Couverture de JDJ_356

Article de revue

Agir pour la réussite de tous les enfants

Pages 63 à 64

Notes

  • [1]
    Pédopsychiatre et militant associatif engagé dans le domaine des droits de l’enfant.
  • [2]
    Source :plaquette de présentation du Service de médiation interculturelle de proximité.
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Chapitre 7 : Pour réussir à l’école et dans la vie, La compétition est inévitable. On réussit mieux contre les autres, et parfois contre son milieu d’origine, qu’avec eux

1 Pour Véronique Decker, directrice de l’école élémentaire Marie-Curie à Bobigny, « l’injonction faite aux enfants de réussir, sans leur préciser ce qu’ils sont censés réussir, comporte un message implicite : faire mieux que ses père et mère, changer de classe sociale ». Promue sans prise en compte des contextes de vie, la réussite individuelle de tous est une illusion qui nuit à tous les enfants. Car c’est en réussissant ensemble - et, pour commencer, à l’école -qu’on peut viser un progrès global et partagé.

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« Réussir seul, à tout prix, c’est souvent réussir contre les autres. Contre les autres enfants, déjà, selon une logique de compétition précoce, et en étant parfois privé de son enfance par un remplissage systématique des temps libres visant à forcer le destin social ; mais tout le monde ne deviendra pas cadre supérieur pour autant. À défaut, donc, et dans les milieux modestes, réussir contre ses parents, au prix de se couper de ce qui relie à eux ».

3 Il ne s’agit certes pas d’entretenir coûte que coûte l’allégeance des enfants aux transmissions familiales les moins émancipatrices : les pratiques religieuses contraignantes des pères pour les garçons, les savoir-faire domestiques des mères pour les filles, les sujétions communautaires pour tous. Mais d’être attentif aux conflits de loyauté dans lesquels les enfants risquent de s’épuiser, entre leurs attachements familiaux et leurs engagements dans l’univers des diverses structures éducatives.

4 Si l’école est loin de pouvoir apaiser et résoudre à elle seule toutes les injustices, les choix pédagogiques qui y sont opérés peuvent assurer un cadre sécurisant, valorisant et stimulant à tous les enfants, et notamment à ceux qui vivent dans des conditions précaires. Ainsi en va-t-il de l’UP2A intégrée dans l’école Marie-Curie (cf. chapitre 1), une école dont tous les enseignants ont choisi d’appliquer les méthodes de la pédagogie Freinet. L’UP2A étant une classe d’accueil d’enfants non francophones dont elle prépare l’intégration progressive en classes ordinaires, il y est proposé à chaque enfant un « plan de travail » individuel et une approche pédagogique personnalisée. Chaque classe organise en outre en son sein le tâtonnement expérimental, la coopération entre enfants de niveaux différents, les techniques d’écriture libre, les ateliers de consolidation des apprentissages en petits groupes, etc. Chaque enfant a ainsi l’occasion de présenter ses acquis devant toute la classe, de faire l’expérience d’y réussir quelque chose.

5 Par ailleurs, chaque classe dispose d’un conseil d’enfants, présidé par un enfant, et dont 1’ordre du jour est élaboré par tous tout au long de la semaine. Outre la possibilité d’y former des projets et d’y prendre des décisions, ce conseil permet d’aborder des problèmes d’intolérance et de racisme.

6 Au total, le recours à une pédagogie coopérative et démocratique permet de faire l’expérience précoce que c’est ensemble, et non pas contre les autres, que l’on peut réussir à l’école, et ailleurs.

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8 L’équipe de l’école polyvalente de la rue Pajol, dans le 18ème arrondissement de Paris, est particulièrement soucieuse de prémunir les enfants des familles peu ou non francophones des difficultés, voire des souffrances, auxquelles peut les exposer leur accès au bilinguisme et à de nouvelles références culturelles (cf. chapitres 4 et 6). Diverses initiatives y sont prises pour faciliter la compréhension de l’école par ces parents et renforcer l’attention des enseignants à leurs perceptions. Mais qu’en est-il des enfants ? Certains fréquentent simultanément des « écoles » se référant à la culture, voire à la religion, de leurs parents. Lesquels ressentent parfois les progrès scolaires de leurs enfants comme une « trahison » à l’égard de leurs origines. Comment faire en sorte que ces enfants n’assimilent pas leur scolarité à un renoncement à leur langue maternelle, mais leur fournisse au contraire l’occasion de faire reconnaître leur qualité de bilingue ? Et cela sans passer d’une logique de « handicap linguistique » à une logique de suprématie envers leurs parents ou leurs camarades exclusivement francophones, tous finalement moins « dotés » qu’eux à cet égard ?

9 Se souvenant du dicton africain « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », Véronique Rivière, directrice de l’école, recherche des réponses collectives à ces dilemmes. Elle y est encouragée par l’exemple d’ateliers périscolaires organisés, dans leurs langues d’origine, les uns avec des enfants de grande section, de CP et de CEl, les autres avec des enfants de CE2, de CMl et de CM2. Un groupe de « grands » s’est spontanément proposé pour lire des livres en mandarin à un groupe de « petits » et pour les leur traduire en français. En s’appropriant de la sorte une démarche valorisant, au sein de l’école, la langue et la culture d’origine de leurs familles, ces enfants ont indiqué comment ils pouvaient en transmettre l’usage et en conserver la fierté.

10 C’est dans le même esprit que des « ateliers interactifs scientifiques » associent parents, enfants et enseignants ou que des « expositions de l’ordinaire » sont montées avec les enfants pour présenter à leurs parents les enjeux et les complexités de leurs apprentissages. Invités à préparer une exposition sur les thèmes du pouvoir et de l’émancipation, les enfants ont ainsi décidé de rédiger des textes à haute valeur intégrative pour tous autour des questions suivantes :« Qui commande ? » et « À quoi servent les lois ? ».

11 Toutefois, les approches solidaires proposées aux enfants ou la fréquentation des papothèques proposées à leurs parents (cf. chapitre 4) ne suffisent pas toujours à résoudre à elles seules les difficultés d’apprentissage et de comportements scolaires de certains enfants, ni les souffrances que suscitent ou révèlent parfois leur scolarité. L’école Pajol n’entend pas médicaliser ou psychologiser ces situations à l’excès, mais faciliter si besoin l’accès aux soins et aux rééducations. Ni en imputer la cause aux seuls parents, mais voir en ceux-ci moins des sources de problèmes que des sources de solutions. Aussi sa psychologue scolaire oriente-t-elle les familles concernées vers le Service de médiation interculturelle de proximité mis en place par l’association Culture 2+ (cf. chapitre 4). L’enfant, sa famille et toute personne les connaissant bien (famille élargie, amis proches, professionnels de l’école ou d’en dehors de l’école) sont reçus par un groupe de médiateurs, de psychologues ou d’anthropologues ainsi que d’interprètes de la langue de la famille. Plusieurs dizaines de personnes peuvent être ainsi réunies. La méthode, validée depuis près de trente ans par plusieurs travaux universitaires, consiste à préciser la nature des difficultés présentées par l’enfant, puis à « faciliter la compréhension de sa problématique en tenant compte à la fois de l’histoire migratoire de ses parents et de leurs difficultés dans la transmission intergénérationnelle »[2]. Plusieurs séances sont souvent nécessaires pour y parvenir.

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13 Nous avons mentionné à plusieurs reprises les logiques de coopération qui prévalent en permanence sur celles de compétition entre les jeunes au sein du collège-lycée expérimental Freinet (Clef) de La Ciotat. Cathy Rigal, professeur de sciences de l’information au Clef, témoigne d’ailleurs de ce que, depuis la création de celui-ci en 2008, elle n’a connu qu’un seul échec d’orientation d’un CM2 « traditionnel » vers la sixième du Clef : celui d’une enfant qui, habituée à se voir décerner de « bonnes notes » en primaire, s’est trouvée désarçonnée de ne plus être notée (cf. chapitre 3) en début de secondaire. Devant son désespoir manifeste d’avoir ainsi perdu son statut de « bonne élève » - c’est-à-dire meilleure que les autres -, l’équipe lui proposa, ainsi qu’à ses parents, de rejoindre une sixième traditionnelle, ce qu’ils acceptèrent.

14 Rappelons ici le syllogisme formulé par Lucas Fachini, 19 ans, élève au Clef de la cinquième à la terminale : « On n’est pas tous bons ; mais si tu es bon, tu peux m’aider ; on peut donc tous s’aider ». Et il ajoute : « Avoir appris avec un collectif qui s’est montré aidant, on y pense tout le temps, après. On sait qu’on peut de nouveau se fier à des groupes ». Lucile Mercier, 20 ans, qui a suivi le même cursus, précise et complète : « La pédagogie Freinet, ça rend automatique le recours à la coopération, à l’idée de demander et proposer de l’aide aux autres. Mais aussi à comprendre que les professeurs ne détiennent pas tous les savoirs, et à apprendre à donner des points de vue différents des leurs. Eux-mêmes évitent de nous inquiéter sur nos faiblesses, ils nous disent qu’on est toujours bon en quelque chose et qu’on peut s’appuyer sur le groupe pour avancer et réussir. Et finalement, on se sent capable d’argumenter, d’utiliser les critiques constructives pour faire entendre un point de vue. Cela aide à s’exprimer en public… et peut-être aussi à trouver un job ».

15 « Apprendre à argumenter » : c’est aussi ce dont Jacques Lambert, 85 ans, habitant de La Ciotat, ancien ouvrier et leader syndical aux chantiers navals, dit être redevable à Célestin Freinet dont il fut l’élève, à Vence, entre 1945 et 1947. Reçu en candidat libre au certificat d’études, puis apprenti à l’âge de 14 ans - « On avait alors beaucoup de devoirs, mais pas de droits » -, embauché en 1954 aux chantiers navals - « Les ouvriers étaient commandés comme des chiens » -, il y devint syndicaliste parce que, dit-il, il avait appris auprès de Freinet à s’exprimer en public, clairement, sans baisser les yeux, en défendant le point de vue de la communauté ouvrière, même quand il ne le partageait pas totalement. Il avait appris à prendre et assumer ses décisions « sans céder aux endoctrinements » ; mais, en situation de négociation, à le faire sans trahir le groupe qui, par sa délégation de pouvoir, lui avait aussi délégué sa confiance. Et il garde le souvenir indéfectible de Freinet et des autres enseignants de Vence qui, le matin, proposaient aux enfants de choisir un thème et le texte de l’un d’entre eux pour les étudier en groupe, puis qui y apportaient les éléments de connaissance nécessaires. Après quoi, le texte remanié était composé, imprimé et relié par les enfants eux-mêmes. Toutes les décisions à ce sujet étaient discutées et votées par les enfants. De cette école, que « l’école du syndicalisme » a relayée en lui permettant de se perfectionner tout au long de sa vie, Jacques Lambert vient volontiers parler aux élèves du Clef à l’invitation des enseignants. Tous se souviennent de son témoignage.

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17 Promouvoir la communication non violente et l’empathie entre les jeunes, notamment pendant les années collèges, constitue une alternative aux hostilités qui peuvent se déployer dans les cours de récréation, les couloirs, les restaurants et les cars scolaires et sur les réseaux sociaux. Aux rapports de force qui structurent trop souvent les relations sociales et scolaires il est possible d’opposer des logiques de médiation pour prévenir et résoudre certains des conflits, parfois considérés comme anodins par les adultes, qui s’installent, voire explosent, entre les jeunes.

18 Plusieurs collèges ont ainsi institué des dispositifs de médiation par les pairs assurés par des collégiens volontaires, formés à cet effet et accompagnés par des adultes (eux aussi formés) : il s’agit, par exemple, au collège de Beaucamps-le-Vieux, d’un groupe d’enseignants et du CPE. Dans un local dédié, aussi accueillant que possible, un binôme ou un trinôme de collégiens médiateurs qui ont identifié un conflit entre deux ou plusieurs collégiens les invitent à venir en parler avec eux dans des conditions de confidentialité garanties. Les objectifs, librement consentis, sont de permettre tout d’abord aux « médiés » de verbaliser calmement la situation en cause ; puis, sans que les médiateurs ne portent de jugement ou ne prennent parti, de parvenir ensemble en une ou plusieurs entrevues à un processus de pacification et à la recherche d’une solution durable et acceptée de tous. Les médiateurs procèdent avec les adultes qui les accompagnent à des bilans réguliers et anonymisés de leur activité, qu’ils peuvent suspendre ou interrompre dès qu’ils le souhaitent.

19 Les jeunes médiateurs du collège de Beaucamps-le-Vieux ont observé un surcroît de conflits dans les jours qui précèdent les vacances scolaires, ce qu’ils relient à la fatigue accumulée. Constatant la banalisation de la violence verbale (ou écrite) et les difficultés de leurs camarades à exprimer leurs émotions, ils ont proposé de promouvoir la gentillesse en instaurant une « journée sans insultes ». Pour eux, réussir c’est déjà réussir à communiquer, sans colères ni malentendus. Et à coopérer plutôt qu’à s’affronter.


Date de mise en ligne : 20/01/2017

https://doi.org/10.3917/jdj.356.0063

Notes

  • [1]
    Pédopsychiatre et militant associatif engagé dans le domaine des droits de l’enfant.
  • [2]
    Source :plaquette de présentation du Service de médiation interculturelle de proximité.

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