviguer dans l’enchevêtrement des liens hiérarchiques et fonctionnels qui ne s’inscrivent pas ou plus du tout dans une logique porteuse de sens et d’efficacité pour la mission à laquelle ils contribuent. Alors même que la question des processus de décisions est au cœur des enjeux des dispositifs de PE. C’est un comble ! Le juge des enfants, on connaît. Ne nous étonnons pas, dans cette jungle des administrations, que la protection de l’enfance soit judiciarisée.
181 L’option d’un cadre d’emploi spécifique permettrait de renforcer et d’unifier la formation des cadres, elle participerait à une meilleure compréhension du principe de dualité du système, dans un équilibre mieux assuré entre autorité administrative et autorité judiciaire. Elle favoriserait la fidélisation de cadres qui sont souvent très investis, mais qui expriment un besoin de sécurisation et de légitimité. Elle répondrait mieux à la philosophie de notre système de PE. Elle donnerait davantage de cohérence à la mise en œuvre d’une politique régalienne qui doit être attentive au respect du principe d’équité pour le service à rendre aux enfants et aux familles. On sait que le principe d’équité n’est aujourd’hui pas respecté ; loin s’en faut. Ni entre les collectivités, ni même entre les territoires d’une même collectivité.
182 Relever les risques spécifiques pour la PE de la fragilisation et d’une certaine atomisation de l’administration départementale ne prend pas sa source dans une vision jacobine délibérée ou qui s’ignorerait.
183 La question ne peut être posée, de façon binaire, à partir d’une seule alternative qui opposerait les tenants (les bons) et les détracteurs (les méchants) de la décentralisation ou de telle ou telle forme de territorialisation des services. L’approche idéologique à cet endroit ne sert pas le débat et dessert la PE. L’analyse, la discussion et les choix doivent être conduits pour répondre concrètement aux objectifs de la loi portant sur la PE.
b – Poser une question politiquement incorrecte : « Peut-on continuer à mettre en œuvre la PE dans le cadre de l’action sociale décentralisée conduite par les départements, tel qu’il est conçu aujourd’hui » ?
184 Nous insistons bien sur le fait que la question porte sur le cadre actuel de l’action sociale décentralisée et non pas simplement sur la nature décentralisée ou non de ce bloc de compétences. La question doit être véritablement ouverte.
185 On l’a dit, l’enfant n’est pas un usager comme les autres. Il se trouve dans un rapport original et spécifique au représentant de l’autorité publique, avec un retentissement singulier et remarquable pour son existence.
186 Le pilotage du dispositif départemental de PE qui incombe au PCD ne relève pas d’une fonction de chef de file habituelle ou en tout cas comparable exactement à la fonction de chef de file qui s’impose pour les autres missions de l’action sociale. Pour la PE, le PCD est donneur d’ordre, garant in fine de l’intérêt des enfants et de l’orientation générale du dispositif dans son ensemble (prévention - protection administrative - protection judiciaire).
187 L’administration doit disposer d’une véritable autorité et d’une légitimité pour le respect du droit et pour imprimer une dynamique institutionnelle au service de l’autonomie et de la compétence des personnes.
188 La mission d’ASE ne peut pas être appréhendée comme les autres missions de l’action sociale et médico-sociale relevant des conseils départementaux. Outre les difficultés et les obstacles que nous avons pu relever, on voit comment un écart sensible s’est creusé entre les départements pour la PE : question de moyens financiers, question de conception, question d’organisation plus ou moins favorable, dont les différences produisent des effets redoutables en mettant les populations dans des situations de grande inégalité dans leurs rapports aux services publics de la PE. Sans compter, nous l’avons évoqué, les écarts qui se créent à l’intérieur même des départements par le biais de modèles de territorialisation insuffisamment attentifs à certaines contraintes.
189 Le système de PE tel que conçu aujourd’hui par le législateur peut-il résister à tant d’obstacles ? Si la proximité aux habitants et aux usagers permise par la décentralisation d’une grande partie de l’action sociale constitue une vraie plus-value pour la connaissance réelle des territoires et des contextes de vie, l’établissement des diagnostics, la qualité du partenariat, certains accompagnements individuels, l’animation collective, la dynamique du développement social… on doit évaluer les possibilités réelles d’amélioration de la protection des enfants dans le cadre actuel de la décentralisation, compte tenu d’une expérience de presque 35 ans, de l’évolution des textes portant sur la PE et à l’occasion des évolutions induites par la loi Notre [11].
190 La mise en œuvre d’une politique régalienne de cette nature est-elle compatible avec l’application absolue du principe de libre administration retenue pour les collectivités territoriales ?
191 L’ASE, à notre sens, a incontestablement gagné, depuis la décentralisation, de sa proximité plus forte aux autres acteurs de la PE, de l’obligation légitime qui lui a été faite de se coordonner davantage et dans de meilleures conditions avec l’ensemble des services et des professionnels, de sortir par là d’un certain isolement institutionnel et de modes de décision qui devaient gagner en performance et en lisibilité.
192 La proximité du centre de la décision politique a forcé des évolutions parfaitement positives. C’est vrai pour beaucoup de politiques publiques, en complément des autres facteurs de modernisation et de la prise en compte des mouvements de la société. Ces aspects doivent être encouragés et il s’agit de ne surtout pas les perdre. Pour autant, cette évolution ne peut masquer les obstacles structurels qui empêchent la PE de progresser réellement et durablement dans le sens qui est souhaité et que les progrès de la recherche rendent pourtant possible.
193 Les lois récentes déclinent des mesures de plus en plus précises et exigeantes pour garantir la protection des enfants au plan national ; elles intègrent progressivement (pas encore de façon jugée suffisante) les obligations fixées par l’ONU dans le cadre de la CIDE. Les conseils départementaux mettent en œuvre les dispositions légales et réglementaires, plus ou moins complètement, avec des variantes plus ou moins remarquables ; ils décident du volume des moyens affectés à cette politique publique, ils conçoivent l’organisation de leurs services de l’ASE et de ceux qui concourent à la PE selon des schémas spécifiques.
194 Les éléments qui conditionnent la bonne marche et l’équilibre général du système français de PE pour garantir normalement l’égalité des citoyens dans leur rapport à ce service public particulier, montrent l’attention qu’il faut porter aux capacités et aux volontés conjuguées de l’État et des collectivités pour y parvenir.
195 Le rejet par les sénateurs, au moment du vote de la loi et de la navette entre les deux chambres du Parlement, de la création du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), illustre bien la portée de ces questions et la réaction politique épidermique dès lors que l’État ou un organisme national quelconque pourraient regarder de plus près à ce qui se fait au sein des collectivités…
5 – Conclusion
196 Que conclure ?
197 Que la mise en œuvre de l’ASE peut difficilement, selon nous, être maintenue en l’état, dans le cadre général actuel du bloc de compétence de l’action sociale et médico-sociale géré et administré par les conseils départementaux. Au risque pour cette ASE, en cas contraire, d’être de moins en moins administrée et de se perdre.
198 Il convient de prévoir pour cette politique publique, un espace institutionnel qui convient, c’est-à-dire qui permet de répondre aux contraintes spécifiques d’une politique régalienne.
199 Nous en avons dégagées quelques-unes. Il convient de prévoir un espace qui bénéficie d’un personnel (tout son personnel) spécifiquement formé dès son recrutement et tout au long de son parcours professionnel, aux plans clinique, juridique, administratif, de la gestion des ressources humaines et du partenariat. Il convient de prévoir un espace conforté par la mise en place d’un corps spécifique de cadres décideurs, spécialement formé, dans le prolongement et le renforcement des dispositions de la loi du 5 mars 2007, nommé et qualifié sur la base d’une même appellation, légitimé à l’intérieur d’un cadre d’administration commun à tous les départements et qu’il s’agirait de préciser.
200 Encore une fois, ces options et l’attention particulière qu’elles appellent, ne sont pas antinomiques avec l’obligation absolue pour l’ASE de s’articuler avec toutes les missions et les organismes qui concourent à la PE. Chacune des deux dimensions, spécifique et transversale, sont utiles l’une à l’autre et à la PE dans son ensemble. L’ASE n’a sa place ni dans une construction technocratique obscure qui la marginalise, ni dans une organisation de type socioéducatif qui la neutralise
201 Faut-il alors concevoir l’ASE au sein d’un organisme départemental ou régional de type agence publique, placé sous l’autorité du président de l’exécutif, sur le modèle des centres de jeunesse québécois, fortement articulé avec l’action sociale dans son ensemble ?
202 Faut-il s’inspirer d’autres modèles proches, comparables à celui de la Belgique ou de l’Allemagne, pour clarifier ce qui doit faire nécessairement référence nationale et ce qui a un intérêt à relever de l’autorité territoriale ?
203 Faut-il (peut-on) concevoir une ASE confiée aux départements, qui soit structurée de manière à garantir une cohérence et une autorité de la décision, de la régulation et du pilotage, à partir d’un socle organisationnel commun à tous les départements, qui évite les effets néfastes d’un certain type de territorialisation ?
204 Faut-il repositionner l’ASE dans le giron de l’État ?
205 L’urgence, c’est l’analyse et le débat portant sur les difficultés auxquelles l’ASE est confrontée et arrêter la fuite en avant, pour répondre réellement, progressivement et au plus près des réalités des familles, aux enjeux et aux objectifs que la loi fixe pour chacun des territoires. Ce n’est pas une question de choix techniques, c’est un enjeu de démocratie.
Notes
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[1]
Vice-président de l’Association nationale. des directeurs de l’enfance et de la famille (ANDEF) ; http://andef.e-monsite.com
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[2]
Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles
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[3]
Nous distinguons bien ASE et PE. L’ASE recouvre les missions telles que prévues par le CASF ; principalement ici le traitement des informations préoccupantes (IP) et l’exercice des mesures administratives et judiciaires qui s’inscrit dans des processus de décisions et induit les statuts juridiques des enfants concernés. La PE englobe l’action de l’ensemble des services qui concourent à la PE telle que définie par la loi du 14 mars 2016. Souvent on assimile à tort ASE et PE
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[4]
Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy, « L’Aide à l’enfance demain, contribution à une politique de réduction des inégalités », ministère de la santé, 1979.
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[5]
Déclaration des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 novembre 1959.
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[6]
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
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[7]
Voir ASH n° 2947 du 12 février 2016, « Piloter autrement la protection de l’enfance ».
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[8]
J.-P. Bichwiller, « Un texte de compromis ? », JDJ n° 266, juin 2007, p. 10 ; « Le législateur savait-il réellement ce qu’il voulait en votant la loi du 5 mars 2007 reformant la protection de l’enfance ? », Les Cahiers de l’Actif nos 380/381, janv.-févr. 2008, p. 33.
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[9]
Neuvième rapport au Gouvernement et au Parlement, mai 2014 ; oned.gouv.fr/system/files/publication/ranoned_20140604.pdf
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[10]
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
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[11]
Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notre).