Notes
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[1]
Docteur en droit public, ancien inspecteur enfance au Conseil général du Val-de-Marne, et actuellement conseillère protection de l’enfance au cabinet de Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris chargée de la solidarité, des familles, de la petite enfance, de la protection de l’enfance, de la lutte contre l’exclusion, des personnes âgées. Elle intervient également au sein de formations initiales et continues (CNAM, CNFPT, ETSUP, Université Paris 12).
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[2]
La loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs cherche à protéger davantage les mineurs victimes d’infractions sexuelles, notamment en allongeant le délai de prescription de l’action publique qui ne commence à courir qu’à partir de la majorité du mineur (article 7 du Code de procédure pénale), mais aussi en élargissant les possibilités de représentation des victimes mineures par des associations de lutte contre les violences sexuelles ou des associations de défense ou d’assistance à l’enfance (2-2 et 2-3 du Code de procédure pénale). Ces associations peuvent désormais agir sans l’accord du représentant légal du mineur si elles obtiennent le consentement du juge des tutelles.
-
[3]
Article L. 227-1 du Code pénal
-
[4]
Article L. 227-3 et s. du Code pénal
-
[5]
Article L. 227-5 et s. du Code pénal
-
[6]
Article L. 227-12 et s. du Code pénal
-
[7]
Laurence Collet-Askri, « La protection pénale de l’enfant victime des conflits entre ses parents divorcés à la lumière de la jurisprudence récente », RDSS, 2000, p. 285.
-
[8]
Laurie Schenique, « La protection pénale de l‘enfant victime de conflit familial », AJ Famille, 2013, p. 287.
-
[9]
Article 227-15 du Code pénal.
-
[10]
Article 227-17 du Code pénal.
-
[11]
Article 227-17-1 du Code pénal.
-
[12]
Article 221-4 10 du Code pénal.
-
[13]
Article 222-3 du Code pénal.
-
[14]
Article 222-8 du Code pénal.
-
[15]
Article 222-10 du Code pénal.
-
[16]
Article 222-12 du Code pénal.
-
[17]
Article 222-24 20 du Code pénal.
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[18]
Article 222-29 1°du Code pénal.
-
[19]
Article 225-7-1 du Code pénal.
-
[20]
Articles 221-4 30, 222-3 2°, 222-8 2°, 222-10 2°, 222-12 2°, article 222-24 30 du Code pénal.
-
[21]
Cour de cassation, chambre criminelle, 21 septembre 2011, 11-85.098, inédit.
-
[22]
Cour de cassation, chambre criminelle, I juin 2011, 10-85.652, inédit
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[23]
Article 227-18 al. 1 du Code pénal.
-
[24]
Article 227-18-1 al. 1 du Code pénal.
-
[25]
Article 227-19 al. 1 du Code pénal. Voir en complément les articles 227-21 à 227-27-3 du Code pénal.
-
[26]
Articles 227-18 al. 2, 227-18-1 al.2, 227-19 al. 2 du Code pénal.
-
[27]
Article 222-13 1° et 2° du Code pénal.
-
[28]
Article 222-14 du Code pénal.
-
[29]
Article 225-13 du Code pénal.
-
[30]
Article 225-14 du Code pénal.
-
[31]
Article 225-15 du Code pénal.
-
[32]
Laurence Leturmy, « La maltraitance en droit pénal », RDSS, 2006, p. 981.
-
[33]
Myriam Lagraula Fabre , La violence institutionnelle. Une violence commise par des personnes ayant autorité, L’Harmattan, 2005, p. 160.
-
[34]
Article 222-19 et suivants du Code pénal.
-
[35]
Article 221-6 du Code pénal définit l’homicide involontaire.
-
[36]
Cour de cassation, chambre criminelle, 6 mars 2012, 11-85.609, inédit.
-
[37]
Articles 121-3, 221-6 alinéa 2 et 222-19 alinéa 2 du Code pénal.
-
[38]
Cour de cassation, chambre criminelle, 3 mai 1988, 86-96.574, inédit.
-
[39]
Article 223-1 du Code pénal.
-
[40]
Article 223-6 du Code pénal.
-
[41]
Article 434-1 du Code pénal..
-
[42]
Article 434-3 du Code pénal.
-
[43]
Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 janvier 1995, 93-81.631, Publié au bulletin.
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[44]
Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 janvier 2013, 11-88.834, inédit.
-
[45]
Ibid.
La responsabilité pénale des personnes publiques et privées
1 Après avoir vu les responsabilités civiles et administratives en raison des dommages subis par l’enfant, il est nécessaire de s’intéresser aux responsabilités de nature pénale qui incombent aux acteurs publics et privés. Il s’agit d’étudier la manière dont le droit incrimine les agissements qui portent atteinte à l’intégrité physique et/ou morale des enfants. La responsabilité pénale des membres de la famille, mais aussi des professionnels ou services en contact avec l’enfant est essentielle, puisque ces différents acteurs ont en principe pour mission première la protection et l’éducation de l’enfant. Le droit punit les comportements qui sont contraires à ces objectifs et nuisent directement au développement de l’enfant.
2 Les responsabilités pénales susceptibles d’être engagées lorsque l’enfant est victime d’une infraction font l’objet de dispositions éparses au sein du Code pénal. Les développements suivants n’ont pas pour objectif d’être exhaustifs et passeront, par exemple, sous silence, les apports de la loi du 17 juin 1998 qui visent notamment à améliorer la protection des enfants victimes d’infractions sexuelles [2]. Il n’existe pas de texte spécifique qui regrouperait l’ensemble des infractions susceptibles d’être commises contre un enfant. En revanche, le droit pénal prend en compte non seulement les caractéristiques de la victime (Section 1), mais aussi celles de L’auteur de l’infraction (Section 2).
Section 1 : L’enfant, une victime particulièrement vulnérable
3 Le droit pénal contient des dispositions particulièrement variées en ce qui concerne les infractions commises sur l’enfant. Un chapitre du Code pénal est consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille (A). En dehors de ces articles ciblés, certaines dispositions éparses du Code pénal prennent en compte la minorité et la vulnérabilité de la victime. On distingue enfin les infractions intentionnelles (B) et non intentionnelles (C).
A – Les atteintes aux mineurs et à la famille
4 Le Code pénal contient d’abord un chapitre sur les atteintes aux mineurs et à la famille. Ces dispositions visent à protéger la cellule familiale et condamnent l’attitude des personnes privées ou publiques qui porteraient atteinte, d’une part, à la vie familiale (a). d’autre part, au développement de l’enfant (b).
5 Les dispositions prévues par ce chapitre concernent l’ensemble des personnes présentes dans l’entourage de l’enfant. Elles ne se limitent pas aux seules personnes qui auraient un lien biologique ou juridique avec l’enfant victime.
a – Les atteintes à la famille
6 Dans ce chapitre du Code pénal, sont condamnés, en des termes très généraux :
- le délaissement du mineur de quinze ans en un lieu quelconque, sauf si les circonstances du délaissement ont permis d’assurer la santé et la sécurité de celui-ci [3] ;
- l’abandon de famille [4] ;
- la non-représentation d’un enfant au titulaire de l’autorité parentale [5] ;
- ou encore la provocation à l’abandon d’enfant [6].
7 L’ensemble de ces dispositions condamnent l’atteinte portée au droit à la vie privée et familiale en punissant la rupture des liens entre l’enfant et son ou ses parents. En outre, si les textes sont formulés de manière très large et peuvent concerner toute personne réalisant ces infractions, les parents et les proches de l’enfant sont les premiers concernés. Il s’agit en effet de dissuader des passages à l’acte qui consisteraient à mettre à mal les liens que l’enfant entretient avec ses proches
8 Selon Laurence Collet-Askri, il est fréquent qu’après le prononcé du divorce, « tel père ne paie pas la pension, telle mère refuse de représenter l’enfant. L’ampleur du phénomène et l’éminence de l’intérêt en cause ont contraint le législateur à intervenir, pour protéger ces mineurs victimes d’atteintes d’autant plus préoccupantes qu’elles émanent de leurs parents qui sont, naturellement et juridiquement destinés à veiller à leur harmonieux développement » [7].
9 Ces incriminations doivent avoir un rôle dissuasif. En effet, lorsque le délaissement du mineur, l’abandon de famille, la non-représentation d’enfant ou encore la provocation à l’abandon sont avérés, une indemnisation est le plus souvent envisagée. Or la réparation financière du préjudice est souvent sans commune mesure avec la souffrance subie par l’enfant. Ainsi, certains auteurs soulignent que la pénalisation de ces comportements marque d’abord « un sentiment d’insatisfaction, de gâchis » [8], puisqu’il s’agit de contraindre par la sanction pénale une personne à adopter un comportement qui soit conforme à l’intérêt du mineur, ce qui devrait être naturellement le cas. Ce sentiment d’insatisfaction se traduit également par un échec des politiques préventives mises en œuvre pour justement éviter autant que possible les atteintes à l’intérêt de l’enfant. On pense ici aux actions de médiations familiales ou encore aux aides proposées par les services de l’aide sociale à l’enfance.
10 Enfin, ces dispositions s’appliquent aussi bien aux personnes privées qu’aux personnes publiques, ce qui permet de viser non seulement les membres de la famille, mais aussi un certain nombre d’acteurs qui interviennent dans le champ de la protection de l’enfance. En effet, lorsque l’enfant est accueilli au titre de la protection de l’enfance, le droit au respect à la vie familiale doit être préservé. En d’autres termes, les professionnels de ce secteur ne doivent pas porter atteinte à ce droit, en provoquant à l’abandon d’enfant, par exemple, ou encore en refusant de présenter l’enfant à ses parents sur les temps de droits de visites et d’hébergement prévus par la décision du juge des enfants. Il n’y a pas d’exemple de telles infractions dans la jurisprudence. Les recours sont en effet peu nombreux dans ce domaine. Mais il est intéressant de savoir que ces dispositions existent et peuvent être opposées aux professionnels qui ne les respecteraient pas. Les articles précités ont, comme tout texte à caractère pénal un effet dissuasif sur les personnes qui entendraient organiser plus ou moins sciemment la rupture des liens entre l’enfant et ses parents sans y être autorisées par la loi.
b – Les atteintes aux mineurs
11 Les dispositions de ce chapitre visent à protéger les relations au sein de la cellule familiale, mais aussi et surtout à garantir la protection du mineur. Sont ainsi condamnées différentes formes de mise en périls de l’enfant, touchant à des aspects variés de sa vie. La loi punit, par exemple :
- les atteintes à la santé de l’enfant, à travers la privation d’aliments ou de soins au point de compromettre la santé de l’enfant [9] ;
- la mise en danger de l’enfant, c’est-à-dire « le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur » [10] ;
- ou encore les atteintes portées à l’obligation de scolarisation. En la matière, la loi punit « le fait, par les parents d’un enfant ou toute personne exerçant à son égard l’autorité parentale ou une autorité de fait de façon continue, de ne pas l’inscrire dans un établissement d’enseignement, sans excuse valable » [11].
12 Ces infractions punissent l’ensemble des comportements susceptibles de nuire aux développements de l’enfant, c’est-à-dire les comportements qui portent atteinte à la santé, à l’intégrité physique et morale ou encore à la scolarité de l’enfant. Il existe en la matière un lien très clair entre ces incriminations et les missions du dispositif de protection de l’enfance. En effet, lorsque l’enfant est en danger ou en risque de l’être, car sa santé, sa sécurité ou encore les conditions de son éducation ne sont pas garanties, les services administratifs et judiciaires sont compétents pour intervenir.
13 Par conséquent, il serait possible, en parallèle des mesures mises en œuvre au titre de la protection de l’enfance, d’envisager des recours en matière pénale visant à condamner (sur le fondement des dispositions précitées) les personnes exerçant l’autorité parentale, ou plus largement ayant une autorité de fait sur l’enfant. En pratique pourtant, les services assurant la protection des enfants en danger ou en risque de l’être portent très rarement à la connaissance de la justice ces dites infractions.
14 Ce choix n’est pas invariable et pourrait être remis en cause. Il repose aujourd’hui sur l’idée que pour agir dans l’intérêt de l’enfant et assurer autant que possible le maintien des liens entre celui-ci et ses parents, il est nécessaire d’établir avec les familles un lien de confiance. Or un tel travail est aujourd’hui considéré comme contraire à l’idée de saisir le juge pénal lorsque les parents évoquent des pratiques éducatives inadaptées ou encore des carences dans l’exercice de leurs missions d’éducation et de protection. Il pourrait néanmoins être pertinent si ce n’est d’agir régulièrement en justice pour ce type d’infractions, du moins de se poser dans chaque situation, la question de la pertinence ou non d’une telle action pénale. Aujourd’hui, le fait que ces dispositions soient rarement, voire jamais, utilisées est en effet un frein à leur caractère dissuasif.
15 Le chapitre du Code pénal relatif aux atteintes au mineur et à la famille protège à la fois l’intégrité physique et morale de l’enfant et le droit à la vie familiale. Ces dispositions ciblent de manière spécifique l’enfant en insistant sur les dommages qu’il peut subir en raison de son âge, mais aussi de sa situation de dépendance vis-à-vis des personnes qui t’entourent. Au-delà de ces dispositions spécifiques, le droit pénal général prend en compte la minorité et la vulnérabilité de la victime.
B – La minorité et la vulnérabilité de l’enfant victime
16 Le Code pénal prend en compte la minorité et la vulnérabilité de la victime au sein d’un certain nombre de dispositions. La minorité et la vulnérabilité de la victime sont alors présentées selon les cas, comme des circonstances aggravantes (a) ou constitutives de l’infraction (b).
a – Minorité et vulnérabilité, circonstances aggravantes de l’infraction
17 Certains articles prévoient que la peine encourue est aggravée lorsque l’infraction est commise sur un mineur. Le Code pénal. distingue alors les enfants de moins de quinze ans pour lesquels ils prévoient des dispositions spécifiques, des enfants de plus de quinze ans.
18 Les mineurs de quinze ans
19 Constitue une circonstance aggravante, le fait de commettre sur un enfant âgé de moins de quinze ans, un certain nombre d’infractions, parmi lesquelles, pour donner quelques exemples, un meurtre [12], des actes de torture ou de barbarie [13] des violences, qu’elles aient entraîné la mort sans intention de la donner [14], entraîné une mutilation ou une infirmité permanente [15], ou encore entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours [16]. En cas de viol [17], d’agressions sexuelles [18], ou de proxénétisme [19], la peine est également aggravée, lorsqu’elle est commise sur un mineur de quinze ans.
20 L’ensemble de ces dispositions souligne l’importance donnée par la loi pénale à l’âge de l’enfant, et interroge sur le sort réservé aux mineurs de plus de quinze ans.
21 Les mineurs de plus de quinze ans
22 Les textes précédemment évoqués érigent comme circonstance aggravante, d’une part, le fait que l’infraction soit commise sur un mineur de quinze ans, mais aussi, le fait que cette même infraction soit commise « sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur » [20]. Or le mineur ayant plus de quinze ans peut être considéré comme une personne vulnérable en raison de son âge.
23 La Cour de cassation confirme cette interprétation des textes. Dans un arrêt du 21 septembre 2011, elle considère en effet que des enfants victimes de viol, sont des personnes vulnérables, voire très vulnérables. En l’espèce, les victimes sont âgées de 13 à 18 ans et la Cour de cassation retient pour caractériser leur état de vulnérabilité non seulement « leur jeune âge », mais aussi, dans cette affaire, « leur naïveté, proche de la débilité » [21]. De même, dans un autre arrêt, la Cour de cassation affirme que l’état de dépendance d’une jeune fille est « légalement présumé dans le temps de sa minorité » [22].
24 Autrement dit, si les fondements législatifs sont différents, la minorité de la victime (qu’elle ait plus ou moins de quinze ans) est considérée comme une circonstance aggravante de l’infraction.
b – Minorité et vulnérabilité, éléments constitutifs de l’infraction
25 La minorité de la victime est parfois présentée comme un élément constitutif de l’infraction. Dans ces situations, l’infraction n’est pas constituée si la victime a plus de dix-huit ans. Il en est ainsi lorsqu’une personne provoque un mineur à l’usage [23] ou au trafic [24] illicite de stupéfiants ou encore à la consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques [25]. En outre, pour ces infractions, les peines encourues sont aggravées lorsqu’elles concernent un mineur de quinze ans [26].
26 Par ailleurs, le Code pénal condamne les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail lorsqu’elles sont commises, sur un mineur de quinze ans, ou sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge est apparente ou connue de l’auteur [27] de l’infraction. Il en est de même des violences habituelles commises sur ces mêmes victimes [28].
27 Dans certaines hypothèses, ce n’est pas la minorité, mais la vulnérabilité de la victime qui est érigée en élément constitutif de l’infraction. Dans ces hypothèses, l’infraction ne concerne pas directement les mineurs, mais plus largement l’ensemble des personnes vulnérables. La loi sanctionne ici les comportements consistant à abuser de la vulnérabilité de la victime.
28 Par exemple, « le fait d’obtenir d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli est puni » par la loi [29]. Les textes condamnent également « Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine » [30].
29 Dans ces hypothèses, la peine encourue est aggravée lorsque l’infraction est commise à l’égard d’un ou plusieurs mineurs [31].
30 Le caractère particulièrement éclectique des textes qui viennent d’être présentés laissent un sentiment d’inachevé. Certains auteurs dénoncent ainsi le caractère incomplet des dispositions existantes. Certains textes ont en effet un champ d’application très ciblé. Selon Laurence Leturmy :
« On ne peut que regretter, par exemple, que l’incrimination de privations de soins ou d’aliments, limitée au mineur de quinze ans, ne soit pas étendue à la personne particulièrement vulnérable » [32].
32 Il existe alors une différence de traitement difficilement justifiable entre les enfants âgés de moins de 15 ans et les autres mineurs victimes. Selon Myriam Lagraula Fabre :
« Les juges tiennent compte de la vulnérabilité de la victime comme du rapport de dépendance préexistant entre elle et l’auteur de l’infraction, pour établir un diagnostic judiciaire de la violence en usant tantôt de la large palette d’incrimination mise à leur disposition par le législateur, tantôt en la complétant lorsqu’elle s’avère insuffisante » [33].
34 L’existence de cette technique jurisprudentielle met en évidence l’insuffisance de certains textes. Elle est également utilisée lorsqu’une personne commet une infraction non intentionnelle sur la personne de l’enfant.
C – Les hypothèses particulières d’imprudence ou de négligence ayant porté préjudice à l’enfant
35 Le droit pénal ne condamne pas seulement des actes positifs, mais s’intéresse aussi aux actes d’imprudence et de négligence.
La faute d’imprudence et/ou de négligence
36 Selon l’article 121-3 du Code pénal, « il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».
37 Cette disposition permet d’engager la responsabilité des établissements et services qui accueillent du public. Le législateur appelle l’attention des structures sur ta sécurité physique des personnes accueillies, en s’assurant notamment du respect de la réglementation existante.
38 Le droit pénal sanctionne les atteintes involontaires à l’intégrité de la personne [34] comme l’homicide involontaire. Selon l’article 221-6 du Code pénal, l’homicide involontaire se définit comme « le fait de causer, […], par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui » [35].
39 Ces dispositions ne distinguent pas les situations dans lesquelles la victime est mineure. Si la loi reste silencieuse sur ce point, la jurisprudence prend en revanche en considération la vulnérabilité de la victime et entend très largement la responsabilité pénale des professionnels du champ social et médico-social.
40 Ainsi, dans un arrêt du 6 mars 2012, la Cour de cassation n’hésite pas à déclarer coupables d’homicide involontaire deux éducateurs et une infirmière d’un Institut médico-éducatif en raison de la mort d’un enfant handicapé pris en charge. En l’espèce, l’enfant s’est noyé après avoir fui du groupe lors d’une sortie organisée autour d’un lac.
41 La Cour de cassation, comme la Cour d’appel, considère que « les accompagnateurs connaissaient bien toutes les caractéristiques du comportement de la victime, et n’ignoraient pas le risque de fuite brutale possible dans un contexte particulier comme l’était celui de cette sortie au lac ».
42 Les juges estiment que l’enfant en question nécessitait une surveillance accrue, qui dans le cas d’espèce, ne semble pas avoir été suffisante. Selon la Cour de cassation ce défaut de surveillance traduit une faute caractérisée de chacun des accompagnateurs, ayant exposé la victime à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer [36]. Il est néanmoins intéressant de souligner qu’en l’espèce le défaut de surveillance semble caractérisé par « le risque de fuite brutale possible dans un contexte particulier comme l’était celui de cette sortie au lac ». Or les juridictions n’expliquent pas en quoi une sortie au lac est un « contexte particulier », ni même en quoi a consisté la faute de surveillance des éducateurs et de l’infirmière. Il semble ainsi que les professionnels de ces établissements soient tenus à une obligation de résultat : comme en matière civile, le seul fait que le dommage ait pu se réaliser semble prouver le défaut de surveillance des professionnels en charge de l’enfant. Leur responsabilité pénal est donc entendue très largement.
La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité
43 L’article 121-3 du Code pénal qui sanctionne les fautes d’imprudence, de négligence ou les manquements à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, prévoit en son alinéa 2, une peine aggravée lorsque l’infraction s’explique par une violation manifestement délibérée ou une faute caractérisée. Selon ce texte :
« Les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis ta réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l‘éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer » [37]
45 Là encore, la responsabilité des professionnels du champ social et médico-social peut être engagée sur ce fondement entendu largement par la Cour de cassation. Pour donner un exemple, dès 1988, la Cour de cassation condamne pour homicide involontaire un directeur d’établissement accueillant des jeunes adultes handicapés mentaux. En l’espèce, un pensionnaire du centre a trouvé la mort, asphyxié par les gaz d’un chauffe-bain dont le fonctionnement était défectueux. Or la Commission administrative de sécurité n’avait pas été saisie des conditions d’hébergement au sein de l’établissement alors qu’en principe la visite de cette commission est obligatoire avant l’occupation des lieux.
46 Selon la Cour de cassation, « le simple prétexte de besoins à satisfaire ne comportant par ailleurs aucun caractère d’état de nécessité ou de force majeure » est inopérant.
47 La haute juridiction souligne par ailleurs que le fonctionnement des installations aurait dû être « vérifié d’autant plus minutieusement que l’état de handicapé mental affectant par définition chacun de ses hôtes rendait une telle vérification plus nécessaire ». Enfin, la Cour de cassation reconnaît « une faute de négligence autant que d’imprudence et d’inobservation des règlements, qui engage la responsabilité de son auteur ». Cette responsabilité est retenue alors même que le directeur d’établissement montre devant les juridictions que le vice affectant l’installation n’était décelable que par un professionnel spécilisé, le directeur n’étant pas en mesure de détecter seul ce vice [38].
48 Cette jurisprudence étend largement la responsabilité pénale des structures recevant des personnes handicapées. Elle peut a priori s’étendre sans difficulté à l’ensemble des services et établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes vulnérables et notamment des enfants. La reconnaissance par la Cour de cassation d’une responsabilité pénale étendue du directeur de l’établissement social et médico-social en cas de non-respect de la législation et/ou réglementation en vigueur incite ces professionnels à avoir une vigilance accrue sur les évolutions du droit.
Les actes d’omissions
49 Enfin, au titre des infractions non intentionnelles, la loi condamne des comportements positifs, mais aussi des actes d’omission, parmi lesquels
- la mise en danger d’autrui [39] ;
- la non-assistance à personne en danger [40] ;
- la non-dénonciation de crime [41] ;
- ou encore, de manière plus ciblée, la non-dénonciation de sévices ou de privation sur mineur de quinze ans [42].
50 Il s’agit de punir l’immobilisme d’une personne, notamment lorsque ces comportements placent l’enfant dans une situation de danger avéré. Ces infractions concernent l’ensemble des adultes ayant connaissance d’une situation d’enfant en danger ou risquant de l’être. Pour exemple, en 1995, la Cour de cassation condamne le responsable d’un service de l‘aide sociale à l’enfance, celui-ci ayant permis à une assistante familiale de reprendre une enfant hospitalisée alors qu’il avait eu connaissance des mauvais traitements que l’assistante familiale avait infligés à l’enfant [43].
51 La responsabilité pénale étendue des acteurs publics et privés n’est néanmoins pas sans limite. Le juge judiciaire refuse, par exemple, de retenir la responsabilité pénale d’une personne physique lorsque le lien de causalité entre le dommage et l’acte d’omission est indirect. Selon le juge :
« En cas de causalité indirecte, c’est-à-dire quand l’auteur, personne physique, n’est pas celui qui a causé directement le dommage, il y a lieu de démontrer soit une violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue pr la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur ne pouvait ignorer » [44].
La Cour de cassation considère ainsi que les juges du fond sont tenus d’apprécier la faute commise par la personne en charge de l’enfant in concreto, c’est-à-dire en tenant compte de la connaissance que la personne pouvait avoir du danger encouru par l’enfant. En l’espèce, une enfant âgée de deux ans et demi réussit à sortir d’un jardin clôturé et va sur la route, où elle est victime d’un accident. Les parents de l’enfant cherchent à engager la responsabilité de l’assistante maternelle (Mme A.) qui avait alors la garde de l’enfant. Selon la Haute juridiction « S’il est exact que la jeune Laura a échappé à la surveillance de Mme A… qui en était chargée, elle ignorait que l’endroit où se trouvait Laura présentait un quelconque danger ; que, d’une part, elle se trouvait avec toute sa famille dans un jardin clôturé d’où l’enfant ne pouvait pas sortir, puisque à sa connaissance le loquet du portail n’était pas manipulable par Laura, âgé de 2 ans et demi ; que, d’autre part, elle n’avait pas été avisée par sa belle-mère que l’enfant avait réussi à sortir à deux reprises dans la matinée de l’enceinte du jardin ».
53 Ces différents éléments conduisent la Cour de cassation à refuser l’existence d’une faute caractérisée de nature à engager la responsabilité pénale de Mme A., alors même qu’elle avait la garde de l’enfant [45]. La responsabilité pénale pour homicide involontaire est donc écartée.
Pour résumer
De nombreux agissements commis contre l’enfant peuvent ainsi faire l’objet d’une sanction pénale :
- les atteintes aux développements de l’enfant ou à la famille ;
- les atteintes volontaires à l’intégrité physique ou morale de l’enfant. Dans ces hypothèses, la minorité et/ou la vulnérabilité de la victime sont selon les cas considérées par le législateur comme des circonstances aggravantes ou comme des éléments constitutifs de l’infraction
- certains actes non intentionnels portant atteinte à l’enfant.
Ces infractions peuvent être commises par des personnes physiques proches de l’enfant, mais aussi par des professionnels ayant autorité sur ce dernier, Il est donc important de s’interroger sur les caractéristiques de l’auteur de l’infraction.
Notes
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[1]
Docteur en droit public, ancien inspecteur enfance au Conseil général du Val-de-Marne, et actuellement conseillère protection de l’enfance au cabinet de Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris chargée de la solidarité, des familles, de la petite enfance, de la protection de l’enfance, de la lutte contre l’exclusion, des personnes âgées. Elle intervient également au sein de formations initiales et continues (CNAM, CNFPT, ETSUP, Université Paris 12).
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[2]
La loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs cherche à protéger davantage les mineurs victimes d’infractions sexuelles, notamment en allongeant le délai de prescription de l’action publique qui ne commence à courir qu’à partir de la majorité du mineur (article 7 du Code de procédure pénale), mais aussi en élargissant les possibilités de représentation des victimes mineures par des associations de lutte contre les violences sexuelles ou des associations de défense ou d’assistance à l’enfance (2-2 et 2-3 du Code de procédure pénale). Ces associations peuvent désormais agir sans l’accord du représentant légal du mineur si elles obtiennent le consentement du juge des tutelles.
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[3]
Article L. 227-1 du Code pénal
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[4]
Article L. 227-3 et s. du Code pénal
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[5]
Article L. 227-5 et s. du Code pénal
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[6]
Article L. 227-12 et s. du Code pénal
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[7]
Laurence Collet-Askri, « La protection pénale de l’enfant victime des conflits entre ses parents divorcés à la lumière de la jurisprudence récente », RDSS, 2000, p. 285.
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[8]
Laurie Schenique, « La protection pénale de l‘enfant victime de conflit familial », AJ Famille, 2013, p. 287.
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[9]
Article 227-15 du Code pénal.
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[10]
Article 227-17 du Code pénal.
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[11]
Article 227-17-1 du Code pénal.
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[12]
Article 221-4 10 du Code pénal.
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[13]
Article 222-3 du Code pénal.
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[14]
Article 222-8 du Code pénal.
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[15]
Article 222-10 du Code pénal.
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[16]
Article 222-12 du Code pénal.
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[17]
Article 222-24 20 du Code pénal.
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[18]
Article 222-29 1°du Code pénal.
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[19]
Article 225-7-1 du Code pénal.
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[20]
Articles 221-4 30, 222-3 2°, 222-8 2°, 222-10 2°, 222-12 2°, article 222-24 30 du Code pénal.
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[21]
Cour de cassation, chambre criminelle, 21 septembre 2011, 11-85.098, inédit.
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[22]
Cour de cassation, chambre criminelle, I juin 2011, 10-85.652, inédit
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[23]
Article 227-18 al. 1 du Code pénal.
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[24]
Article 227-18-1 al. 1 du Code pénal.
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[25]
Article 227-19 al. 1 du Code pénal. Voir en complément les articles 227-21 à 227-27-3 du Code pénal.
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[26]
Articles 227-18 al. 2, 227-18-1 al.2, 227-19 al. 2 du Code pénal.
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[27]
Article 222-13 1° et 2° du Code pénal.
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[28]
Article 222-14 du Code pénal.
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[29]
Article 225-13 du Code pénal.
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[30]
Article 225-14 du Code pénal.
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[31]
Article 225-15 du Code pénal.
-
[32]
Laurence Leturmy, « La maltraitance en droit pénal », RDSS, 2006, p. 981.
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[33]
Myriam Lagraula Fabre , La violence institutionnelle. Une violence commise par des personnes ayant autorité, L’Harmattan, 2005, p. 160.
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[34]
Article 222-19 et suivants du Code pénal.
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[35]
Article 221-6 du Code pénal définit l’homicide involontaire.
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[36]
Cour de cassation, chambre criminelle, 6 mars 2012, 11-85.609, inédit.
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[37]
Articles 121-3, 221-6 alinéa 2 et 222-19 alinéa 2 du Code pénal.
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[38]
Cour de cassation, chambre criminelle, 3 mai 1988, 86-96.574, inédit.
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[39]
Article 223-1 du Code pénal.
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[40]
Article 223-6 du Code pénal.
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[41]
Article 434-1 du Code pénal..
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[42]
Article 434-3 du Code pénal.
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[43]
Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 janvier 1995, 93-81.631, Publié au bulletin.
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[44]
Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 janvier 2013, 11-88.834, inédit.
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[45]
Ibid.